Christian Oster
(1949-...)
Dossier
Le roman selon Christian Oster
« Finir c'est mort, finir c'est la mort. » Ou le roman du déplacement selon Christian Oster, par Guillaume Ménard, 12 juin 2018 |
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À propos du film Comme un avion (2014) de Bruno Podalydès, qu'il était appelé à commenter, Christian Oster disait de sa finale qu'elle n'était pas réellement une fin : « en fait, dit Oster en parlant du personnage principal du film, son voyage ne s'achève pas. Il s'interrompt dans une espèce d'apothéose et de synthèse de tout. » (Oster et Podalydès, 2015) Oster ajoutait : « J'ai sans arrêt ce thème qui est présent pour moi qui est que […], il est hors de question d'atteindre quoi que ce soit. Si on atteint quelque chose, c'est fini, c'est mort, et c'est la mort. » (Ibid.) Cette interprétation, qui nous renseigne moins sur le film que sur l'oeuvre d'Oster, semble placer l'écrivain dans l'héritage de Samuel Beckett. Cette association entre la fin et la mort n'est effectivement pas sans rappeler l'incipit de Malone meurt ou d'autres romans, pièces de théâtre et poèmes de Beckett. Christian Oster, toutefois, lorsqu'interrogé sur des possibles recoupements entre ses livres et ceux de l'auteur d'En attendant Godot, préfère sinon s'en distancer, au moins nuancer la filiation : « La notion de néant est vide. Il n'y a pas de problématique du vide chez moi, mais du manque, c'est différent. Il existe un manque affectif essentiellement. Mais je ne traite pas de la question du vide ontologique. » (Auger, 2006, p. 125) La mort, si elle hante les pages des romans d'Oster, ne le fait pas comme dans les oeuvres de Beckett. Elle n'est pas cette grande figure ombrageuse qui, comme un trou noir, aspire tout, désirs, paroles et vie(s), mais une force latente qui inquiète les personnages au sein de leur existence quotidienne. Bien que cette crainte de l'immobilité finale ne soit que très peu apparente, qu'occasionnellement présente textuellement, n'empêche qu'elle habite constamment les personnages osteriens. À ce titre, cette présence-absence de la mort est chez Oster à l'origine d'une poétique forte et cohérente du roman comme déplacement et mouvement : les personnages se déplacent (en voiture, en transports en commun, etc.) pour contrer l'ennui, l'oisiveté et, surtout, l'immobilité, signe de la mort. Cette crainte de l'arrêt final, qui se lit notamment dans les thèmes privilégiés du passage du temps – ce « grand muet » (Oster, 2013, p. 56) – et du vieillissement, motive le déplacement. Or cette intuition que les choses, personnages et paroles se doivent de constamment se mouvoir, met à nue moins une volonté du mouvement qu'un évitement de l'immobilité. Le déplacement est plus subi que désiré. Il est par ailleurs fort éclairant, pour saisir la poétique d'Oster, de découvrir dans les entretiens lors desquels l'écrivain déploie sa poétique et sa pensée du roman un écrivain très peu conflictuel, fortement pacifié. Sans être en dehors des récits de l'histoire littéraire, Oster ne se réclame pas réellement d'écrivains ou d'écoles littéraires (quand il le fait c'est sans grande insistance), pas plus qu'il ne s'oppose farouchement à d'autres. Le déplacement comme moteur de la poétique osterienne traverse et organise l'ensemble du discours de l'écrivain sur sa pratique romanesque, de la question de l'écriture, à celle du personnage et, de manière générale, à la question du roman comme forme. Le présent travail, à partir des entretiens donnés par l'auteur, propose un rapide parcours de ces « niveaux » (écriture, personnage, roman) qui fondent la pratique romanesque osterienne. En filigrane, la trajectoire éditoriale de l'écrivain apparaît, de sa première publication aux Éditions de Minuit en 1989 à son transfert aux Éditions de l'Olivier en 2011, date à partir de laquelle l'écrivain occupe une place médiatique plus importante. Cette participation tardive au jeu de l'entretien explique d'ailleurs le ton souvent rétrospectif de sa réflexion sur son art. D'abord publié aux Éditions de Minuit, Christian Oster est fréquemment associé au groupe d'écrivains repérés par Jérôme Lindon, dont le célèbre éditeur a qualifié leur style d'écriture d'impassible : il s'agissait d'un adjectif pour désigner la banalité de leur style, souvent reçu comme froid et distant. Dans un entretien à quatre animé par Dominique Viart et Dominique Rabaté, dans lequel figurait également le poète Antoine Emaz, Viart questionnait Oster à savoir s'il croyait le qualificatif « impassible » toujours à même de cerner la singularité de sa plume. Sans totalement rejeter l'hypothèse, Oster répondait, certes, que cette « notion a[vait] du sens » (Rabaté, Viart, 2009, p. 290), mais qu'elle était en revanche an angle « limitatif » (Ibid.) de compréhension de son style. Affirmant que la notion d'impassibilité était peut-être périmée, l'écrivain s'expliquait : « Je crois que je ne suis pas le seul à avoir évolué vers la volonté de faire émerger l'affect, c'est-à-dire de faire en sorte que le travail de la langue n'enfouisse pas ni l'affect ni, pour ce qui me concerne, le propos narratif auquel je suis très attaché. » (Ibid.) Oster a cependant conscience, en relativisant son étiquette d'écrivain impassible, d'opérer un « choix esthétique » (Ibid., p. 290-291) en regard du genre du roman. Pour l'écrivain, ce pari de l'impassibilité était « au départ une espèce de pente naturelle, de réaction de défense par rapport à […] une / pudeur qui consiste à se méfier du genre romanesque et à le désigner comme tel. […] Comme il est très solide, comme cet aspect défensif chez moi est très solide, et chez les autres c'est parfois pire, je peux m'atteler à le combattre pour essayer de faire surgir l'affect. » (Ibid.) Si ce combat avec l'impassibilité est ce qui permet de faire surgir les affects et le romanesque chez Oster, cette lutte est aussi ce à partir de quoi le sujet (la subjectivité) fait son apparition dans le texte. En atténuant la notion de blancheur pour qualifier son oeuvre, comme il atténuait celle d'impassibilité, Oster montre que ce n'est que par contraste avec d'autres romanciers au style plus éclatant qu'il est possible de penser ses propres romans en termes de neutralité de style et d'impersonnalité :
Comme le croit Oster, « de toute façon, écrire c'est rechercher une forme comme en peinture » (Auger, 2006, p. 125). La neutralité du sujet, de l'affect et du style ne l'est qu'en comparaison d'autres formes de subjectivités, d'expériences sensibles et de styles. L'écriture comme le personnage osteriens, bien que caractérisés par leur nature peu conflictuelle, ne sont jamais neutres, même si, comme l'explique l'écrivain, ils peuvent produire des effets de blancheur. Antoine Emaz, dans l'entretien animé par Viart et Rabaté, répondait aux questions sur la blancheur et l'impassibilité de son écriture en se rapportant à ce qu'André du Bouchet, parlant de Reverdy, désignait en tant « [qu']images invisibles » (Rabaté et Viart, 2009, p. 295). De l'avis d'Emaz, « Reverdy a été le premier théoricien de l'image » (Ibid.), plus spécifiquement de cette image invisible qu'on ne reconnaît pas d'abord et qu'on ne voit pas passer dans la lecture, mais qui demeure tout de même une image. Pour exposer la singularité de ces images invisibles, Emaz explique : « Elle fait presque partie de la normalité. Il y a ces images invisibles chez moi. […] Ce que je n'aime pas, c'est quand l'image clinque et c'est en ce sens-là que je n'aime pas l'image surréaliste ni le “stupéfiant image”. » (Ibid.) Pour Oster, qui entérine les propos de son collègue poète, c'est précisément « ce qui différencierait [leurs] écritures [celle d'Emaz et la sienne] de ce qu'on appellerait une écriture blanche, strictement blanche » (Ibid., p. 296). Ni complètement absente, ni trop évidente, la qualité de l'image invisible résume à elle seule la mesure qui caractérise l'entreprise romanesque d'Oster. Ce qu'il appelle l'« aventure minimale » (Oster et Podalydès, 2015) se joue tant dans les micros déplacements que les images provoquent sur le plan de la langue que sur le tableau des infimes perturbations qui dévient le cours de la narration. Oster concède aisément que c'est ce qu'il essaie « de faire dans [s]es romans, de pas aller trop loin, mais de faire en sorte que… il apparaît des choses, il surgisse des choses : l'émotion et tout ça » (Ibid.). C'est toutefois graduellement que ces images invisibles se sont inscrites dans l'oeuvre d'Oster. À propos de Volley-Ball, son premier roman, publié chez Minuit en 1989, l'écrivain rappelle l'obstination avec laquelle il rejetait consciemment toute forme d'image ou d'analogie : « dans mon premier roman qui s'appelle Volley-Ball, il y a un refus conscient, délibéré et constant de la métaphore, c'est-à-dire que dans Volley-Ball il n'y a aucune métaphore. C'était voulu, c'était recherché. » (Rabaté et Viart, 2009, p. 294) Dans sa production romanesque récente, il admet avoir opéré un changement, ayant trouvé l'équilibre et la minutie qui caractérisent si bien son travail : « Je ne refuse pas la métaphore, je ne refuse pas la non-métaphore, je ne refuse rien, j'écris ce qui me vient, c'est tout. » (Ibid.) Or, du moment qu'elle s'installe dans son écriture, la métaphore, notamment, donne lieu, oui, à une aventure minimale et à ce qu'Oster appelle après Jean Ricardou une « aventure de l'écriture »; car si la trame narrative est effectivement peu riche en rebondissements hauts en couleur, c'est dans l'attention à la prosodie et au rythme, au grain de la langue, à savoir pour Oster dans le « mouvement de l'écriture » (Ibid., p. 292), que naissent des surprises, des combinaisons fortuites, des agencements lexicaux et conceptuels étonnants. Oster pousse par ailleurs cette logique d'un mouvement interne à l'écriture en posant une préséance de la forme sur le sens : « Je ne peux pas continuer à écrire si je sens pas de rythme, je peux pas finir une phrase si je sens pas qu'elle chute, non pas de façon spectaculaire, mais musicalement ou rythmiquement, qu'elle chute bien. Parfois y a rien, une syllabe de trop, je sais pas. C'est une question de rythme. » (Evin, 2015) Au bout du compte, rejetant l'idée d'une « alchimie mystérieuse » de l'écriture (Rabaté et Viart, 2009, p. 292), Oster conçoit tout de même l'invention et la découverte dans le cadre de l'acte d'écriture au centre de sa démarche romanesque : « Vous savez, ce sont des phrases qui s'aboutent, au sein de la même phrase les mots s'aboutent les uns aux autres […]. » (Evin, 2013) Oster d'ajouter que les mots, « parfois, font dériver du concret vers le mental, et quelque chose de concret peut très bien amener comme ça au détour d'une ligne, à une considération mentale. Tout est mélangé et tout est lié, en fait, à ce que quelqu'un que j'ai bien connu appelait “l'aventure de l'écriture”. » (Ibid.) Le personnage, cet inconnu. À l'occasion de la parution de son roman En ville (2013), Christian Oster expliquait à Kathleen Ervin lors d'un entretien sur ce livre que, « jusqu'à présent, [il] connaissai[t] bien [s]on narrateur » et que « depuis quelques années, [il] le connai[ssait] de moins en moins bien » (Ibid.), ce qui force désormais l'écrivain à se lancer à sa découverte : « Je pars à sa recherche en cours d'écriture et j'essaie de le définir au fur et à mesure. » (Ibid.) Parlant d'un personnage du roman, Oster renchérit : « Moi, je la connais pas cette femme-là, pas plus que les autres. En fait je ne connais personne dans ce livre et ce sont des gens que je découvre au fur et à mesure et qui véhiculent un certain nombre de pensées que moi, effectivement, je peux avoir. » (Ibid.) À partir de cette représentation du personnage comme inconnu, la réflexion d'Oster se déploie sur deux plans distincts : un premier qui concerne des éléments d'ordre narratif (description des personnages, caractérisation de leur psychologie et de leur biographie) et un second plan sur lequel se joue une réflexion existentielle enclenchée à partir de la notion de personnage, qui concerne plus généralement la vie. La conception osterienne du personnage semble au premier coup d'oeil recouvrir un aspect ésotérique, non loin du discours des écrivains qui se disent guidés dans l'écriture de leur roman par des personnages autonomes, préexistants au travail d'écriture, et qu'ils n'auraient qu'à reconnaître. Chez Oster, cette découverte est cependant moins celle d'un individu indépendant de la conscience de l'écrivain qu'une forme de disponibilité et d'attention à ce qui surgit de non planifié dans l'écriture de dialogues, de péripéties ou d'intrigues romanesques. Les personnages d'Oster sont ainsi remarquables par la pauvreté de leur description psychologique comme par l'absence presque totale d'éléments de biographie. L'écrivain explique qu'il fournit très peu « de détails sur l'apparence physique du personnage » (Evin, 2015) tout en précisant que cette parcimonie relève d'un enjeu banalement narratif : « lorsqu'on écrit à la première personne, à moins de verser dans le genre “je me suis regardé dans la glace, je me suis trouvé gras, etc.” ou “je suis un homme de telle taille, j'ai telle complexion”, ce qui est aussi un genre presque littéraire, que je ne pratique pas […]. » (Ibid.) Plus frappant encore, les personnages et narrateurs osteriens ne présentent que des indications biographiques ténues, si bien qu'ils paraissent bien souvent tombés du ciel : « Si je place un personnage dans une situation donnée, je fais l'économie du récit de son passé, mentionnant seulement qu'il vient d'être quitté : le deuil amoureux est d'ailleurs un sujet récurrent dans mes textes car je ne suis pas hostile à la variation infinie sur le même thème […]. » (Auger, 2006, p. 127) Le personnage osterien est en quelque sorte un homme sans qualités, mais cet état initial du personnage est cependant moins une valeur lui étant intrinsèque qu'un dispositif d'écriture qui force à instaurer dans le roman une dynamique du déplacement. Oster propose ainsi « [qu']il est possible que les rencontres que fait le narrateur au cours de son voyage […] servent d'une part à le révéler au lecteur et à le révéler [à lui-même], car [il] ne le connais pas au départ » (Oster, 2011). Chez Oster, le personnage n'est presque jamais guidé par sa propre volonté. Ce sont toujours des événements hors de son contrôle (rencontres hasardeuses, accidents ou mort d'un ami, par exemple), c'est-à-dire des forces qui lui sont extérieures, qui le font agir. Dans un entretien à l'émission L'humeur vagabonde, l'animatrice Kathleen Ervin notait à ce propos l'allure « flottante » (Evin, 2013) du narrateur du roman En ville. Oster expliquait :
L'inconnaissance du personnage est chez Oster, dans un premier temps, reliée directement à des problèmes d'écriture qui concernent le scénario (c'est le terme qu'emploie fréquemment Oster) du roman et à une manière de mettre en scène le personnage : des événements qui forcent le personnage à sa déplacer et à avoir des interactions révèlent sa nature. Or à travers cette conception du personnage, Oster est conduit à une réflexion de nature plus profonde sur la question de la vie, sur l'expérience de ce que signifie être en vie. Il note à cet égard un changement dans sa carrière d'écrivain : « je bascule de problèmes, disons, sentimentaux vers des problèmes, avec tous les guillemets qu'on voudra, que je qualifierais disons d'“existentiels”. » (Ibid.) Le peu d'intériorité des personnages et leur faible volonté installent une réflexion sur l'identité et la vie. Oster précise :
L'homme sans passé, plongé dans un rapport direct avec le présent et l'événement, débouche sur l'idée intéressante du personnage comme une surface de contact (une interface) avec le monde. Penser le personnage selon une intimité de la surface, c'est exposer le personnage aux événements, mais c'est également fragiliser l'idée d'un moi absolument permanent comme fondement moral des personnages. Avec une certaine hardiesse conceptuelle, mais dans la droite logique de cette représentation du personnage, c'est la notion même d'identité que l'écrivain met à mal : « l'identité est un concept auquel je crois pas beaucoup, je crois qu'on existe essentiellement sous le regard des autres » (Oster, 2011). Oster ajoute : « L'identité, c'est-à-dire ce qu'est profondément le personnage, c'est pas tellement le problème. Cela dit, le personnage est travaillé par un certain nombre de choses : il est travaillé par le temps, par la mort, par l'amour aussi d'une certaine façon, par ce qui habite les hommes de façon générale. » (Ibid.) Le déplacement géographique est d'abord provoqué chez Oster par des éléments qui relèvent de la réalité concrète, matérielle : un dîner, un rendez-vous d'affaires, une visite chez un ami. Or le déplacement s'effectue également sur le plan psychologique. À propos du narrateur d'En ville, la plupart du temps indécis et incapable de nommer les sentiments qui l'habitent, Oster dit néanmoins :
L'intimité de surface ressort enfin à une intention d'écriture pour Christian Oster, qui avoue ne pas vouloir « trop dévoiler les personnages. » (Auger, 2006, p.130) « Je préfère, affirme-t-il, qu'ils gardent leur mystère et donc leur attrait. De plus, je n'aime pas les dialogues, je préfère les tronquer. Et puisque règne le plus souvent un climat de tension, les personnages ne se disent pas tout. » (Ibid.) Oster conclut : « Je pense que c'est une propension, quand même chez moi, à essayer d'aller chercher de l'étrangeté, comme ça instinctivement, qui fait que les personnages sont effectivement, non pas borderline… [Kathleen Evin enchaîne et qualifie les personnages osteriens de « carrément bizarres »]. » (Evin, 2015) Le roman du déplacement et l'expérience vécue. Le quotidien paraît se lier inévitablement dans les romans de Christian Oster au problème (insoluble) du réel. L'auteur affirme : « J'ai besoin, j'ai envie que les situations soient très visuelles, très palpables, d'où sans doute mon attention à certains détails, mais qui n'est pas une intention non plus, même si elle l'a été par le passé, hyper réaliste. […] Écrire c'est, écrire notamment des romans, c'est focaliser sur son objet. » (Evin, 2013) Il ajoute ailleurs que « les références au réel sont absolument nécessaires pour ancrer le roman dans un contexte. Même si l'on peut prendre quelques libertés avec le genre romanesque qui est hétérogène, un mixte de sens et de sang et une fiction, on doit conserver ce lien avec l'expérience vécue. » (Auger, 2006, p. 127) Le quotidien, qui émerge à travers l'insertion d'objets banals et de lieux concrets dans le roman, semble alors être synonyme de réalité, mais le rabattement d'un terme sur l'autre n'est peut-être pas si naturel, d'autant plus qu'Oster refuse le terme « quotidien » au profit d'une notion qui se rapproche de ce qu'il appelle l'« expérience vécue » : « Je pars d'une situation qui est à la fois extrêmement simple (j'entends souvent l'adjectif “quotidien” qui fait sourire car le quotidien n'existe absolument pas, il n'y a que la vie) qui est une situation de rencontre amoureuse. Je la développe et je l'inscris dans un cadre concret. » (Rabaté et Viart, 2009, p. 291) Expérience vécue et vie : voilà le noeud de l'affaire – qui n'est pourtant pas plus simple. Or, si comme le pense Oster, il y a deux types de lecteurs : « ceux qui cherchent à augmenter leur connaissance de la vie, à puiser un savoir; et […] ceux qui visent le plaisir immédiat, la jouissance » (Auger, 2006, p. 130), il se positionne pour sa part dans le second camp : « Je ne cherche pas à apprendre en lisant; les livres que je lis sont ceux qui m'emportent, me déstabilisent. » (Ibid.) Ce qu'il nomme, en ce sens, la « situation a priori » de ses romans répond à cette exigence d'être déstabilisé (bien que pas dans tous ses romans). Une situation hors de l'ordinaire, néanmoins traitée comme banale lance souvent les romans de l'écrivain, comme il l'explique lui-même à propos du roman Le coeur du problème :
L'humour et l'ironie jouent un rôle similaire (celui de déstabiliser le lecteur) chez Oster, même s'il rappelle, citant Raymond Queneau, qu'« il faut se méfier de l'humour » (Evin, 2013), et qu'il attribue l'émergence de l'humour dans ses livres aux hasards de l'écriture : « moi j'écris pas pour faire rire a priori, j'écris pas des romans du genre comique, mais de temps en temps, et même assez souvent, quelque chose se profile dans l'écriture qui fait que soi pour des raisons de burlesque ou de pensée de soliloque, on sent pointer quelque chose de l'ordre de l'humour, de la drôlerie, etc. » (Ibid.) Il précise que si ces passages plutôt humoristiques ne détonent pas, il les conserve, mais toujours avec la même prudence qu'on lui connaît : « Les passages qui sont un peu distants ou décalés ou burlesques ne sont pas des passages prémédités, c'est parce qu'à un moment donné, les propos se prêtent à ça. » (Rabaté et Viart, 2009, p. 291) Ce qu'Oster appelle l'expérience vécue semble correspondre aux sentiments d'être décalé, troublé et déstabilisé, sentiments qui habitent la plupart de ses livres et qui font que le monde cloche insensiblement, qu'il paraît pour cela difficilement habitable. Si parfois c'est l'humour qui engendre cet affect, d'autres fois, et à vrai dire le plus souvent, c'est la question du temps qui file et nous rapproche ainsi de la mort. À propos de son roman Rouler, Christian Oster formule des propos recoupant en tous points son commentaire sur le film Comme un avion Bruno Podalydès :
S'il affirme ne pas avoir « de projet particulier » (Oster, 2012) pour ses romans, Oster réitère tout de même fréquemment que « tous [s]es romans parlent du temps et de l'écoulement du temps, du vieillissement, d'une forme de désillusion aussi […] » (Ibid.) et qu'il fait donc des romans « sur le temps avec des vues, comme ça, ponctuelles sur ce que c'est que ça, le ressenti de ça, le vécu de ça » (Ibid.), c'est-à-dire le temps qui s'écoule. Le déplacement (physique et psychologique) des personnages, comme résistance à la mort, occupe le centre de la poétique et du discours d'Oster sur le roman. Il affirme sans détour que « le roman est déplacement dans le temps et l'espace : c'est une caractéristique du genre romanesque (voyez les romans de Jean Echenoz). Je n'imagine donc pas un roman sans déplacement. » (Auger, 2006, p. 129) Comme toujours, un déplacement mental s'ajoute chez lui au déplacement géographique, qui sont tous les deux des stratégies d'écriture qui permettent de placer « potentiellement en danger le personnage » (Ibid.). Tout se passe en somme comme s'il concevait le roman comme l'expérience du sentiment d'être déplacé (jusqu'au déplacement terminal) et la conjuration de cette crainte latente par le mouvement. Oster clôt ainsi sa pensée du roman sur une tentative de réconciliation de soi avec le monde, qui passe par l'écriture et qui se joue à la surface de soi et des autres, toujours oblitérant la connaissance profonde de l'intériorité : « Je n'écris donc pas pour mieux me connaître ou connaître les autres, mais pour être en accord avec le monde. J'écris pour pouvoir vivre, simplement. […] Le monde ne s'approprie que par l'écriture. » (Ibid. 130) Bibliographie :
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Bibliographie
Ouvrages cités |
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La plupart des citations incluses dans la bibliographie sont des retranscriptions d'entretiens donnés par l'écrivain Christian Oster. Ces entretiens, pour la majorité, sont d'ailleurs assez récents, l'écrivain semblant ne s'être prêté que tard dans sa carrière d'écrivain au jeu médiatique. La bibliographie, en plus de cerner de la manière la plus exhaustive possible le discours d'Oster sur sa pratique de romancier, comprend deux brèves entrevues sur son travail en littérature de jeunesse avec, notamment, des propos fort pertinents sur le genre du conte. |
« Christian Oster et Bruno Podalydès à propos de "Comme un avion" », Ciné-Club du libraire du 4 juillet 2015, dans Youtube, [en ligne], page consultée le 13 novembre 2017. AUGER, Françoise, « Entretien avec Christian Oster », dans Mura-Brunel, Aline (dir.), Christian Oster et Cie. Retour du romanesque, Amsterdam - New York, Rodopi, 2006, p. 125-130. « Rencontre avec Antoine Emaz et Christian Oster, Dominique Rabaté, Dominique Viart », dans D. Rabaté et D. Viart (dir.), Écritures blanches, Saint-Étienne, Publication de l'Université Saint-Étienne, 2009, p. 285-296. EVIN, Kathlenn, « Christian Oster », L'humeur vagabonde, mars 2013, dans France Inter, [en ligne], page consultée le 18 novembre 2017. EVIN, Kathleen, « L'écrivain Christian Oster », L'humeur vagabonde, septembre 2015, dans France culture, [en ligne], page consultée le 15 novembre 2017. OSTER, CHristian, « Christian Oster - Rouler », dans Librairie Mollat, 2011, [en ligne], page consultée le 15 novembre 2017. OSTER, Christian, « Christian Oster - Le coeur du problème », dans Libraire Mollat, 2015, [en ligne], page consultée le 28 novembre 2017. OSTER, Christian, « Christian Oster - En ville », dans Librairie Mollat, 2012, [en ligne], page consultée le 22 novembre 2017. OSTER, Christian, « Christian Oster - La vie automatique », dans Librairie Mollat, 2017, [en ligne], page consultée le 15 novembre 2017. OSTER, Christian, « Christian Oster, auteur du roman Le chevalier qui cherchait ses chaussettes », L'école des loisirs, dans Youtube, [en ligne], page consultée le 17 novembre 2017. OSTER, Christian, « Christian Oster auteur du roman L'invitation faite au loup », L'école des loisirs, dans Youtube, [en ligne], page consultée le 22 novembre 2017. |
Citations
« Christian Oster et Bruno Podalydès à propos de "Comme un avion" », Ciné-Club du libraire du 4 juillet 2015, dans Youtube, [en ligne], page consultée le 13 novembre 2017. |
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Ce dont je me sens proche, c'est cette poésie et, j'aime pas du tout ce mot-là, mais, pas du quotidien, mais cette aventure minimale qui, en même temps, est très forte en émotion. Ici, dans ce film, aussi beaucoup en joie (quelque chose que j'ignore aussi un petit peu dans mes livres). Je trouve qu'il y a une mélancolie dans le film, mais c'est quelque chose de très, très revigorant et d'optimiste. Et donc ces aventures qui sont très, a priori, qui se passent dans un espace extrêmement réduit, c'est ça qui est fascinant et qui en même temps, moi personnellement, comme spectateur m'emporte. Et c'est ce que j'essaie aussi de faire dans mes romans, de pas aller trop loin, mais de faire en sorte que… il apparaît des choses, il surgisse des choses : l'émotion et tout ça. |
AUGER, Françoise, « Entretien avec Christian Oster », dans Mura-Brunel, Aline (dir.), Christian Oster et Cie. Retour du romanesque, Amsterdam - New York, Rodopi, 2006, p. 125-130. |
Quels sont les romanciers qui ont joué un rôle décisif dans votre désir d'écrire, qui vous ont influencé? p. 125 |
« Rencontre avec Antoine Emaz et Christian Oster, Dominique Rabaté, Dominique Viart », dans D. Rabaté et D. Viart (dir.), Écritures blanches, Saint-Étienne, Publication de l'Université Saint-Étienne, 2009, p. 285-296. |
Dominique Viart : Ce sont, on vient de l'entendre, deux écritures éminemment différentes. Aussi un effet de scandale peut-il saisir la pensée quand on les rassemble sous l'étiquette peut-être hasardeuse « d'écriture blanche ». Que signifie pour vous cette expression d'écriture blanche? Est-ce qu'elle fait sens pour vous qui ne la revendiquez explicitement ni l'un, ni l'autre? Et si oui, quel sens cela a-t-il par rapport à votre propre travail? p. 288 |
EVIN, Kathlenn, « Christian Oster », L'humeur vagabonde, mars 2013, dans France Inter, [en ligne], page consultée le 18 novembre 2017. |
À l'occasion de la parution du roman de Christian Oster En ville, 2013
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EVIN, Kathleen, « L'écrivain Christian Oster », L'humeur vagabonde, septembre 2015, dans France culture, [en ligne], page consultée le 15 novembre 2017. |
Kathleen Evin : Christian Oster, c'est votre marque de fabrique aussi dans vos livres, d'abord on est toujours dans la tête du personnage principal, et comme lui parfois on s'évade dans des détails, dans des choses qui ont l'air apparemment, complètement en dehors du fil de l'histoire et au fond cette accumulation de détails elle finit par décrire tellement précisément le personnage qui, par ailleurs n'est pas physiquement décrit, c'est une forme d'écriture qui vous est personnelle et qui est très intrigante, parce que le lecteur du coup apprend des choses sur le personnage que vous ne lui racontez pas. |
OSTER, Christian, « Christian Oster - Rouler », dans Librairie Mollat, 2011, [en ligne], page consultée le 15 novembre 2017. |
* Les questions ne sont pas entendues dans l'entretien, seulement les réponses d'Oster. |
OSTER, Christian, « Christian Oster - Le coeur du problème », dans Libraire Mollat, 2015, [en ligne], page consultée le 28 novembre 2017. |
* Entrevue réalisée en 2015 à l'occasion de la parution du roman Le coeur du problème. Seules les réponses sont audibles; les questions ne le sont pas. |
OSTER, Christian, « Christian Oster - En ville », dans Librairie Mollat, 2012, [en ligne], page consultée le 22 novembre 2017. |
* Entretien paru en 2012 à l'occasion de la publication du roman En ville. Seules les réponses sont audibles; les questions ne le sont pas. |
OSTER, Christian, « Christian Oster - La vie automatique », dans Librairie Mollat, 2017, [en ligne], page consultée le 15 novembre 2017. |
* Les questions ne sont pas connues, seulement les réponses d'Oster. |
OSTER, Christian, « Christian Oster, auteur du roman Le chevalier qui cherchait ses chaussettes », L'école des loisirs, dans Youtube, [en ligne], page consultée le 17 novembre 2017. |
Je commence une histoire de différentes manières, ça dépend comment ça se présente : une phrase de début, une idée d'association de thèmes. Je vais vous donner un exemple, une histoire qui s'appelle La salade maudite, je me suis dit : « je vais raconter une histoire de légumes, mais pour changer j'aimerais bien mixer, si j'ose dire, le légume avec de la féérie classique. » J'ai mis une princesse ou un prince, je me souviens plus, sur le chemin de la petite salade qui se promène dans la campagne. Et puis voilà, deux univers qui se rencontrent. Sauf que je me souviens aussi que le démarrage de cette histoire, que j'ai commencé à écrire dans le train, c'était une phrase particulièrement niaise qui était : « Il était une fois une jolie mignonne petite salade qui se promenait toute seule dans la campagne », le genre de petite phrase qu'on lance pour raconter à un enfant pour l'endormir. Alors, je me suis dit : « je la garde parce qu'elle est exemplaire. » Exemplaire de niaiserie, de simplicité. |
OSTER, Christian, « Christian Oster auteur du roman L'invitation faite au loup », L'école des loisirs, dans Youtube, [en ligne], page consultée le 22 novembre 2017. |
L'idée de départ est ce pitch des homonymies. C'est parti de là. À partir de là il fallait que j'invente un jeu, puis une raison d'en arriver à ce jeu. Bon, ça va, je l'ai trouvée, elle est presque naturelle : le cochon en a marre de se faire courir après. Il a fallu que j'invente un cochon qui court très vite. |