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(1913-2005)

Dossier

Le roman selon Claude Simon

Le roman selon Claude Simon, par Katerine Gosselin, 18 novembre 2010

Claude Simon n'a jamais publié de textes sur le roman ; il a cependant accordé de nombreux entretiens tout au long de sa carrière, et prononcé plusieurs discours dans le cadre de colloques et séminaires, de même qu'à l'occasion de différentes remises de prix. Il ressort de ces discours et entretiens une conception du roman qui s'inscrit globalement dans la polémique suscitée par le Nouveau roman à partir de la fin des années cinquante. Contrairement à Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet et Michel Butor, Claude Simon n'a fait paraître, au tournant des années soixante, aucun article qui revendique officiellement un renouvellement de la forme et de la conception du roman. Simon, cependant, n'est pas resté en dehors de la polémique néo-romanesque : dès les premières entrevues qu'il accorde, il définit son entreprise par opposition au roman « traditionnel », la situant dans un certain combat contre la tradition. Ce faisant, il inscrit d'emblée son discours dans l'opposition binaire constitutive du Nouveau roman. Simon prendra la même position dans l'ensemble de ses interventions officielles, notamment dans son Discours de Stockholm, qu'il prononcera à l'occasion de la remise du prix Nobel en 1985.

L'histoire du roman occupe une place importante dans le discours de Simon, qui la reconstruit à partir de la place accordée à la description, « traditionnellement » subordonnée à l'action, cette hiérarchie étant inversée dans le roman « nouveau ». Simon définit le roman « traditionnel » comme un genre didactique, issu de la tradition de la fable et du conte philosophique : le roman « traditionnel » fait se mouvoir des personnages afin d'illustrer une thèse ou une morale édifiante. Aux fins de cette illustration, sa composition est gouvernée par une logique chronologique et causale purement mimétique, qui reproduit la façon dont se succèdent les événements dans le « temps des horloges ». Cette succession confère son caractère arbitraire et hasardeux au roman qui la reproduit. Simon fait du roman réaliste, en même temps que le sommet de cette tradition, le coeur de son renversement. Balzac est le premier romancier qui, tout en exacerbant le didactisme romanesque, a pressenti son caractère arbitraire. Conduit par ce pressentiment à donner une « épaisseur matérielle » à ses fictions, il a accordé à la description une place de plus en plus grande ; au fil du XIXe siècle, la description a pris une place prépondérante dans le roman, jusqu'à devenir, chez Proust, Joyce et Faulkner, sa matière même. De la sorte, le roman est passé de l'expression (plus ou moins « crédible ») d'un sens à la production de sens pluriels.

Simon construit cette histoire du roman par comparaison avec la peinture : « S'il s'est produit une cassure, un changement radical dans l'histoire de l'art, c'est lorsque des peintres, bientôt suivis par des écrivains, ont cessé de prétendre représenter le monde visible mais seulement les impressions qu'ils en recevaient. » (Discours de Stockholm, Paris, Minuit, p. 26) La comparaison entre le roman et la peinture est omniprésente dans le discours de Simon, qui affirme lui-même : « Je pense beaucoup mieux en termes d'art qu'en termes de littérature » (« Techniciens du roman », entretien avec André Bourin, dans Les Nouvelles littéraires, décembre 1960, p. 4). Simon renvoie à la peinture pour revendiquer ce qu'il appelle une « crédibilité » spécifiquement romanesque, qui dépende de l'agencement de ses éléments propres, c'est-à-dire les mots, une crédibilité semblable à celle acquise par la peinture avec la révolution impressionniste.

Le discours simonien sur le roman repose sur une conception métaphorique de la langue : « Les mots […] ne sont pas seulement “ signes ” mais noeuds de signification ou encore […] carrefours de sens, de sorte que déjà par son seul vocabulaire la langue offre la possibilité de “ combinaisons ” en “ nombre incalculables ” » (Discours de Stockholm, p. 28). Selon Simon, ces combinaisons constituent le matériau spécifique du romancier. Le roman est défini fondamentalement dans le discours simonien par son écriture, en regard de laquelle la fiction n'apparaît que comme « prétexte » : « En fait, de même que la peinture lorsqu'elle prenait pour prétexte telle scène biblique, mythologique ou historique (qui peut sérieusement croire à la “ réalité ” de telle Crucifixion, de telle Suzanne au bain ou de tel Enlèvement des Sabines ?), ce que l'écriture nous raconte, même chez le plus naturaliste des romanciers, c'est sa propre aventure et ses propres sortilèges. Si cette aventure est nulle, si ces sortilèges ne jouent pas, alors un roman, quelles que puissent être par ailleurs ses prétentions didactiques ou morales, est nul lui aussi. » (ibid., p. 29)

Cette affirmation permet de remettre en perspective la définition simonienne du roman « traditionnel ». La tradition romanesque, chez Simon, jouit bel et bien d'une « crédibilité », qu'elle doit à son écriture ; en vertu de celle-ci et des rapports qui y sont établis, de manière plus ou moins concertée, le roman « traditionnel » a toujours produit quelque chose « en plus » de la thèse dont il devait constituer la démonstration. C'est à cette production qu'il doit sa crédibilité : « Le roman réaliste a souvent permis à d'authentiques génies à commencer par Balzac lui-même de produire des chefs-d'oeuvre, ceci à chaque fois que le romancier a cédé ou s'est laissé allé à ce que Barthes appelle l'emportement de l'écriture. » (entretien avec Monique Jonguet, diffusé sur France Culture le 14 avril 1976) Comme Simon l'affirme lui-même, ce qu'il convient d'appeler le « roman traditionnel » consiste en une conception du roman, qui a pu être celle de certains romanciers, mais qui ne coïncide pas avec leur production romanesque. Le tort, dès lors, revient à « une certaine critique » qui impose cette conception comme règle du genre.

Bibliographie

Ouvrages cités

Cette bibliographie recense l'ensemble du discours non-romanesque de Claude Simon. L'essentiel de ce discours est contenu dans des conférences, notamment dans le Discours de Stockholm, prononcé par Claude Simon à l'occasion de la réception du prix Nobel en 1985, mais également dans de nombreux entretiens, accordés par l'auteur tant à la critique journalistique qu'à la critique universitaire. Les différentes interventions de Claude Simon sont classées par « genre » (discours, entretiens, etc.) ; dans chaque genre, elles sont présentées suivant l'ordre chronologique de leur production. Les citations qui complètent cette bibliographie exposent les propos tenus par Claude Simon sur le genre romanesque sous ses multiples facettes : sa définition, sa spécificité générique, son histoire, son avenir, ses modes particuliers de composition, ses composantes formelles, etc. Les interventions recensées ont toutes été dépouillées ; lorsqu'elles ne sont complétées par aucune citation, c'est qu'elles ne contiennent pas de propos sur la question du roman en particulier.

Discours et conférences :

« 1947-1957. Dixième anniversaire de “ l'engagement ” ou Monsieur de Norpois et la “ littérature-banane ” », texte inédit paru dans Cahiers Claude Simon, dir. Jean-Yves Laurichesse, no 3, 2007 [texte rédigé en 1957], p. 131-134.

« Signification, roman et chronologie », conférence prononcée par Claude Simon en janvier 1961, résumée sous le titre « À la Sorbonne. Claude Simon part en guerre contre la “ signification ” », dans Les Lettres françaises, 19-25 janvier 1961, p. 5.

« Le romancier et la politique : “ Et si les écrivains jouaient le rôle de la presse du coeur ? ” demande Claude Simon », intervention de Claude Simon dans le cadre du séminaire international « Le romancier et la politique », dans L'Express, 25 juillet 1963, p. 25-26.

« Tradition et révolution », intervention de Claude Simon au colloque « Littérature : tradition et révolution » tenu à Vienne en avril 1967, dans La Quinzaine littéraire, no 27, 1er-15 mai 1967, p. 12-13.

« Claude Simon à Lausanne », compte rendu d'une conférence de Claude Simon par Pierre-André Rieben, Études de lettres, troisième série, vol. 4, no 1, janvier-mars 1971 p. 57-58.

« La fiction mot à mot », intervention de Claude Simon au colloque sur le Nouveau roman tenu à Cerisy en 1971, dans Nouveau roman : hier, aujourd'hui, dir. Jean Ricardou et Françoise van Rossum Guyon, Paris, UGE, coll. « 10/18 », 1972, t. 2 : Pratiques, p. 73-97.

« Roman, description et action », conférence prononcée à l'occasion du 45e Symposium des Prix Nobel tenu en 1978, dans Studi di letteratura francesce, vol 8, 1982, p. 12-27.

« Claude Simon », intervention de Claude Simon au colloque sur le Nouveau roman tenu à l'Université de New York en 1982, dans Three Decades of fhe French New Novel, dir. Lois Oppenheim, trad. Lois Oppenheim et Evelyne Costa de Beauregard, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, 1986, p. 71-86.

Discours de Stockholm, Paris, Minuit, 1986.

« Problèmes que posent le roman et l'écriture », discours prononcé par Claude Simon lors de la réception d'un doctorat honoris causa décerné par l'Université de Bologne en 1989, dans Francofonia, vol. 10, no 18, printemps 1990, p. 3-10.

« Roman et mémoire », extrait d'une conférence inédite, dans Revue des Sciences Humaines, no 220 : Claude Simon, dir. Guy Neumann, octobre-décembre 1990, p. 191-192.

Préface :

« Préface » à Orion aveugle, Genève, Skira, coll. « Les sentiers de la création », 1970, p. 6-15.

Entretiens :

« Instantané. Claude Simon », entretien avec Gérard d'Aubarède, dans Les Nouvelles littéraires, 7 novembre 1957, p. 7.

« Les secrets d'un romancier », entretien avec Hubert Juin, dans Les Lettres françaises, 6-12 octobre 1960, p. 5.

« Avec La Route des Flandres, Claude Simon affirme sa manière », entretien avec Claude Sarraute, dans Le Monde, 8 octobre 1960, p. 9.

« Entretien avec Claude Simon », entretien avec Madeleine Chapsal, dans L'Express, 10 novembre 1960, p. 30-31.

« Claude Simon, Prix de la Nouvelle Vague : “ Je ne suis pas un homme orchestre ” », entretien avec Guy Le Clec'h, dans Témoignage chrétien, 16 décembre 1960, p. 19-20.

« Techniciens du roman. Claude Simon », entretien avec André Bourin, dans Les Nouvelles littéraires, 29 décembre 1960, p. 4.

« Claude Simon », entretien avec Denise Bourdet, dans Denise Bourdet, Brèves rencontres, Paris, Grasset, 1963 [reprise d'un entretien paru dans la Revue de Paris en 1961], p. 215-224.

« Claude Simon parle », entretien avec Madeleine Chapsal, dans L'Express, 5 avril 1962, p. 32-33

« Claude Simon, franc-tireur de la révolution romanesque », entretien avec Thérèse de Saint Phalle, dans Le Figaro littéraire, 6 avril 1967, p. 7.

« Le roman se fait, je le fais et il me fait », entretien avec Josane Duranteau, dans Les Lettres françaises, 13-19 avril 1967, p. 3-4.

« “ Rendre la perception confuse, multiple et simultanée du monde ” », entretien avec Jacqueline Piatier, dans Le Monde, 26 avril 1967, Le Monde des livres, p. V.

« Claude Simon. Un écrivain qui ne veut être qu'un écrivain », entretien avec Celia Bertin, dans Arts et Loisirs, 19-25 avril 1967, p. 14-16.

« Claude Simon a découvert à cinquante-quatre ans le plaisir d'écrire », entretien avec Guy Le Clec'h, dans Le Figaro littéraire, 4-10 décembre 1967, p. 22-23.

« Claude Simon : “ Il n'y a pas d'art réaliste ” », entretien avec Madeleine Chapsal, dans La Quinzaine littéraire, 15-31 décembre 1967, p. 4-5.

« Interview avec Claude Simon », entretien avec Bettina L. Knapp, dans Kentucky Romance Quarterly, vol. 16, no 2, 1969, p. 179-190.

« Pas de crise du roman français », entretien avec Richard Garzarolli, dans La Tribune de Lausanne, 7 juin 1970, p. 25, 27.

« Claude Simon : le jeu de la chose et du mot », entretien avec Guy Le Clec'h, dans Les Nouvelles littéraires, 8 avril 1971, p. 6.

Entretiens radiophoniques avec Francine Mallet, diffusés sur France Culture les 14, 15, 17 et 18 mai 1971.

« Réponses de Claude Simon à quelques questions écrites de Ludovic Janvier », dans Entretiens, no 31 : Claude Simon, dir. Marcel Séguier, Rodez, Subervie, 1972, p. 15-29.

« Interview with Claude Simon », entretien avec Claud DuVerlie, trad. J. et I. Rodgers, dans Sub-stance, no 8, hiver 1974, p. 3-20.

« Claude Simon, à la question », réponses de Claude Simon aux questions des participants au colloque tenu à Cerisy en 1974, dans Claude Simon : analyse, théorie, dir. Jean Ricardou, Paris, UGE, coll. « 10/18 », 1975, p. 403-431.

« Un entretien avec Claude Simon », entretien avec Nicole Casanova, dans Le Quotidien de Paris, 30 septembre 1975, p. 13.

« Claude Simon », entretien avec Raymond O. Élaho, dans Entretiens avec le Nouveau Roman, dir. Raymond O. Élaho, Sherbrooke, Naaman, 1985 [entretien réalisé au milieu des années soixante-dix], p. 53-63.

Entretiens radiophoniques avec Monique Jonguet, diffusés sur France Culture du 12 au 16 avril 1976, transcrits dans L'en-je lacanien, vol. 1, no 8, 2007, p. 165-196.

« Claude Simon : The Crossing of the Image », entretien avec Claud DuVerlie, trad. James Rodgers, dans Diacritics, vol. 7, no 4, hiver 1977, p. 47-58.

« Un homme traversé par le travail », entretien avec Alain Poirson et Jean-Paul Goux, dans La Nouvelle critique, no 105 (nouvelle série), juin-juillet 1977, p. 32-44.

« Simon on Simon : An Interview with the Artist », entretien avec Randi Birn et Karen Gould, trad. Jane Carson, dans Orion blinded. Essays on Claude Simon, dir. Randi Birn et Karen Gould, Londres et Toronto, Associated University Press, 1981 [entretien réalisé en 1977], p. 285-288.

« De Claude Simon », entretien avec Jo van Apeldoorn et Charles Grivel, dans Écriture de la religion. Écriture du roman, dir. Charles Grivel, Groningue, Centre culturel français de Groningue, et Lille, Presses Universitaires de Lille, 1979, p. 87-107.

« “ Je travaille comme un peintre ” », entretien avec Jean-Maurice de Montremy, dans La Croix, 19 octobre 1985 [entretien réalisé en 1979], p. 20.

« Fragment de Claude Simon », entretien avec Didier Eribon, dans Libération, 29 août 1981, p. 20-22.

« Claude Simon ouvre Les Géorgiques », entretien avec Jacqueline Piatier, dans Le Monde, 4 septembre 1981, p. 11, 13.

« Les sentiers de la création », entretien télévisé avec Bernard Pivot, dans l'émission Apostrophes, 22 septembre 1981.

« Claude Simon. Romancier », entretien avec Charles Haroche, dans L'Humanité, 26 octobre 1981, p. 15.

« Interview with Claude Simon », entretien avec Alastair B. Duncan, dans Claude Simon : New directions, dir. Alastair B. Duncan, Edimburgh, Scottish Academic Press, 1985 [série d'entretiens réalisés en 1983 et 1984], p. 12-18.

« Claude Simon : “ J'ai essayé la peinture, la révolution, puis l'écriture », entretien avec Claire Paulhan, dans Les Nouvelles littéraires, 15-21 mars 1984, p. 42-45.

« Interview with Claude Simon : Autobiography, the Novel, Politics », entretien avec Anthony Cheal Pugh, dans The Review of Contemporary Fiction, vol. 5, no 1, printemps 1985, p. 4-13.

« Claude Simon sur la route de Stockholm », entretien avec Didier Eribon, dans Le Nouvel observateur, 6-12 décembre 1985, p. 72-73.

« La route du Nobel », entretien avec Marianne Alphant, dans Libération, 10 décembre 1985, p. 27-28.

« Claude Simon. “ L'autre jour, j'ai passé tout un après-midi sur six lignes ” », entretien avec André Rollin, dans Ils écrivent. Où? quand? comment ?, dir. André Rollin, Paris, Mazarine, 1986, p. 323-328.

« The Novel as Textual Wandering : an Interview with Claude Simon », entretien avec Claud DuVerlie, trad. James Rodgers, dans Contemporary Literature, vol. 28, no 1, printemps 1987, p. 1-13.

« Attaques et stimuli », entretien avec Lucien Dällenbach, dans Lucien Dällenbach, Claude Simon, Paris, Seuil, coll. « Les Contemporains », 1988 [série d'entretiens réalisés en 1987], p. 170-181.

« “ J'ai deux souvenirs d'intense fatigue : la guerre et le Nobel ” », entretien avec Marianne Alphant, dans Libération, 6 janvier 1988, p. 28-29.

Claude Simon, entretien filmé avec Marianne Alphant, réalisation Roland Allard, dans le cadre de la série Océaniques : Les hommes-livres, La Sept/INA, 1988.

« “ Et à quoi bon inventer ? ” », entretien avec Marianne Alphant, dans Libération, 31 août 1989, p. 24-25.

« Claude Simon : “ La guerre est toujours là ” », entretien avec André Clavel, dans L'Événement du jeudi, 31 août-6 septembre 1989, p. 86-87.

« Le passé recomposé », entretien avec Aliette Armel, dans Le Magazine Littéraire, no 275, mars 1990, p. 96-103.

« …peuvent et doivent parfois s'arrêter d'écrire… », entretien avec Bernard-Henri Lévy, dans Bernard-Henri Lévy, Les Aventures de la liberté. Une histoire subjective des intellectuels, Paris, Grasset, 1991, p. 12-21.

« L'inlassable ré a/encrage du vécu », entretien avec Mireille Calle, dans Claude Simon: Chemins de la mémoire, dir. Mireille Calle, Sainte Foy, Le Griffon d'Argile, et Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1993, p. 3-25.

« Rencontre avec Claude Simon. “ La véritable littérature ne sert à rien ” », entretien avec Jean-Christophe Aeschlimann, dans Écriture, no 48, automne 1996, Lausanne, p. 214-222.

« “ Je me suis trouvé dans l'oeil du cyclone ” », entretien avec Antoine de Gaudemar, dans Libération, 18 septembre 1997, dossier « Les mémoires de Simon », p. III.

« “ La sensation, c'est primordial ” », entretien avec Philippe Sollers, dans Le Monde, 19 septembre 1997, cahier Le Monde des livres, p. I-II.

« “ Dans l'arc du livre il y a toute la corde ” », entretien avec Mireille Calle-Gruber, dans Nuit blanche, no 74, mars 1999 [entretien réalisé en 1997], p. 55-58.

« Claude Simon : parvenir peu à peu à décrire difficilement », entretien avec Jean-Claude Lebrun, dans L'Humanité, 13 mars 1998, p. 18-19.

« Entretien avec Claude Simon », entretien avec Christian Michel et Richard Robert, dans Scherzo, no 3, avril-juin 1998, p. 5-11.

« Le présent de l'écriture », entretien avec Jacques Neefs et Almuth Grésillon, dans Genesis, no 13, 1999, p. 115-121.

« L'emphase entache trop souvent le style de Flaubert », entretien avec Aliette Armel, dans Le Magazine Littéraire, no 401, septembre 2001, p. 57.

« Réponses de Claude Simon à quelques questions écrites de Roger-Michel Allemand (2001-2003) », dans Revue des lettres modernes, série Le « Nouveau Roman » en questions, dir. Roger-Michel Allemand, Paris, Lettres modernes Minard, no 5 : Une « Nouvelle autobiographie » ?, dir. Roger-Michel Allemand et Christian Milat, 2004, p. 235-239.

Réponses à des enquêtes :

« Qu'est-ce que l'avant-garde en 1958 ? », réponse de Claude Simon à une enquête, dans Les Lettres françaises, 24-30 avril 1958, p. 1, 5.

« “ Un bloc indivisible ” », réponse de Claude Simon à la question « Pourquoi des romans ? », dans Les Lettres françaises, 4-10 décembre 1958, p. 5.

« Claude Simon », réponse de Claude Simon à une enquête sur la critique, dans Tel Quel, no 14, été 1963, p. 68-91, p. 84.

« Claude Simon », réponse de Claude Simon à un questionnaire sur les problèmes du récit, dans Cahiers du Cinéma, no 185 : Film et roman : problèmes du récit, décembre 1966, p. 103-104.

« Claude Simon », réponse de Claude Simon à une enquête sur la femme en tant qu'écrivain, dans La Quinzaine littéraire, 1er-31 août 1974, p. 29-30.

« La voie royale du roman », intervention de Claude Simon dans le dossier « Joyce le héros », à l'occasion du centenaire de la naissance de Joyce, dans Le Nouvel observateur, 6-12 février 1982, p. 74.

« Hugo et moi. Claude Simon », réponse de Claude Simon à trois questions sur l'oeuvre de Victor Hugo, dans La Quinzaine littéraire, 1-15 octobre 1985, p. 7.

« Claude Simon : “ Il me faudrait commencer à rédiger ” », réponse de Claude Simon à la question « Tenez-vous un journal intime ? », dans Le Monde, 20 août 1982, p. 12.

Citations

« 1947-1957. Dixième anniversaire de “ l'engagement ” ou Monsieur de Norpois et la “ littérature-banane ” », texte inédit paru dans Cahiers Claude Simon, dir. Jean-Yves Laurichesse, no 3, 2007 [texte rédigé en 1957], p. 131-134.
Note : Ce texte ne sera jamais publié du vivant de l'auteur ; par contre, Simon en reprendra plusieurs éléments dans une conférence prononcée à la Sorbonne en janvier 1961.

« Cinquante ans plus tôt environ [avant la parution de Qu'est-ce que la littérature ?, de Jean-Paul Sartre], le jeune Proust qui, au grand effroi de ses parents, sentait poindre sa vocation d'écrivain, entendait tomber de la bouche de M. de Norpois le discours suivant : “ Dans un temps comme le nôtre où la complexité croissante de la vie laisse à peine le temps de lire, où la carte de l'Europe a subi des remaniements profonds et est à la veille d'en subir de plus grands encore peut-être, où tant de problèmes menaçants et nouveaux se posent partout, vous m'accorderez qu'on a le droit de demander à un écrivain d'être autre chose qu'un bel esprit qui nous fait oublier dans des discussions oiseuses et byzantines sur des mérites de pure forme, que nous pouvons être envahis d'un instant à l'autre par un double flot de Barbares, ceux du dehors et ceux du dedans. Je sais que c'est blasphémer contre la Sacro-Sainte École de ce que ces messieurs appellent l'Art pour l'Art, mais à notre époque il y a des tâches plus urgentes que d'agencer des mots d'une façon harmonieuse […]. ”
C'est ainsi que Proust était invité sans équivoque à “ s'engager ”. Avec, en moins, le jargon philosophique et, en plus, une louable concision, il est assez troublant de trouver dans cette diatribe tous les thèmes que développera plus tard l'inventeur de l'existentialisme. L'ambassadeur fin de siècle et le philosophe du demi-siècle semblent en effet partager, en même temps que le mépris de l'Art pour l'Art et des Mandarins, d'identiques préoccupations, [...] et auxquelles ils voient des solutions communes. » (p. 131-132)

« Quant à savoir pourquoi, à tant d'années d'intervalle [...], un vieil ambassadeur royaliste et colossalement riche a pu avoir la même conception de la littérature qu'un professeur de philosophie aux idées “ avancées ”, c'est là une question que n'ont probablement pas encore fini d'élucider bon nombre de jeunes écrivains qui, après avoir écouté avec recueillement les conseils de Sartre se sont sentis pénétrés par le doute jusqu'aux tréfonds d'eux-mêmes, comme le jeune Proust passionnément attaché à retrouver dans un fugace parfum “ la matière éternelle et commune ” [...]. » (p. 134-135)
« Signification, roman et chronologie », conférence prononcée par Claude Simon en janvier 1961, résumée sous le titre « À la Sorbonne. Claude Simon part en guerre contre la “ signification ” », dans Les Lettres françaises, 19-25 janvier 1961, p. 5.

Note : Cette conférence reprend pour l'essentiel les éléments du texte inédit « 1947-1957. Dixième anniversaire de “ l'engagement ” ou Monsieur de Norpois et la “ littérature-banane ” », rédigé en 1957. Les propos cités ici sont ceux d'un journaliste (demeuré anonyme) des Lettres françaises, qui fait en ses termes le compte rendu de la conférence de Simon.

« Le parallèle est direct entre les conseils à un jeune auteur que Proust met dans la bouche de M. de Norpois […] et la position de Sartre. “ On croit entendre ”, dit Claude Simon à propos de M. de Norpois, “ tous les mots d'ordre de la littérature engagée ”, qui posent le problème en terme de morale et considèrent qu'un écrivain doit répondre à une certaine demande. » (p. 5)

« Lorsque Proust se promenant dans les rues de Paris un 1er janvier et respirant l'odeur de moisi d'un “ chalet de nécessité ”, constate : “ J'eus la sensation et le pressentiment que le jour de l'An n'était pas un jour différent des autres ”, Claude Simon y retrouve “ la matière éternelle et commune ” qui doit être l'étai auquel s'appuie le romancier, “ quelque chose d'essentiellement commun à tous les hommes ”, accessible par la sensation, qui est la même pour tous […]. Pour Claude Simon, c'est aussi ce que Conrad exposait dans la préface du Nègre du Narcisse. » (p. 5)

« “ Les romans du passé peuvent nous toucher ”, dit-il, d'une part, parce que “ leurs auteurs étant des hommes et non des dieux, nous parlent d'eux-mêmes à travers les significations ”, et atteignent ainsi à la matière durable. Et d'autre part, pas un aspect “ plus complexe et apparemment paradoxal, les significations passagères sont liées à l'oeuvre d'art ”, comme la peinture ou la sculpture le sont par exemple aux religions. Dostoïevsky en fournit un exemple qui reste d'ailleurs équivoque. » (p. 5)

« Le romancier n'affirme rien, il ne peut que formuler des hypothèses. L'art devient alors “ l'appel d'une sensibilité individuelle à une autre, et s'inscrit dans ce mouvement de résolution permanente ”. Il est donc l'établissement d'un rapport, mais d'un rapport non rationnel et s'il remet tout en question : les idées, le langage, la forme et la société elle-même, ce n'est pas pour les remplacer par de nouvelles lois figées, mais par d'autres qui apportent d'emblée leur propre contestations. » (p. 5)

« Le romancier et la politique : “ Et si les écrivains jouaient le rôle de la presse du coeur ? ” demande Claude Simon », intervention de Claude Simon dans le cadre du séminaire international « Le romancier et la politique », dans L'Express, 25 juillet 1963, p. 25-26.
« L'écrivain – et en particulier le romancier – doit-il ou ne doit-il pas faire de la politique ? Il me semble que la question posée dans ce débat est la conséquence de cette vieille conception traditionnelle du romancier, qui fait de celui-ci un personnage semblable à un dieu omniprésent et omni compétent, conception qu'il serait peut-être temps de réviser. » (p. 25)

« [Le roman est une] fiction. C'est-à-dire que le romancier traditionnel se fait fort de prouver l'existence d'une loi quelconque par la conclusion qui se dégagera d'une histoire inventée par lui de toutes pièces et qui, à tout instant, pourrait être autre, et, nous le savons bien, pourrait bifurquer dans n'importe quelle direction. Il ne dépend que de sa fantaisie, que de son arbitraire et de son bon vouloir, que telle personne ne rencontre jamais telle autre, qu'un rendez-vous décisif soit manqué, qu'un accident se produise qui modifierait du tout au tout cet enchaînement prétendu logique et mécaniste de causes et d'effets. » (p. 26)

« Puisque le romancier ne sait pas grand-chose, puisqu'une fiction, une histoire inventée, ne peut constituer ni une preuve ni une démonstration de quoi que ce soit, est-ce que l'art et par conséquent, si l'on veut absolument parler de devoir, le devoir du romancier ne consiste pas plus humblement à essayer de dire simplement son expérience du monde, non pas à l'exprimer, la traduire, comme on l'a longtemps cru, mais à la dire, donc, dans cette structure, et non pas au moyen de cet outil – comme on l'a aussi cru longtemps – qu'est le langage. » (p. 26)
« Tradition et révolution », intervention de Claude Simon au colloque « Littérature : tradition et révolution » tenu à Vienne en avril 1967, dans La Quinzaine littéraire, no 27, 1er-15 mai 1967, p. 12-13.
« Périodiquement on s'interroge sur les pouvoirs de la littérature, sur le rôle qu'elle peut ou qu'elle doit jouer.
Il convient de mettre fin à une légende : jamais aucune oeuvre d'art, aucune oeuvre littéraire n'a eu, dans l'immédiat, un poids quelconque sur le cours de l'Histoire. […]
En revanche, au sein de l'immense et incessante gestation du monde, et dans l'ensemble des activités de l'esprit, toute production de celui-ci, à condition d'apporter quelque chose de neuf, joue son rôle, le plus souvent de façon invisible, souterraine, mais cependant capitale. » (p. 12-13)

« On a coutume d'opposer tradition et révolution, et il est remarquable que dans le domaine des arts, et particulièrement dans celui du roman, les forces immobilistes, d'une façon révélatrice, tiennent mot pour mot le même langage dans les pays capitalistes ou non capitalistes.
Ici comme là on propose comme modèles des écrivains dits classiques qui auraient, une fois pour toutes, moulé le roman dans des formes immuables et parfaites.
Proposer en exemple aujourd'hui Stendhal, Balzac et Tolstoï, c'est ne pas comprendre que ce qui a fait leur grandeur est d'avoir écrit comme personne ne l'avait fait avant eux et que leur leçon est celle d'une constante insatisfaction des formes déjà découvertes qu'ils rejettent pour en inventer d'autres jusque-là inconnues. » (p. 13)

« Le langage, l'écriture, n'“ expriment ” pas : ils créent. Ils ont leur dynamique propre qui entraîne l'impulsion première de l'écrivain dans des directions imprévues, et c'est à travers cet immense réseau de relations, insoupçonnées de lui avant qu'il se mette à écrire, qu'il va avancer. Du choix qu'il va faire entre elles […] vont, à son insu, ressortir des significations. En écrivant – et en écrivant seulement – il découvre un monde – et se découvre.
Si le roman consiste à raconter une histoire, au lieu de celle de héros exemplaires dans le bien ou le mal – et fatalement conventionnels –, n'est-ce pas plutôt en étant lui-même l'aventure d'un esprit cherchant et se cherchant dans le langage qu'il peut espérer trouver des formes et par conséquent un fond neufs qui seront alors, dans le domaine de la littérature – le seul où l'écrivain puisse oeuvrer –, révolutionnaires ? » (p. 13)
« Claude Simon à Lausanne », compte rendu d'une conférence de Claude Simon par Pierre-André Rieben, Études de lettres, troisième série, vol. 4, no 1, janvier-mars 1971 p. 57-58.

Note : Les propos cités sont ceux de Pierre-André Rieben, qui fait en ses termes le compte rendu d'une conférence donnée par Claude Simon.
« [...] c'est la structure même du langage qui impose à l'écrivain une transmutation radicale du réel dans l'acte d'écrire. Les mots, en effet, ne sont pas simplement des étiquettes appliquées sur les choses : ils sont bien plus des sortes de carrefours ou de noeuds au sein d'un immense réseau de souvenirs, d'images, d'idées, de références culturelles, etc., qui surgissent à notre esprit avec eux aussitôt que nous les prononçons. Il n'est pas étonnant dès lors que chaque mot tracé sur le papier fasse immédiatement naître chez l'écrivain au travail une foule d'associations dont il n'avait pas la moindre idée en prenant la plume, et qu'il découvre avec étonnement au fur et à mesure qu'il écrit. [...]
Dans la perspective ainsi définie l'écrivain apparaît, selon les termes mêmes de Claude Simon, comme une sorte de “ bricoleur ” : il ajuste, il élague, il combine patiemment les matériaux composites que lui ont livrés, à partir du spectacle du monde, les jeux de la mémoire, les ressources associatives du langage et les contraintes de la forme. Reprenant alors la définition traditionnelle du roman comme “ histoire ”, Claude Simon est amené à en modifier profondément le sens : si le roman est bien une histoire, ce n'est pas tant celle – souvent médiocre – vécue par les personnages de l'intrigue, que celle de l'écrivain en train d'écrire. Le vrai sujet du roman n'est autre que l'entreprise d'écrire, avec tous ses détours, ses hésitations, ses retours en arrière, ses doutes, ses victoires ou ses échecs. » (p. 57)

« La fiction mot à mot », intervention de Claude Simon au colloque sur le Nouveau roman tenu à Cerisy en 1971, dans Nouveau roman : hier, aujourd'hui, dir. Jean Ricardou et Françoise van Rossum Guyon, Paris, UGE, coll. « 10/18 », 1972, t. 2 : Pratiques, p. 73-97.
« [Simon vient de résumer le schéma actantiel de La Chartreuse de Parme, de Stendhal] Quelle sorte de “ logique ” préside donc à cette succession de descriptions, de réflexions d'auteur, de dialogues, de narrations, d'analyses ou de notations psychologiques plus ou moins profondes ?
Si j'en examine l'ordonnance, je vois seulement que, au cours de ma lecture, chacun de ces éléments du récit suit ou précède l'autre en vertu d'une seule règle : celle de se placer selon la façon dont se succèdent, dans un temps à l'imitation de celui des horloges, les événements racontés.
Hormis cette “ continuité ” à prétention réaliste [...] dans laquelle nous sont présentés des événements fictifs et fortuits, rien dans le texte lui-même (c'est-à-dire dans la matière même du récit), absolument rien [...] ne permet de passer d'un élément à l'autre, ne renvoie d'une description ou d'une narration à une autre. » (p. 76)

« Et, justement, à propos d'un autre roman de Stendhal, Le Rouge et le noir, Henri Martineau a écrit que le dénouement (c'est-à-dire le fameux coup de pistolet tiré par Julien Sorel sur Mme de Rénal en pleine église) est : “ Le couronnement logique du récit ”.
Le roman traditionnel serait-il donc une sorte de fable, de récit exemplaire, où l'auteur se servirait de personnages et d'événements fictifs pour illustrer quelque thèse ? Doit-on alors penser que sa logique serait, en dehors de toute considération littéraire, une logique de situations ou de caractères [...] ?
Seulement personne n'est jamais d'accord sur cette “ logique ”-là. Faut-il, par exemple, rappeler qu'Émile Faguet trouvait lui, précisément, ce fameux dénouement de Le Rouge et le noir : “ plus faux qu'il n'est permis ” [...]. » (p. 77)

« Tout ceci, bien sûr, ne prétend pas à démontrer que la présentation - ou, si l'on préfère, le montage - de ses divers éléments selon un ordre chronologique soit incompatible avec la qualité d'une fiction. Ce serait aussi absurde que de dire d'une peinture qu'elle ne peut pas être bonne parce qu'elle est figurative. Des romans du type dont je viens de parler, il en est, nous le savons, d'admirables, que ce soit Madame Bovary (dont la beauté, est-il besoin de le souligner, ne réside pas dans la “ logique ” de son dénouement [...]), ou les romans de Dostoïevski [...], ou encore, plus près de nous et d'une telle influence sur toute la littérature moderne, Le Château où l'on doit toutefois observer que Kafka n'y prétend à aucun “ réalisme ”... » (p. 77-78)

« Est-ce qu'il n'est donc pas permis de se demander non seulement si, de même qu'indépendamment des choses représentées (nature morte, paysage, nu) il existe une logique de la peinture en soi, il n'existerait pas aussi une certaine logique interne du texte, propre au texte, découlant à la fois de sa musique (rythme, assonance, cadence de la phrase) et de son matériau (vocabulaire, “ figures ”, tropes - car notre langage ne s'est pas formé au hasard), mais encore si cette logique selon laquelle doivent s'articuler ou se combiner les éléments d'une fiction n'est pas, en même temps, fécondante et, par elle-même, engendrante de fiction. » (p. 78)

« Je crois qu'en ce moment le roman se trouve dans une période de son évolution assez semblable à celle qu'a traversé la peinture dans la seconde moitié du siècle dernier, c'est-à-dire lorsque celle-ci a cessé de raconter ou de représenter des événements (Enlèvement des SabinesNoces de Cana ou Massacres de Scio) pour entreprendre de présenter sans autre justification que lui-même un objet pictural. » (p. 84-85)

« On a peut-être maintenant commencé à voir l'idée que je me fais du roman, pourquoi je parlais tout à l'heure de ce travail de découverte, quelle est sa nature et pourquoi j'ai dit aussi qu'il se poursuivait sur deux niveaux qui, en fait, se confondent.
Parce que, si cette “ aventure d'une écriture ”, cette exploration, se fait pas à pas et mot à mot, son dessein final (celui qui résulte du “ montage ” des éléments ainsi découverts) est, lui aussi, une découverte, et, en réalité, celle-ci suit un processus de même nature. » (p. 92)
« Roman, description et action », conférence prononcée à l'occasion du 45e Symposium des Prix Nobel tenu en 1978, dans Studi di letteratura francesce, vol 8, 1982, p. 12-27.
Note : Dans cette conférence, Simon commente la citation suivante de Tynianov, extraite de De l'évolution littéraire : « En gros, les descriptions de la nature dans les romans anciens, que l'on serait tenté, du point de vue d'un certain système littéraire, de réduire à un rôle auxiliaire, de soudure ou de ralentissement (et donc de rejeter presque), devraient, du point de vue d'un autre système littéraire, être considérés comme un élément principal, parce qu'il peut arriver que la fable ne soit que motivation, prétexte à accumuler des descriptions statiques. » (p. 12) Simon reprendra cette citation et son commentaire dans le Discours de Stockholm. Dans la conférence de 1978, il illustre son commentaire en analysant un passage de À l'ombre des jeunes filles en fleurs, de Marcel Proust (p. 16).

« Mais ce qu'il faut observer aussi (et c'est là, me semble-t-il, un fait de première importance), c'est le démenti qu'un texte comme celui-là [le passage des Jeunes filles] apporte à la timide proposition de Tynianov qui, cherchant à imaginer une nouvelle forme de roman, ne peut concevoir que des descriptions “ statiques ” et “ accumulées ”. [...]
Or, bien au contraire, ce que nous montre Proust (et en ceci il apparaît comme le grand écrivain révolutionnaire du XXe siècle, l'écrivain véritablement sub-versif, c'est-à-dire renversant sens dessus-dessous l'optique romanesque traditionnelle), c'est le prodigieux dynamisme de la description qui, littéralement, projette autour d'elle, comme une pieuvre, des tentacules dans toutes les directions, sélectionne et convoque des matériaux, les assemble, les organise.
Et dès lors s'ouvrent de tout autres perspectives, car on voit nettement que, dans le roman, il existe deux sortes d'actions, et par conséquent de sens : d'une part l'action de la fable, l'histoire racontée qui établit des rapports de causes à effets entre des événements fictifs (sujets donc à caution), rapports découlant d'un projet préexistant à l'écriture ; d'autre part l'action de la description qui, entre l'objet, le lieu ou le personnage décrit et d'autres objets, d'autres lieux, d'autres personnages, établit dans et par la langue des rapports dont découlera un sens ou plutôt du sens que j'appellerai sens produit. » (p. 17-18)

« [Simon cite à nouveau Tynianov dans De l'évolution littéraire] “ J'appelle fonction constructive d'un élément de l'oeuvre littéraire comme système, sa possibilité d'entrer en corrélation avec les autres éléments du même système et par conséquent avec le système tout entier ”.
Et cette proposition me semble capitale car, en quelques mots, elle ouvre au roman de tout autres perspectives et le fait accéder à une tout autre dimension que celle d'une fable plus ou moins amplifiée, plus ou moins ornée : à la conception traditionnelle, qui veut que le roman ne soit qu'une simple succession d'événements entrecoupée de descriptions décoratives accumulées, il oppose maintenant la notion de système, c'est-à-dire, précisément, celle d'un vaste ensemble de rapports et de jeux de miroirs. » (p. 18)
« Claude Simon », intervention de Claude Simon au colloque sur le Nouveau roman tenu à l'Université de New York en 1982, dans Three Decades of fhe French New Novel, dir. Lois Oppenheim, trad. Lois Oppenheim et Evelyne Costa de Beauregard, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, 1986, p. 71-86.

Note : Le texte de cette conférence comprend plusieurs éléments qui seront repris textuellement par l'auteur dans le Discours de Stockholm. Nous ne transcrivons pas ces éléments dans la présente bibliographie, et renvoyons le lecteur à l'entrée du Discours de Stockholm.

Discours de Stockholm, Paris, Minuit, 1986.
« [...] si au début de notre siècle ces deux géants que furent Proust et Joyce ont ouvert de tout autres voies, ils n'ont fait que sanctionner une lente évolution au cours de laquelle le roman dit réaliste s'est lui-même, lentement, donné la mort. » (p. 15)

« C'est cette tradition [la tradition de la fable] qui, en France, à travers les fabliaux du Moyen Âge, les fabulistes, et la comédie dite de moeurs ou de caractère du XVIIe siècle, puis le conte philosophique du XVIIIe, a abouti au roman prétendument “ réaliste ” du XIXe aspirant à une vertu didactique : “ Vous et quelques belles âmes, belles comme la vôtre, écrivait Balzac, comprendront ma pensée en lisant La maison Nucingen accolée à César Birotteau. Dans ce contraste, n'y a-t-il pas tout un enseignement social ? ”
Hardiment novateur à son époque (ce qu'oublient ses épigones attardés qui, un siècle et demi plus tard, le proposent en exemple), soutenu par un certain “ emportement de l'écriture ” et une certaine démesure qui le haussaient au-delà de ses intentions, le roman balzacien a ensuite dégénéré pour donner naissance à des oeuvres qui n'en ont retenu que l'esprit purement démonstratif. » (p. 17)

« Types sociaux ou psychiques “ en situation ”, [...] les personnages du roman traditionnel sont entraînés dans une suite d'aventures, de réactions en chaîne se succédant par un prétendu implacable mécanisme de causes et d'effets qui peu à peu les conduit à ce dénouement qu'on a appelé le “ couronnement logique du roman ”, démontrant le bien-fondé de la thèse soutenue par l'auteur exprimant ce que son lecteur doit penser des hommes, des femmes, de la société ou de l'Histoire…
L'ennui, c'est que ces événements soi-disant déterminés et déterminants ne dépendent que du bon vouloir de celui qui les raconte […].
Sans doute est-ce là l'une des raisons du phénomène paradoxal qui fait que, dans le même temps qu'il naît, le roman réaliste commence déjà à travailler à sa propre destruction. Tout semble en effet se passer comme si, prenant conscience de la faiblesse du procédé auquel ils ont recours pour faire passer leur message didactique [...], ces auteurs avaient confusément ressenti le besoin, pour rendre leurs fables plus convaincantes, de leur donner une épaisseur matérielle. […] Avec Balzac, on voit apparaître de longues et minutieuses descriptions de lieux ou de personnages, descriptions qui au cours du siècle se feront non seulement de plus en plus nombreuses mais, au lieu d'être confinées au commencement du récit ou à l'apparition des personnages, vont se fractionner, se mêler à doses plus ou moins massives au récit de l'action, au point qu'à la fin elles vont jouer le rôle de cheval de Troie et expulser tout simplement la fable à laquelle elles étaient censées donner corps [...]. » (p. 18-20)

« [...] il semble aujourd'hui légitime de revendiquer pour le roman (ou d'exiger de lui) une crédibilité, plus fiable que celle, toujours discutable, qu'on peut attribuer à une fiction, une crédibilité qui soit conférée au texte par la pertinence des rapports entre ses éléments, dont l'ordonnance, la succession et l'agencement ne relèveront plus d'une causalité extérieure au fait littéraire, comme la causalité d'ordre psycho-social qui est la règle dans le roman traditionnel dit réaliste, mais d'une causalité intérieure, en ce sens que tel événement, décrit et non plus rapporté, suivra ou précédera tel autre en raison de leurs seules qualités propres. » (p. 20-22)

« S'il s'est produit une cassure, un changement radical dans l'histoire de l'art, c'est lorsque des peintres, bientôt suivis par des écrivains, ont cessé de prétendre représenter le monde visible mais seulement les impressions qu'ils en recevaient. » (p. 26)

« Posant la question : “ Qu'est-ce que le 'réalisme' ? ”, Roman Jakobson observe que l'on a coutume de juger du réalisme d'un roman non pas en se référant à la “ réalité ” elle-même (un même objet a mille aspects) mais à un genre littéraire qui s'est développé au siècle dernier. C'est oublier que les personnages de ces récits n'ont d'autre réalité que celle de l'écriture qui les instaure [...]. En fait, de même que la peinture lorsqu'elle prenait pour prétexte telle scène biblique, mythologique ou historique [...], ce que l'écriture nous raconte, même chez le plus naturaliste des romanciers, c'est sa propre aventure et ses propres sortilèges. Si cette aventure est nulle, si ces sortilèges ne jouent pas, alors un roman, quelles que puissent être par ailleurs ses prétentions didactiques ou morales, est nul lui aussi. » (p. 29)
« Problèmes que posent le roman et l'écriture », discours prononcé par Claude Simon lors de la réception d'un doctorat honoris causa décerné par l'Université de Bologne en 1989, dans Francofonia, vol. 10, no 18, printemps 1990, p. 3-10.
« [Simon cite Lanson à propos de la « tendance pratique » du tempérament français, en raison de laquelle il “ répugne à introduire l'idée de l'art dans la littérature ” (p. 3)] De là, ce fort courant qui a longtemps porté chez nous à considérer celle-ci (et en particulier le roman) comme une sorte d'instrument utilitaire, destiné au divertissement en même temps qu'à l'édification ou l'instruction du lecteur et dans lequel celui-ci peut puiser des leçons de morale, de conduite, de psychologie, de comportement, de là cette prédilection pour le roman-fable ou le conte philosophique [...].
[...]
Non pas (il faut s'empresser de le dire) que tout soit là à rejeter, ne serait-ce qu'en observant que Balzac a été, à son époque, un prodigieux novateur, que personne avant lui n'avait écrit ainsi, et qu'en dépit de sa lourdeur et de sa grossièreté il a ouvert la voie au roman moderne qui, à partir de lui, a suivi deux chemins très différents, c'est-à-dire que :
D'une part, [...] il s'est efforcé [...] de rendre ces fables plus crédibles, plus frappantes, en leur donnant pour ainsi dire un corps, une consistance, par l'introduction [...] de descriptions enfin sorties des stéréotypes employés jusque-là, descriptions qui, au cours du XIXe, vont jouer le rôle d'une sorte de véritable “ Cheval de Troie ” au point de, finalement, avec Proust, expulser totalement la fable du roman.
D'autre part, loin à l'Est et de façon paradoxale, à partir de la séduction exercée par le “ roman social ”, va naître avec Dostoïevski (traducteur de La Cousine Bette et grand admirateur d'Eugène Sue) un type de roman en tout point opposé, c'est-à-dire où l'ambiguïté, l'équivoque, le polysémique, l'indécis, viennent prendre la place de ces caricaturales histoires animées par les fantoches que nous proposent le roman naturaliste [...]. » (p. 4-5)

« Aucune espèce de morale ne ressort d'Ulysse, du Temps retrouvé ou de Six personnages en quête d'auteur. [...]
De Russie avec Dostoïevski, d'Irlande avec Joyce le Triestin, de France avec Proust, d'Italie avec Pirandello, voici donc qu'est apparue une forme de littérature en tout point opposée à cette traditionnelle “ tendance pratique ” du tempérament français. Jusque-là simple véhicule d'un sens institué, le roman se met à exister en tant que structure, c'est-à-dire que le sens ne précède pas l'écriture, il n'est plus “ exprimé ” (pas plus que le monde n'est “ reproduit ”) mais, à l'inverse, produit par le travail de l'écrivain dans et par la langue et, naturellement, pluriel...
Et dès lors, bien évidemment, tout change : [...] un tout autre genre de composition s'impose de soi : ce n'est plus leur ordre chronologique qui va décider de l'enchaînement ou du voisinnage des événements écrits mais, comme dans tout art, [...] les effets d'association ou de contrastes, d'harmonies ou de dissonances, d'oppositions ou de dérapages, de reprises, de variations, de périodicité : au principe de causalité qui prédominait dans le roman traditionnel se substitue le principe de qualité. » (p. 5-6)

« Et il y a quelques années encore, j'assistais, en Finlande, à un colloque dont le thème était “ Crise de la littérature, crise du roman ”. J'ai essayé de dire alors que des expressions comme celles-là étaient tautologiques, une des caractéristiques de la littérature, comme de l'art ou de la science, étant de se trouver toujours en crise, c'est-à-dire de ne jamais se satisfaire de l'acquis, des formes ou des valeurs reconnues, de les remettre constamment en question, de découvrir de nouveaux rapports, ce qui veut dire encore découvrir en quelque sorte chaque fois un monde nouveau. » (p. 9-10)
« Préface » à Orion aveugle, Genève, Skira, coll. « Les sentiers de la création », 1970, p. 6-15.
« Et voici que ce sentier ouvert par Orion aveugle me semble maintenant devoir se continuer quelque part. Parce qu'il est bien différent du chemin que suit habituellement le romancier et qui, partant d'un “ commencement ” aboutit à une “ fin ”. Le mien, il tourne et retourne sur lui-même, comme peut le faire un voyageur égaré dans une forêt, revenant sur ses pas, repartant, trompé (guidé ?) par la ressemblance de certains lieux pourtant différents et qu'il croit reconnaître, ou, au contraire, les différents aspects du même lieu, son trajet se recoupant fréquemment, repassant par des places déjà traversées, [...] et il peut même arriver qu'à la “ fin ” on se retrouve au même endroit qu'au “ commencement ”.
Aussi ne peut-il avoir d'autre terme que l'épuisement du voyageur explorant ce paysage inépuisable. À ce moment se sera peut-être fait ce que j'appelle un roman (puisque, comme tous les romans, c'est une fiction mettant en scène des personnages entraînés dans une action), roman qui cependant ne racontera pas l'histoire exemplaire de quelque héros ou héroïne, mais cette tout autre histoire qu'est l'aventure singulière du narrateur qui ne cesse de chercher, découvrant à tâtons le monde dans et par l'écriture. » (p. 13-15)
« Instantané. Claude Simon », entretien avec Gérard d'Aubarède, dans Les Nouvelles littéraires, 7 novembre 1957, p. 7.
« J'ai beaucoup pratiqué Joyce, en effet. Je le considère comme un des maîtres du roman contemporain. J'ai lu aussi avec intérêt Samuel Beckett […].
[Question : Sans doute avez-vous lu aussi avec profit les romanciers américains contemporains ?]
Oui, surtout Faulkner. Je dois dire que les littératures anglo-saxonnes et la littérature russe possèdent, à mon avis, de plus authentiques romanciers que la nôtre… Balzac et Proust mis à part, bien entendu ! » (p. 7)
« Avec La Route des Flandres, Claude Simon affirme sa manière », entretien avec Claude Sarraute, dans Le Monde, 8 octobre 1960, p. 9.
« De même qu'à partir de quelques ruines l'archéologue reconstitue un temple entier, il me semble qu'à partir de quelques éléments du souvenir, de ce qu'on peut savoir de la vie des autres, il est possible de reconstituer un ensemble de choses vécues, senties. L'archéologue comble les lacunes d'un monument en ruines par du ciment grisâtre. Pour moi, je refuse ce procédé, qui invente un ordre dont on ne saura jamais s'il est authentique. » (p. 9)

« Je ne comble pas les vides. Ils demeurent comme autant de fragments. Ces bribes de souvenir, pourquoi chercher à les classer en un ordre chronologique ? Je ne me soucie pas de ce qu'on pourrait appeler la perspective du temps. […] Dans la mémoire, tout se situe sur le même plan : le dialogue, l'émotion, la vision coexistent. Ce que j'ai voulu, c'est forger une structure qui corresponde à cette vision des choses, qui me permette de présenter les uns après les autres des éléments qui dans la réalité se superposent, de retrouver une architecture purement sensorielle. » (p. 9)
« Entretien avec Claude Simon », entretien avec Madeleine Chapsal, dans L'Express, 10 novembre 1960, p. 30-31.
« Dans le roman traditionnel, on a toujours pensé, d'une façon à mon sens assez naïve, qu'il s'agissait simplement de traduire de la durée par de la durée. […] Pour moi, il ne s'agit pas du tout de traduire du temps, de la durée, mais de rendre du simultané. Dans la peinture aussi, le peintre doit ramener à deux dimensions un monde qui en a trois. En littérature, le problème est également de transposer d'une dimension dans une autre : traduire dans la durée, dans le temps, des images qui dans la mémoire coexistent. » (p. 30)

« Les gens qui écrivent s'imaginent généralement qu'il faut tout dire, ou plutôt qu'il ne doit pas y avoir de trous. Alors ils remplacent les moments d'absence, qui existent dans la réalité, ceux où ils n'ont rien senti, rien perçu du tout, par une espèce de ciment grisâtre, qui doit faire le lien, et qui me paraît très faux… » (p. 30)

« [Question : Qui sont vos auteurs favoris ? Réponse :] J'aime Conrad, Proust, Joyce, Faulkner, tout ce qui me donne beaucoup à voir, à toucher, à sentir, à entendre… Ce qui m'a le plus touché, je crois que ce sont d'abord les Russes, surtout Dostoïevsky, et puis Tchékov. Tout près de nous, Céline. [...] Il y a aussi Michel Leiris. » (p. 31)

« On ne peut pas s'exprimer en 1960 avec la phrase de Stendhal, ce serait se promener en calèche. » (p. 31)
« Claude Simon, Prix de la Nouvelle Vague : “ Je ne suis pas un homme orchestre ” », entretien avec Guy Le Clec'h, dans Témoignage chrétien, 16 décembre 1960, p. 19-20.
« [Question : On vous range d'ordinaire parmi les écrivains qui constituent l'école du nouveau roman. Qu'en pensez-vous ? Réponse:] Je ne pense pas que l'on puisse dire qu'il y ait “ école ” dans le sens que l'on donne généralement à ce mot, c'est-à-dire un groupe de peintres ou d'écrivains qui travaillent conformément à des théories élaborées à l'avance.
[Question : Il y a pourtant entre Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute et certains autres des ressemblances. Réponse :]
Certainement. Quoique faisant des choses très différentes, nous sommes d'accord pour rejeter une certaine littérature. Rejeter aussi cette conception du romancier omniscient, omniprésent, du genre homme orchestre. Je ne suis pas qualifié pour parler au nom des écrivains que vous venez de citer, mais enfin je pense qu'ils seront d'accord avec moi si je dis que nous sommes plutôt portés à nous interroger qu'à nous croire qualifiés pour apporter au monde des messages et des recettes. » (p. 19)

« [Question : Quelle part faites-vous aux éléments biographiques dans vos romans ? Réponse :] Il m'est difficile de le discerner nettement. Ce que je puis dire, c'est que je ne parle que de ce que je connais. Pour moi, il s'agit d'abord de voir, sans aucun préjugé, aucune idée préconçue et de rendre aussi nettement que possible ce que j'ai vu. » (p. 19)

« Tout mon travail consiste à rendre des sensations, des émotions. Je cherche à faire, comme disait Lautrec, “ plus ressemblant que nature ”. Je veux dire par là que je tente de retrouver une certaine architecture de la vie. » (p. 19)
« Techniciens du roman. Claude Simon », entretien avec André Bourin, dans Les Nouvelles littéraires, 29 décembre 1960, p. 4.
« J'ai été profondément influencé par les Russes : Dostoïevsky, Tchékhov, entre autres. Les Trois soeurs, c'est En attendant Godot cinquante ans avant. Le Journal d'André Gide m'a fait découvrir les Anglo-Américains. J'ai beaucoup lu Proust et James Joyce.
[Question : Faulkner aussi je pense. Réponse :]
[…] Ce que je préfère en Faulkner, c'est son côté joycien et proustien. D'ailleurs, chez lui, on retrouve toute la culture littéraire de l'Occident. Faulkner, c'est le Picasso de la littérature. » (p. 4)

« Cette étiquette de “ nouveau roman ” provoque une grande confusion et, parce qu'Alain Robbe-Grillet est un théoricien autant qu'un romancier, l'on croit que tous, lorsque nous écrivons, nous mettons des théories en pratique. Cela est absolument inexact […]. Toutefois, il est bien évident que les partisans du nouveau roman ont en commun quelques points : refus d'une certaine littérature académique, conventionnelle, refus de toute intrigue : accord – du moins entre Robbe-Grillet et moi-même – sur la non-signification du monde. Ce qui ne nous empêche pas, bien au contraire, de prendre la littérature très au sérieux. » (p. 4)
« Claude Simon, franc-tireur de la révolution romanesque », entretien avec Thérèse de Saint Phalle, dans Le Figaro littéraire, 6 avril 1967, p. 7.
« Écrire, c'est se découvrir. J'ai voulu [dans Histoire] dire l'histoire d'une sensibilité, des temps forts subis ou éprouvés par quelqu'un, qui marquent une mémoire, se réunissent et se rassemblent spontanément. Une histoire continue telle qu'on la décrit dans le roman traditionnel, est artificiellement reconstituée : elle n'est ni perçue ni sentie. » (p. 7)

« [Question : Qu'est-ce qui vous paraît mort dans le roman traditionnel ? Réponse :] C'est difficile à dire comme cela, en quelques mots. Par exemple, la position d'“ observateur privilégié ” du romancier : le romancier-dieu qui sait tout, connaît tout. Nous étions aussi d'accord, je crois, pour affirmer l'identité du fond et de la forme et rejeter la conception d'un temps linéaire. » (p. 7)

« Un roman de type classique qui raconte une histoire au sens traditionnel du terme a inévitablement un caractère démonstratif. Les personnages, les événements, y sont exemplaires : on décrit l'avare, l'égoïste, l'ambitieux, la société de consommation ou je ne sais quoi encore. On moralise et on philosophe. La façon dont les événements rapportés s'enclenchent les uns les autres et qui, en réalité, ne dépend que du bon vouloir de l'auteur, y est présentée comme inévitable : le monde est ainsi, et pas autrement.
[Intervention de l'interviewer : Mais il est vrai pour le romancier ! Il y croit le premier. Réponse :] C'est son droit. Ce que je lui reproche, c'est d'écrire un roman, une fiction à laquelle pour accréditer ses thèses il donne toutes les apparences d'un récit de faits réels. » (p. 7)
« Le roman se fait, je le fais et il me fait », entretien avec Josane Duranteau, dans Les Lettres françaises, 13-19 avril 1967, p. 3-4.
« Je lis des auteurs contemporains ; et je relis beaucoup Dostoïevsky et Proust. [...] si vous voulez parler d'influence, il faut citer aussi Tchékhov, que j'aime beaucoup, et Joyce et Faulkner. » (p. 4)

« Quand on entend parler du Nouveau Roman, on pourrait croire qu'il existe une théorie préconçue, appliquée, illustrée par les romanciers. Mais ce n'est pas vrai du tout.
Le roman traditionnel, la plupart du temps, est une histoire exemplaire chargée d'illustrer la thèse de l'auteur. Une série d'événements, à la fois déterminés et déterminants, s'y enclenchent de façon démonstrative [...]. La chronologie joue alors un grand rôle, puisque c'est la façon dont les événements se suivent dans le temps des horloges, qui prétend être démonstrative.
Cependant, il me semble que ce n'est pas le rôle du roman : le roman ne prouve rien, puisque tout sort du cerveau de l'auteur. Et le romancier moderne n'a aucune compétence particulière pour faire valoir ses thèses, sociologiques ou psychologiques [...].
Qu'est-ce alors que le roman ? Il peut être une oeuvre purement amusante, – dont on suit l'intrigue avec curiosité, comme à la lecture des romans policiers. Ce divertissement est assez superficiel.
Mais le roman peut être encore autre chose. S'il ne peut avoir l'ambition de découvrir le réel, puisque le romancier, réduit à lui-même, n'a que ses faibles facultés psychiques et physiques, il lui est permis au moins de présenter ces perceptions comme douteuses et contestables. Si je dis les choses comme je les sens, si je cherche à décrire cette conscience confuse, je renonce du même coup au temps des horloges et à la chronologie démonstrative des événements. Entre les faits s'établissent des rapprochement tout autres, un ordre qualitatif. Ce n'est pas une thèse qui donnera au roman sa signification, c'est une expérience et une constatation. Le roman se fait, je le fais et il me fait. » (p. 4)
« “ Rendre la perception confuse, multiple et simultanée du monde ” », entretien avec Jacqueline Piatier, dans Le Monde, 26 avril 1967, Le Monde des livres, p. V.
« J'écris mes livres comme on ferait un tableau. Tout tableau est d'abord une composition. » (p. V)

« [Question : Comment vous situez-vous dans le “ nouveau roman ” ? Réponse :] Il faudrait savoir d'abord ce qu'est le “ nouveau roman ”. On en fait une école. Mais nous ne nous connaissions pas. [...] Nous voulions tous rejeter certains aspects du roman traditionnel qui nous paraissaient faux aujourd'hui. Mais sur ce qu'il fallait faire positivement, nous n'étions plus d'accord du tout. » (p. V)
« Claude Simon. Un écrivain qui ne veut être qu'un écrivain », entretien avec Celia Bertin, dans Arts et Loisirs, 19-25 avril 1967, p. 14-16.
« J'aime la peinture. C'est, pour moi, un art supérieur à la littérature. On a envie de rouge, on presse le tube et on l'étale sur la toile. Quel merveilleux sentiment ! On n'est pas obligé de recourir à l'intermédiaire du langage pour traduire ses sensations. On les exprime directement. » (p. 16)
« Claude Simon a découvert à cinquante-quatre ans le plaisir d'écrire », entretien avec Guy Le Clec'h, dans Le Figaro littéraire, 4-10 décembre 1967, p. 22-23.
« Dans le roman traditionnel, personnages et événements sont rassemblés selon l'ordre chronologique, qui lui-même obéit au hasard. Les faits, les gens, dans Histoire, se groupent selon des affinités sensorielles et émotionnelles. » (p. 22)
« Claude Simon : “ Il n'y a pas d'art réaliste ” », entretien avec Madeleine Chapsal, dans La Quinzaine littéraire, 15-31 décembre 1967, p. 4-5.
« [Question : Tout semble si fortement structuré dans Histoire... Réponse :] Ça l'est. […] Il est d'autant plus nécessaire que tout soit rigoureusement bâti que les éléments ne sont plus réunis entre eux par leur simple succession chronologique, comme dans le roman traditionnel. Là, c'est simplement, le hasard, le fortuit […] qui relient les événements. Si l'on y réfléchit, c'est assez incohérent. Il me semble plus intéressant de chercher comment peuvent se grouper les images, les événements, en fonction de ce qui les apparente : une certaine coloration, des qualités communes. Tout mot, toute image, suscite un ensemble d'harmoniques et de complémentaires… » (p. 4)

« [À propos du “ programme ” du Nouveau roman] Je n'ai jamais entendu parler d'un programme. Nous ne nous connaissions pas et nous avions tous déjà pas mal écrit avant de nous trouver réunis aux Éditions de Minuit. Je crois que ce que l'on peut dire c'est que nous nous trouvons spontanément d'accord pour rejeter un certain nombre de conventions qui régissent le roman traditionnel. Mais à partir de là, chacun de nous oeuvre selon son tempérament. Et heureusement ! » (p. 4)

« [Question : Par rapport à d'autres auteurs du Nouveau Roman, n'y a-t-il pas, chez vous, cette différence que la réalité existe ? Réponse :] Je ne comprends pas très bien ce que vous entendez par là. Les choses existent, naturellement. […] Mais il n'y a pas que cette “ réalité ”-là, et ce n'est pas de cela qu'il s'agit en écriture. Je ne crois pas au réalisme en littérature pour la bonne raison que c'est impossible : il n'y a pas d'art réaliste, même pour le plus naturaliste des romanciers ou le plus figuratif des peintres. » (p. 5)

« Le roman traditionnel, que l'auteur l'ait voulu ou non, prend inévitablement le caractère d'une démonstration de thèse. Sociologique, psychologique, ou, le plus souvent, les deux à la fois. » (p. 5)
« Interview avec Claude Simon », entretien avec Bettina L. Knapp, dans Kentucky Romance Quarterly, vol. 16, no 2, 1969, p. 179-190.
« [Question : Qui vous a le plus influencé dans le domaine de la littérature, du roman ? Réponse :] Beaucoup de choses et assez curieusement peu d'écrivains français, sauf Proust ; beaucoup plus les Russes : Dostoyevsky, Chechov : parmi les Anglo-Saxons, Joyce, Faulkner, et peut-être d'une façon moins directe et plus souterraine Kafka. [...] La poésie me touche assez peu, ou bien alors il faut qu'elle soit sublime. Certaines choses de Rimbaud, de Mallarmé, de Valéry. » (p. 180)

« Tout ce qu'on peut écrire c'est non pas le monde extérieur mais sa projection en nous. […] On ne fait jamais que son propre portrait. La vie des autres pas plus que l'existence d'un objet – je ne pense pas qu'un romancier puisse la connaître. Je disais autrefois : il est possible de reconstituer à partir de choses vécues, senties. Aujourd'hui, après avoir réfléchi, je ne pense plus qu'on puisse “ reconstituer ” quoi que ce soit. Ce que l'on constitue c'est un texte et ce texte ne correspond qu'à une seule chose : à ce qui se passe dans l'écrivain au moment où il écrit. » (p. 182)

« On connaît la fameuse définition de Stendhal et que les romanciers traditionnels ont fait leur : un roman c'est un miroir promené le long d'un chemin. Pour moi ce n'est pas ça du tout. C'est plutôt au contraire une très grande glace fixe où se reflète en même temps tout ce que l'on a à dire. Parce que si l'on essaie un peu de voir ce qui se passe en nous lorsque le passé nous revient à la mémoire, on s'aperçoit que ce sont un tas de choses, d'associations, qui resurgissent toutes mêlées, en un instant. […].
La question n'est plus de décrire successivement des choses qui se produisent successivement dans une durée, mais de décrire un tas de sensations ou d'images simultanées, et cela avec le seul instrument que nous ayons à notre disposition : le langage, c'est-à-dire dans une durée. [...] Le temps romanesque ne peut donc pas être linéaire, collé – un fil sur lequel les événements viennent se placer les uns après les autres comme dans le temps des horloges ; mais au contraire une sorte d'englobant, une sorte de gélatine ou de matière plastique transparente dans laquelle tous les éléments du roman sont enserrés et dans laquelle ils coexistent, simultanément. Et alors se pose cette question : dans quel ordre vais-je dire toutes ces choses qui en réalité sont simultanées et qui n'ont pas d'ordre ? On voit que toutes les constructions qui vont se faire (et je parlais de la musique tout à l'heure) vont obéir à de toutes autres lois que dans le roman traditionnel où la seule règle – ou plutôt convention – était de faire se succéder, les uns après les autres dans une durée, des événements dont le seul ordre de succession était celui dans lequel ils étaient censés s'être produits dans le temps des horloges […]. » (p. 184-185)
« Pas de crise du roman français », entretien avec Richard Garzarolli, dans La Tribune de Lausanne, 7 juin 1970, p. 25, 27.
« [Question : Que pensez-vous de ce qu'on appelle ces temps-ci la crise du roman français ? Réponse :] Ce que les gens appellent crise, c'est quoi ? C'est une remise en question de la littérature. Autrement dit, l'essence même de l'art. […] Je n'appelle pas cette situation de remise en question une crise, au contraire, il s'agit d'une grande vitalité. » (p. 27)
« Claude Simon : le jeu de la chose et du mot », entretien avec Guy Le Clec'h, dans Les Nouvelles littéraires, 8 avril 1971, p. 6.
« Mais enfin, puisque vous parlez de “ querelle ”, sans doute peut-on dire, en effet, qu'à partir de Flaubert le roman s'est divisé en deux courants assez divergents : d'un côté, le naturalisme, avec Zola et ceux qui ont poursuivi dans cette voie : de l'autre côté, Flaubert et les pères du roman moderne : Joyce, Proust, Kafka, qui ont ouvert une autre voie… » (p. 6)
Entretiens radiophoniques avec Francine Mallet, diffusés sur France Culture les 14, 15, 17 et 18 mai 1971.
« [...] je pense comme Proust l'a dit que la seule mémoire valable, c'est ce qu'il appelle la “ mémoire involontaire ”, parce que la mémoire fait un tri, et ne garde que l'essentiel. Proust dit “ le souvenir involontaire nous rapporte les choses dans un dosage exact de mémoire et d'oubli ”, ce sont les termes qu'il emploie, et je crois que c'est important, “ nous faisant goûter la même sensation dans une circonstance tout autre, par conséquent il la libère de toute contingence et il nous en donne l'essence extra-temporelle ”. Et puis, il ne s'agit pas pour un romancier, enfin du moins pour moi, et je crois pour personne, de recréer le passé, mais de produire quelque chose ; je m'aperçois de plus en plus de ça. » (15 mai 1971)

« Je pense qu'on a parlé de la désarticulation de la phrase comme on a parlé de la désarticulation de l'anecdote, parce que, encore une fois, toute une école critique et encore beaucoup de gens continuent à considérer comme une continuité la continuité de l'anecdote dans le temps et ne se préoccupent pas de la continuité du texte. Toute une certaine école de critiques continuent à penser que le texte est une espèce de chose transparente, qui ne doit pas exister en soi-même, et qui doit s'effacer, comme on dit, derrière l'histoire, derrière ce qu'il raconte, formule assez bizarre, quand on pense que, dans un livre, ce que nous savons, c'est par le texte, et uniquement [...]. » (15 mai 1971)

« [...] je dois beaucoup, sous certains rapports, à Faulkner, comme Faulkner doit beaucoup à Joyce et à Conrad [...]... C'est ce qui m'a souvent gêné dans l'appellation “ Nouveau roman ”, vous savez, on ne sort pas de rien, s'il n'y avait pas eu avant nous Proust, Joyce, Kafka, Faulkner, bien nous n'aurions pas écrit ce que nous écrivons, c'est pas de la création, c'est encore de la production à partir de quelque chose. » (15 mai 1971)
« Réponses de Claude Simon à quelques questions écrites de Ludovic Janvier », dans Entretiens, no 31 : Claude Simon, dir. Marcel Séguier, Rodez, Subervie, 1972, p. 15-29.
« Bien sûr, dans les romans que j'appellerais non pas traditionnels (comme l'a dit Harold Rosenberg, la tradition en art c'est « la tradition du nouveau ») mais plutôt conventionnels (et non pas « balzaciens », comme le font abusivement certains critiques en oubliant que les formes romanesques de Balzac étaient : a) absolument neuves et propres à Balzac et b) étroitement liées à un moment très précis de l'histoire dont nous sommes loin)... dans ces sortes de romans, donc, l'écriture prétend « narrer » ou « raconter » les aventures d'un ou plusieurs personnages « comme cela se passe dans la vie », c'est-à-dire se succédant de façon linéaire dans le temps des horloges. Cette écriture narrative feint [...] de se calquer sur la continuité et le cheminement de ce temps que l'auteur est censé suivre pas à pas. Et je dis censé parce que, en fait, même dans le plus plat de ces sortes de romans, on assiste à une série d'accélérations ou de décélérations parfaitement “ irréalistes ”. Mais en fin de compte et en dépit de ces quelques concessions, la succession d'images, de descriptions [...] que l'on nous propose, se fait là dans une sorte de cacophonie scripturale, et sans le moindre souci d'une véritable continuité de l'écriture. » (p. 18)

« L'explication de cette attitude en présence des romans, c'est que Martineau et Faguet (et leurs innombrables épigones) considèrent Julien Sorel et autres “ héros ”, comme des personnes “ réelles ”. Pourtant Le Rouge et le noir est un roman, donc, par définition, une fiction. Mais puisqu'il s'agit de fictions, qu'est-ce que l'écriture nous narre ? Il ne s'agit pas de comptes rendus d'événements qui se sont effectivement produits et comme nous pouvons en lire dans les journaux, mais [...] d'aventures, d'événements, de personnages qui n'ont d'autre “ réalité ” que celle dans laquelle l'écriture les instaure, n'ont d'existence que par elle. Alors, dans ces conditions, comment diable [...] l'écriture pourrait-elle “ s'effacer ” derrière un récit et des événements qui n'existent que par elle ? En fait, ce que l'écriture nous narre, ce sont sa propre aventure et ses sortilèges. Et si cette aventure est nulle, si ces sortilèges ne jouent pas, alors, le roman, quelles que puissent être par ailleurs ses prétentions didactiques ou morales, est lui aussi, tout simplement, nul. » (p. 20)

« Ce que j'ai voulu dire, c'est qu'à partir du moment où l'on n'écrit plus une histoire à prétentions exemplaires comme dans le roman conventionnel où l'intrigue est toujours plus ou moins au service d'une démonstration quelconque [...], l'écriture, alors, et ses nécessités propres prennent de plus en plus d'importance, et que si un ou plusieurs des éléments ou des événements thématiques peuvent en effet se trouver fragmentés [...], par contre le texte, lui, va présenter une bien plus grande continuité puisque ses articulations, ses charnières, sa progression, ne dépendront plus que des relations qualitatives entre les éléments qui le constituent. Et je dirais que ce que ce texte narre alors sans plus de faux semblants, c'est cette continuité même, la façon dont il se construit peu à peu, cette progression qu'il guide lui-même : [...] le sujet du roman, c'est cela. » (p. 21-22)
 « Interview with Claude Simon », entretien avec Claud DuVerlie, trad. J. et I. Rodgers, dans Sub-stance, no 8, hiver 1974, p. 3-20.
« People sometimes say to me : “ I find you difficult to read ! ” To which I answer:  “ If you try to recast my novels into a story such as Balzac wrote, then I am not only difficult to read, I am simply impossible to read. When we look at a Klee or a Miró, do we try to recreate a Cranach or a Velasquez ? No, we look at them for what they are. Why don't we do the same with modern literature ? " I am absolutely dismayed by the reactionary approach to modern literature. » (p. 8)

« I use no specific technique ; I procede through trial and error. With each new work, I must start from scratch. Lévi-Strauss used the term “ bricolage ” (which had already been suggested by the Cercle de Prague). [...] Having said this, I still think it is high time to do away with the dismaying fatuity of the novelist who believes he knows and can represent the world “ as it is... ” » (p. 9)
« Claude Simon, à la question », réponses de Claude Simon aux questions des participants au colloque tenu à Cerisy en 1974, dans Claude Simon : analyse, théorie, dir. Jean Ricardou, Paris, UGE, coll. « 10/18 », 1975, p. 403-431.
« Alors pourquoi ne pas prendre le roman moderne comme la peinture moderne, c'est-à-dire n'y chercher que ce qu'il propose ? Il y a là, bien sûr, un changement dans la façon de lire. » (p. 407)

« Dans un texte littéralement prophétique, puisqu'il a été publié en 1927, Tynianov pressent un véritable renversement de priorité entre ce qu'il était jusque-là convenu d'appeler l'action d'un roman et la description, celle-ci, dans un certain système littéraire, étant réduite à un rôle d'auxiliaire, ralentissant l'action [...], alors que, dans un autre système, la description pourrait bien devenir au contraire l'élément dominant, l'“ action ” ne servant plus alors que de prétexte à les accumuler. [...]
Pour en revenir au roman et à la fonction de la description dans celui-ci, il serait passionnant [...] d'analyser, dans la perspective récit/action/description, le long tableau de l'apparition du groupe des jeunes filles sur la digue de Balbec, et on pourrait se demander comment le lecteur qui, comme Breton ou Montherlant, “ sauterait ” ces douze ou quinze pages (peut-être les plus fortes de toute la littérature française) pourrait poursuivre sans inconvénient la lecture du roman [...], et, s'il poursuivait néanmoins sa lecture, alors, qu'est-ce que serait celle-ci ? (il est vrai que la plupart des lecteurs ne voient dans la Recherche qu'un subtil exercice d'analyse psychologique...). » (p. 409-410)

« Parce qu'à partir du moment où le roman ne repose plus sur une “ fable ” plus ou moins “ exemplaire ” (psychologique ou sociologique), il est certain que l'on est amené à rechercher d'autres principes (ou d'autres structures) pour sa composition et son élaboration. Mais, encore, pourquoi parler de “ limites ” ? Un champ de recherches (basé en fait sur une combinatoire) est pratiquement illimité… » (p. 412)
« Un entretien avec Claude Simon », entretien avec Nicole Casanova, dans Le Quotidien de Paris, 30 septembre 1975, p. 13.
« La psychiatrie ou la sociologie [...] sont peut-être susceptibles d'expliquer les problèmes humains ou d'aider à les résoudre, ce ne peut être le propos du roman. » (p. 13)

« L'inspiration, ça n'existe pas, pas plus d'ailleurs que la “ spontanéité ”. Ce sont là des fables romantiques, des mots inventés pour nier ce qui opère effectivement, c'est-à-dire le travail dont […] la critique évite soigneusement de parler en art ou en littérature, du moins depuis le XIXe siècle. » (p. 13)

« En fait, dans tous mes livres, j'ai parlé de ce qu'on appelle les grands problèmes : la guerre, la révolution, l'amour, la faim, la mort, etc. Simplement, et parce que ce n'est pas la fonction du romancier, je ne me suis pas livré à des commentaires explicatifs ou moralisateurs. » (p. 13)

« [...] À partir du moment où on ne considère plus le roman comme une espèce de fable exemplaire, on est amené à rechercher des structures de composition complètement différentes de celles du roman traditionnel. Toute écriture s'inscrit, comme la musique, dans un “ ton ” donné et un certain rythme, qu'il s'agisse de Proust, de Mallarmé ou de Céline… » (p. 13)
« Claude Simon », entretien avec Raymond O. Élaho, dans Entretiens avec le Nouveau Roman, dir. Raymond O. Élaho, Sherbrooke, Naaman, 1985 [entretien réalisé au milieu des années soixante-dix], p. 53-63.
« La conception de mes romans est différente de celle de mes amis [les nouveaux romanciers]… Par contre, je crois que nous nous faisons une même conception de l'écriture. C'est-à-dire qu'au contraire de la conception traditionnelle qui postule une chose à dire, puis le texte qui “ exprime ” cette chose, nous avons tous pensé ou senti – confusément en ce qui me concerne – qu'en réalité il est impossible de séparer la forme du fond, et que c'est dans et par l'écriture que se produisent les événements, les objets, le ou plutôt du sens. » (p. 54)

« Le roman traditionnel prétend représenter, reproduire la “ réalité ” et raconter une histoire à signification exemplaire sur le plan du social ou du psychologique. Pourtant cette histoire prétendument exemplaire est une fiction (c'est la définition même du roman), c'est-à-dire qu'il ne dépend que du bon vouloir de l'auteur pour que, à tout moment, elle s'oriente dans telle ou telle direction. Autant dire qu'elle n'offre donc aucune espèce de garantie de crédibilité ni donc d'exemplarité. Elle est possible, mais c'est tout. […] il me semble qu'il y a plus de chances de parvenir à élaborer une parole crédible en s'appuyant non pas sur des motivations psycho-logiques ou socio-logiques mais sur la logique de la langue. » (p. 55)

« [Question : Quels sont les écrivains et les artistes qui vous ont influencé ? Réponse :] Dans la littérature, en les prenant par ordre chronologique, je dirais la Bataille de Waterloo au début de La Chartreuse de Parme de Stendhal, parce que c'est complètement différent de l'oeuvre de Stendhal dont j'ai horreur, sauf La Vie d'Henri Brûlard. La description de Waterloo, ça pourrait être une oeuvre du Nouveau roman. Puis Flaubert dans une certaine mesure, c'est-à-dire Flaubert de Madame Bovary, pas de L'Éducation sentimentale. Et puis alors Joyce ; Proust énormément et, à un degré moindre, Faulkner qui lui-même dérive de Joyce. » (p. 61)

« [Question : Que pensez-vous des recherches romanesques actuelles du groupe de Tel Quel ? Réponse :] C'est très intéressant mais peut-être, peut-être, à mon gré, un peu trop spéculatif, un peu trop basé sur une théorisation, et peut-être pas assez (c'est une opinion tout à fait personnelle) sur une pratique. Mais s'il y a échec, c'est celui qui découle d'un effort de recherche, et c'est bien plus sympathique que certaine “ réussite ”.
[Question : Vous voyez des liens entre leurs recherches et le Nouveau roman ? Réponse :] Oui, en ce sens qu'eux aussi savent toute l'importance qu'a le langage en soi. » (p. 62-63)
Entretiens radiophoniques avec Monique Jonguet, diffusés sur France Culture du 12 au 16 avril 1976, transcrits dans L'en-je lacanien, vol. 1, no 8, 2007, p. 165-196.

Note : Les numéros de page renvoient à la transcription de ces entretiens dans la revue L'en-je lacanien.
« Et il me semble qu'à l'idée d'un sens qui se dégagerait d'un roman, c'est-à-dire le message délivré par le moyen d'une fiction, donc qui préexisterait à l'écriture, eh bien j'opposerai les notions de polysémie, d'équivoque ou d'ambiguïté. C'est ce que Barthes a appelé “ le sens tremblé ” par opposition au “ sens fermé ”. Le meilleur exemple que l'on puisse peut-être donner du sens tremblé ou, si vous préférez, du sens pluriel, c'est ce qui se passe dans les romans de Dostoïevski [...]. Alors, disons très sommairement que le travail de l'écrivain tel que je le conçois aboutit à la production de sens pluriels dont aucun n'est explicité. L'écrivain dit le monde, il dit des choses, ou plutôt il dit un monde et il dit des choses, il ne les explique pas. L'aboutissement de son travail, c'est essentiellement une mise en question. » (12 avril 1976 ; p. 171)

« Le plus réaliste en apparence des monologues intérieurs est toujours, avec plus ou moins de réussite, soigneusement construit et composé. À cet égard, l'une des réussites les plus totales, c'est le fameux monologue de Molly Bloom à la fin d'Ulysse. Certainement, notre mémoire et notre imagination travaillent par associations, et mes textes fonctionnent aussi très souvent de cette façon. Mais dans notre mémoire ou dans notre imagination, rien n'est organisé, je veux dire que rien n'est composé, rien n'est structuré. En fait, ça se passe un peu comme dans la fameuse écriture automatique des surréalistes où on ouvre sans cesse des parenthèses, des parenthèses, des parenthèses qui ne se referment jamais. De sorte que le discours n'a littéralement ni queue ni tête et finit tout simplement par se perdre dans les sables. Une des plus grosses sottises, je crois, qu'on ait écrites à propos de Proust, c'est qu'il explorait la mémoire. Grâce à Dieu, il a fait tout autre chose qu'explorer la mémoire, parce que, s'il s'était contenté de faire cela, il se serait perdu dans un dédale de couloirs qui ne l'auraient mené, ni lui ni son lecteur, à rien, ce qui n'est pas précisément le cas. » (12 avril 1976, p. 174-175)

« [...] c'est assez stupéfiant de se rendre compte avec quelle naïveté est reçu le roman, même par des esprits cultivés. [...] Il est je crois significatif de rappeler comment deux écrivains aussi opposés l'un à l'autre qu'André Breton et Henri de Montherlant [...] parlaient de la description, Breton déclarant qu'il ne comprenait absolument pas l'intérêt que pouvait présenter dans Crime et châtiment la description de la chambre de Raskolnikov, et Montherlant nous disant que, lorsqu'il arrivait dans un roman à une description, il sautait la page tout simplement. Bizarrement – comme la plupart des lecteurs d'ailleurs –, Breton aussi bien que Montherlant accordaient crédit à ce qui, dans un roman, ne présente absolument aucune garantie de sens, c'est-à-dire les aventures des personnages. Elles sont, du point de vue anecdotique, simplement possibles [...]. Donc, Breton comme Montherlant, comme le lecteur moyen, accordent un crédit à une fable parfaitement arbitraire, parfaitement gratuite, ils sont passionnés par cette fable et ils rejettent avec ennui la description, c'est-à-dire au contraire ce qui constitue le corps même de la fable, sa matière. » (13 avril 1976, p. 178-179)

« Vous savez, le roman a quelque chose de commun avec la peinture. C'est que, dans l'un comme dans l'autre, on pourrait dire que le dieu est caché. Et il est d'autant plus caché qu'il est là, bien visible, il n'y a même que lui, mais que l'attention du public est attirée par une action qui en réalité n'est là [...] que comme prétexte. En fait, ce n'est pas l'histoire d'une dame qui trompe son mari, ce n'est pas non plus le spectacle de trois pommes et d'un compotier sur une table de cuisine qui sont les sujets de Madame Bovary ou d'une nature morte de Cézanne. [...] [C]hez Cézanne ou chez Flaubert, il se passe quelque chose d'autre. Et ce quelque chose d'autre, c'est non pas la plus ou moins grande vraisemblance psychologique ou ressemblance apparente de cette histoire d'adultère ou de ces pommes, mais quelque chose qui est en plus d'Emma ou des pommes. Ce quelque chose, je pense que c'est la qualité du langage – écriture ou peinture – qui dit Emma ou qui dit les pommes, et qui comme tout langage consiste essentiellement dans l'établissement de rapports. » (13 avril 1976, p. 179)

« [Question : Je me demande si vous ne voulez pas en partie démasquer les abus du romans réaliste, entreprendre sa démystification. Réponse :] Non, pas exactement. Je ne veux pas, comme vous dites, expulser le temps que vous appelez social, celui des horloges. En fait, ce temps-là ne se retrouve dans aucun texte romanesque, même si le roman en question semble respecter une chronologie “ naturelle ” des événements. Il suffit d'examiner un peu pour se rendre compte que ce roman-là – le roman traditionnel – prend toutes sortes de libertés avec cette prétendue fidélité au vécu. [...] même dans le roman réaliste, on voit intervenir une tout autre notion du temps. C'est celle qui est propre au discours, au récit. [...] Je peux vous assurer que lorsque je travaille, mon but n'est pas de démasquer ce que vous appelez les abus du roman réaliste.
[Question : Votre but n'est pas de le faire, mais en fait, vous le faites... Réponse :] Je le fais, mais mes préoccupations sont autres, d'autant, il faut le souligner, que ces abus sont surtout le fait de son interprétation par une certaine critique abusée – c'est le mot – par des déclarations irréfléchies de Balzac. Le roman réaliste a souvent permis à d'authentiques génies, à commencer par Balzac lui-même, de produire des chefs-d'oeuvre, cela à chaque fois que le romancier a cédé ou s'est laissé aller à ce que Barthes appelle l'emportement de l'écriture. » (14 avril 1976, p. 183-184)

« Est-ce que vous imaginez que Dostoïevski aime ses personnages ? Comme je le disais l'autre jour, on ne sait jamais si ce sont des monstres, des saints, si ce sont des victimes, des bourreaux, ou les deux en même temps. Flaubert aimait-il Madame Bovary ou la détestait-il, ou Joyce aimait-il Molly Bloom, est-ce que Proust – je ne dis pas Marcel, je dis Proust – aimait, plaignait ou détestait Albertine, Charles ou Odette ou Françoise ou Marcel lui-même ? Je suppose que Flaubert, Joyce, Kafka, Proust étaient comme Delacroix ou Cézanne, c'est-à-dire qu'ils aimaient leurs personnages s'ils les trouvaient textuellement réussis. Il me semble que c'est le seul genre d'amour qu'un écrivain ou un peintre puisse éprouver pour des personnages produits par sa plume ou par son pinceau, personnages, répétons-le, fictifs. » (14 avril 1976, p. 189)

« Claude Simon : The Crossing of the Image », entretien avec Claud DuVerlie, trad. James Rodgers, dans Diacritics, vol. 7, no 4, hiver 1977, p. 47-58.
« [...] the real subject of a novel isn't the story as it is told but the way in which it is told, the relationships created by the writer between certain words or groups of words. But we must be careful to remain aware [...] of the basic ambiguity of all language. Nearly two hundred years ago, Novalis had reflected on this curious phenomenon: in mathematics (and one can say the same of all pictorial language), the language is concerned with and speaks only about itself ; but, paradoxically, it's only in being concerned with and speaking best about itself that language begins also to speak about something other than itself. We must be very aware of that. Poussin no more reproduced the rape of the Sabine women than Cezanne reproduced apples, but the paintings of both cannot be separated from the rape of the Sabine women and apples. » (p. 49)
« Un homme traversé par le travail », entretien avec Alain Poirson et Jean-Paul Goux, dans La Nouvelle critique, no 105 (nouvelle série), juin-juillet 1977, p. 32-44.
« [À propos de la part faite dans l'oeuvre aux éléments biographiques] Proust, lui, a traîné une lamentable existence d'asthmatique et de mondain... Et pourtant, il a probablement accompli l'oeuvre la plus révolutionnaire du vingtième siècle, sinon peut-être de toute l'histoire de la littérature, en ce sens qu'il a littéralement fait basculer sens dessus dessous le récit fictionnel de sorte qu'il est, au sens propre du terme, l'un des très rares écrivains authentiquement sub-versifs.
Je ne vais pas vous faire une conférence, mais disons, en gros, qu'avant même que Tynianov ait prédit l'avènement d'un nouveau “ système ” romanesque où, disait-il, “ la fable ne serait plus que le prétexte à une accumulation de descriptions statiques ”, Proust a construit un monument où la description [...] est non plus “ statique ” mais dynamique, où c'est elle qui travaille à plein, tandis que l'action [...] se trouve repoussée à l'arrière-plan, au niveau de simple support, et ceci parfois avec la plus complète désinvolture (si je me souviens bien, Cottard meurt deux fois, et qu'est-ce que ça peut bien faire qu'Albertine se tue dans un accident de cheval ?...). De plus, loin d'être une “ accumulation ”, toute La Recherche est un vaste travail de combinatoire, ce qui est fort différent... » (p. 35)

« Enfin, si je peux me permettre de parler de moi, ce que j'ai tenté [...], c'est de pousser encore le processus amorcé par Proust, et de faire de la description (autrefois ornement-parasite, même, aux yeux de certains) le moteur même, ou si vous préférez le générateur de l'action, de sorte que la fiction ainsi produite en devienne, dans une certaine mesure, justifiée (ou plutôt motivée) et perde en même temps son caractère arbitraire et impérialiste puisque, montrant en elle-même ses sources, son mécanisme générateur, elle se dénonce sans cesse comme fiction au fur et à mesure de sa production. » (p. 35)

« [...] je ne pense pas qu'un texte, que mes romans, puissent contribuer à le [le réel] transformer. Mais, par contre, à transformer la connaissance que l'on en a, alors oui. » (p. 36)

« [Question : Est-ce que vous travaillez sur des cadences ? Réponse :] Je pourrais presque dire : que sur des cadences, ou du moins des idées de cadences. Plus, bien sûr, ce que j'ai appelé le “ magma ”. Mais ce “ magma ”, encore une fois, peut être n'importe quoi. Et s'il ne parvient pas à se mouler dans un cadence, ce ne sera jamais de l'écriture. Tout au plus de l'informatif. Ce qui n'est pas l'objet du roman. Car, en effet, alors, pourquoi le roman, pourquoi la littérature ? » (p. 39)

« [...] À partir du moment où il n'est plus possible de considérer le roman comme une fable éducative, porteuse d'un ou plusieurs sens institués qu'illustrent ses péripéties et son dénouement-morale (son “ couronnement logique ”, comme l'appelait Faguet [...]) alors, que peut-on faire ? Si l'enchaînement des épisodes et leur aboutissement n'ont aucune valeur exemplaire (faut-il rappeler qu'ils sont, par définition, fictifs), je ne vois plus, non seulement pour la phrase mais pour le texte tout entier du roman, qu'à chercher une construction qui tienne debout non pas en référence à telle “ vraisemblance ” psychologique ou sociale, mais en référence au texte lui-même, à la logique de la langue travaillée, à sa justesse qui est, comme le disait Flaubert, d'ordre musical... » (p. 41)
« De Claude Simon », entretien avec Jo van Apeldoorn et Charles Grivel, dans Écriture de la religion. Écriture du roman, dir. Charles Grivel, Groningue, Centre culturel français de Groningue, et Lille, Presses Universitaires de Lille, 1979, p. 87-107.
« Balzac non plus n'est pas “ réaliste ”, en ce sens que le réalisme ça n'existe pas. Même quelqu'un qui veut copier platement un cheval ne “ reproduit ” pas un cheval ; il produit toujours l'image déformée d'un cheval. » (p. 90)

« Pour moi, littérature, cela veut dire avant tout écriture. Et l'écriture, cela me fait toujours penser à ce que l'on appelle le bricolage : on fait comme on peut, on ajoute des choses, on en retranche, on essaie d'ajuster tant bien que mal. Aucune théorisation ni demande de théorisation. » (p. 94)

« Il y a la traditionnelle définition du roman comme un miroir promené le long d'un chemin dans lequel se reflètent tous les événements, successivement. Je verrais plutôt le roman comme une grande glace dans laquelle se refléteraient à la fois tous les tournants, tous les angles, tous les événements, toutes les fleurs du bord du chemin, etc. » (p. 99)
« “ Je travaille comme un peintre ” », entretien avec Jean-Maurice de Montremy, dans La Croix, 19 octobre 1985 [entretien réalisé en 1979], p. 20.
« Pour ma part, vous savez, je suis peu porté aux théorisations, et si j'ai participé au mouvement du nouveau roman (Dieu sait quelle idée s'en fait le grand public… et certains critiques), c'est un peu à la façon dont M. Jourdain faisait de la prose. » (p. 20)

« [Question : Vous en parlez [de votre art] comme d'un art plastique. Réponse :] Oui. Quoique ce genre de comparaisons ne soit pas sans danger. Chaque activité de l'esprit a sa spécificité. Mais enfin, peindre, écrire, composer de la musique, construire un monument, c'est avant tout découvrir des rapports et les organiser selon certains rythmes. Disons (en simplifiant beaucoup) que plutôt qu'une suite d'événements temporels, le lieu de mes romans est spatial. Je travaille comme un peintre sur la surface de sa toile où sont présents à la fois tous les éléments, retouchant l'un par rapport à l'autre, essayant de faire en sorte que l'ensemble se compose, s'équilibre. En d'autres termes, je “ bricole ”… » (p. 20)
« Fragment de Claude Simon », entretien avec Didier Eribon, dans Libération, 29 août 1981, p. 20-22.
« Cela dit, à partir du moment où l'on ne pense plus qu'un roman puisse être une histoire présentée, à la façon d'une fable, comme une suite imparable d'événements déterminés et déterminants aboutissant à ce que Faguet appelait le “ couronnement logique ”, c'est-à-dire le dénouement, toujours plus ou moins moralisant et éducatif, alors on est amené à chercher d'autres principes de construction que celui qui consiste à enchaîner l'un après l'autre des faits plus ou moins crédibles qui conduisent à une fin plus ou moins crédibles. » (p. 22)

« Comme vous le voyez, il s'agit [un roman basé sur la description] d'une subversion totale, et ceci dans tous les sens du terme : c'est Proust, chez lequel la fable est réduite à sa plus simple expression, c'est Faulkner où la fable (hélas trop souvent moralisante) est heureusement compensée par un prodigieux génie de la description.
Pour ma part, je me suis un moment demandé si on ne pouvait pas pousser encore plus loin la subversion, c'est-à-dire réaliser un roman où la description engendrerait l'action. C'est ce que j'ai essayé de faire avec Leçon de choses où, de la description d'une pièce en ruine, sortent trois petites fictions qui s'entremêlent. » (p. 22)
« Les sentiers de la création », entretien télévisé avec Bernard Pivot, dans l'émission Apostrophes, 22 septembre 1981.
« [À propos des Géorgiques. Question : Pourquoi cette construction ? Est-ce qu'elle vous est naturelle, est-ce que vous décidez ? Réponse :] Ah! non! Elle n'est pas naturelle. C'est très concerté, je l'ai cherchée longtemps, j'ai cherché trois ans la composition de ce livre. Il faudrait parler du roman. À partir du moment où on ne considère plus que le roman a un commencement et une fin, ce qu'Émile Faguet appelait “ le couronnement logique du roman ”, c'est-à-dire le dénouement, à partir du moment où il n'y a plus ce côté démonstratif dans le roman, [...] ça n'a plus d'intérêt de faire une chose dans la chronologie. Alors, on est plutôt amené à chercher un autre genre de construction par des choses qui s'agglutinent par les mots, par les métaphores. »
« Claude Simon. Romancier », entretien avec Charles Haroche, dans L'Humanité, 26 octobre 1981, p. 15.
« Or, s'il y a un domaine où il est impossible de parler en termes de progrès, c'est bien celui de l'art. […]. Cela dit […], il est indéniable que dans une période historique récente, très courte (une cinquantaine ou une soixantaine d'années à cheval sur la fin du XIXe siècle et le début du XXe), se sont produits dans l'art une série de phénomènes qui ont constitué (avec l'invention de la polyphonie et la découverte, à l'époque de la Renaissance, de la perspective) une des plus formidables ruptures que l'on ait connues avec tout ce qui avait précédé. […] ce n'est certainement pas par hasard que, presque simultanément, Joyce, Proust et Kafka en littérature, Cézanne, Van Gogh et le douanier Rousseau en peinture, Gaudi en architecture, […] ont, chacun de leur côté, écrit, peint, construit et composé des oeuvres après lesquelles plus rien de valable n'a pu être tant soit peu “ comme avant ”. » (p. 15)

« En somme, il semble bien que, de même que l'invention de la photographie a libéré le peintre du souci de “ représentation ”, l'apparition de ces sciences dites humaines […] a libéré le romancier du souci (ou de l'obligation) de faire de l'“ enseignement social ” (ou moral, ou psychologique, etc.), en même temps qu'elles révélaient l'illusion de prétendre démontrer quoi que ce soit au moyen d'une “ fiction ”, c'est-à-dire d'une histoire inventée de toutes pièces. [...] Cela ne signifie pas (loin de là !) que ce nouveau texte romanesque n'a plus de rapports avec le “ réel ” […], mais qu'aujourd'hui on peut voir à nu son fonctionnement qui est d'ailleurs celui de toute opération artistique […]. » (p. 15)

« […] ce qui différencie l'art (pictural ou romanesque) “ moderne ” de celui des périodes (pas toutes) qui l'ont précédé, c'est qu'au lieu de se trouver au premier plan, isolé, se détachant au devant des choses, l'homme se trouve ici en leur sein, parmi elles. » (p. 15)

« Comme je vous l'ai dit, je ne pense pas que le rôle (ni les pouvoirs) du romancier soient, contrairement à ce que voulait Balzac, de délivrer un enseignement quelconque. D'une vraie oeuvre d'art se dégage toujours un “ sens tremblé ”. » (p. 15)
« Interview with Claude Simon », entretien avec Alastair B. Duncan, dans Claude Simon : New directions, dir. Alastair B. Duncan, Edimburgh, Scottish Academic Press, 1985 [série d'entretiens réalisés en 1983 et 1984], p. 12-18.
« It would be interesting to study how, with Balzac, the nineteenth century novel with pretensions to “ realism ” (while still functionning as a fable of the socio-psycho-philosophical type) gradually began to introduce description (probably to make things more true to life, to make the story more credible) and how later, with Flaubert (his scenarios, for example, give less space to Emma's mood than to colours, smells and sounds...) description became more and more important [...]. Today some writers, of whom I am one, are trying, like the Renaissance artists of Germany or Cézanne, to establish relationships between human figure and surrounding world in which neither dominates [...]. » (p. 13-14)

« I suggest we substitute the word “ academic ” for the word “ traditional ”. There is, alas, an “ academic ” tradition, the tradition of the novel which proves a point or demonstrates an idea, in other words of the philosophical tale and the fable, based on some pretence of “ logic ” or “ fate ” and which sees the novel itself as no more than the locus for a series of causes and effects which are by nature socio-psychological (or even divinely ordained) and therefore external to the text itself. » (p. 15)

« [À propos du Nouveau roman] [...] what united us (and continues to unite us) was that we rejected or rather were violently allergic to the academic novel, stemming from nineteenth century “ naturalism ”, which at that time held sway in France (and continues to do so...).
One could look for fairly distant ancestors for the Nouveau roman, for example the account of the Battle of Waterloo at the beginning of La Chartreuse de Parme, or in Flaubert, or else in Dostoevsky and his monuments of contradiction and unanswerable questionnings (some critics rightly spotted that Le Vent was simply a remake of The Idiot...). But ultimately, if there was a decisive break, a decisive moment when the novel was put into question, it came at the beginning of this century [...], the chief artisans of this break being Proust and Joyce, and, in other register, Roussel. [...] In my own case, it is quite obvious that without Proust, Joyce and Faulkner, I would never have been able to write as I have. » (p. 17)
« Claude Simon : “ J'ai essayé la peinture, la révolution, puis l'écriture », entretien avec Claire Paulhan, dans Les Nouvelles littéraires, 15-21 mars 1984, p. 42-45.

Note : Dans cet entretien, Simon aborde plusieurs points qui seront repris dans le Discours de Stockholm, notamment sur les questions de l'histoire du roman et de la description. Nous renvoyons le lecteur à l'entrée du Discours.

« Interview with Claude Simon : Autobiography, the Novel, Politics », entretien avec Anthony Cheal Pugh, dans The Review of Contemporary Fiction, vol. 5, no 1, printemps 1985, p. 4-13.
« [Question : You said that you dit not consider that French writers were very strong in the field of the novel, but that they excelled, on the other hand, at autobiography. [...] Could I begin by asking you to comment upon this observation, from a reader's point of view ? Réponse :] André Gide says somewhere in his Journal that France is most definitely not the home of the novel. And in fact, if one compares the works of nineteenth-century novelists and their inferior contemporary imitators (Mauriac, Sartre, Camus, etc.) with for example those of Dostoevsky, whose characters, as in life, are eminently ambiguous and contradictory, […] then the French « realist » novel […] appears desperately flat, putting on stage univocal social or psychological types, bordering on caricature. […] Personnally, this kind of novel has always produced in me a boredom only attenuated by the descriptive passages [...].
On the other hand, in works of biographical kind, a character reveals himself, deliberately or otherwise, in all his rich complexity, with all his contradictions, and without any manner of teaching standing out at all from his adventures. Anaïs Nin said somewhere that the everyday world seemed to her so devoid of interest that she preferred to take refuge in “ the imaginary ” and “ the marvelous ”. No doubt she never took the trouble to look at the incredible marvels all aroud us, a simple leaf, a bird, an insect. […] if ever you apply yourself, as Proust did, to examining attentively the life of anyone in your entourage, it's not long before you notice that it presents a thousand times more complexity, richness, and fascinating subtleties than the fictive and summary lives and the spectacles staged in so-called “ imaginative ” novels. » (p. 4)

« [...] it is not my intentions to conceal myself with the reader. I don't like much irony. Irony is cruel - it is a French defect ; I prefer humor. But once again, what you call “ irony ”, or “ pardoy ”, is a way of showing how, always, reality is stranger than fiction. I could never have invented the extraordinary things that are related in The Gerogics. History had a way of mocking the whole of the General's life, but it's a kind of natural irony : it's grotesque, it's derisory, but that's the way it was. [...] To come across something like that, well it makes me feel dizzy, you get a feeling of vertigo. The only novelist capable of inventing something similar is Dostoevsky : Mishkin is a totally ambiguous character - you will never know whether he is an idiot, or is supremeley intelligent.
[Question : So we would be wrong to think that you sometimes adopt an ironic stance with regard to you readers ? Réponse :] Yes. Mine is quite the opposite of the attitude of the God-like novelist. the novelist today tries to make his way through a king of fog ; it isn't really a question or irony, but one of vertigo : he just doesn't know the answers. You are faced, always, with the unknown, the unknowable. » (p. 7)
« Claude Simon sur la route de Stockholm », entretien avec Didier Eribon, dans Le Nouvel observateur, 6-12 décembre 1985, p. 72-73.
« [Question : Dites-nous quelle est votre conception du roman. Réponse :] J'ai toujours été frappé par la quantité de souvenirs, d'images, d'émotions qui, comme Tolstoï le dit très bien dans Guerre et Paix, assaillent un homme en un nombre incalculable en un seul instant. Et dans mon travail de romancier, j'essaie de voir comment toutes ces images et ces souvenirs s'associent dans l'esprit […]. Je crois que le seul moyen pour mener à bien cette exploration, c'est de s'aider de la langue, qui établit elle-même tellement de rapports entre des éléments qui peuvent être éloignés dans le temps des horloges et l'espace mesuré.
En explorant cette langue qui parle déjà en nous par ses figures (les tropes, les métaphores, les métonymies), qui établit déjà un réseau de relations, on peut réussir à trouver comment tout cela s'organise, quels mécanismes et quel ordre en réalité existent sous ce désordre apparent d'images. » (p. 72)

« Au XIXe siècle, on veut l'inspiration [...]. On croit que l'écrivain est inspiré. Ce n'est plus lui qui écrit. Je trouve d'ailleurs cette idée un peu humiliante pour l'écrivain. Et elle ne correspond en rien à la réalité. Il suffit de voir les manuscrits de Balzac. Ne parlons pas de Proust : un vrai travail de moine. » (p. 73)
« La route du Nobel », entretien avec Marianne Alphant, dans Libération, 10 décembre 1985, p. 27-28.
« [Question : Vous diriez-vous un écrivain réaliste ? Réponse :] Non, je n'aime pas le mot. C'est un mot piège. La réalité, personne ne peut la dire. C'est un mythe. […] Dans un livre d'anatomie, vous pouvez trouver la description détaillée et complète d'un os, d'un tibia, par exemple, et c'est d'ailleurs assez fascinant. Mais cette description ne donne pas à voir. Or, c'est là le but de l'art. Toute écriture littéraire est basée sur des choix, choix forcément subjectifs, donc contestables. » (p. 27)

« [Question : Qu'en est-il de lui [le Nouveau roman] en 1985 ? Réponse :] Nous avons toujours en commun que nous répugnons au roman traditionnel, à ses formes sclérosées. À partir de là, chacun de nous a fait ce qu'il devait faire. Lindon avait voulu que nous nous réunissions et Robbe-grillet avait caressé, je crois, l'idée d'une sorte de dictionnaire. Mais il s'est avéré que nous pensions des choses très différentes. Ce que nous avions en commun, c'était un même rejet et une estime réciproque. L'impression de se tenir les coudes, de ne pas être seuls. […] Mais le “ nouveau roman ” n'est pas révolu et ne le sera jamais. Comme on l'a dit, en art il y a une seule tradition, la tradition du nouveau. » (p. 28)
« The Novel as Textual Wandering : an Interview with Claude Simon », entretien avec Claud DuVerlie, trad. James Rodgers, dans Contemporary Literature, vol. 28, no 1, printemps 1987, p. 1-13.
« You certainly recall the automatic writing used by the Surrealists. This was really brilliant writing, but it consisted of leaving things dangling eternally, without ever closing off the endless possibilities. In contrast, what I struggle to achieve in my textual wandering or roaming about is never to lose sight of a centralpoint and alwaysto come back to it in the end by taking it up again - or if you prefer the musical analogy of a finale, by recapitulating all the previously played themes. » (p. 5)

« The moment one no longer writes mostly for didactic reasons, as Balzac did in order to provide a social or some such lesson, one is forced to find a structure bound by qualitative principles ; and here we come upon the rules common to all the arts, particularly music. Flaubert writing to George Sand asks “ How does it happen that there is a necessary relationship between the right word and the right sounding word ? ” » (p. 7)

« [Question : Can we conclude that there are several observers in The Georgics ? Réponse :] No, there's simply an ordinary person who knows about a tiny number of things. [...] I tried not to overcome either lack. I am neither historian nor writer of biographical sketches; I am (or try to be) a novelist. You know Proust said that only wha the called “ involuntary memory ” was valid. » (p. 9)

« Nobody, no novelist in all of literature has given a “ total view ”. That was Balzac's great hope : to say it all. Who can ? » (p. 9)

« For instance, we often hear people say that Balzac was a genius but didn't know how to write. From this  perspective, a parallel or even a preexisting “ something ” - an ideal text, a perfect text ? - was there, which Balzac should have been able to reproduce, thus making this preexisting “ something ” more valid than the way (form, structure) in which Balzac actually put things.  But how can we use Balzac's text to validate a “ fundamental version ” that would have been put “ differently ” ? What do we know about Balzac's world - his “ novelistic material ”, to use his terms - if not exactly and no more than he tells us about it ? Whether we talk about writing, painting, or music, form and content coalesce. What we call content does not exist without form, which shapes and is shaped by it at the same time. » (p. 11)
« Attaques et stimuli », entretien avec Lucien Dällenbach, dans Lucien Dällenbach, Claude Simon, Paris, Seuil, coll. « Les Contemporains », 1988 [série d'entretiens réalisés en 1987], p. 170-181.
« Nous avons tous affaire à une perception, une mémoire, qui ne nous transmettent du monde que des aperçus fragmentaires. J'ai entendu avec stupeur un essayiste pour lequel j'ai par ailleurs le plus grand respect avancer que par une sorte de malignité perverse Proust découpait en petits morceaux une “ réalité ” compacte et cohérente. C'est simplement aberrant. C'est exactement le processus contraire ! » (p. 178)

« [À propos de la composition. Question : Est-ce pour des raisons de symétrie ? Réponse :] Pour que le cercle se referme : encore une fois, ce n'est pas une histoire dans l'acception traditionnelle du mot lorsqu'on parle de roman : c'est la tentative de description de tout ce qui peut passer en un instant en fait de souvenirs, d'images et d'associations dans un esprit. » (p. 178-179)
« “ J'ai deux souvenirs d'intense fatigue : la guerre et le Nobel ” », entretien avec Marianne Alphant, dans Libération, 6 janvier 1988, p. 28-29.
« [À propos de L'Invitation, récemment parue. Question : C'est donc un récit de voyage réel et non une fiction ? Réponse :] J'ai intitulé tous mes livres “ romans ” mais à partir de L'Herbe, ils sont tous à base de vécu. […] L'art ne témoigne pas, sauf au second degré. Quant au texte lui-même et son processus de formation (ou si l'on préfère de fabrication : c'est le mot qu'employais Proust et auquel je souscris), c'est toujours ce que j'ai dit dans mon discours de Stockholm : nous sommes pleins d'images, de souvenirs, de sensations (ou plutôt de fragments de tout cela) qui se mêlent en se combinent dans notre esprit, et le problème est de trouver en écrivant comment ordonner ces combinaisons. Pour cela, les mots, la langue elle-même nous aide […]. » (p. 28)
Claude Simon, entretien filmé avec Marianne Alphant, réalisation Roland Allard, dans le cadre de la série Océaniques : Les hommes-livres, La Sept/INA, 1988.
« Il y a infiniment plus de poésie dans des multitudes de phrases de Proust que dans des poèmes de Lamartine. »

« [Question : Pourquoi identifier Les Géorgiques comme un “ roman ” ? Réponse :] Quel titre donner à quelque chose qui ne prétend pas reproduire le monde, mais [dont] la seule prétention est de regrouper, de combiner des souvenirs ou des émotions, en sachant toujours qu'on laisse des blancs, qu'on laisse de l'inconnu, et qu'on ne va pas aller chercher à combler cet inconnu par une espèce de ciment plus ou moins neutre ou incolore simplement pour faire le lien ? »

« Je crois qu'il faudrait mettre au point les choses, on a parlé du “ nouveau roman ”, mais, je dis tout le temps, mais le “ nouveau roman ”, ça a commencé bien avant nous, ça a commencé avec Proust, avec Joyce, avec Kafka, avec Roussel, et nous n'avons fait chacun dans notre petit domaine que continuer, sans eux nous n'existerions pas. »

« [Question : S'il n'y a pas de message, si l'écrivain n'a rien à dire… Réponse :] N'a rien à dire au sens sartrien du terme, mais l'écrivain… moi, personnellement ; les autres, je n'en sais rien [...]. Moi je ne sais pas désigner les “ chemins de la liberté ”, je ne sais pas dire “ l'espoir ” se trouve de ce côté-là, je ne sais pas, mais si d'autres le savent moi je n'y vois aucun inconvénient. Mais “ rien à dire ” dans ce sens là. Par contre j'ai des millions de choses à dire, ne ce serait-ce que le tapis de cette table ou la forme de cette coquille Saint-Jacques, ou les millions de souvenirs qui sont en moi, de sensations, de remémorations. En ce sens là j'ai infiniment de choses à dire, mais je n'ai pas d'enseignement à délivrer. »
« “ Et à quoi bon inventer ? ” », entretien avec Marianne Alphant, dans Libération, 31 août 1989, p. 24-25.
« Avant la guerre, j'avais de vagues ambitions, appelons ça des velléités : je ne savais pas si j'allais faire de la peinture ou la révolution. J'avais tout essayé, même écrire, mais tout était mauvais. À mon retour, après m'être évadé, j'ai repris la peinture mais surtout, je me suis mis au dessin. Je copiais des feuilles, une touffe d'herbe, un caillou, le plus exactement possible. Un peu dans l'esprit des dessins de Dürer que j'ai découverts plus tard. J'avais banni de moi toute idée d'art. Plus de cubisme, plus de fantaisie, rien. Les choses. Si le surréalisme est né de la guerre de 1914, ce qui s'est passé avec la dernière guerre est né à Auswitch. Il me semble qu'on l'oublie souvent quand on parle du “ nouveau roman ”. Ce n'est pas pour rien que Nathalie Sarraute a écrit « L'Ère du soupçon » ; Barthes, Le Degré zéro de l'écriture. Que des artistes comme Tapies ou Dubuffet sont partis des graffitis, du mur, ou que Louise Nevelson a fait des sculptures à partir de décombres. Toutes les idéologies s'étaient disqualifiées. L'humanisme, c'était fini. Sans doute était-ce ce que je ressentais confusément quand je faisais ces dessins très exacts : il n'y a plus de recours, essayons de revenir au primordial, à l'élémentaire, à la matière, aux choses. Exemple : Ponge. » (p. 25)
« Claude Simon : “ La guerre est toujours là ” », entretien avec André Clavel, dans L'Événement du jeudi, 31 août-6 septembre 1989, p. 86-87.
« [Question : Est-ce que le fait d'avoir écrit tant de pages sur votre mère dans L'Acacia ajoute quelque chose à sa mémoire ? Réponse :] Je ne saurais pas vous dire. Non, je crois que toute cette matière, tout ce magma d'émotions que j'ai en moi, “ à la fois et par morceaux détachés ”, comme disait Flaubert, tout ça remonte à la mémoire en formant des combinaisons, des harmonies, qu'il s'agit d'ordonner dans l'écriture. C'est de cette façon que je travaille. Je n'ai jamais peur de la feuille blanche. Avant d'écrire, il n'y a rien, que de l'informe, et il va se passer quelque chose. C'est une ivresse ! Mais cela ne veut pas dire que je connaisse mieux ma mère après ce livre. Elle reste un mystère. Elle est devenue un personnage de roman. » (p. 87)

« [Question : Quelle est la phrase que vous aimeriez qu'on retienne de vous ? Réponse :] Peut-être celle qui vient à la fin de La Route des Flandres : “ Comment était-ce ? Comment savoir ? ” Cela ressemble au “ Que sais-je ? ” de Montaigne. Une interrogation, donc… On pourrait la mettre en exergue à tous mes livres. C'est en partie pour répondre à cette question que j'écris. » (p. 87)
« Le passé recomposé », entretien avec Aliette Armel, dans Le Magazine Littéraire, no 275, mars 1990, p. 96-103.
« Depuis L'Herbe tous mes romans sont à base de mon vécu, plus ou moins romancé pour satisfaire à une vague “ loi du genre ” ou se prêter à des jeux de construction. Dans Les GéorgiquesL'Invitation et L'Acacia, il n'y a pas un seul événement fictif. C'est que j'ai fini par comprendre (ou sentir) que “ la réalité dépasse la fiction ”... » (p. 98)

« [...] je conçois l'écriture comme une activité artistique. Disons donc que pour moi les activités de “ plasticien ” et d'écrivain se confondent. » (p. 101)

« Pour en revenir à l'Occident et à sa littérature, il y a, bien sûr, des textes étouffants, au sens “ fermé ” (ainsi, à peu près toute la production romanesque élaborée sur le type de la fable, jusqu'à Dostoïevski). Depuis lui, et avec Proust et Joyce, sont apparus des textes à sens “ ouvert ” (que le grand public avide de “ messages ” déli- vrés a naturellement qualifiés d'“ obscurs ”). » (p. 102)
« L'inlassable ré a/encrage du vécu », entretien avec Mireille Calle, dans Claude Simon: Chemins de la mémoire, dir. Mireille Calle, Sainte Foy, Le Griffon d'Argile, et Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1993, p. 3-25.
« Le roman traditionnel est, lui aussi, “ construit de pièces et morceaux ”. On y trouve constamment la formule : “ deux jours (ou trois, ou deux ans...) plus tard, notre héros, etc. ”, ou encore:  “ Il ne se passa rien (!!!...) pendant les trois jours (ou semaines, ou annés...) qui suivirent ces événements ”. Par exemple, pour un romancier traditionnel, il ne se passerait “ rien ” pendant les longues heures où Joyce nous rapporte le monologue intérieur de Molly Bloom. Après avoir décrit/narré en détail les aventures de Fabrice dans la bataille de Waterloo, Stendhal écrit brusquement : “ Le reste du voyage n'eut rien que d'ordinaire.  ” Comment ça ? Le moindre des voyages, c'est-à-dire des déplacements dans le temps et l'espace, a, même en temps de paix, quelque chose d'extraordinaire : à plus forte raison dans un pays après une grande bataille perdue... Et il continue : “ Pendant les quinze jours que Fabrice passa dans l'auberge d'Amiens, tenue par une famille complimenteuse et avide, les alliés envahissaient la France, et Fabrice devint un autre homme [...]. ” Trente-sept pages pour une journée (Waterloo), une page seulement ensuite pour tout un mois ! Il est vrai que tout change alors [...]. Stendhal ne montre plus : il nous informe et nous dit ce qu'il faut penser (des aubergistes, de Fabrice qui devient “ un autre homme ”, fait des réflexions “ profondes ”). Comme l'écrit Conrad dans sa préface au Nègre du Narcisse qui constitue le plus magistral réquisitoire contre le roman académique : “ [...] l'auteur fait appel à notre crédulité. ” » (p. 10-11)

« [À propos d'un entretien précédent dans lequel Claude Simon fait le compte rendu de son expérience personnelle de la Deuxième Guerre.] J'ai fait ce récit (compte rendu) de la façon la plus plate. Le récit “ littéraire ”, c'est autre chose. Ce que, curieusement, Valéry n'a pas compris (pas vu l'abîme qui sépare une phrase comme “ la marquise sortit à cinq heures ” (compte rendu d'un événement) de la description de cet événement (par exemple la promenade d'Odette Swann au Bois de Boulogne aux environs de midi). » (p. 22)

« Qu'est-ce qu'écrire pour moi? Je pourrais vous répondre : avant tout, satisfaire l'envie d'écrire. Ou mieux, satisfaire le besoin que tout homme a d'un “ faire ” [...]. Mais aussi, comme vous le dites très bien, “ le réancrage inlassable du vécu ”. Toutefois, je ne dirais pas la “ création ”. Ce dernier mot postule en effet : “ ex nihilo ”. Or, non seulement nous sommes les héritiers de tous les écrivains qui nous ont précédés, mais encore tout écrivain, loin de partir “ ex nihilo ”, use de ce “ matériau ” (mais peut-on ici employer ce mot ?) qu'est la langue, cette langue qui, comme on l'a très justement dit, “ parle déjà avant nous ”. » (p. 25)
« Rencontre avec Claude Simon. “ La véritable littérature ne sert à rien ” », entretien avec Jean-Christophe Aeschlimann, dans Écriture, no 48, automne 1996, Lausanne, p. 214-222.
« La véritable littérature, à mon sens, ne sert à rien. [...] D'innombrables écrivains se voient en sauveurs du monde...
[Question : Des écrivains convaincus du rôle moral et politique de la littérature ? Réponse :] Oui, les idées de Sartre, et même de gens avant lui, Gide, Malraux, etc. Une vieille histoire. Pour moi, non, l'écrivain, c'est Proust, Joyce, et écrire, le devoir de l'écrivain, c'est d'écrire le mieux possible, comme le devoir d'un constructeur de pont, c'est de construire un pont qui ne s'écroule pas. » (p. 215)

« [À propos du degré zéro marqué par Auschwitz. Question : Avant le degré zéro, et après le degré zéro, que se passe-t-il ? Réponse :] On assiste à la rupture avec le roman naturaliste du XIXe siècle, et avant elle à la rupture avec le roman du XVIIIe siècle, dans laquelle Balzac joue un grand rôle, en introduisant la description dans le roman. Peu à peu la description évacue la fable, et avec Proust et Joyce, il n'y a plus de fable. Jusque-là, le roman avait été une démonstration, un tableau de société, un message avec un dénouement qui en était “ le couronnement logique ”. Avec Proust et Joyce se consomme l'abandon du roman à thèse, du roman démonstration. » (p. 216-217)

« [À propos du Nouveau roman] Il était assez réconfortant de retrouver des écrivains comme Butor, Robbe-Grillet, Sarraute, Pinget, que j'estimais beaucoup, et de sentir que nous n'étions pas isolés devant le terrorisme que Sartre faisait régner - le terrorisme de l'écrivain-guide, de l'écrivain-sociologue, de l'écrivain-philosophe. Ce refus nous était commun, de même que celui de la littérature traditionnelle, dont Sartre était d'ailleurs aussi l'un des représentants. » (p. 217)

« Dans le roman traditionnel, la loi, l'impératif est un impératif de causalité […]. Cela ne m'intéresse pas. Mon impératif, c'est celui de la qualité. C'est Marcel Proust dans la cour des Guermantes, et deux pavés inégaux sous son pied : cette sensation le transporte soudain sur le parvis de Saint-Marc. D'où, sans doute, à la lecture, cette impression que les choses se tiennent entre elles : ce qui les rapproche, c'est leur qualité, soit par association, soit par opposition. Les mêmes règles qu'en peinture ou en musique. À partir du moment où l'on considère la littérature comme un art, on retombe sur les mêmes règles qui régissent la peinture, la musique, l'architecture. » (p. 218-219)
« “ La sensation, c'est primordial ” », entretien avec Philippe Sollers, dans Le Monde, 19 septembre 1997, cahier Le Monde des livres, p. I-II.
« À partir du moment où on ne considère plus le roman comme un enseignement, comme Balzac, un enseignement social, un texte didactique, on arrive, à mon avis, aux moyens de composition qui sont ceux de la peinture, de la musique ou de l'architecture : répétition d'un même élément, variantes, associations, oppositions, contrastes, etc. Ou, comme en mathématiques : arrangements, permutations, combinaisons.
[Question : Mais on passe avant tout par la sensation. Réponse :] Pour moi, c'est primordial.
[Question : La sensation, c'est l'obsession d'un écrivain comme Céline. Il a été cavalier de guerre comme vous. Qu'est-ce que vous pensez de lui ? Vous n'en parlez jamais. Réponse :] Céline ? Je le place très haut. Et je l'ai dit depuis longtemps. […] Proust et Céline, ce sont les deux grands écrivains français de la première moitié du XXe siècle. […] Pourquoi est-ce si extraordinaire ? Parce que c'est très bien écrit. Parce qu'il y a une musique, parce qu'il y a une cadence. Voilà ! C'est tout. » (p. I)

« [À propos des brouillons de Madame Bovay, cités par Simon dans Le Jardin des Plantes (1997)] C'est, avec son voyage en Égypte, ce que Flaubert a écrit de meilleur… Cela fait partie des notes qu'il griffonnait lorsqu'il pensait au roman. Si on enlève ces notations, ces odeurs, ces couleurs, les craquements des cailloux sous les roues de la voiture qui ramène Emma à Yonville, ces fumiers roses, cette colère cramoisie, etc., tout ce qui, en somme, constitue la chair même de ce roman, alors oui, il ne resterait plus de celui-ci que cette anecdote […]. » (p. II)

« Il y a des phrases de Proust qui sont beaucoup plus poétiques que bien des poèmes. La distinction prose/poésie est artificielle. On peut arriver à des effets de poésie intenses avec la prose […]. Prenez la visite à la marquise de Cambremer, c'est une des choses les plus extraordinaires qu'on ait faites en littérature : cette sensation du temps qui passe, marqué par les changements de couleur des mouettes-nymphéas, c'est prodigieux. » (p. II)
« “ Dans l'arc du livre il y a toute la corde ” », entretien avec Mireille Calle-Gruber, dans Nuit blanche, no 74, mars 1999 [entretien réalisé en 1997], p. 55-58.
« J'ai déjà eu l'occasion de dire (et de redire) que je considère le roman comme un art, au même titre que la peinture ou la musique. D'où les mêmes lois de composition. Par exemple : associations, contrastes, harmonies, oppositions, répétitions, échos, rappels, ruptures, accélérations, ralentissements, fortissimo, pianissimo, assonances, dissonances, clair-obscur, à plats, etc., etc., etc., etc. » (p. 58)
« Claude Simon : parvenir peu à peu à décrire difficilement », entretien avec Jean-Claude Lebrun, dans L'Humanité, 13 mars 1998, p. 18-19.
« [À propos du Jardin des Plantes (1997). Question : On a le sentiment que, chez vous, le littéraire n'est pas fondamentalement pensable hors de l'Histoire. Réponse :] Il me semble que c'est inséparable. Joyce ou Proust, qui ont peu ou pas parlé de l'Histoire, ne peuvent en être isolés. » (p. 18)

« Proust et Joyce, qui ont bouleversé de fond en comble le paysage littéraire ont écrit leurs oeuvres au moment où le paysage historique était lui-même en état de total bouleversement. Ce n'est pas par pur hasard. » (p. 18-19)
« Entretien avec Claude Simon », entretien avec Christian Michel et Richard Robert, dans Scherzo, no 3, avril-juin 1998, p. 5-11.
« Il n'y a pas de différence entre “ narration ” et “ description ”. C'est une vieille distinction académique dans laquelle sont cependant tombés des esprits aussi fins que Valéry ou Breton. Décrire une action est tout autre chose que la rapporter (simple information alors). Par exemple, dire que le train pour Balbec part de la gare Saint-Lazare à telle heure (information) ou décrire ce départ comme ont pu le faire Proust ou Monet sont deux choses fondamentalement différentes. Autre exemple s'il en est besoin : la différence qu'il y a entre écrire “ La marquise sortit à cinq heures ” et décrire Odette Swann se promenant à midi (l'heure est expressément précisée) dans l'allée des Acacias “ au fond de la transparence liquide et du vernis lumineux de l'ombre que versait sur elle son ombrelle ”. » (p. 5)

« Je place Dostoïevski au-dessus de Proust qu'en dépit de quelques réserves je place lui-même très haut. Toutefois, on n'a, à mes yeux, jamais poussé aussi loin ni aussi haut l'art du roman et celui de la prose que Conrad ne l'a fait avec ces deux chefs d'oeuvre d'orfèvrerie que sont Typhon et Le Nègre du Narcisse. » (p. 7)
« Le présent de l'écriture », entretien avec Jacques Neefs et Almuth Grésillon, dans Genesis, no 13, 1999, p. 115-121.
« À la base du fait littéraire, quel qu'il soit, il y a le rythme et la musique. Pour moi, c'est primordial. » (p. 116)

« Les trois grands de la littérature française sont Jean-Jacques Rousseau, Chateaubriand et Proust, les trois piliers.
[Question : Pas forcément des romanciers, donc. Réponse :] Si l'on veut parler uniquement du roman, il faut tout de suite dire le nom du géant : Dostoïevski ; puis Conrad. [Simon cite Le Nègre du Narcisse] Pour moi, personne, même Proust, même Chateaubriand n'a écrit aussi bien. […] » (p. 119)

« [À propos du Nègre du Narcisse. Question : C'est un roman, mais il y a un moment où toutes les oeuvres sortent de leur genre parce qu'il se passe quelque chose. Réponse :] Ça ne sort pas du genre, parce qu'il y a toute l'histoire du nègre, la transformation et l'ambiguïté des personnages, l'ambiguïté des réactions. Mais le nègre étant mort, il y a cette fantastique description.
[Question : Le roman, ce serait cela : les multiples ambiguïtés, la vision des images, le récit ? Réponse :] Pour moi, oui. » (p. 119)
« L'emphase entache trop souvent le style de Flaubert », entretien avec Aliette Armel, dans Le Magazine Littéraire, no 401, septembre 2001, p. 57.
« [Question : Au cours de votre travail utilisez-vous un passage par l'oral, comme Flaubert dans son “ gueuloir ” ? La question du rythme, des unités de souffle vous paraît-elle pertinente en ce qui concerne votre oeuvre ? Réponse :] La question du rythme est primordiale. Cela dit, le “ gueuloir ” est une chose simplement comique. Elle s'accorde toutefois avec l'emphase qui, hélas, entache trop souvent le style de Flaubert que, par exemple, le dédoublement du “ m ” dans “ Salammbô ” trahit tout de suite. Simple remarque : concevrait-on Proust “ gueulant ” la Recherche ? » (p. 57)

« [Question : Quel rôle attribuez-vous à “ l'idée reçue ”, au cliché, au stéréotype. Pensez-vous, comme Flaubert, qu'il s'agit d'une présence de la mort dans le langage ? Réponse :] “ L'idée reçue ”, le cliché, le stéréotype, sont contraires toute production artistique. Cela dit, l'expression “ présence de la mort ” confirme encore une fois le goût de Flaubert pour la grandiloquence. [...] Sans doute me jugerez-vous partial et bêtement anti-Flaubert. Vous vous tromperez. Je suis au contraire un inconditionnel et fervent admirateur (sinon même ébloui) du Flaubert-spontané comme, par exemple les fulgurants “ scénarios ” préparatoires à Madame Bovary (où certaines notes hâtives se haussent parfois à une condensation presque mallarméenne). Admirateur aussi du Voyage en Égypte, de certaines de ses lettres, d'Un coeur simple. » (p. 57)
« “ Un bloc indivisible ” », réponse de Claude Simon à la question « Pourquoi des romans ? », dans Les Lettres françaises, 4-10 décembre 1958, p. 5.
« [...] seul le roman (c'est-à-dire la description de personnages dans certaines situations – étant entendu que celles-ci ne sont pas seulement psychologiques ou sociales mais aussi physiques : assis, debout, dans une pièce, grande, petite, dehors, au soleil, à l'ombre […]) [est] capable de permettre cet incessant va-et-vient, ce perpétuel échange entre la matière et la pensée, sans lequel l'écrivain court le danger de voir son esprit fonctionner dans le vide. » (p. 5)

« [...] c'est [le matériau du romancier], parmi tous, le plus irréel qui soit : le mot, un vague symbole parfaitement abstrait, inexistant en soi. Si l'on pense à l'effort de transposition auquel est tenu le peintre, par exemple, obligé pour être vrai (exact) de recréer complètement ce qu'il veut restituer […], nécessité qui l'a poussé à ses véritables tours de force techniques qu'ont été la fragmentation de la couleur chez les impressionnistes, ou de la forme chez les cubistes, on aura une idée du travail de recomposition que le souci de “ copier ” avec exactitude exige de l'écrivain. » (p. 5)

« [L'oeuvre d'art doit être une] composition “ totale ”, c'est-à-dire fermée sur elle-même, excluant par conséquent tout ce qui se rapproche, de près ou de loin, de la “ tranche de vie ”. D'où, me semble-t-il, cette lente transformation du roman de moins en moins “ miroir promené le long d'un chemin ”, c'est-à-dire simple succession ou addition linéaire d'épisodes, de descriptions ou d'analyses, mais une combinaison, une juxtaposition et un enchevêtrement de ceux-ci, intimement imbriqués les uns dans les autres, de façon à former, à l'image de la réalité, un bloc indivisible. » (p. 5)
« Claude Simon », réponse de Claude Simon à un questionnaire sur les problèmes du récit, dans Cahiers du Cinéma, no 185 : Film et roman : problèmes du récit, décembre 1966, p. 103-104.
« [Question : Pensez-vous que le cinéma, ayant repris à son compte l'acquis de la narration romanesque classique, ait influé de ce fait (en en précipitant l'urgence) sur un nécessaire renouvellement du roman ? Réponse :] Non. Le renouvellement du roman est commandé par l'impossibilité d'employer des formes romanesques devenues conventionnelles, vides. » (p. 103)
« La voie royale du roman », intervention de Claude Simon dans le dossier « Joyce le héros », à l'occasion du centenaire de la naissance de Joyce, dans Le Nouvel observateur, 6-12 février 1982, p. 74.
« [Simon met côte à côté un extrait du monologue de Molly Bloom à la fin d'Ulysse et un extrait des brouillons de Madame Bovary.] II revient à Joyce (comme dans un autre registre à Proust) d'avoir ouvert tout large au roman un chemin que Flaubert n'avait que commencé à défricher, en faisant le lieu où les événements ne vont plus être associés de manière démonstrative suivant un processus plus ou moins discutable de causes à effets, mais principalement en fonction de leurs rapports de nature et de qualité. D'où l'invention de ce que l'on a pu appeler le “ texte objet ” qui trouve son ordre et sa cohérence dans une sorte de logique interne :  rythmes, cadences, assonances, dissonances, sens pluriels (bien sûr toujours ambigus) des mots/choses. » (p. 74)
« Hugo et moi. Claude Simon », réponse de Claude Simon à trois questions sur l'oeuvre de Victor Hugo, dans La Quinzaine littéraire, 1-15 octobre 1985, p. 7.
« Je connais très mal l'oeuvre de Victor Hugo, sans doute parce que le peu que j'en ai lu ne m'a pas donné envie d'aller plus loin, très tôt découragé par son emphase.
Lorsque j'écrivais Les Géorgiques, j'ai toutefois relu à titre documentaire parmi d'autres ouvrages Quatre-vingt-treize dont, au-delà de l'outrance romanesque, je garde en mémoire quelques formulations percutantes […] ainsi que certaines descriptions […].
Restent encore pour moi le protéiforme personnage, assez fascinant […], ses dessins, ses aquarelles et, dans cette logorrhée, d'extraordinaires trouvailles comme le fameux Jérimadeh ou ce vers cité par Proust : “ Il faut que l'herbe pousse et que les enfants meurent. ” » (p. 7)
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