Leslie Kaplan
(1943-...)
Dossier
Le roman selon Leslie Kaplan
Le roman comme outil : Poétique romanesque de Leslie Kaplan, par Guillaume Ménard, 1 juin 2017 |
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Le roman, chez Leslie Kaplan, est à positionner bien plus dans l'Histoire du XXe siècle que dans l'histoire, plus restreinte, de la littérature. C'est peut-être la raison pour laquelle Kaplan, au contraire d'un grand nombre de romanciers, ne cherche pas tant à proposer une conception du genre romanesque qui serait à comprendre dans une opposition interne à sa propre histoire, à l'histoire de ses formes, de ses représentations et de ses écoles, mais plutôt de façon externe dans les relations qu'il tisse avec la littérature, le cinéma et même la psychanalyse. À cet égard, même si elle est l'auteure de plus d'une dizaine de romans, Kaplan n'emploie presque jamais cette indication générique, plus encline à parler de littérature ou d'art. Le roman (Dostoïevski, Kafka, Roth, Faulkner, Antelme), le cinéma (Cassavetes, Rivette, Godard, Buñuel, Chaplin), la philosophie (Blanchot, Arendt) et la psychanalyse (Freud, Lacan) participent, sans nette hiérarchie d'importance, de sa pensée du roman. L'idée qu'elle se fait du roman est profondément rattachée au politique et, pour Kaplan, « penser la politique pour un écrivain c'est penser comment une conception politique intervient DANS SON TRAVAIL D'ÉCRIVAIN ». (Kaplan, 2003, p. 27) En ce sens, la poétique romanesque de Leslie Kaplan se rapproche de la représentation moderne de l'art, qui associait entre elles la révolution esthétique et la révolution sociale. Or, s'il est évident que Kaplan ne fait pas preuve d'un tel degré d'idéalisme, il n'en demeure pas moins qu'elle établit un rapport d'indissociabilité entre les catégories de l'esthétique et de l'éthique. Dans l'article « Roman et réalité », l'auteure propose une définition du genre somme toute assez commune :
Cependant, cette capacité d'intégration et cette liberté formelle qui font du roman le genre dont la particularité est d'accueillir tous les autres genres (de la poésie au théâtre) et même des objets extralittéraires (du traité de philosophie à la recette de cuisine), n'est pas, pour Kaplan, une finalité en soi. Comme l'indique le titre de son recueil d'essais à propos du roman et des arts, le genre romanesque est pour elle un outil. Dans cet ordre d'idées, Kaplan explique dans « Words, words, words » que les « choix qui concernent le personnage, la narration, l'enjeu de l'oeuvre […] construisent une éthique de la représentation ». (Kaplan, 2003, 164) Le roman est un outil pour penser le monde en ce qu'il permet, par l'invention de personnages, de types de narrations et de formes grammaticales diverses, de réfléchir le rapport à soi et au monde. Du même souffle, l'écrivaine affirme, dans « Art et citoyenneté » que « transmettre des éléments inhérents à l'art et à la littérature a à voir avec la pratique de la citoyenneté ». (Kaplan, 2003, 165) Plus spécifiquement, une conception politique des formes romanesques s'inscrit dans la réflexion de Leslie Kaplan par l'entremise d'une célèbre citation de Franz Kafka : « La phrase la plus politique pour moi en tant qu'écrivain : celle de Franz Kafka, Journal, 27 Janvier 1922, qui parle de la littérature comme un “bond hors du rang des meurtriers”. » (Kaplan, 2003, 26) Un des principaux enjeux de la poétique de Kaplan se joue dans l'opposition entre la « pensée vivante » et « l'idée ». (Kaplan, 2003, 94) Si la première est liée au mouvement, à la découverte et à la pensée, la seconde correspond plutôt à l'immobilité, au conservatisme des formes (de langage, de pensée, d'organisation sociale et politique) et elle place les sociétés devant le risque du totalitarisme. L'assassin se trouve du côté de l'idée, c'est-à-dire celui de la réification de la pensée en savoir, celui du déplacement de la complexité et de l'inconnu de la pensée vers des formes de savoir connues. On comprend comment le roman, dans la souplesse formelle qui le caractérise, est intrinsèquement lié, pour Kaplan au moins, à des enjeux éthiques. Discutant d'un roman de Faulkner, Le Bruit et la Fureur, Kaplan pose la question de l'utilité de la littérature et offre une réponse, ou plutôt des lignes de force, des indications, en trois temps :
Ces trois composantes de la conception de la littérature, la pensée, les formes et l'expérience d'un possible formeront l'itinéraire de ce travail. Des notions liées au roman comme le personnage et la narration, de même que les rapports entre littérature et psychanalyse, roman et sociologie, seront abordés. Ils permettront de déployer la poétique romanesque de Leslie Kaplan. Penser la pensée. C'est à travers une formule en apparence tautologique que Leslie Kaplan expose sa représentation de la pensée : « la pensée on ne l'a pas. On la pense. » (Kaplan, 2003, 113) La pensée est un acte, elle ne s'acquiert pas comme l'on peut acquérir un savoir, que Kaplan oppose pour cette raison à la pensée. Dans ses articles, l'auteure construit toute une série d'oppositions qui rejoue cette distinction initiale entre la pensée et le savoir, notamment la vie et la mort, dont la seconde doit être soigneusement séparée de la première. Kaplan explique que « le mélange de la vie et de la mort est ce qui menace le plus l'art, comme ce qui menace le plus la parole est d'enfermer l'autre dans des catégories, de le figer, le chosifier – de le tuer –, au lieu de reconnaître qu'on s'adresse, toujours, déjà, à lui ». (Kaplan, 2003, 126) On retrouve ici la fameuse citation de Kafka qui fait de la littérature un bond hors du rang des assassins. Pour Kaplan, l'assassin est celui qui valorise le maintien de l'ordre par sa tentative de circonscrire et d'expliquer les événements et les individus, c'est celui qui, au fond, croit savoir. Par le fait même, l'assassin nie l'altérité, car il comble le fossé qui le sépare de l'Autre en lui imposant ses propres catégories de pensée. Il ramène, en d'autres mots, l'inconnu au connu. Dans l'art, le « connu réconfortant » (Kaplan, 2003, 126) dont parle Kaplan, efface l'Autre, et « sans paranoïa excessive, on peut [lui] attribuer, par simple constat, le rôle de maintenir le public, consentant, dans l'état comateux de mort-vivant, requis, de façon générale, par le système ». (Kaplan, 2003, 126) Ce constat sans réplique est poussé dans ses conséquences les plus désastreuses par Kaplan, qui s'appuie dans sa réflexion sur Hannah Arendt : « l'impuissance, la passivité, et le ressentiment, font partie des éléments qui “dans une société non totalitaire préparent l'avènement d'une société totalitaire” […]. » (Kaplan, 2003, 1991) Le roman comme pensée correspond à une mise en mouvement et s'oppose radicalement, pour Leslie Kaplan, à la sociologie, qu'elle n'hésite pas à positionner dans le rang des assassins. Dans « Le style de Daney », elle fait siennes les analyses de Serge Daney, qui critique l'aspect sociologisant du film Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée :
La sociologie tue, au sens où elle classifie, réifie, explique un – les – cas. Le reproche fait au film est de cantonner le personnage dans une explication sociologique, en partie déterministe. Pour Kaplan, « considérer un personnage du point de vue d'une explication, quelle qu'elle soit, traumatique, psychologique, sociologique, [lui] paraît enfermant, rassurant et enfermant ». (Kaplan, 2003, 29) Au contraire, « penser c'est lier, mettre en rapport des choses apparemment sans rapport, créer la surprise, l'étonnement, ouvrir, et non expliquer, enfermer dans des catégories […] Un personnage est une forme que peut prendre à un moment donné une question ». (Kaplan, 2003, 29) En palimpseste, c'est la formule de Maurice Blanchot, affirmant que la littérature commence quand elle pose une question, qui se dessine. S'il le personnage demeure une question, c'est que Kaplan se méfie, comme « Kafka, Freud, Arendt, Chaplin » « de la vieille conception d'une nature humaine donnée ». (Kaplan, 2003, 28) La psychanalyse présente pour Leslie Kaplan des correspondances avec le roman et la littérature, du moins tel que l'écrivaine les conçoit. La psychanalyse comme méthode, plus que les contenus qu'elle met à notre disposition (« le sexuel », « l'infantile » sont aux yeux de Kaplan des « savoirs morts ») (Kaplan, 2003, 61), permet d'envisager le personnage de roman de manière à ne jamais le confiner à des catégories psychologiques et sociologiques, rejetées par Kaplan :
C'est dans le langage que Kaplan noue des relations entre littérature et psychanalyse et élabore à partir de l'éthique freudienne une éthique de la littérature, ce qu'elle fait en relevant une double nature du langage : son caractère polysémique ainsi que son aspect dialogique. Ces deux pans du langage, qui font que ses niveaux de significations sont multiples et qu'il comporte une dimension intersubjective, forcent l'écrivain et le psychanalyste à l'attention flottante, à la disponibilité. L'éthique dont parle Kaplan, tant dans l'écriture que dans la lecture, est une position d'humilité : le jugement est suspendu et les savoirs préalables délaissés. Le langage vivant est à saisir dans son devenir plutôt que dans les catégories préexistantes au mouvement de la pensée qui court dans une parole ou une écriture particulière. Ce rapport au langage que Kaplan découvre dans la méthode psychanalytique donne une inflexion au regard qu'elle pose sur le personnage :
Ni naturalisme (l'individu serait conditionné par son environnement social) ni romantisme (l'individu existerait de façon complètement indépendante et idéalisée en dehors de la société), Kaplan refuse de penser l'humain dans ses représentations extrêmes, lui refusant toute nature. Le personnage, comme l'individu, existe dans des relations diverses, complexes et inconnues qui parcourent son intérieur, son langage et le dehors, c'est-à-dire le monde. Formes ou une éthique de la virgule. Pour Kaplan, la forme est absolument indissociable d'une éthique. Dans un article sur Maurice Blanchot, dont le travail d'écrivain-philosophe est d'une importance cruciale pour l'oeuvre de Kaplan, celle-ci commente le statut éthique de toute parole d'écrivain :
De la même manière, une pensée est à l'oeuvre dans le style de Kaplan. L'élément formel le plus minimal d'une parole, d'une écriture ou d'une oeuvre donne des indications sur le mouvement propre à un auteur. Le simple usage des signes de ponctuation tel que le point d'interrogation, le point d'exclamation ou la virgule, comme Kaplan l'explique dans un entretien avec Rolande Causse intitulé « La virgule comme mouvement de pensée chez Leslie Kaplan », se donne à lire comme de la pensée :
L'usage singulier de la virgule opéré par Kaplan, et que souligne Causse, installe déjà Kaplan comme sujet parlant, mais il y a plus : cette marque de ponctuation organise une pensée. L'écrivaine établit d'abord une relation entre la virgule et le réel, la première servant à diviser le second. Comme il est possible de le faire avec le point, la virgule crée chez Kaplan des effets de juxtapositions, de surprise, d'inconnu : « ce qui fait le mystère, c'est le lien entre les mots, entre les pensées. Il y a un lien, on le perçoit, enfin, j'espère, mais quel est-il ? Il n'est pas explicité, j'aimerais que le lecteur le cherche. » (Causse, 1998, 176) Cette découpe du réel, chez Kaplan, implique le lecteur. Le mystère, grammatical, syntaxique et logique force une attention accrue au texte et, ultimement, au réel, transformé par la lecture du roman. Dans le même entretien, Rolande Causse insiste sur un cas spécifique dans lequel Kaplan emploie la virgule : « Dans Depuis maintenant ou Miss Nobody Knows, vous utilisez fréquemment une virgule suivie d'une majuscule pour introduire un dialogue. […] Pourquoi ? » (Causse, 1998, 175) L'écrivaine explique :
À la dimension du réel découpé par la virgule s'en ajoute une deuxième : l'oralité. La virgule n'est pas simplement une façon d'organiser singulièrement la phrase, elle est aussi et surtout une prise en compte de la parole des personnages. Autrement dit, la virgule trouve ici une valeur éthique, car elle matérialise la voix des personnages dans le texte. Plus encore, une autre conséquence découle de ce type de ponctuation. La parole des personnages et la narration sont contemporains l'un de l'autre. Le narrateur ne distribue pas par avance un savoir sur le personnage, car il suit le mouvement de sa parole : « En ce sens tout est au présent, l'identité de chacun se construit dans et par le récit qu'il en fait. Tout est depuis maintenant : c'est le titre que j'ai donné à un de mes livres et qui inaugure une série. » (Kaplan, 2003, 34) Kaplan élabore :
Dans la perspective d'une éthique littéraire fondée sur une éthique de la psychanalyse, tous, écrivain, personnages et lecteur ont la même information. Pas d'ubiquité, ni de savoir préalable et « en ce sens, affirme Kaplan, la narration est proche de celle de Dostoïevski, et différente de celle de Flaubert qui, lui, écrit du point de vue de celui qui sait ce que ses personnages ne savent pas ». (Kaplan, 2003, 177) Voici toute la différence entre un narrateur dieu qui sait tout de ses personnages et un narrateur psychanalyste qui ne sait rien du dieu intérieur de ses personnages. Le saut ou l'expérience des possibles. Le roman comme expérience des possibles est à comprendre dans son rapport à la fiction, qui doit être, pour Kaplan, ce qu'elle appelle un « saut » :
Sauter doit s'entendre comme le saut hors du rang des assassins dont parle Kafka dans son journal. En ce sens, « prendre la réalité au sérieux » c'est considérer son caractère contingent : cet état du réel pourrait ne pas être. Les conséquences que ce regard posé sur la réalité engage sont importantes : elles confèrent à la fiction une force de transformation. Cependant, il ne s'agit pas de transformer l'ensemble du monde. Kaplan conçoit bien qu'il existe un écart entre le roman et le réel, de là l'importance de la notion de saut : « Le saut est un acte de la pensée, une rupture qui permet de quitter le ressassement, la continuité, le face à face avec le réel. Il crée une distance, un espace, il met derrière, il permet de passer ailleurs. » (Kaplan, 2003, 22) Ce que transforme le roman par cet « acte de la pensée », c'est son lecteur. Le roman invente des formes langagières, des situations et des personnages singuliers et, en cela, modifie le rapport à soi et au monde de son lecteur. La fiction, en d'autres mots, est une expérience d'altérité. Dans sa réflexion sur le roman et la littérature, Kaplan prend acte des travaux d'Hannah Arendt sur la condition de l'homme moderne – qui n'est pas sa nature –, qu'elle met en rapport avec la fiction :
La fiction aurait comme fonction de soulager l'individu du « souci de soi ». Un peu paradoxalement, les romanciers avec lesquels Kaplan construit une filiation (en particulier Dostoïevski et Kafka) font de cette misérable expérience de soi le sujet même de leurs oeuvres. Plus encore, ce que le roman met en scène n'est pas seulement la conscience de soi comme excès, mais la conscience de sa propre pensée. Ici, la forme du roman (pensée mouvante) rejoint le sujet (la pensée de ses personnages). Il s'agit d'une pensée toute-puissante, c'est-à-dire infinie, mais en cela angoissante, car il est impossible de prévoir où elle nous mènera, à la folie peut-être :
La pensée se transforme au tournant du XXe siècle et occupe un espace si important qu'elle se matérialise. Pour Kaplan, c'est ce que le roman moderne manifeste. Comme dans Les notes du sous-sol, les personnages de ces romans s'adonnent à de longs monologues dans lesquels ils repoussent sans cesse les limites de la pensée, jusqu'à l'incompréhension ou à la folie (c'est la même chose). Dans les romans de Kaplan, les personnages bavardent entre eux jusqu'à vider de sens le contenu de leurs paroles. Dans Mathias et la Révolution, par exemple, les personnages s'interrogent sur la Révolution française, son sens, sa fortune dans les idées sociales et politiques, jusqu'à perdre le sens initial de leurs propres questionnements. Pourtant, selon Leslie Kaplan, « la pensée se reconnait dans le bavardage. L'homme du sous-sol s'écrie douloureusement que la “destinée unique de l'homme intelligent est de bavarder, c'est-à-dire, de parler pour ne rien dire” […] ». (Kaplan, 2003, 47) Elle développe son point de vue dans un commentaire de l'oeuvre du cinéaste Cassavetes, qui met pour elle en jeu cette contradiction entre l'infinie puissance de la pensée et le risque de s'y perdre :
Enfin, le roman selon Leslie Kaplan doit être compris d'abord et avant comme outil de pensée, qui met en jeu des formes et l'expérience de possibles. Ce qui occupe la réflexion de l'auteure de Mathias et la Révolution, ce sont d'abord des préoccupations éthiques et politiques, c'est-à-dire individuelles et collectives. C'est pourquoi, semble-t-il, Kaplan ne ressent pas le besoin de s'opposer clairement à d'autres romanciers pour illustrer et défendre sa poétique, alors que, d'un autre côté, elle s'attaque farouchement à la sociologie et ancre son discours dans la méthode psychanalytique. En ce sens, ce n'est pas un hasard si les romanciers les plus cités par Kaplan sont deux auteurs dont on a reconnu la réussite de leur travail quant à la psyché de leurs personnages. N'est-ce pas Nietzsche, après tout, qui affirmait que Dostoïevski était la seule personne à lui avoir appris quelque chose dans le domaine de la psychologie ? Pour sa part, Kaplan ne fait pas tant du roman un art de l'exploration des profondeurs de la psychologie humaine que l'espace d'une expérience des possibles : formels, de la pensée et de l'individu. À l'encontre d'une conception sociologique de l'humain et d'un discours qui prétendrait exposer la nature humaine, les romans de Leslie Kaplan donnent à lire et à entendre des personnages (individus) en devenir, bavards et ouverts à l'inconnu. Dans cette logique de l'advenir, la narration dans les romans de Kaplan ne conclue pas : le « déroulement » (Kaplan, 2003, 166) prime effectivement sur le « dénouement ». (Kaplan, 2003, 166) Le saut, entre la réalité et la fiction qui donne à penser des formes possibles de l'existence, confirme le roman dans sa fonction d'outil :
Ouvrages cités :
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Bibliographie
Ouvrages cités |
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Ce dossier sur Leslie Kaplan, introduit par un court article dont l'objectif est de mettre en évidence les grands énoncés, les orientations majeures et les thématiques principales de la poétique romanesque de l'auteure, n'est pas un travail exhaustif. Il concerne principalement les articles et les entretiens que Kaplan a rassemblés dans le recueil Les outils, publié chez l'éditeur P.O.L. en 2002, mais pas uniquement. Pour découvrir encore plus de matériel sur le discours de Kaplan sur sa pratique d'écrivaine, il est possible de consulter son site internet, dans lequel elle publie articles et entretiens. |
« À quoi sert la littérature », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. « Qui a peur de la fiction », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. « La phrase la plus politique pour moi en tant qu'écrivain », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. « Littérature et psychanalyse », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. « Le refus du cas », dans Leslie Kaplan - Les outils, [en ligne], page consultée le 3 janvier 2017. « L'expérience du meurtre », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. « Kafka », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. « Penser la mort », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. « Maurice Blanchot », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. « Style de Daney », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. « Translating is sexy », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. « Cassevetes, Dostoïevskiet et le meurtre », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. |
Citations
« À quoi sert la littérature », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. |
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« Le personnage m'implique, comment ? Comment suis-je impliquée par ce type horrible à qui bien sûr je n'adresserais pas la parole une seconde dans la réalité ? » (p. 17) |
« Qui a peur de la fiction », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. |
« Pourquoi cette négation de la fiction ? La fiction n'est pas seulement un DROIT, le droit de penser, c'est-à-dire : toutes les pensées sont possibles, on peut TOUT penser, RIEN n'est interdit à la pensée, c'est aussi un MOYEN, justement un moyen de penser. » (p. 22) |
« La phrase la plus politique pour moi en tant qu'écrivain », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. |
« La phrase la plus politique pour moi en tant qu'écrivain : celle de Franz Kafka, Journal, 27 Janvier 1922, qui parle de la littérature comme un “bond hors du rang des meurtriers”. » (p. 26) |
« Littérature et psychanalyse », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. |
« Le Psychanalyste est un roman, mon dixième livre, mais depuis que j'écris j'ai toujours voulu prendre en compte la dimension de l'inconscient dans la construction du récit et des personnages, et dans ce livre le personnage principal a précisément pour métier d'écouter l'inconscient et de le faire entendre à celui qui parle. » (p. 31) |
« Le refus du cas », dans Leslie Kaplan - Les outils, [en ligne], page consultée le 3 janvier 2017. |
« En tant qu'écrivain, c'est le réel qui m'intéresse, ce qui fait irruption, qui pose la question, Et alors, quoi ? J'essaie de me placer en dehors d'un naturalisme, d'un déterminisme. Le personnage n'est pas un “cas”. Dans Le Psychanalyste les patients sont des “héros” : héros de la pensée, qui affrontent le conflit entre leur désir de vérité et leur passion pour l'ignorance (Lacan), comme Œdipe, et comme tout le monde. Le psychanalyste n'est pas celui qui sait tout, mais un homme ou une femme qui cherche, avec le patient. Et dans le livre, il y a le psychanalyste Simon Scop et ses patients, mais il y a aussi, c'est le deuxième personnage principal, Eva, qui vient de la banlieue, qui lit et qui interprète sa vie avec Kafka. » |
« L'expérience du meurtre », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. |
« Si Les notes du sous-sol, ce récit dans un “souterrain” (1864) est un point de bascule de l'oeuvre de Dostoïevski et de la littérature moderne, c'est qu'un rapport y est construit, violemment et pourtant presqu'à l'insu du lecteur, entre pensée, parole, et meurtre. Le meurtrier désigné est double, c'est un homme quelconque, un homme ordinaire, un homme qui trahit la confiance d'une enfant, et en même temps, c'est “l'idée”, une méthode particulière, une façon d'appréhender le monde : et le texte se présente ainsi comme une condensation du projet poétique, éthique, de Dostoïevski, comme une métaphore de sa façon à lui de répondre au monde, notre éclatement. » (p. 44) |
« Kafka », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. |
« À interroger les mots, Kafka pose la question : qu'est-ce qui manque aux mots ? Et le fin mot du Procès : “La logique a beau être inébranlable, elle ne résiste pas à un homme qui veut vivre”. La logique du rêve, la logique des mots. Alors, le rêve ? la vie ? et qu'est-ce que c'est, vouloir vivre. On revient à la distance paradoxale. “Il a trouvé le point d'Archimède, mais il s'en est servi contre soi ; apparemment il n'a eu le droit de le trouver qu'à cette condition”. Le point d'Archimède, c'est le langage, grâce auquel l'homme peut soulever le monde... mais dont il est sujet. Désir forcené de se sauver par les mots, et lucidité sur ce fait incontournable : l'homme habite le langage, et le langage l'habite. La distance paradoxale est celle qui est en nous, qui nous divise et nous sépare de nous-même, car avant de pouvoir les utiliser à son tour, l'homme est littéralement fait, fabriqué, par les mots, et les mots sont la peau des rêves. » (p. 70-71) |
« Penser la mort », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. |
[À propos de L'espèce humaine de Robert Antelme] |
« Maurice Blanchot », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. |
« C'est-à-dire : il y avait chez Blanchot une connaissance intime du malheur, ou le malheur éprouvé comme malheur intime : c'est ce qui a eu aussi un écho pour moi et qui est-il me semble la caractéristique du mouvement de Mai 68 : une contestation non pas à partir d'un savoir scientifique, d'un discours qui définissait des causes générales, exactes ou non, mais la tentative de trouver une action collective à partir de l'intime-universel. » (p. 85) |
>« Style de Daney », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. |
[Ces commentaires et réflexions de Leslie Kaplan portent sur le critique de cinéma Serge Daney.] |
« Translating is sexy », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. |
« Mais la pensée on ne l'a pas. On la pense. » (p. 113) |
« Cassevetes, Dostoïevskiet et le meurtre », dans Les outils, Paris, P.O.L., 2003. |
« Faire ressentir que “tout est possible”, cette formulation déjà dostoïevskienne de l'éclatement contemporain, est un des pôles de l'art de Cassavetes, mais l'infinité du possible va toujours de pair avec “tout autre chose” comme le dit “l'homme du sous-sol”, avec un désir très fort qui le limite, la recherche passionnée d'une butée qui ferait que “toutes les idées, tous les comportements sont possibles” ne devienne pas “tous les comportements sont équivalents et vains”. On peut tout penser, on peut tout dire, enthousiasme et joie de cette force, et tout de suite, angoisse, menace de se retrouver chacun enfermé dans une solitude absolue, c'est-à-dire : fou. L'émotion vient de cette contradiction exposée, ressentie, et renouvelée, explorée, reprise, toujours maintenue. Dans un film de Cassavetes comme dans un livre de Dostoïevski le spectateur, le lecteur est en quelque sorte tiré des deux côtés de la contradiction, il est tourné, retourné, pris et ouvert par elle – mais elle ne l'aplatit jamais par son poids, elle le porte au contraire comme la vie même, elle le porte en le débordant, comme le champagne dans les coupes du début du Bookmaker Chinois, ou comme les corps fabuleux des “filles” de Cosmo. » (p. 120) |