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(1954-...)

Dossier

Le roman selon Sylvie Germain

Des profondeurs vers la lumière, de l'informulé vers le langage : Sylvie Germain ou l'aventure mystique du roman

Écrire un roman, c'est à chaque fois partir à l'aventure – dans le langage, les territoires de l'imagination, les grands espaces de la mémoire, dans l'inconnu, et même l'insoupçonné de soi, des autres.  - S. Germain

Introduction : de la thèse au roman.

C'est d'abord par intérêt personnel que j'ai choisi de me pencher sur la vision du roman que présente la romancière française contemporaine Sylvie Germain. Cela me permettait, du même coup, de faire entrer une femme de plus dans notre bibliographie en ligne, principalement masculine. Or je ne me doutais point que l'oeuvre de Sylvie Germain avait autant intéressé la critique – en effet un nombre considérable de colloques, de journées d'étude et d'ouvrages collectifs lui ont été consacré ces dernières années –, mais surtout, c'est avec surprise que j'ai pu constater qu'elle avait énormément réfléchi à la question du roman, au point d'avoir mis sur pied sa propre « petite théorie ». L'expression est la mienne, elle ne lui plairait certainement pas, car Sylvie Germain met justement de l'avant une conception à la fois introspective et anti théorique du roman – cette forme relève de l'expression de ce qu'il y a de plus profondément enfoui au fond de soi. Or il m'a semblé que c'était néanmoins ce qu'elle faisait.

Cette « petite théorie », elle la développe principalement dans son essai portant sur l'art du roman, Les personnages, publié en 2004 chez Gallimard, qui, comme son titre l'indique, porte sur la notion de personnages romanesques. Si cet essai constitue la principale ressource sollicitée dans ce travail, je convoquerai également plusieurs entrevues (ou entretiens) qui permettront de compléter ce tour d'horizon de la pensée du roman chez Sylvie Germain. En effet, la romancière a donné, au cours de sa carrière, de nombreuses entrevues portant sur son processus d'écriture, et même lorsque les questions qui lui sont posées portent sur un roman en particulier, elle saisit presque systématiquement l'occasion pour élaborer sur la forme romanesque en général.

La romancière est née en 1954, en France ; elle a fait des études de philosophie auprès d'Emmanuel Lévinas dont la pensée l'a « beaucoup marquée et nourrie » et avec qui elle a rédigé une thèse de doctorat portant sur le visage humain. Elle a ensuite vécu à Prague pendant quelques années où elle a enseigné le français et la philosophie et c'est dans cette ville qu'elle a écrit son premier roman, Le livre des nuits qui remporte six prix littéraires lors de sa parution. Elle revient ensuite en France où elle se consacre entièrement à l'écriture. Auteure très prolifique, elle a écrit plus d'une douzaine de romans et presque autant d'essais. À noter que la plupart de ses textes essayistiques ne portent pas principalement sur la littérature, mais relèvent le plus souvent du domaine du religieux, de l'éthique et du spirituel. Elle a aussi produit plusieurs récits poétiques en prose dont le plus connu est sans doute La pleurante des rues de Prague qui relate les apparitions inquiétante d'une femme sans visage et au corps immense qui erre, claudiquant, dans la capitale tchèque, portant sur ses épaules le poids de la souffrance de ceux que l'Histoire a oubliés.

Quand on lui demande s'il lui a été difficile de passer de la thèse au roman, Sylvie Germain répond qu'au contraire, cela s'est fait tout naturellement, qu'après huit années d'étude en philosophie à l'Université, les questions qui l'avaient le plus « taraudée » étaient « restées ouvertes, toujours à vif ».  Elle les a donc abordées par « une autre voie, la romanesque, hors concept » et elle s'est sentie plus à l'aise dans cet espace, car elle n'était « pas faite pour être philosophe, au sens rigoureux du terme (S. Germain 2005, p. 151).

Si Sylvie Germain se montre avare de détails biographiques, elle est un peu plus bavarde lorsqu'il s'agit de présenter ses influences littéraires. Les grands classiques français – sans nier en avoir lu plusieurs –, elle dit sans gêne ne pas les connaître très bien et affirme que ceux-ci n'ont pas été déterminants dans son parcours. On a souvent souligné la parenté de ses romans avec l'univers du conte, parenté que Sylvie Germain confirme tout à fait : enfant, elle dit n'avoir pas beaucoup lu, mais aimait plutôt « entendre » des histoires et des contes. Elle dit : « cela a certainement beaucoup joué pour moi, les contes sont une véritable ouverture, une forme de compréhension du monde ». Elle poursuit : « le réel n'est pas du tout seulement à deux dimensions » et « passer parfois par le biais de ce qu'on appelle le merveilleux ou un certain fantastique » peut aider à le révéler (A. Schaffner et S. Germain 2005 a, p. 257)) Sa jeunesse quant à elle aurait été marquée par les écrivains scandinaves, allemands « et surtout russes (Dostoïevsky en tête) »( A. Dichy, A. Goulet et S. Germain 2015, p. 159) elle et avoue avoir toujours eu cette inclinaison pour l'Est et le Nord. Au début de l'âge adulte, elle dit avoir redécouvert l'univers du religieux – son mémoire de maîtrise portait d'ailleurs sur l'ascèse chrétienne – et, nombreux sont les critiques à le souligner, les Écritures constituent le premier intertexte de son oeuvre romanesque. En entrevue, elle multiplie les références aux figures religieuses – à quelques reprises elle dit « pense[r] souvent à la femme de Loth, qui se change en statue de sel » (Ibid., 154) et c'est d'ailleurs le sort que connaît un de ses personnages féminins dans Le livre des nuits – et elle explique que les textes bibliques, du fait de leur intemporalité, renferment une précieuse connaissance de l'être humain : « Les mythes, les grands textes religieux, parlent en profondeur de l'humain dont ils sondent les abîmes, versant lumière et versant pénombre. Ils nous parlent de nous-mêmes, toujours d'une étrange et vivace actualité à travers les siècles, les millénaires » ( N. Colleville et S. Germain 2006267) .

Parler de l'être humain en en sondant les « profondeur[s] » et les « abîmes », tirant vers la « lumière » ce qui jusque-là demeurait caché dans la « pénombre », c'est aussi, précisément, ce que permet et ce que fait le roman, selon Sylvie Germain. Je me pencherai d'abord sur son rapport aux « images», véritables points de départ de l'écriture et sur lesquelles elle revient sans cesse en entrevue. Puis je m'attarderai à sa « petite théorie » du personnage, avant d'arriver aux différentes définitions que propose Sylvie Germain du métier et du travail de romancier. Je terminerai sur le caractère mythique, mystique et allégorique de sa pensée du roman et qui la rend singulière et la distingue des autres conceptions contemporaines du genre.

I. Aux sources du romanesque : l'inconscient, l'imaginaire et « l'image mentale » ou comment « écrire un roman est toujours une aventure ».

« Écrire c'est descendre dans la fosse du souffleur pour apprendre à écouter la langue là où elle se tait, entre les mots, autour des mots, parfois au coeur des mots » (S. Germain 2005, p. 12): c'est sur cette remarque métaréflexive portant sur le geste d'écriture que s'ouvre le roman Magnus. Dans une entrevue ayant pour sujet ce dernier opus, la romancière explique que cette « fosse du souffleur » est une « image (parmi bien d'autres) de ce fond d'inconscient, de mémoire et d'oubli mêlés que nous portons tous et où se fabrique notre imaginaire » (N. Colleville et S. Germain 2006, p. 268). En effet, à la question : « qu'est-ce qui “provoque” le roman chez vous ? », Sylvie Germain est sans équivoque : « des images réelles ou oniriques» (M. Magill et S. Germain 1999, p. 335). Mais avant de m'arrêter plus longuement sur la notion d' « image », j'en profite pour souligner le recours que fait Sylvie Germain (toujours dans cette citation tirée de son entrevue sur Magnus) à deux concepts – souvent critiqués par les études littéraires, mais qui, chez Sylvie Germain, semble semblent aller tout naturellement de pair avec la pratique du roman –, soit l'inconscient et l'imaginaire collectif, qui sont justement intimement liés à ces fameuses « images ». 

En ce qui concerne le présupposé d'inconscient, il faut dire que chez Sylvie Germain l'écriture romanesque semble se situer quelque part à mi-chemin entre le rêve et la réalité ; on y est « comme dans un rêve diurne, une rêverie incluant l'attention » (Ibid., p. 338) affirme-t-elle. Ainsi, « écrire, c'est à la fois donner libre cours à l'inconscient, à l'imagination, à l'imprévu, et aussi tendre son attention, observer les autres, travailler sur le vraisemblable. De toute façon le rêve et la réalité s'interpénètrent constamment » (Idem). En d'autres mots, il s'agit de travailler de façon consciente et rigoureuse sur ce qui émane de l'inconscient. Quant à cet autre présupposé théorique de Sylvie Germain, celui d'un imaginaire collectif, la romancière le définit ainsi : 

Notre imaginaire est pétri par toute une mémoire sociale, collective et culturelle. Les animaux, les arbres, les plantes, les couleurs, ne représentent pas les mêmes symboles selon les différentes cultures. Quand on écrit on puise plus ou moins consciemment dans un vaste fonds commun de références, de valeurs, d'images. (M. Magill et S. Germain 1999, p. 338). 

Ainsi, pour réconcilier ces trois termes, les « images » – aussi appelées les « image[s] mentale[s] » –, sont pour Sylvie Germain le produit de « notre » imaginaire collectif et elles se présentent à l'inconscient du romancier. 

En effet, dès son premier roman, Le livre des nuits, Sylvie Germain dit ne pas être partie d'une idée ou d'un projet, mais bien d'une image et elle affirme qu'« il en a toujours été ainsi par la suite », notant au passage que cela est « assez fréquent » chez les romanciers (A. Goulet et S. Germain XXX, p. 257). Ainsi, cette image qui s'est imposée à elle et qui a donné naissance à son oeuvre romanesque est celle de la lutte de Jacob avec l'ange dans la Genèse, telle que la représente Delacroix dans sa célèbre fresque, et qui incarne selon elle, une « métaphore splendide du destin de tout être humain », l'ange y figurant « une force qui nous dépasse » (Ibid., p. 258). 

Il faut dire que Le livre des nuits met effectivement en scène la lutte d'un homme, celle de Nuit-d'Or-Gueule-de-Loup et de sa descendance nombreuse, avec les forces obscures et belliqueuses de l'Histoire et vis-à-vis de laquelle il se « sent » tout à fait dépassé. Sylvie Germain affirme que « c'est à cause de cette image qu'[elle est] partie, sans savoir où [elle] allai[t], dans l'aventure romanesque» (Idem). Si elle emploie sans cesse le terme « aventure » pour référer à l'écriture romanesque, c'est en raison de la part d'imprévu qui lui est intrinsèque. En effet, lorsque le romancier entame sa quête, il ne sait pas où celle-ci le mènera, car les images sont bien souvent fuyantes, comme celle de la lutte de Jacob avec l'ange qui « se retirait à mesure [qu'elle] écrivai[t], et il [lui] fallu deux livres, soit presque sept cents pages en tout, pour arriver à une reprise de cette image » (Idem). 

À partir des différents propos tenus par Sylvie Germain sur « l'image » dans divers textes et entrevues, j'ai tenté de sortir du cas de figure de son premier roman et de dégager de manière plus générale les séquences du processus de création qu'elle suppose. Le premier moment semble correspondre avec l'apparition de l'image dans la conscience du romancier ; le deuxième – et c'est ce qui la rend déterminante pour un roman donné – avec sa persistance : « Quand une image s'impose, et dure dans son “arrêt”, je finis par essayer de la mettre en mouvement, pour savoir ce qu'elle a à me dire» (Ibid., p. 262). Elle explique qu'il « y a une sorte d'image mentale qui [lui] vient, qui se forme, et c'est le fait qu'elle perdure qui commence à [l]'intriguer » (D. Glaimain et S. Germain 2005, en ligne).

C'est donc un arrêt sur l'image qui provoque en elle le « désir d'écriture » et c'est là le point de départ de l'aventure romanesque : c'est « le rythme de l'écriture qui développe l'image, au sens photographique et narratif, et ce développement est à chaque fois une sorte d'aventure» (A. Goulet et S. Germain XXX, p. 262). Mais ce processus, qui est au fond celui de la mise en intrigue, est loin d'être linéaire et organisé. Au sujet des années d'écriture de Magnus, elle dit qu'une fois qu'elle a commencé à écrire, elle n'a « quasiment » pas eu l'idée d'où elle allait, de ce qui allait se passer. Et comme cette image elle l'a « ressassée pendant plus de deux ans », il a eu le temps de se passer « plein de choses » : 

Les lectures que vous faites, ce que vous entendez, ce que vous lisez dans les journaux, les choses anodines ou importantes, les choses de l'Histoire, ce qui vous arrive dans votre vie ou dans la vie des autres, les films, les émotions, les sentiments... Tout cela, l'air de rien, vient s'agglomérer, comme un phénomène de cristallisation autour de cette image mentale qui est là (D. Glaimain et S. Germain 2005, en ligne).

La romancière décrit ce processus de mise en récit comme étant « très rhizomatique », en ce qu'il se forme de « liens inattendus » tandis que « les souvenirs et vagues pensées remontés de l'oubli s'échevèlent en tous sens, s'entrelacent, forment de nouveaux réseaux d'images et d'idées… » (A. Goulet et S. Germain XXX, p. 259). Et c'est justement ce qui lui plaît dans l'écriture romanesque, ce qu'elle appelle « cette surprise à soi-même » et où « les mots appellent les mots » et où « les images provoquent d'autres images» (M. Magill et S. Germain 1999, p. 335). Bref, la romancière avoue ne jamais avoir de « plan de départ », ni même « d'idées précises » de là où elle va aller : « il y a juste un désir qui se met en mouvement et le récit s'improvise au fur et à mesure. Souvent j'ignore comment va évoluer l'histoire et les personnages m'échappent comme s'ils avaient une vie propre» (Idem). 

II. Les personnages romanesques et leur existence propre : le romancier « harcelé ».

On comprend assez rapidement que les fameuses « images » qui sont à l'origine des romans sont très souvent synonymes de « personnages », comme cela semble être le cas ici dans cette description de l'image qui lui fit écrire Magnus : « Celle-là, quand elle est venue, c'était un homme vu de dos au fond d'une sorte d'impasse, la nuit» (D. Glaimain et S. Germain 2005, en ligne). L'association entre les « images mentales » et « personnages » est explicitée dans la citation qui suit, l'image étant le moyen par lequel le personnage se présente à la conscience du romancier : 

Du début à la fin de sa visite sous forme d'image crypto-frontale, il [le personnage] reste seul. Des mois, des années, farouchement seul. Il ne se lève, ne s'anime et ne se laisse rejoindre par d'autres personnages qu'à partir du moment où son « hôte » décide enfin de se mettre en mouvement d'écriture pour tenter de convertir son image obsédante en récit (S. Germain 2004, p. 13).

Quand Sylvie Germain réfléchit son processus romanesque en termes de « personnages » plutôt que d' « images », elle utilise davantage les verbes transitifs ; les personnages « visitent », « surgissent », « entrent », « s'installent », etc. Que les personnages romanesques aient (presque) une existence à part entière – ou encore que tout cela se passe « comme s'ils avaient une existence propre », selon l'extrait cité plus haut –, c'est un des points centraux de la vision du roman de Sylvie Germain. Plus encore, les personnages préexistent aux romans auxquels ils participent : ils « n'habitent qu'en apparence dans les livres qui les ont délivrés de leurs limbes, ils n'aspirent qu'à s'en aller déambuler en tous, à transhumer d'un imaginaire à un autre, à visiter beaucoup de pays mentaux. Ils n'appartiennent à personne » (Idem).

Ainsi, les personnages qui figurent dans l'oeuvre d'un romancier ne sont pas ses personnages ; ils ne lui appartiennent pas. Ils font simplement irruption sans prévenir dans sa conscience. Mais d'où arrivent-ils, d'où viennent-ils exactement ? C'est une question que ne peut s'empêcher de se poser Sylvie Germain, mais à laquelle elle n'offre pas de réponse claire, puisqu'elle n'en a pas : « leur surgissement dans l'imaginaire de l'auteur reste pour moi une énigme » (A. Schaffner et S. Germain 2005, p. 256). C'est précisément sur ce mystère que s'ouvre son essai Les Personnages : 

Un jour ils sont là. Un jour, sans aucun souci de l'heure.
On ne sait pas d'où ils viennent, ni pourquoi ni comment ils sont entrés. Ils sont entrés. Ils entrent toujours ainsi, à l'improviste et par effraction. Et cela sans faire de bruit, sans dégâts apparents. Ils ont une stupéfiante discrétion de passe-muraille.
Ils : les personnages.
On ignore tout d'eux, mais d'emblée on sent qu'ils vont durablement imposer leur présence (S. Germain 2004, p. 11). 

C'est dans une entrevue portant sur Magnus que Sylvie Germain s'aventure le plus loin sur l'origine des personnages romanesques. Mais en même temps, elle ne pourrait pas être plus évasive sur ces emplacements originaires, puisqu'elle recourt encore une fois de plus aux profondeurs de l'inconscient et de l'imaginaire : 

Les personnages sont comme nos souvenirs, nos rêves et nos désirs : ils sont mouvants et viennent dans notre mémoire, hantent parfois nos pensées, notre coeur, notre chair et puis s'éloignent, glissent dans l'oubli, pour revenir à nouveau, plus tard, à la fois mêmes et autres. Ils ont une vie dans notre imaginaire, lequel n'est pas toujours sous la lumière de notre conscience. Le fait d'écrire a cet étrange pouvoir de ranimer des souvenirs enfouis, parfois même si enfouis qu'on ignorait les avoir, de raviver des désirs et des pensées que notre conscience avait perdu de vue (N. Colleville et S. Germain 2006, p. 267) 

Encore une fois, la conception de l'écriture romanesque qui se dégage de ce passage converge vers un mouvement de mise au grand jour de ce qui est (ou de ce qui était) à l'origine, enfoui dans les profondeurs de la conscience. C'est ce que Sylvie Germain présente comme étant la deuxième naissance du personnage : « À peine né à notre conscience, chaque personnage souhaite naître de nouveau, autrement. Il veut naître au langage, s'y déployer, y respirer. S'y exprimer. Il veut avoir une vie textuelle» (S. Germain 2004, p. 17). Ainsi, pour Sylvie Germain, il est moins important de connaître exactement d'où viennent les personnages que d'être à l'écoute de ce qu'ils ont à dire. Les écouter – c'est-à-dire plonger au fond de soi, puisqu'ils sont paradoxalement muets –, c'est aussi répondre à leur appel, c'est-à-dire se lancer dans l'écriture d'un roman : 

Car chaque personnage, dans mes romans, est toujours apparu “de lui-même”, sans que je l'invite, le bâtisse, le décide à l'avance. Là, est, à mes yeux, la grande aventure du roman pour le romancier : répondre à l'appel muet lancé par le personnage (encore privé d'histoire, de tout) qui un jour se présente à sa pensée, à son imagination – et s'installe “là” avec une patience minérale […] (A. Schaffner et S. Germain 2005, p. 256)

Ainsi, s'il lui est impossible déterminer d'où viennent les personnages, Sylvie Germain tente de fournir quelques réponses à la question « que sont-ils ? ». Elle en fait tantôt « des suppliants muets» (S. Germain 2004, p. 20), tantôt des « silhouette[s] » qui « pren[ent] séjour» (Ibid., p. 50) dans les pensées du romancier. Ils sont aussi des errants qui viennent « cogner sans bruit sur le seuil de notre esprit déconcerté» (Ibid., p. 38), ou encore, des « dormeurs clandestins » : 

Tous les personnages sont des dormeurs clandestins nourris de nos rêves et de nos pensées, eux-mêmes pétris dans le limon des mythes et des fables, dans l'épaisse rumeur du temps qui brasse les clameurs de l'Histoire et une myriade de voix singulières, plus ou moins confuses. Des dormeurs embués de nuit, pénétrés de chants lointains et de murmures, et tressaillant d'un désir de jour, de chants audibles, de langage intelligible (Ibid., p. 14).

Je souligne que toutes ces définitions, en plus de leur caractère métaphorique, ont également en commun d'apparenter les personnages à des êtres marginaux évoluant dans l'univers de la nuit. En témoigne encore la précédente citation, où c'est le roman (ou encore l'écriture romanesque) qui les tire de cette noirceur lointaine pour les exposer au grand jour. 

Enfin, les personnages incarnent à ce point le coeur névralgique de l'art du roman que Sylvie Germain n'hésite pas à faire résider en eux toute la spécificité du genre romanesque vis-à-vis des autres genres, notamment vis-à-vis de la poésie. Si « les romanciers ont beaucoup à apprendre des poètes» (S. Germain 2004, p. 46), ils ne peuvent pas les imiter, ou encore moins les concurrencer, car les uns et les autres ne jouent pas sur le même terrain et un écart irréductible sépare ces deux formes. En effet, ce n'est pas « le souci du poète » de « rendre vivant un personnage» (Ibid., p. 47), il n'est pas, lui, « harcel[é] » par les exigences des personnages, comme peut l'être le romancier. Non, l'enjeu est tout autre pour le poète : il « affronte le langage et interroge l'existence sans la médiation de personnages. Ce sont les mots, à vifs, qui le harcèlent […]» (Ibid., p. 47). 

III. « Tout romancier sait qu'il n'est pas “ le maître de la maison” ».

Reste maintenant à mesurer les implications d'une telle conception ontologique du personnage dans la façon qu'a Sylvie Germain d'envisager le travail du romancier. D'une part il faut dire qu'elle place l'écriture romanesque sur un terrain très personnel, celle-ci étant commandée par une nécessité interne. Cela m'a semblé très important : le romancier n'écrit pas pour le lecteur, il écrit pour lui-même, et parce, sous la pression de « ses » personnages, il en est obligé :

C'est triste à dire, mais on ne pense pas du tout au lecteur à chaque fois que l'on se met à écrire. C'est tout bête, tout simple ; on éprouve vraiment une nécessité profonde de le faire, on est comme taraudé de l'intérieur. Dans un premier temps, qui est le temps de l'écriture, je suis déjà dans un rapport presque passionnel, virtuel, imaginaire. C'est une sorte de passion un peu active qui donne envie de passer à l'acte, de continuer (D. Glaimain et S. Germain 2005, en ligne).

D'autre part, et malgré la nature introspective de l'écriture, en laissant toute la place aux personnages, Sylvie Germain ne peut pas faire du romancier un créateur, au sens fort du terme. Elle décrit plutôt son travail comme étant « aussi passif qu'inventif » (S. Germain 2004, p. 39-40). Passif, au sens où – nous venons de le voir – c'est le personnage qui met tout en branle ; le romancier devient alors le « lecteur » de ses personnages, et c'est là une première définition qu'elle donne de son travail. Mais ce faisant, il est par là même inventif, car :

il ne peut “bien” lire (entendre, comprendre, interpréter) ce que semble vouloir lui dire le personnage qui le taraude qu'en écrivant : c'est le geste d'écrire […] qui dispense progressivement au romancier (mais à un rythme souvent discontinu) un peu de clarté, des brins de sens, lui ouvre des pistes. Le geste d'écrire est toujours un geste de délivrance (Ibid.,, p. 40-41).

Ainsi, si c'est la pression des personnages qui fait écrire, c'est le fait d'écrire qui permet au romancier de se libérer de ses personnages, en les extériorisant.

Le romancier n'est pas seulement un « lecteur », il est, le plus souvent, un « traducteur ». Plus précisément, elle explique dans son essai Les personnages que le romancier « traduit ce qu'il y a de plus intime, de plus intuitif vers le commun, c'est-à-dire la langue, le langage ». Elle poursuit : « Écrire c'est traduire on ne sait même pas quoi (un silence gros d'inconnu) dans les mots coutumiers de la langue. Traduire à partir d'une étrangeté intime dans une langue qui appartient à tous » (Ibid., p. 24). En faisant du romancier un « traducteur », tout concourt dans les propos de Sylvie Germain à écarter le lecteur du sens original de l'oeuvre. En effet, si le romancier est le premier garant de l'oeuvre, s'il demeure « le mieux placé pour estimer la teneur en esprit de ses personnages », si « le lecteur n'a pas sa place ici », c'est que ce dernier « n'assiste pas à la naissance des personnages, son rôle de juge n'intervient que bien plus tard, lorsque les dés sont déjà jetés, que le processus de traduction est achevé» (Ibid., p. 33). Bref, c'est le romancier qui « travaille » et il travaille fort ; son ouvrage est « un étrange travail de “traduction” d'images en mots, de pensées floues, décousues, en narration structurée ; c'est un travail très prenant qui exige beaucoup de temps, d'attention, de patience» (M. Magill et S. Germain 1999, p. 335) .

Or si Sylvie Germain n'évacue pas totalement la dimension créative de ce travail en ajoutant que « la fidélité de cette traduction paradoxale réside précisément dans la liberté et la spontanéité d'invention du romancier se mettant à l'écoute du personnage qui requiert son attention» (Idem), à d'autres moments elle se montre plus catégorique en disant que le romancier « n'est au fond que le “scribe” de ses personnages » (A. Schaffner et S. Germain 2005, p. 256). Dans le même sens, elle écrit que « le romancier est un scribe. Peu importe qu'il ait troqué le burin, le stylet, le calame et la plume d'oie contre le stylo et à présent le clavier d'une machine ou d'un ordinateur. Sa relation au texte qu'il produit est du même ordre […] » (S. Germain 2004, p. 39). En fait, le romancier est celui qui « retranscrit » parce qu'il est celui qui écoute, celui qui tend l'oreille aux bruits et aux paroles qui sévissent, quelque part au fond de sa conscience : « Le romancier aurait donc à déchiffrer les paroles mendiantes qui affleurent sa conscience et à les transcrire noir sur blanc» (Ibid., p. 39). Il est à noter que la romancière se montre assez mystérieuse sur cet aspect précis du travail, les paroles n'étant pas celles des personnages à proprement parler, car elle insiste, ceux-ci sont muets. En ce sens, les personnages sont plutôt « les instruments qui s'offrent au romancier pour qu'il se mette à l'écoute de tous ces très bas bruits » (Ibid., p. 67).

IV. Conception mythique, mystique et allégorique de l'art du roman : peau humaine et « fable du monde ».

Or il semble que pour Sylvie Germain le romancier n'est pas seulement un « scribe » au sens où il retranscrit ce que lui dictent ses personnages, mais aussi, et plus généralement, parce qu'il ne crée rien de neuf, tout étant en quelque sorte déjà là, dans le grand panthéisme du monde :

Finalement on n'invente rien, on reprend la grande fable du monde. J'aime le mot fable, car pour moi écrire, c'est une affabulation, ce qui ne veut pas dire écrire n'importe quoi, mais plutôt essayer de rentrer dans le grand et continuel mouvement du temps et de l'histoire, de rentrer dans la fable du monde (A. Goulet et S. Germain XXX, p. 258).

De telles envolées – et elles sont nombreuses – tirent le discours de Sylvie Germain sur le roman du côté de la mystique, à mille lieues de l'écriture de la temporalité quotidienne qui caractérise par exemple un regard réaliste ou minimaliste sur le romanesque. Au contraire, l'art du roman a ici plutôt à voir avec le fait de rejoindre des temps immémoriaux où il s'agit tantôt, comme dans l'extrait précédent, de « rentrer dans la grande fable du monde » ; tantôt, de reconnecter avec un certain primitivisme. Elle dit par exemple que le travail qui revient au romancier consiste à - selon cette expression empruntée à Mallarmé -  « revivifier les mots de la tribu » (S. Germain 2011, p. 168) qu'il « traque en l'homme et en la femme la part d'ombre, de sauvagerie» (S. Germain 2004, p. 66-670). Autre exemple, elle soutient que le romancier est héritier de l'Histoire « dans laquelle il s'inscrit » et dans laquelle « un chant immémorial, ou plutôt une clameur énorme aux accents souvent ensauvagés, le précède, le talonne et l'environne » (S. Germain 2011, p. 168).

Cette volonté de toucher à l'archaïsme, ou du moins à un monde ancien trouve écho à même sa conception de l'espace romanesque. En effet, la romancière soutient que les lieux, dans le roman, ne sont pas de simples décors, « mais des espaces pétris de force, de sens qui couve, plus ou moins en sourdine. Forces telluriques, végétales et animales mêlées à l'imaginaire des fables et des mythes, en ce qui concerne les “terroirs”» (A. Schaffner et S. Germain 2005, p. 257) et forces de l'Histoire en ce qui concerne les villes, toute ville étant d'ailleurs « un immense roman de pierres, un palimpseste» (A. Goulet et S. Germain XXX, p. 261).

En terminant, on ne saurait donner un juste aperçu des inclinaisons mystiques qui caractérisent la pensée du roman de Sylvie Germain, sans un mot sur la version toute personnelle, immensément allégorique, qu'elle propose de l'histoire de ce même genre. Et sans surprise, cette histoire tient toute entière dans une « image », soit celle de la peau écorchée de Barthélemy telle qu'elle est peinte par Michel-Ange sur la fresque du Jugement dernier, dans la chapelle Sixtine.

Il s'agit d'une peau vidée de son contenu, vidée du corps, vidée de sa personne et qui doit être raccommodée. Ce qui intéresse précisément Sylvie Germain dans cette image c'est « qu'elle montre crument de quelle étrange étoffe est fait le corps humain » et qu'en ce sens, « cette peau s'offre comme une formidable métaphore du territoire qu'il revient au romancier d'explorer, d'interroger » (S. Germain 2004, p. 79). La peau humaine serait à la fois le « support » au roman – « on écrit toujours sur la peau humaine » – et son « sujet », car il n'y en a pas d'autres, affirme-t-elle, en profitant pour proclamer du même coup sa filiation avec Marguerite Duras :

il n'y a pas d'autres sujets, pour le roman, que celui de l'inévidence de l'existence, de l'énigme inépuisable de l'homme. […] Écrire sur la peau, c'est faire résonner les cris, les paroles, les silences, les appels, les soupirs qui couvent sous elle, dans la nuit de la chair ; c'est faire s'exsuder l' “ombre interne” que n'a cessé de traquer Marguerite Duras (Ibid., p. 81).

C'est aussi cette allégorie de la peau humaine qui lui permet enfin de préciser – même si cela demeure immensément mystérieux – ce qu'elle entend par « l'écoute des bruits et des paroles » que le romancier est appelé à les retranscrire :

C'est donc sur la peau humaine qu'il se penche, lui aussi, pour procéder à une auscultation. Ausculturare : écouter […]. Écouter les bruits confus, diffus, qui chuintent, susurrent, feulent ou gargouillent à l'intérieur du corps humain, dans les plissés de sa chair, dans les plis de son coeur, dans les replis de ses pensées, dans les pliures de ses désirs (Ibid., p. 67).

Bref, c'est ce raisonnement allégorique qui l'amène à affirmer que « toute l'histoire du roman consiste en ce drôle de travail d'auscultation, de dépeçage et de raccommodage en constante alternance, de grattage, tatouage, broderie sur la peau humaine ourlée de pénombres, tramée d'invisible» (Ibid., p. 80). Rendre l'invisible au visible, le muet à l'audible, jeter de la lumière sur l'obscur : c'est dans la réunion de ces forces opposées que semble ultimement résider le pouvoir du roman, selon Sylvie Germain.

Conclusion. La thèse dans le roman : spéculations sur le vrai « visage » des personnages.

En terminant, il m'apparaît difficile de distinguer la grande fascination qu'entretient Sylvie Germain pour la peau humaine de sa fascination plus générale envers le corps humain, surtout pour le visage, c'est-à-dire, en bonne disciple de Lévinas, pour l'Autre. Et dans ce rapport aux autres, à leurs corps, à leurs visages, le romancier est à nouveau présenté comme un « lecteur » et en « lisant » continuellement les autres, il est sans cesse renvoyé au grand fond de l'existence commune :

On n'écrirait rien si on n'avait pas au préalable beaucoup lu – pas seulement des livres, bien sûr, mais aussi la vie, le temps qui passe, les événements proches ou lointains qui ont lieu, et les autres, tant dans leurs paroles que dans leurs agissements, leurs comportements, leurs visages et leurs corps, et soi-même, pétris dans la même pâte, la même glaise, la même boue que tous les autres. On n'écrirait rien si on ne procédait pas à une lecture continue du monde […] (Ibid., p. 39).

Pour Sylvie Germain, le visage excède la stricte dimension littéraire ; c'est une éthique du vivre, la source de la compassion, la rencontre du fini et de l'infini, mais aussi une source inépuisable de questions ; des problèmes, des questionnements que de son propre aveu elle n'a jamais pu résoudre entièrement :

Ce qui a motivé mon choix de thèse, c'est “le simple fait” que rencontrer un visage humain est toujours infiniment troublant. Dans la peinture et la photographie, les portraits ont toujours retenu particulièrement mon attention. Il y a quelque chose d'inépuisable dans “l'évidence/inévidence” qu'est un visage, dans le mystère qu'il recèle (A. Goulet et S. Germain XXX, p. 262).

Ces mêmes questions, initiatrices de sa thèse doctorale, motivent certainement sa quête romanesque. En effet, même si Sylvie Germain développe considérablement moins sur le visage que sur les personnages et les images, on devine l'importance de cette brèche, jamais résolue chez l'étudiante en philosophie, et plus tard chez la romancière, car comme elle le dit ici :

il n'y a jamais vraiment de conclusion. Pourquoi un romancier se remet-il à écrire et un peintre à repeindre ? C'est, je crois, parce qu'il éprouve une sorte d'insatisfaction, de sentiment d'inachèvement. Ce qui est troublant, c'est qu'on est incapable de dire ce qu'on aurait précisément voulu dire, mais le désir de la dire est toujours là (Ibid., p. 266).

Ainsi, l'aventure du roman telle que la décrit Sylvie Germain, qui prend « sa source au fond de l'imaginaire, dans l'inconscient, les profondeurs de la mémoire, réveillant des souvenirs, des sensations, des pensées qui sommeillaient et qui, sans l'écriture, seraient peut-être restées dans les limbes » (M. Magill et S. Germain 1999, p. 335), relève aussi, me semble-t-il, du domaine de la peinture, voire du portrait, dans la possibilité, ou plutôt la nécessité, qu'a chez elle le romancier de donner corps et visage à ces « silhouettes » obscures et spectrales, ces « dormeurs clandestins » de la nuit que sont les personnages.

OUVRAGES CITÉS :

  • COLLEVILLE Nicole et S. GERMAIN. « Sylvie Germain, la vie comme un palimpseste », dans Livre/Echange (CRL Basse-Normandie), nº 33, février 2006.
  • DICHY, Albert, Alain GOULET et Sylvie. GERMAIN. « Entretien avec Sylvie Germain », dans Sylvie Germain devant le mystère, le fantastique, le merveilleux, Caen, Presses universitaires de Caen, 2015, p. 147-160.
  • GERMAIN, Sylvie. Les personnages, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2004.
  • GERMAIN, Sylvie. Magnus, Paris, Albin Michel, 2005.
  • GERMAIN, Sylvie. « Variation autour du verbe “tester” », dans Sylvie Germain. Les essais, un espace transgénérique, Amsterdam / New York, 2011, Rodopi, p. 167-171.
  • GERMAIN, Sylvie. « Échos du silence », dans Sylvie Germain : rose des vents et de l'ailleurs : [actes du colloque, Exeter, 2001], Paris /Torino /Budapest, L'Harmattan, 2003, p. 217-221.
  • GLAIMAIN, Dorothy et Sylvie GERMAIN. « Interview de Sylvie Germain. Au service des mots », Le Figaro, octobre 2005, [En ligne].
  • GOULET Alain et Sylvie GERMAIN. « En guise de conclusion : questions à Sylvie Germain », dans L'univers de Sylvie Germain, Actes du colloque de Cerisy, 22-29 août 2007, Caen, Presses universitaires de Caen, 2008, p. 309-320.
  • MAGILL, Michèle et Sylvie GERMAIN. « Entretien
 avec Sylvie Germain », The French Review, vol. 73, n° 2, décembre 1999, p. 334-340.
  • SCHAFFNER, Alain et Sylvie GERMAIN. « "Écrire un roman, c'est chaque fois partir à l'aventure... ": Entretien avec Sylvie Germain », dans Enquête sur le roman romanesque (Le Gaulois, 1891), Amiens, coll. « Romanesque », Centre d'Études du Roman et du Romanesque de l'Université de Picardie, 2005, p. 253-257.
  • SCHAFFNER, Alain. « Entretien avec Sylvie Germain », Roman 20-50, n° 30, 2005, p. 107-115.

Bibliographie

Ouvrages cités

Sylvie Germain n'a écrit qu'un seul essai sur le roman à proprement parler : Les personnages. Les autres ressources sollicitées constituent pour la plupart des réponses données dans le cadre d'entretiens portant principalement sur sa pratique d'écriture. Ceux-ci sont souvent publiés dans des ouvrages critiques portant sur son oeuvre littéraire.

Entretiens :

RITCHER, Václav et Sylvie GERMAIN. « Sylvie Germain: “On ne peut réduire le roman à l'art de raconter une histoire” », Radio Prague. Rencontres littéraires, 14 mai 2005, [En ligne]

RITCHER, Václav et Sylvie GERMAIN. « Sylvie Germain: Mon imaginaire s'est nourri de Prague et de la Bohême », Radio Prague. Rencontres littéraires, 14 mai 2005, [En ligne]

GLAIMAIN, Dorothy et Sylvie GERMAIN. « Interview de Sylvie Germain. Au service des mots », Le Figaro, Octobre 2005, [En ligne].

MAGILL, Michèle et Sylvie GERMAIN. 
 « Entretien
 avec Sylvie Germain », The French Review, vol. 73, n° 2, décembre 1999, p. 334-340.

S. Germain et A. Goulet, « Entretien de Sylvie Germain » 

SCHAFFNER, Alain et Sylvie GERMAIN. « "Écrire un roman, c'est chaque fois partir à l'aventure... ": Entretien avec Sylvie Germain », dans Enquête sur le roman romanesque (Le Gaulois, 1891), Amiens, coll. « Romanesque », Centre d'Études du Roman et du Romanesque de l'Université de Picardie, 2005, p. 253-257.

SCHAFFNER, Alain. « Entretien avec Sylvie Germain », Roman 20-50, n° 30, 2005, p. 107-115.

GOULET Alain et Sylvie Germain. « En guise de conclusion : questions à Sylvie Germain », dans L'univers de Sylvie Germain, Actes du colloque de Cerisy, 22-29 août 2007, Caen, Presses universitaires de Caen, 2008, p. 309-320.

DICHY, Albert et Alain Goulet. « Entretien avec Sylvie Germain », dans Sylvie Germain devant le mystère, le fantastique, le merveilleux, Caen, Presses universitaires de Caen, p. 147-160.

COLLEVILLE Nathalie et Sylvie GERMAIN. « La vie comme un palimpseste » dans Livre/Echange (CRL Basse-Normandie), nº 33, février 2006.

Essais et conférences :

GERMAIN, Sylvie. Les personnages, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2004.

GERMAIN, Sylvie. « Variation autour du verbe “tester” », dans Sylvie Germain. Les essais, un espace transgénérique, Amsterdam / New York, 2011, Rodopi, p. 167-171.

GERMAIN, Sylvie. « Échos du silence », dans Sylvie Germain : rose des vents et de l'ailleurs : [actes du colloque, Exeter, 2001], Paris /Torino /Budapest, L'Harmattan, 2003, p. 217-221.

Citations

RITCHER, Václav et Sylvie GERMAIN. « Sylvie Germain: “On ne peut réduire le roman à l'art de raconter une histoire” », Radio Prague. Rencontres littéraires, 14 mai 2005, [En ligne].

« On ne peut réduire le roman à l'art de raconter une histoire. Bien sûr, c'est ça, comme aussi le cinéma en un sens, il faut pouvoir raconter une histoire, mais à la limite, un historien, un chroniqueur racontent aussi une histoire. Donc, cet art du roman est très particulier, et je crois qu'il doit faire advenir dans l'écriture, dans la narration, quelque chose de spécifique, que ni l'historien, ni le chroniqueur, ni le journaliste ne vont rendre, ne vont traduire. Et cette spécificité, ce plus, ce je ne sais quoi comme on dit, c'est quelque chose qui est vraiment dans les profondeurs de l'humain, quelque chose de la folie humaine, de l'impensé de l'humain. Et un roman, qu'il soit bon ou pas au niveau de l'écriture, présente un intérêt à partir du moment où il surprend le lecteur en tant qu'être humain, qui découvre, fût-ce par une petite porte, quelque chose d'insoupçonné de la folie humaine ».

RITCHER, Václav et Sylvie GERMAIN. « Sylvie Germain: Mon imaginaire s'est nourri de Prague et de la Bohême », Radio Prague. Rencontres littéraires, 14 mai 2005, [En ligne].

«Il était fabuleux 
Hrabal, je garde une grande admiration pour lui. Donc je considérais 
qu'il y avait suffisamment de grands écrivains ici. Que ce n'était pas
 évident de capter l'atmosphère, l'esprit d'un pays. Je me suis
inconsciemment imprégnée par ce lieu, les années ont passé, je 
continuais à écrire mes romans qui se passaient en France alors que 
je vivais ici et peu à peu il s'est passé un étrange mouvement, que je le veuille ou non, comme si quelque chose de la France se détachait de moi et par contre mon imaginaire, à force de vivre à Prague, a fini par être marqué par Prague et la Bohême, par l'histoire de ce pays. Au bout de quelques années, au bout de cinq, six ans quand même, mon imaginaire a été suffisamment nourri de ce lieu et j'ai écrit trois livres : un petit texte qui n'est pas un roman, La Pleurante des rues de Prague, et puis deux romans qui sont vraiment liés à Prague».

GLAIMAIN, Dorothy et Sylvie GERMAIN. « Interview de Sylvie Germain. Au service des mots », Le Figaro, Octobre 2005, [En ligne].

« C'est plutôt très difficile de se présenter. Il y a peu à dire. À la limite, on ne devrait presque rien savoir d'un écrivain. Il y a déjà pas mal d'éléments autobiographiques connus. Je suis née en 1954, j'ai fait des études de philosophie, j'ai eu la chance, entre autres, d'avoir comme professeur Emmanuel Levinas, pensée qui m'a beaucoup marquée et nourrie. J'ai vécu à Prague quelques années, avant, pendant et après les événements et depuis maintenant douze ans, je vis de nouveau en France... Mais tout ce qui est de l'ordre personnel, de la vie privée, je n'aime pas trop en parler ».

« Il y a une sorte d'image mentale qui me vient, qui se forme, et c'est le fait qu'elle perdure qui commence à m'intriguer. C'est souvent une vision fort banale. Celle-là, quand elle est venue, c'était un homme vu de dos au fond d'une sorte d'impasse, la nuit. Une fois que j'ai cette image et que je vais commencer à écrire, je n'ai quasiment pas l'idée d'où je vais, de ce qui va se passer. Mais comme je l'ai ressassée pendant plus de deux ans, pendant ce temps, il se passe plein de choses. Les lectures que vous faites, ce que vous entendez, ce que vous lisez dans les journaux, les choses anodines ou importantes, les choses de l'Histoire, ce qui vous arrive dans votre vie ou dans la vie des autres, les films, les émotions, les sentiments... Tout cela l'air de rien vient s'agglomérer, comme un phénomène de cristallisation autour de cette image mentale qui est là ».

« C'est triste à dire mais on ne pense pas du tout au lecteur à chaque fois que l'on se met à écrire. C'est tout bête, tout simple ; on éprouve vraiment une nécessité profonde de le faire, on est comme taraudé de l'intérieur. Dans un premier temps, qui est le temps de l'écriture, je suis déjà dans un rapport presque passionnel, virtuel, imaginaire. C'est une sorte de passion un peu active qui donne envie de passer à l'acte, de continuer ».

MAGILL, Michèle et Sylvie GERMAIN. 
 « Entretien
 avec Sylvie Germain », The French Review, vol. 73, n° 2, décembre 1999, p. 334-340.

« Lorsque j'étais jeune je voulais étudier le dessin, la peinture, et je rêvais de faire les Beaux-Arts, mais l'année du bac j'ai été si séduite par la philosophie que j'ai décidé de poursuivre mes études dans cette matière. Quant à l'écriture romanesque, elle m'est venue peu à peu, vers la fin de mes études; une fois la thèse de doctorat de troisième cycle achevée, je n'avais plus de "prétexte" pour écrire et j'ai ressenti un grand désarroi, un manque. Et c'est comme ça que j'ai commencé à écrire de la fiction, des contes pour enfants d'abord, puis des nouvelles. Sans prendre encore la mesure de l'importance qu'avait l'écriture dans ma vie, j'ai commencé mon premier roman. Et depuis je n'ai plus cessé d'écrire ».

« En général, je n'ai aucun plan de départ, pas même d'idées précises, il y a juste un désir qui se met en mouvement et le récit s'improvise au fur et à mesure. Souvent j'ignore comment va évoluer l'histoire et les personnages m'échappent, comme s'ils avaient une vie propre. Parfois il arrive que certains personnages que j'aurais voulu mettre en scène "résistent" l'écriture, se dérobent, ne prennent pas consistance, tandis que d'autres, inattendus, s'imposent, accaparent un rô1e important. C'est ça qui me plait dans l'écriture, cette surprise à soi-même; les mots appellent les mots, les images provoquent d'autres images; le récit prend en fait sa source au fond de l'imaginaire, dans l'inconscient, les profondeurs de la mémoire, réveillant des souvenirs, des sensations, des pensées qui sommeillaient et qui, sans l'écriture, seraient peut-être restées dans les limbes ». (p. 335)

« Je ne me pose pas la question de savoir si mes textes sont réussis, bons d'un point de vue littéraire; ce qui compte c'est de trouver une certaine adéquation, à peu près satisfaisante, entre les visions intérieures qui suscitent le désir d'écrire et l'histoire mise en forme. C'est un étrange travail de "traduction" d'images en mots, de pensées floues, décousues, en narration structurée; c'est un travail très prenant qui exige beaucoup de temps, d'attention, de patience, et qui dans le même temps relève d'une nécessité absolue et d'une gratuité absolue, ce qui n'est pas le cas dans les autres activités que l'on a en général dans la société. J'ai d'ailleurs du mal a me considérer comme un écrivain, au sens du statut social attaché a cette fonction ». (p. 335)

« La majorité des livres actuellement écrits tomberont dans l'oubli, c'est évident. En ce qui concerne mes romans je ne me pose pas la question et ce n'est aucunement un souci. Ce qui m'importe, c'est que le désir d'écrire reste intact, vivace, et que l'acte d'écrire continue a répondre a une nécessité intérieure profonde; si le livre ensuite rencontre de la reconnaissance, ou même un certain succès, c'est une chance, un "cadeau" supplémentaire, et s'il se heurte a l'indifférence ou a des critiques très négatives c'est bien sûr assez éprouvant, mais là n'est pas l'essentiel à mes yeux. C'est avant tout pour soi que l'on écrit, pour répondre à un besoin, poursuivre une quête de sens (aussi baroque puisse être en apparence ce sens), pour tenter de mettre un peu d'ordre et de clarté dans son chaos intérieur. Et c'est d'ailleurs lorsqu'on écrit pour si qu'on a le plus de chance de toucher les autres ». ( p. 336)

« C'est difficile de faire un choix, on oublie fatalement un certain nombre d'auteurs qui pourtant, a telle ou telle époque de notre vie, nous ont marqués. Mais je peux mentionner les traces laissées par les contes, par certains romans de Dostoïevski, de Bernanos, de Carson McCullers, de Joseph Roth ... mais la liste est en fait beaucoup plus longue et elle varie au cours du temps, certaines influences s'estompant, d'autres se renforçant. Mes études de philosophie ont aussi forcément laissé des empreintes, la pensée d'Emmanuel Levinas m'a particulièrement éblouie. Et il y a la Bible; même si ma connaissance en ce domaine reste très superficielle et insuffisante, la Bible a formé en partie ma vision du monde. Et il y a la poésie ». (p. 337)

« Notre imaginaire est pétri par toute une mémoire sociale, collective et culturelle. Les animaux, les arbres, les plantes, les couleurs ne représentent pas les mêmes symboles selon les différentes cultures. Quand on écrit, on puise plus ou moins consciemment dans un vaste fonds commun de références, de valeurs, d'images ». (p. 337)

« Mais ce qui m'intéresse dans l'écriture, c'est la possibilité de se démultiplier, de mettre en scène aussi bien un enfant, un homme ou une femme d'âges divers, des vieillards, et aussi des gens de caractères différents. Notre corps, sous son apparente unité, est pluriel, comme ces poupées russes renfermant toute une série d'autres poupées de taille décroissante ». (p. 338)

« Oui, comme dans un rêve diurne, une rêverie incluant l'attention, car écrire c'est à la fois donner libre cours a l'inconscient, a l'imagination, a l'imprévu, et aussi tendre son attention, observer les autres, travailler sur le vraisemblable. De toute façon le rêve et la réalité s'interpénètrent constamment ». (p. 338)

S. Germain et A. Goulet, « Entretien de Sylvie Germain ».

« Finalement on n'invente rien, on reprend la grande fable du monde. J'aime le mot fable, car pour moi écrire, c'est une affabulation, ce qui ne veut pas dire écrire n'importe quoi, mais plutôt essayer de rentrer dans le grand et continuel mouvement du temps et de l'histoire, de rentrer dans la fable du monde » (p. 258).

« Ce qui se passe après [le surgissement de l'image] est très “rhizomatique” : il se forme des liens inattendus, les souvenirs et vagues pensées remontés de l'oubli s'échevellent en tous sens, s'entrelacent, forment de nouveaux réseaux d'images et d'idées… ». (p. 259). 

« J'ai remarqué que lorsqu'on est habité par une ville, l'imaginaire qui se met en mouvement diffère de celui inspiré par un lieu très terrien. L'imaginaire réveillé n'est pas tout à fait le même : dans un cas, c'est le côté mythique lié à la terre, aux éléments, au vent, aux animaux ; on va vite vers les grands mythes. Alors que quand le roman se déroule dans une ville, que ce soit Paris, Prague, ou n'importe quelle autre grande capitale, l'imaginaire est moins nourri par les mythes que par l'histoire du lieu. Toute ville ancienne est toujours déjà écrite par l'histoire, par tous les morts ou les vivants qui en furent les habitants. Toute ville est un immense roman de pierres, un palimpseste ». (p. 261).

« Ce qui a motivé mon choix de thèse, c'est “le simple fait” que rencontrer un visage humain est toujours infiniment troublant. Dans la peinture et la photographie, les portraits ont toujours retenu particulièrement mon attention. Il y a quelque chose d'inépuisable dans “l'évidence/inévidence” qu'est un visage, dans le mystère qu'il recèle». (p. 262)

SCHAFFNER, Alain et Sylvie GERMAIN. « "Écrire un roman, c'est chaque fois partir à l'aventure... ": Entretien avec Sylvie Germain », dans Enquête sur le roman romanesque (Le Gaulois, 1891), Amiens, coll. « Romanesque », Centre d'Études du Roman et du Romanesque de l'Université de Picardie, 2005, p. 253-257.

« La question des personnages est centrale, leur surgissement dans l'imaginaire de l'auteur reste pour moi une énigme. Car chaque personnage, dans mes romans, est toujours apparu “de lui-même”, sans que je l'invite, le bâtisse, le décide à l'avance. Là est, à mes yeux, la grande aventure du roman pour le romancier : répondre à l'appel muet lancé par le personnage (encore privé d'histoire, de tout) qui un jour se présente à sa pensée, à son imagination – et s'installe “là” avec une patience minérale […] ». (p. 256)

COLLEVILLE Nathalie et Sylvie GERMAIN. « La vie comme un palimpseste » dans Livre/Echange (CRL Basse-Normandie), nº 33, février 2006.

« Les personnages sont comme nos souvenirs, nos rêves et nos désirs : ils sont mouvants et viennent dans notre mémoire, hantent parfois nos pensées, notre coeur, notre chair et puis s'éloignent, glissent dans l'oubli, pour revenir à nouveau, plus tard, à la fois mêmes et autres. Ils ont une vie dans notre imaginaire, lequel n'est pas toujours sous la lumière de notre conscience. Le fait d'écrire a cet étrange pouvoir de ranimer des souvenirs enfouis, parfois même si enfouis qu'on ignorait les avoir, de raviver des désirs et des pensées que notre conscience avait perdu de vue ». (p. 267)

GERMAIN, Sylvie. Les personnages, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2004.

« Un jour ils sont là. Un jour, sans aucun souci de l'heure.
On ne sait pas d'où ils viennent, ni pourquoi ni comment ils sont entrés. Ils sont entrés. Ils entrent toujours ainsi, à l'improviste et par effraction. Et cela sans faire de bruit, sans dégâts apparents. Ils ont une stupéfiante discrétion de passe-muraille.
Ils : les personnages
On ignore tout d'eux, mais d'emblée on sent qu'ils vont durablement imposer leur présence ».( p. 11)

« Du début à la fin de sa visite sous forme d'image crypto-frontale, il reste seul. Des mois, des années, farouchement seul. Il ne se lève, ne s'anime et ne se laisse rejoindre par d'autres personnages qu'à partir du moment où son « hôte » décide enfin de se mettre en mouvement d'écriture pour tenter de convertir son image obsédante en récit ». (p. 13)

« Tous les personnages sont des dormeurs clandestins nourris de nos rêves et de nos pensées, eux-mêmes pétris dans le limon des mythes et des fables, dans l'épaisse rumeur du temps qui brasse les clameurs de l'Histoire et une myriade de voix singulières, plus où moins confuses. Des dormeurs embués de nuit, pénétrés de chants lointains et de murmures, et tressaillant d'un désir de jour, de chants audibles, de langage intelligible ». (p. 14)

« À peine né à notre conscience, chaque personnage souhaite naître de nouveau, autrement. Il veut naître au langage, s'y déployer, y respirer. S'y exprimer.
Il veut avoir une vie textuelle ». (p. 17)

« Les personnages ne sont nullement des anges, ni les romanciers des prophètes, loin de là. Ils n'en procèdent pas moins de manière comparable : les premiers captent toute l'attention des seconds. Et c'est eux-mêmes – leur silhouette sans consistance encore – que les personnages offrent à manger à l'auteur du livre à écrire ». (p. 23)

« La faim d'écrire, de traduire on ne sait même pas quoi (un silence gros d'inconnu) dans les mots coutumiers de la langue. Traduire à partir d'une étrange intime dans une langue qui appartient à tous. Et cette traduction est pure improvisation.
La fidélité de cette traduction paradoxale réside précisément dans la liberté et la spontanéité d'invention du romancier se mettant à l'écoute du personnage qui requiert son attention, sa collaboration, et qui se montre souvent imprévisible ». (p. 24)

« Ce ne sont pas des os, mais des ombres que le romancier (sur qui la fulgurante main de Dieu néglige de se poser) a à vivifier. Et il ne lève pas des armées, ne met pas des foules en branles, juste quelques personnages, voire un seul au début de son entreprise.
Quant aux nerfs qu'il doit tendre dans les corps immatériels qui se présentent à lui, ils consistent en une structure et un rythme à leur conférer. La chair dont il doit les lester est à la fois un « poids » d'humanité, une vraisemblance de caractère et une cohérence de destin – si tumultueux, saugrenu ou tragique soit celui-ci. Enfin la peau dont il doit les revêtir relève d'une grande singularité ; toute peau humaine a un grain particulier […] ». (p. 30-31)

« Le romancier est-il d'ailleurs le mieux placé pour estimer la teneur en esprit de ses personnages ? Cette évaluation n'échoit-elle pas plutôt au lecteur, ce complice ambigu de l'écrivain […]
Mais le lecteur n'a pas sa place ici, il n'assiste pas à la naissance des personnages, son rôle de juge n'intervient que bien plus tard, lorsque les dés sont déjà jetés, que le processus de traduction est achevé ». (p. 33)

« Les personnages n'habitent qu'en apparence dans les livres qui les ont délivrés de leurs limbes, ils n'aspirent qu'à s'en aller déambuler en tous, à transhumer d'un imaginaire à un autre, à visiter beaucoup de pays mentaux. Ils n'appartiennent à personne » (p. 34)

« De toute façon, on n'écrit jamais le livre que l'on rêvait d'écrire, faute de savoir au juste ce que l'on voulait écrire. À chaque nouveau livre achevé, on reste insatisfait, dubitatif. On a l'impression de s'être égaré en chemin […] ». (p. 88)

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