Photo George SandGeorge Sand

 (1804-1876)

Dossier

Le roman selon George Sand

Raconter l'idéal : George Sand et le roman, par Étienne Poirier, 2020

La popularité et l’ampleur de la production romanesque de George Sand sont des plus impressionnantes. Entre la parution de son premier ouvrage, Indiana, en 1832 et Albine, qu’elle laisse inachevé à sa mort en 1876, elle aura publié plus d’une soixantaine de romans, auxquels s’ajoutent de nombreux contes, nouvelles et autres récits, dont plusieurs sont encore largement lus, étudiés et enseignés de nos jours – pensons à La Petite Fadette (1849), François le champi (1850) et Les Maîtres sonneurs (1852) issus du cycle de romans champêtres entamé avec La Mare au diable (1846), mais aussi à Lélia (1833), Mauprat (1837), Spiridion (1839) et Consuelo (1842), pour ne nommer que les titres les plus connus. Les multiples rééditions de ses ouvrages au cours des deux derniers siècles témoignent aussi de sa renommée persistante. Constamment affairée à l’écriture d’une nouvelle œuvre, George Sand se pose dès lors comme un « praticien du roman[i] », bien plus que comme une théoricienne du genre.

En effet, malgré cette production imposante, la romancière réfléchit relativement peu en profondeur sur sa pratique. Mis à part quelques mentions éparpillées au sein de sa monumentale correspondance – plus de 20 000 lettres –, on retiendra principalement les « Notices » à ses ouvrages qu’elle rédige lors d’une édition de ses œuvres complètes en 1853, certains passages de son autobiographie, Histoire de ma vie, publiée en 1854, ainsi que les lettres écrites à Gustave Flaubert pour situer sa pensée du roman. À l’écart des écoles littéraires qui se forment au cours du siècle, George Sand aborde le roman sous deux aspects complémentaires : comme un récit bien construit, issu de l’inspiration et de l’imagination, et comme un espace permettant de rendre une vision idéalisée du monde et de la société.

Corambé, la matrice romanesque.

Née en 1804, Aurore Dupin, qui prend le pseudonyme de George Sand à la parution de Rose et Blanche, co-écrit avec Jules Sandeau en 1829, reconnaît avoir toujours eu un intérêt à se raconter des histoires. Dans son autobiographie, elle confie avoir été longtemps portée par ses rêveries, qui précèdent son apprentissage de la lecture : « je ne cherchais dans les livres que les images; mais tout ce que j’apprenais par les yeux et par les oreilles entrait en ébullition dans ma petite tête, et j’y rêvais au point de perdre souvent la notion de réalité et du milieu où je me trouvais[ii] ». Ce désir de créer des histoires, et l’apparente facilité à le faire, est tout à fait fondamental dans le rapport au roman qu’entretient Sand. Si elle avoue avoir été déçue par ses premières tentatives d’écriture, qu’elle juge peu satisfaisantes[iii], elle demeure fascinée par la création : « le besoin d’inventer et de composer ne m’en tourmentait pas moins. Il me fallait un monde de fictions, et je n’avais jamais cessé de m’en créer un que je portais partout avec moi, dans mes promenades, dans mon immobilité, au jardin, aux champs, dans mon lit avant de m’endormir et, en m’éveillant, avant de me lever[iv] ». C’est dans ce contexte qu’émerge Corambé, premier « roman » de Sand, à partir duquel on peut tirer certaines remarques sur sa conception générale du genre.

Bien qu’elle le qualifie effectivement de roman, Corambé n’est cependant pas plus que le fruit des rêveries de Sand, dont elle résume ainsi la conception : « voilà qu’en rêvant la nuit, il me vint une figure et un nom. Le nom ne signifiant rien que je sache : c’était un assemblage fortuit de syllabes comme il s’en forme dans les songes. Mon fantôme s’appelait Corambé, et ce nom lui resta. Il devint le titre de mon roman et le dieu de ma religion[v] ». Rien de plus qu’une rêverie, Corambé souligne toutefois la puissance de l’inspiration chez Sand et sa capacité remarquable à créer des récits. Précédant tous ses autres ouvrages, il constitue sans doute la meilleure image pour représenter le processus créatif de la romancière. Lorsqu’elle cesse d’y rêver, Corambé prend le rôle qui s’apparente à celui d’une matrice de l’ensemble de la production qui suivra : « je remis Corambé à sa véritable place, c’est-à-dire que je le réintégrai, dans mon imagination, parmi les songes; mais il en occupa toujours le centre, et toutes les fictions qui continuèrent à se former autour de lui émanèrent toujours de cette fiction principale[vi] ». Dans l’image de cette première fiction, il devient possible de voir, en germe, les éléments principaux de la conception romanesque de Sand.

Corambé confirme d’abord l’importance primordiale accordée au récit et à l’imagination. Il convient d’ailleurs de souligner que, si elle a touché au roman, au conte, à l’autobiographie et au théâtre, peu de différences subsistent entre ces genres pour Sand qui désire avant tout raconter des histoires. Elle demeure assez classique dans la structure qu’elle donne à ses romans, mais accorde tout de même une grande importance à la fluidité du récit. Cela explique d’ailleurs pourquoi la vie d’une personne réelle ne peut créer de bons ouvrages, selon elle : « le roman serait forcé de se plier aux exigences de ce caractère, ce ne serait plus un roman. Cela n’aurait ni exposition, ni intrigue, ni nœud, ni dénouement; cela irait tout de travers comme la vie et n’intéresserait personne, parce que chacun veut trouver dans un roman une sorte d’idéal de la vie[vii] ». Si l’on reviendra sur la notion d’idéal, on remarque aussi que la construction adéquate du récit est essentielle à la pratique romanesque de Sand. Dans la « Notice » qui précède Lucrezia Floriani (1847), elle réitère cette position : « je déclare aimer beaucoup les événements romanesques, l’imprévu, l’intrigue, l’action dans le roman. Pour le roman comme pour le théâtre, je voudrais que l’on trouvât le moyen d’allier le mouvement dramatique à l’analyse vraie des caractères et des sentiments humains[viii] ». De même, lorsqu’elle commente sur l’avancée de l’écriture ses romans, elle semble être guidée par le développement logique des récits. Elle demande souvent à son éditeur d’accepter que ses romans soient plus volumineux, citant notamment « les besoins de l’action[ix] », et critique fréquemment la forme que prennent ses ouvrages, presque malgré elle, lorsqu’elle les écrit : « votre avis sur le commencement était bon et je l’avais suivi d’avance, la brusquerie de la rentrée en matière m’ayant frappée[x] »; « cette phase de mon roman est lourde, je le sais. C’est l’appesantissement logique d’une situation qui va éclater[xi] ». Le dénouement de ses œuvres est aussi source de préoccupation : « est-ce que vous ne trouvez pas que c’est vers la fin, qu’on voudrait repartir pour un développement complet de la destinée des personnages?[xii] »; « j’ai toujours des scrupules sans fin, quand il s’agit de dire bonsoir au lecteur[xiii] ».

Tout comme la jeune enfant qui rêvassait, Sand se laisse guider en grande partie par l’élan qui l’inspire et qui dicte la forme du récit : « j’avoue que je me rends peu compte de ce que je fais, et que j’ai aujourd’hui, tout comme à quatre ans un laisser-aller invincible dans ce genre de création[xiv] ». Elle utilise cette défaite devant ses éditeurs : « je vous l’ai fait un peu attendre parce que ce roman s’est prolongé au-delà de ce que je croyais[xv] » et refuse d’anticiper la taille de ses romans avant d’être assez avancée dans l’écriture : « quand j’ai une idée à développer il me faut un espace court ou long dont je ne peux pas me rendre compte[xvi] ». Consciente que cette façon de travailler est parfois risquée et peut mener à des romans très longs, comme Consuelo, un de ses ouvrages les plus volumineux, elle excuse ces écarts en rappelant la nécessité de bien construire l’intrigue : « ce défaut, qui ne constitue pas dans un décousu, mais dans une sinuosité d’événements, a été l’effet de mon infirmité ordinaire : l’absence de plan[xvii] ». C’est aussi pourquoi elle se montre si réticente à accepter la publication de ses romans en feuilletons, reconnaissant que les récits à structure simple, mais parfois sinueuse, sont moins accessibles dans un format qui privilégie généralement la multiplication des péripéties : « ce mode exige un art particulier que je n’ai pas essayé d’acquérir, ne m’y sentant pas propre[xviii] »; « il n’y a pas assez d’accidents et de surprises dans mes romans pour que le lecteur s’amuse au déchiquetage de l’attente[xix] ». Il faut donc privilégier la fluidité de l’écriture, qui assure une fluidité au récit, à une attention trop portée sur le style. Tout au long de sa vie, l’écrivaine rédige principalement la nuit, lors de longues périodes de solitude interrompues pour s’immerger dans ses histoires. Elle se distingue ici de Flaubert, à qui elle en fait la remarque : « quand je vois le mal que mon vieux se donne pour faire un roman, ça me décourage de ma facilité, et je me dis que je fais de la littérature savetée[xx] ». De même, le style la préoccupe beaucoup moins que son correspondant : « quant au style, j’en fais meilleur marché que vous. Le vent joue de ma vieille harpe comme il lui plaît d’en jouer. Il a ses hauts et ses bas, ses grosses notes et ses défaillances, au fond ça m’est égal, pourvu que l’émotion vienne[xxi] ».

Sand rédige donc ses romans comme elle rêvait à ses personnages imaginés et à leurs histoires lorsqu’elle était enfant, en se laissant guider par ses idées, avec comme principale préoccupation celle de créer une histoire bien construite. Le récit qu’elle donne de la rédaction d’Indiana démontre d’ailleurs que ses romans ne seraient rien de plus que l’extension de Corambé :

Mais mon pauvre Corambé s’envola pour toujours, dès que j’eus commencé à me sentir dans cette veine de persévérance sur un sujet donné. Il était d’une essence trop subtile pour se plier aux exigences de la forme. À peine eus-je fini mon livre, que je voulus retrouver le vague ordinaire de mes rêveries. Impossible! Les personnages de mon manuscrit, enfermés dans un tiroir, voulurent bien y rester tranquilles; mais j’espérai en vain voir reparaître Corambé, et avec lui ces milliers d’êtres qui me berçaient tous les jours de leurs agréables divagations, ces figures à moitié nettes, ces voix à moitié distinctes qui flottaient autour de moi comme un tableau animé derrière un voile transparent. Ces chères visions n’étaient que les précurseurs de l’inspiration. Elles se cachèrent cruellement au fond de l’encrier, pour n’en plus sortir que quand je m’enhardirais à les y chercher.[xxii]

De la même manière, les personnages et les histoires de Sand disparaissent aussitôt de sa mémoire lorsqu’elle termine un roman : « si je n’avais pas mes ouvrages sur un rayon, j’en oublierais jusqu’à leur titre. On peut me lire un demi-volume de certains romans que je n’ai pas eu à revoir en épreuves depuis quelques semaines sans que, sauf deux ou trois noms principaux, je devine qu’ils sont de moi[xxiii] ». Il lui est donc très facile de passer rapidement à un prochain ouvrage, sans continuer à se tourmenter du précédent : « un roman fini est une épine sortie du pied que l’on a nulle envie d’y faire rentrer[xxiv] ». Les personnages, tout comme ceux de Corambé qui précèdent ceux d’Indiana, se succèdent d’une œuvre à l’autre : « j’ai peint comme je les ai vues quand elles étaient vivantes dans mon imagination. Mais elles s’y sont effacées, à mesure qu’elles ont fait place à d’autres, et je ne puis regarder que devant moi; ce qui est derrière n’existe plus[xxv] ».

« Précurseurs de l’inspiration », les personnages de Corambé illustrent toute la difficulté qu’éprouve Sand à expliquer d’où lui vient la source de ses romans, qu’elle semble porter depuis son enfance. La romancière s’interroge souvent sur ce point, mais la réponse demeure toujours vague : « l’inspiration, voilà quelque chose de bien malaisé à définir et de bien important à constater comme un fait surhumain, comme une intervention presque divine[xxvi] ». Si elle ne parvient pas à trouver de réponse satisfaisante, elle en constate tout de même le caractère inattendu : « les romans sont toujours plus ou moins des fantaisies, et il en est de ces fantaisies de l’imagination comme des nuages qui passent. D’où viennent ces nuages et où vont-ils?[xxvii] » C’est pourtant parfois ce qui guide le choix de la forme du récit : « je ne suis pas encore certaine de pouvoir abandonner l’idée que je poursuis maintenant et qui se présente sous forme de roman[xxviii] ». Les notices de ses romans permettent d’identifier quelques sources de cette inspiration, mais révèlent aussi leur grande variété. Sand trouve l’idée de ses ouvrages dans de petits détails de sa vie personnelle – Leone Leoni fut commencé « par la description même du lieu, de la fête extérieure et du solennel appartement où je me trouvais[xxix] » –, dans l’état d’esprit dans lequel elle se trouve : « cette nostalgie se traduisit pour moi par le roman d’André[xxx] », ou par d’autres œuvres qui l’ont touchée – Le Secrétaire intime lui est venu « après avoir relu les Contes fantastiques d’Hoffmann[xxxi] ». Parfois, un simple sujet lui suffit : Mauprat est créé à la suite de « la pensée […] de peindre un amour exclusif, éternel, avant, pendant et après le mariage[xxxii] ». Comparant son travail à celui d’un scientifique, Sand conclut que l’inspiration et l’intuition surgissent, au fond, de l’anodin, et d’une forme de hasard :

Tous ceux qui ont écrit, bien ou mal, des ouvrages d’imagination ou même de science, savent que la vision des choses intellectuelles part souvent de celle des choses matérielles. La pomme qui tombe de l’arbre fait découvrir à Newton une des grandes lois de l’univers. À plus forte raison le roman peut-il naître de la rencontre d’un fait ou d’un objet quelconque. Dans les œuvres du génie scientifique, c’est la réflexion qui tire du fait même la raison des choses. Dans les plus humbles fantaisies de l’art, c’est la rêverie qui habille et complète ce fait isolé. La richesse ou la pauvreté de l’œuvre n’y fait rien. Le procédé de l’esprit est le même pour tous.[xxxiii]

L’intuition se résume ici à l’étincelle qui permet à l’imagination, ou à la rêverie, de s’emballer et de créer un nouveau roman. Ce qu’elle qualifie d’ « attrait mystérieux » qu’elle « subi[t] sans vouloir [s]’en défendre quand il se présente[xxxiv] » contribue certainement à la poussée créatrice qui l’anime depuis l’enfance, mais il faudrait se garder de défendre que l’œuvre de Sand soit uniquement dépendante des hasards de l’imagination. Si le récit de Corambé confirme l’importance de l’inspiration, c’est en raison du désir d’exprimer certains idéaux que Sand développe une théorie plus complète du roman. Aux questions de l’imagination et de l’inspiration, l’enjeu des convictions devient essentiel pour cerner sa pensée du roman.

Lélia ou la poursuite de l’idéal.

En 1844, lorsque son éditeur Louis Véron lui dicte quoi écrire dans un roman qu’il souhaiterait publier, George Sand lui répond ainsi :

Je ne me refuse pas à vous offrir la préférence sur le roman que le hasard de l’inspiration (je n’écris jamais ce mot sans rire) pourra me suggérer d’ici à quelques mois. Je ne m’engagerai à rien, mais si j’ai comme je l’espère à me louer de votre franchise dans ce dénouement, je vous communiquerai peut-être mon roman si je le vois de nature à vous satisfaire. Comprenez bien, je vous en supplie, que je n’ai pas de parti-pris quand j’écris un conte. Il vient comme il peut. Si ce que vous appelez le communisme me domine dans ce moment-là, le roman s’en ressentira.[xxxv]

Revenant sur le rôle de l’inspiration et de l’imagination dans son processus artistique, elle mentionne aussi, au passage, que ses convictions risquent, tout aussi hasardeusement, de jouer un rôle dans l’écriture. Il s’agit de la position la plus fréquemment adoptée par Sand lorsqu’elle mentionne les positions sociales ou politiques qui marquent plusieurs de ses romans. La plupart du temps, elle tente de diminuer l’importance accordée à ses opinions dans l’écriture de ses romans. Pourtant, et elle le confie parfois à certains de ses correspondants, il apparaît clair que Sand écrit aussi pour promouvoir ou défendre certaines idées, ce que le genre romanesque lui permet.

À cet égard, il convient de s’arrêter sur le cas de Lélia, qui fait figure d’exception dans l’œuvre de Sand puisqu’il s’agit du roman qu’elle a le plus retravaillé et publié sous une nouvelle version, en 1839, après sa parution initiale en 1833. Contrairement à ses autres ouvrages qu’elle oublie rapidement, Lélia préoccupe beaucoup la romancière, sans doute en partie à cause de sa forte teneur philosophique, intégrant plusieurs réflexions sur la religion, le progrès et la société, dans un registre lyrique tout à fait romantique. Il est révélateur que Sand ait été si attachée à cette œuvre dont le propos politique est plus assumé, suggérant par là qu’il joue une plus grande importance qu’elle ne le concède généralement dans sa conception du roman. Lorsqu’elle entreprend la révision de Lélia, elle reconnaît l’importance de cette œuvre : « cela m’occupe plus que tout autre roman n’a encore fait. Lélia n’est pas moi. Je suis meilleure enfant que cela; mais c’est mon idéal. C’est ainsi que je conçois ma muse si toutefois je puis me permettre d’avoir une muse…[xxxvi] ». La décision de retravailler ce roman découle aussi du manque de clarté dans le propos, que remarque Sand : « Lélia est un livre assez obscur pour moi-même. Il fût écrit sous l’emprise de souffrances morales très vives et très énergiquement avouées[xxxvii] ». De même, dans la préface de la seconde édition, elle explique les objectifs qu’elle s’était fixée en écrivant ce texte : « Lélia a été et reste dans ma pensée un essai poétique, un roman fantasque où les personnages ne sont ni complètement faux, ni complètement réels, comme l’ont voulu les amateurs exclusifs d’analyse de mœurs, ni complètement allégoriques, comme l’ont jugé quelques esprits synthétiques, mais où ils représentent chacun une fraction de l’intelligence philosophique du XIXe siècle[xxxviii] ». Cette remarque, qui découle de sa conviction que « chaque personnage d’un livre soit le représentant d’une des idées qui circulent dans l’air qu’il respire, qui dominent ou s’insinuent, qui montent ou tombent, qui naissent, qui règnent ou qui finissent[xxxix] » replace ainsi la question des convictions sociales au centre de la création romanesque.

C’est ici que l’on approche de la théorisation la plus complète du roman pour George Sand, théorie qui demeure implicite dans son œuvre, et intuitive, chez l’écrivaine. Celle-ci se fonde sur la représentation d’un monde réaliste, avec des personnages vraisemblables qui ressentent, le plus souvent, des sentiments amoureux que le roman idéalise :

Selon la théorie annoncée (et c’est là qu’elle commence), il faut idéaliser cet amour, ce type, par conséquent, et ne pas craindre de lui donner toutes les puissances dont on a l’admiration en soi-même, ou toutes les douleurs dont on a vu ou senti la blessure. Mais, en aucun cas, il ne faut l’avilir dans le hasard des événements; il faut qu’il meure ou triomphe, et on ne doit pas craindre de lui donner une importance exceptionnelle dans la vie, des forces au-dessus du vulgaire, des charmes ou des souffrances qui dépassent tout à fait l’habitude des choses humaines, en même temps un peu le vraisemblable admis par la plupart des intelligences.[xl]

En somme, tout repose sur l’idéalisation des sentiments et des personnages. Tout en se défendant de poser cette théorie comme unique ou absolue, Sand y revient constamment pour justifier ses propres choix romanesques; c’est le cas lorsqu’elle choisit de réécrire Lélia et ce le demeure tout au long de sa vie. Cela ne revient certainement pas à dire que Sand écrit des romans à thèse, et elle en explique d’ailleurs la nuance dans une lettre à Eugène Sue : « je crois qu’un roman estimable doit être un plaidoyer en faveur d’un généreux sentiment, mais que pour faire un bon roman, il faut que le plaidoyer soit tout au long sans que personne s’en aperçoive[xli] », reconnaissant toutefois qu’elle ne croit jamais y être réellement parvenue. Le but du roman, selon Sand, se résume ainsi : « c’est de peindre l’homme, et qu’on le prenne dans un milieu ou dans l’autre, aux prises avec ses idées ou avec ses passions, en lutte contre un monde intérieur qui l’agite, ou contre un monde extérieur qui le secoue, c’est toujours l’homme en proie à toutes les émotions et à toutes les choses de la vie[xlii] ».

Il faut remarquer qu’un discours implicite se glisse dans la formulation de cet idéal. En effet, la représentation de ces sentiments est soutenue par une position politique que Sand, influencée par les mouvements socialistes de son époque, adopte pour transmettre les valeurs de solidarité et d’égalité qui lui sont chères, se gardant toutefois insister trop ouvertement sur celles-ci, la censure étant encore bien présente. Sans se revendiquer trop ouvertement d’une position ou d’une autre, on remarque que ses romans sont fortement teintés de cette vision d’une société idéalisée. Dès Indiana, elle reconnaît avoir porté ces idéaux avant même de les avoir bien compris : « ceux qui m’ont lu sans prétention comprennent que j’ai écrit Indiana avec le sentiment non raisonné, il est vrai, mais profond et légitime, de l’injustice et de la barbarie des lois qui régissent encore l’existence de la femme ans le mariage, dans la famille et dans la société[xliii] ». C’est cependant dans sa correspondance qu’elle affirme plus clairement avoir porté des convictions sociales dans ses romans. Prise dans un procès pour obtenir une séparation de son mari, Casimir Dudevant, elle repousse la publication d’Engeldwald, qui ne sera d’ailleurs jamais publié, qu’elle qualifie de « trop républicain[xliv] » dans le contexte des recours judiciaires qui l’occupent. Ses autres romans font preuve de positions similaires, qu’elle défend fermement devant son éditeur, François Buloz, au moment de faire paraître Horace (1842) : « vous voulez que je parle de la bourgeoisie, et que je dise qu’elle est bête et injuste; de la société, et que je ne la trouve pas absurde et impitoyable; enfin que je ne me permette pas d’avoir un sentiment et une manière de voir sur les faits que je retrace[xlv] ». Elle lui fournit même des exemples de ses prises de position dans des ouvrages précédemment publiés : « relisez donc deux ou trois pages de Jacques et de Mauprat, dans tous mes livres jusque dans les plus innocents, jusque dans les Mosaïstes, jusque dans la dernière Aldini, vous y verrez une opposition continuelle contre vos bourgeois, vos hommes réfléchis, vos gouvernements, votre inégalité sociale, et une sympathie constante pour les hommes du peuple[xlvi] ». Cette querelle, qui mettra fin à la collaboration avec son éditeur à la suite d’un autre procès, prouve que la question politique n’est pas anodine pour la romancière.

Même lorsqu’elle choisit de se tourner vers l’écriture de romans champêtres, elle se justifie sur la base de raisons politiques : « je ne sais pas si un temps viendra où la presse sera libre, mais je sais que depuis longtemps elle ne l’est plus, et que je fais de la littérature pure et simple vu que je ne sais pas philosopher à demi quand je m’en mêle[xlvii] ». S’il est impossible pour Sand d’évincer la question politique, elle se garde le plus souvent d’insister sur ce point en public, répétant qu’elle ne cherche pas à affirmer quoi que ce soit dans ses œuvres, mais plutôt à exprimer un idéal qui l’habite :

L’auteur ne prouvera jamais rien par un exemple matériel du danger ou des avantages manifestes du mal ou du bien. Une œuvre d’art est une création du sentiment. Le sentiment s’éprouve et ne se prouve pas. Ce qui inspire l’écrivain, c’est quelque chose d’abstrait. L’abstrait ne se prouve pas par le concret, le fait ne justifie ni ne détruit la théorie, le réel ne conclut rien pour ou contre l’idéal.[xlviii]

Revenant sur la question de l’inspiration pour justifier sa représentation des idéaux, Sand explique clairement comment elle souhaite que sa théorie et ses romans soient compris : comme un parti pris clair, mais jamais comme un dogme, ou même comme quelque chose d’entièrement applicable à la réalité qui l’inspire.

Convaincue, Sand n’est donc pas pour autant doctrinaire ou dogmatique, comme elle se plaît à appeler les écoles littéraires qui se développent au cours du siècle. Si elle est certainement fortement influencée par le mouvement romantique, dont Lélia constitue un des exemples les plus apparents, elle en reconnaît aussi les limites : « l’art a cru trouver dans les formes nouvelles du romantisme une nouvelle puissance d’expansion. L’art a pu y gagner, mais l’âme humaine n’élève ses facultés que relativement, et la soif de perfection, le besoin de l’infini restent les mêmes, éternellement avides, éternellement inassouvis[xlix] ». Son intérêt pour les préromantiques est attesté dans ses ouvrages. L’influence de Jean-Jacques Rousseau se fait évidemment ressentir au niveau esthétique comme politique, mais il faut aussi mentionner celle de Chateaubriand, dont la lecture de René fut marquante : « j’en fus singulièrement affecté. Il me sembla que René, c’était moi[l] », ainsi que de Goethe, Senancour, Byron et Mickiewicz, tous mentionnés dans la préface de Lélia[li]. Elle se défend toutefois d’appartenir strictement à ce mouvement, tout comme elle critique férocement la théorie de l’art pour l’art, qui contredit sa propre conception du roman : « jamais pédantisme ne fut poussé plus loin dans l’absurde que cette théorie de l’art pour l’art […] L’art pour l’art est un mot creux, absolument faux et qu’on a perdu bien du temps à vouloir définir sans en venir à bout : parce qu’il est tout bonnement impossible de trouver un sens à ce qui n’en a pas[lii] ».

Elle est tout aussi sceptique devant les écoles réaliste et naturaliste qui se succèdent au cours du siècle, n’hésitant pas à en critiquer les principes auprès de leurs plus grands défenseurs, de Champfleury à Flaubert. Pourtant, elle en accepte quelques principes : elle écrit, dans la notice au Compagnon du Tour de France (1841), qu’« il y aurait toute une littérature nouvelle à créer avec les véritables mœurs populaires, si peu connues des autres classes. Cette littérature commence au sein même du peuple; elle en sortira brillante avant peu de temps. C’est là que se retrempera la muse romantique […] qui, depuis son apparition dans les lettres, cherche sa voie et sa famille[liii] ». Annonçant une position chère au réalisme, elle rejette cependant l’idée de peindre des personnages sur nature, qui contrastent effectivement avec son désir de représenter un monde idéalisé. Si elle rachète Flaubert dont le talent lui paraît indéniable, elle le fait en défendant que c’est en partie parce qu’il ne correspond pas aux codes de l’école, que l’on imagine être ceux défendus par Champfleury : « le nom de réalisme ne convient pas, parce que l’art est une interprétation multiple, infinie. C’est l’artiste qui crée le réel en lui-même, son réel à lui, et pas celui d’un autre[liv] ». Elle blâme aussi l’école pour expliquer les reproches qu’elle adresse aux frères Goncourt : « c’est la jeune école, je le sais. On veut tout dire, tout décrire, ne pas laisser un brin d’herbe dans l’ombre, compter les festons et les astragales. C’est éblouissant, mais parfois ça l’est trop[lv] ». Zola et le naturalisme se font aussi blâmer : « l’art doit être la recherche de la vérité, et […] la vérité n’est pas la peinture du mal. Elle doit être la peinture du bien et du mal[lvi] ».

Ultimement, les reproches de Sand aux mouvements littéraires qu’elle traverse se lient toujours aux idéaux dont elle investit le roman. À la fin de sa vie, elle écrit encore à Flaubert en quoi le réalisme ne parvient pas, selon elle, à saisir toutes les possibilités du roman : « cette volonté de peindre les choses comme elles sont, les aventures de la vie comme elles se présentent à la vue, n’est pas bien raisonnée, selon moi. Peignez en réaliste ou en poète les choses inertes, cela m’est égal; mais quand on aborde les mouvements du cœur humain, c’est autre chose. Vous ne pouvez pas vous abstraire de cette contemplation[lvii] ». Dans une autre lettre qui lui est adressée, elle répète : « je veux voir l’homme tel qu’il est. Il n’est pas bon ou mauvais, il est bon et mauvais […] Il me semble que ton école ne se préoccupe pas du fond des choses et qu’elle s’arrête trop à la surface […] On est homme avant tout. On veut trouver l’homme au fond de toute histoire et de tout fait[lviii] ». Impossible, pour Sand, d’envisager le roman sans y replacer au centre l’expérience humaine, qu’il doit toujours chercher à exprimer et à idéaliser.

Le « praticien du roman ».

À l’écart des écoles, Sand se tient également en retrait du milieu littéraire français, préférant entretenir des amitiés qui lui sont chères à une vie mondaine chargée : « quant à la vie littéraire, je ne la connais pas[lix] », écrit-elle. La posture publique qu’elle adopte s’en ressent certainement, et l’expression de « praticien du roman » semble tout à fait appropriée pour décrire celle qui rédige le plus souvent à Nohant, loin du milieu parisien, et qui se mêle peu aux cercles de ses contemporains. Dès ses premières années comme romancière, alors qu’elle vit toujours à Paris, elle se montre peu intéressée par les cercles littéraires : « je vois de loin en loin dans les dîners littéraires où je vais très rarement Mr de Vigny, Auguste Barbier, Alexandre Dumas, Ampère, Jouffroy, Loève-Veimars, L’Herminier, etc., un tas de célébrités dont je me soucie guère jusqu’ici[lx] ». Cette mise en retrait volontaire demeure constante au cours de sa carrière, et elle se montre tout aussi peu intéressée à se joindre aux cercles littéraires sous le Second Empire que sous la monarchie de Juillet : « j’ai dîné aujourd’hui pour la 1re fois chez Magny avec mes petits camarades, le dîner mensuel fondé par Ste-Beuve […] J’ai été reçue à bras ouverts. Il y a trois ans que l’on m’invite[lxi] ». Si ce dîner marque la rencontre décisive avec Flaubert, force est de constater que Sand est peu impressionnée par ses « petits camarades » : « ils ont tous beaucoup d’esprit, mais du paradoxe et de l’amour-propre excepté Berthelot et Flaubert qui ne parlent pas d’eux-mêmes[lxii] ». À ce titre, si elle se lie d’amitié avec Flaubert, ce n’est pas pour des raisons d’affinités littéraires, même s’ils correspondent longuement sur le sujet : « chez les artistes et les lettrés, je n’ai trouvé aucun fond. Tu es le seul avec qui j’aie pu échanger des idées autres que celles du métier[lxiii] ». Ce type d’amitié, qui ne se fonde jamais uniquement sur la littérature, est représentatif des autres relations plus intimes qu’elle entretient avec Alfred de Musset, Honoré de Balzac, Alexandre Dumas fils et plusieurs autres.

Son rapport à ses contemporains est révélateur de la place qu’occupe le roman chez Sand, qui le considère toujours comme une pratique, comme un métier plutôt que comme une vocation, refusant d’idéaliser le genre romanesque ou sa propre prose. À ce titre, il faut remarquer que le choix du nom de plume lui paraît somme toute peu important : « le nom que je devais mettre sur des couvertures imprimées ne me préoccupa guère[lxiv] ». Il est vrai que ce nom, qui ne lui garantit pas l’anonymat qu’elle aurait souhaité, n’ayant jamais cherché à devenir célèbre, lui devient bien plus significatif dans le cadre de sa vie sociale : facteur d’indépendance du nom de son mari et de celui hérité de l’aristocratie, il consacre l’autonomie de la romancière à l’extérieur de la vie littéraire, ses enfants allant jusqu’à l’adopter comme patronyme. Passionnée par son métier, George Sand ne perd donc jamais de vue qu’il s’agit d’abord d’une façon pour elle de gagner sa vie et d’acquérir une forme d’indépendance sociale. Elle se tourne vers l’écriture par nécessité financière et parce que c’est ce qui risque de lui assurer de meilleurs revenus : « par goût, je n’aurais pas choisi la profession littéraire, et encore moins la célébrité. J’aurais voulu vivre du travail de mes mains[lxv] ». Avant la publication d’Indiana, c’est encore par nécessité qu’elle justifie son entrée dans le monde des lettres : « je songe donc uniquement à augmenter mon bien-être par quelques profits, et, comme je n’ai nulle ambition d’être connue je ne le serai point[lxvi] ». Si l’avenir lui donnera tort, elle demeure convaincue que « la littérature n’est qu’une portion de [s]a vie[lxvii] ». En cela, elle s’oppose certainement à plusieurs de ses contemporains, Flaubert en tête de liste, à qui elle écrit : « la sacro-sainte littérature, comme tu l’appelles, n’est que secondaire pour moi dans la vie. J’ai toujours aimé quelqu’un plus qu’elle, et ma famille plus que ce quelqu’un[lxviii] ».

Cette vision de son travail d’écrivaine se fond dans sa vision du roman : tout comme elle lui permet d’exprimer ses idéaux et ses convictions dans ses œuvres, l’écriture lui permet de réaliser certains de ces idéaux pour elle-même : la littérature lui donne une indépendance financière et sociale, lui permet d’élever ses enfants seule à Nohant et de conserver la propriété qui lui est chère à son nom. Cet idéal de liberté qu’elle souhaite transmettre ne s’adresse donc pas à ses pairs, pas plus que la liberté ne se trouve dans une appartenance à ces cercles : « je ne sais pas si tu étais chez Magny un jour où je leur ai dit qu’ils étaient tous des messieurs. Ils disaient qu’il ne fallait pas écrire pour les ignorants, ils me conspuaient parce que je ne voulais écrire que pour ceux-là, vu qu’eux seuls ont besoin de quelque chose[lxix] ». C’est effectivement aux hommes et aux femmes qu’elle met en scène dans ses ouvrages à qui elle s’adresse : « je puis dire que ce qui m’a le plus préoccupé, c’est le désir de faire lire à la classe pauvre ou malaisée des ouvrages dont une grande partie a été composée pour elle[lxx] ». Si elle porte une grande attention aux idéaux qu’elle transmet dans ses œuvres, on constate que l’écriture même des romans représente, pour Sand, une façon toute personnelle de réaliser certains d’entre eux.

Conclusion.

La forme romanesque demeure assez simple pour George Sand. Elle se fonde d’abord sur l’inspiration, qui surgit du quotidien pour démarrer le processus créatif qui trouve sa finalité dans un récit bien construit. Celui-ci, porté par les convictions sociales et politiques de la romancière, doit renvoyer au peuple une vision idéalisée de la réalité, qui révèle le potentiel de liberté et d’égalité que Sand cherche à établir simultanément à l’extérieur de ses romans, d’abord pour elle-même, puis pour l’ensemble de la société. À cet égard, le roman constitue une forme d’engagement dans la société que l’écrivaine habite, bien plus qu’une forme de consécration artistique. C’est pourquoi elle ne fait jamais preuve d’une grande ambition tout au long de sa carrière, et qu’elle refuse de rejoindre un mouvement ou une école littéraire. La création artistique demeure secondaire dans la vie de Sand qui s’accomplit plus pleinement dans sa famille et dans ses amitiés.

Voilà sans doute pourquoi la question de la postérité ne l’a pas beaucoup préoccupée. À l’aube de son soixante-dixième anniversaire, elle écrit quelques mots sur le sujet à Flaubert : « tu veux écrire pour les temps. Moi je crois que dans cinquante ans je serai parfaitement oubliée et peut-être durement méconnue […] Mon idée a plutôt été d’agir sur mes contemporains, ne fût-ce que sur quelques-uns, et de leur faire partager mon idéal de douceur et de poésie[lxxi] ». Humblement résumé, voilà l’art du roman chez Sand : celui de se rejoindre collectivement dans cet idéal partagé
 

[i] George Sand, Correspondance, Tome XIV – juillet 1856 - juin 1858, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1979, p. 211.

[ii] Id., Histoire de ma vie, (éd. Brigitte Diaz), Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004, p. 147.

[iii] Ibid., p. 315.

[iv] Ibid., p. 316.

[v] Ibid., p. 321

[vi] Ibid., p. 634.

[vii] Ibid., p. 207.

[viii] Id., « Notice » de Lucrezia Floriani, dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. V, Paris, J. Hetzel, 1853, p. 1.

[ix] Id., Correspondance, Tome XIV – juillet 1856 - juin 1858, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1979, p. 71.

[x] Ibid.

[xi] Id., Correspondance, Tome XIX – janvier 1865 – mai 1866, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1985, p. 285-286.

[xii] Ibid., p. 191.

[xiii] Id., Correspondance, Tome VII – juillet 1845 - juin 1847, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1970, p. 444.

[xiv] Id., Histoire de ma vie, (éd. Brigitte Diaz), Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004, p. 148.

[xv]Id., Correspondance, Tome II – 1832 - juin 1835, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1966, p. 575.

[xvi] Id., Correspondance, Tome X – janvier 1851 - mars 1852, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1973, p. 533.

[xvii] Id., « Notice » de Consuelo, Paris, Michel Lévy, 1856, p. 1.

[xviii] Id., « Notice » de Jeanne dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. III, Paris, J. Hetzel, 1853, p. 1.

[xix] Id., Correspondance, Tome XV – juillet 1858 - juin 1860, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1981, p. 615.

[xx] Id., Correspondance, Tome XX – juin 1866 - mai 1868, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1985, p. 483.

[xxi] Ibid., p. 207.

[xxii] Id., Histoire de ma vie, (éd. Brigitte Diaz), Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004, p. 633.

[xxiii] Ibid., p. 637.

[xxiv] Id., Correspondance, Tome VII – juillet 1845 - juin 1847, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1970, p. 548.

[xxv] Id., Correspondance, Tome V – avril 1840 – décembre 1842, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1969, p. 675.

[xxvi] Id., Histoire de ma vie, (éd. Brigitte Diaz), Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004, p. 631.

[xxvii] Id., « Notice » de La Dernière Aldini, dans Œuvres T. 7, Paris, J. Hetzel et Cie, Victor Lecou, 1855, p. 1.

[xxviii] Id., Correspondance, Tome XVIII – août 1863 - décembre 1864, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1984, p. 161.

[xxix] Id., « Notice » de Leone Leoni dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. IV, Paris, J. Hetzel, 1853, p. 1.

[xxx] Id., « Notice » d’André, Paris, Calmann Lévy, 1882, p. 1-2.

[xxxi] Id., « Notice » de Le Secrétaire intime, Paris, Calmann Lévy, 1884, p. 1.

[xxxii] Id., « Notice » de Mauprat, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1981, p. 33.

[xxxiii] Id., « Notice » de Le Meunier d’Angibault dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. IV, Paris, J. Hetzel, 1853, p. 1.

[xxxiv] Id., « Notice » de Lucrezia Floriani, dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. V, Paris, J. Hetzel, 1853, p. 2.

[xxxv] Id., Correspondance, Tome VI – 1843 - juin 1845, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1969, p. 673.

[xxxvi] Id., Correspondance, Tome III – juillet 1835 - avril 1837, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1967, p. 403.

[xxxvii] Ibid., p. 93.

[xxxviii] Id., « Préface de l’édition de 1839 » de Lélia, Paris, Classiques Garnier, 1960, p. 350.

[xxxix] Id., Correspondance, Tome VII – juillet 1845 - juin 1847, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1970, p. 56.

[xl] Id., Histoire de ma vie, (éd. Brigitte Diaz), Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004, p. 629.

[xli] Id., Correspondance, Tome V – avril 1840 – décembre 1842, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1969, p. 108.

[xlii] Id., « Notice » de Jeanne dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. III, Paris, J. Hetzel, 1853, p. 1.

[xliii] Id., « Préface de l’édition de 1842 » d’Indiana, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2020, p. 46-47.

[xliv] Id., Correspondance, Tome III – juillet 1835 - avril 1837, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1967 374

[xlv] Id., Correspondance, Tome V – avril 1840 – décembre 1842, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1969, p. 421.

[xlvi] Ibid., p. 421.

[xlvii] Id., Correspondance, Tome XX – juin 1866 - mai 1868, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1985, p. 586.

[xlviii] Id., « Avant-Propos » de Mont-Revêche, Paris, Michel Lévy frères, 1869, p. 5.

[xlix] Id., Histoire de ma vie, (éd. Brigitte Diaz), Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004, p. 314.

[l] Ibid., p. 477.

[li] Id., « Préface de l’édition de 1839» de Lélia, Paris, Classiques Garnier, 1960, p. 351.

[lii] Id., « Préfaces générales » dans Questions d’art et de littérature. Paris, Calmann Lévy, 1878, p. 9.

[liii] Id., « Avant-propos » de Le Compagnon du Tour de France, Paris, Michel Lévy frères, 1869, p. 10.

[liv] Id., Correspondance, Tome XV – juillet 1858 - juin 1860, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1981, p. 480.

[lv] Ibid., p. 719.

[lvi] Id., Correspondance, Tome XXIV – avril 1874 - mai 1876, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1990, p. 586.

[lvii] Ibid., p. 514.

[lviii] Ibid., p. 462.

[lix] Id., Correspondance, Tome XX – juin 1866 - mai 1868, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1985, p. 473.

[lx] Id., Correspondance, Tome II – 1832 - juin 1835, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1966, p. 292.

[lxi] Id., Correspondance, Tome XIX – janvier 1865 – mai 1866, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1985, p. 711.

[lxii] Ibid.

[lxiii]Id., Correspondance, Tome XXII – avril 1870 - mars 1872, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1987, p. 595.

[lxiv] Id., Histoire de ma vie, (éd. Brigitte Diaz), Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004, p. 603.

[lxv] Ibid., p. 652.

[lxvi] Ibid., p. 751.

[lxvii] Id., Correspondance, Tome V – avril 1840 – décembre 1842, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1969, p. 19.

[lxviii] Id., Correspondance, Tome XXII – avril 1870 - mars 1872, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1987, p. 748-749.

[lxix] Id., Correspondance, Tome XXII – avril 1870 - mars 1872, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1987, p. 595-596.

[lxx] Id., « Préfaces générales » dans Questions d’art et de littérature. Paris, Calmann Lévy, 1878, p. 6.

[lxxi] Id., Correspondance, Tome XXIII – avril 1872 - mars 1874, (éd. Georges Lubin), Paris, Classiques Garnier, 1989, p. 332.

Bibliographie

Ouvrages cités

Correspondance :

SAND, George. Correspondance, Tome I – 1812-1831, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1964.

———. Correspondance, Tome II – 1832 - juin 1835, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1966.

———. Correspondance, Tome III – juillet 1835 - avril 1837, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1967.

———. Correspondance, Tome IV – mai 1837 - mars 1840, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1968.

———. Correspondance, Tome V – avril 1840 – décembre 1842, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1969.

———. Correspondance, Tome VI – 1843 - juin 1845, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1969.

———. Correspondance, Tome VII – juillet 1845 - juin 1847, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1970.

———. Correspondance, Tome VIII – juillet 1847 - décembre 1848, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1971.

———. Correspondance, Tome IX – janvier 1849 – décembre 1850, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1972.

———. Correspondance, Tome X – janvier 1851 - mars 1852, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1973.

———. Correspondance, Tome XI – avril 1852 - juin 1853, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1976.

———. Correspondance, Tome XII – juillet 1853 - décembre 1854, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1976.

———. Correspondance, Tome XIII – janvier 1855 - juin 1856, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1978.

———. Correspondance, Tome XIV – juillet 1856 - juin 1858, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1979.

———. Correspondance, Tome XV – juillet 1858 - juin 1860, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1981.

———. Correspondance, Tome XVI – juillet 1860 - mars 1862, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1981.

———. Correspondance, Tome XVII – avril 1862 - juillet 1863, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1983.

———. Correspondance, Tome XVIII – août 1863 - décembre 1864, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1984.

———. Correspondance, Tome XIX – janvier 1865 – mai 1866, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1985.

———. Correspondance, Tome XX – juin 1866 - mai 1868, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1985.

———. Correspondance, Tome XXI – juin 1868 - mars 1870, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1986.

———. Correspondance, Tome XXII – avril 1870 - mars 1872, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1987.

———. Correspondance, Tome XXIII – avril 1872 - mars 1874, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1989.

———. Correspondance, Tome XXIV – avril 1874 - mai 1876, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1990.

———. Correspondance, Tome XXV – Suppléments (1817-1876), édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1991.

Mémoires et écrits :

SAND, George. Histoire de ma vie, édité par Brigitte Diaz, Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004 [1854].

———. Questions d’art et de littérature. Paris, Calmann Lévy, 1878.

Romans, en ordre chronologique :

SAND, George. Indiana, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2020 [1832].

———. Valentine, Paris, Henri Dupuy, 1832.

———. Lélia, Paris, Classiques Garnier, 1960 [1833].

———. Le Secrétaire intime, Paris, Calmann Lévy, 1884 [1834].

———. Leone Leoni dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. IV, Paris, J. Hetzel, 1853 [1834].

———. André, Paris, Calmann Lévy, 1882 [1833].

———. Jacques, Paris, Félix Bonnaire, 1834.

———. Simon, Paris, Félix Bonnaire, 1836.

———. Mauprat, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1981 [1837].

———. Les Maîtres mosaïstes, Paris, Bonnaire, 1838.

———. La Dernière Aldini, dans Œuvres T. 7, Paris, J. Hetzel et Cie, Victor Lecou, 1855 [1838].

———. Spiridion, Paris, Bonnaire, 1839.

———. Les Sept Cordes de la Lyre, Paris, Bonnaire, 1840.

———. Gabriel, Paris, Bonnaire, 1840.

———. Le Compagnon du Tour de France, Paris, Michel Lévy frères, 1869 [1841].

———. Horace, Paris, L. de Potter, 1842.

———. Consuelo, Paris, Michel Lévy, 1856 [1842-3].

———. La Comtesse de Rudolstadt, Paris, L. de Potter, 1844.

———. Jeanne dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. III, Paris, J. Hetzel, 1853 [1844].

———. Le Meunier d’Angibault dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. IV, Paris, J. Hetzel, 1853 [1845].

———. Isidora, Paris, Hyppolyte Souverain, 1846.

———. Teverino, Paris, Desessart, 1846.

———. Le Péché de M. Antoine, Paris, Hyppolyte Souverain, 1846-7.

———. La Mare au Diable, Paris, Desessart, 1846.

———. Lucrezia Floriani, dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. V, Paris, J. Hetzel, 1853 [1847].

———. Le Piccinino, Paris, Desessart, 1847.

———. La Petite Fadette, Paris, Michel Lévy frères, 1849.

———. François le Champi, Paris, Alexandre Cadot, 1850.

———. Le Château des Désertes, Paris, Michel Lévy frères, 1851.

———. Mont-Revêche, Paris, Michel Lévy frères, 1869 [1853].

———. La Filleule, Paris, Louis Grimaud et Cie, 1853.

———. Le Maîtres sonneurs, Paris, Alexandre Cadot, 1853.

———. Adriani, Paris, Alexandre Cadot, 1854.

———. Évenor et Leucippe, Bruxelles, Alph. Lebègue, 1856.

———. Le Diable aux champs, Paris, Librairie Nouvelle, 1857.

———. La Daniella, Paris, Librairie Nouvelle, 1857.

———. Les Dames vertes, Paris, L. Hachette et Cie, 1859.

———. Les Beaux Messieurs de Bois-Doré, Bruxelles, Meline, Cans et Cie, 1858.

———. L’Homme de neige, Paris, L. Hachette et Cie, 1859.

———. Narcisse, Paris, L. Hachette et Cie, 1859.

———. Elle et Lui, Paris, L. Hachette et Cie, 1859.

———. Flavie, Paris, L. Hachette et Cie, 1859.

———. Jean de la Roche, Paris, L. Hachette et Cie, 1860.

———. Constance Verrier, Paris, Michel Lévy frères, 1860.

———. La Ville noire, Paris, Michel Lévy frères, 1861.

———. Le Marquis de Villemer, Paris, Michel Lévy frères, 1861.

———. Valvèdre, Paris, Michel Lévy frères, 1861.

———. La Famille de Germandre, Paris, Michel Lévy frères, 1861.

———. Tamaris, Paris, Michel Lévy frères, 1862.

———. Antonia, Paris, Michel Lévy frères, 1863.

———. Mademoiselle La Quintinie, Paris, Michel Lévy frères, 1863.

———. Laura, Paris, Michel Lévy frères, 1865.

———. La Confession d’une jeune fille, Paris, Michel Lévy frères, 1865.

———. Monsieur Sylvestre, Paris, Michel Lévy frères, 1866.

———. Le Dernier amour, Paris, Michel Lévy frères, 1867.

———. Cadio, Paris, Michel Lévy frères, 1868.

———. Mademoiselle Merquem, Paris, Michel Lévy frères, 1868.

———. Pierre qui roule, Paris, Michel Lévy frères, 1870.

———. Malgrétout, Paris, Michel Lévy frères, 1870.

———. Le Beau Laurence, Paris, Michel Lévy frères, 1870.

———. Césarine Dietrich, Paris, Michel Lévy frères, 1871.

———. Francia, Paris, Michel Lévy frères, 1872.

———. Nanon, Paris, Michel Lévy frères, 1872.

———. Ma sœur Jeanne, Paris, Michel Lévy frères, 1873.

———. Flamarande, Paris, Michel Lévy frères, 1875.

———. Marianne, Paris, Calmann Lévy, 1876.

———. La Tour de Percemont, Paris, Calmann Lévy, 1876.

———. Albine, Paris, La Nouvelle Revue, 1er et 15 mars 1881

Citations

Histoire de ma vie, édité par Brigitte Diaz, Paris, Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2004 [1854].

Il est vraiment trop facile de faire la biographie d’un romancier, en transportant les fictions de ses contes dans la réalité de son existence. Les frais d’imagination ne sont pas grands. (68)

Je me suis passé la fantaisie d’écrire un roman où les oiseaux jouent un rôle assez important et où j’ai essayé de dire quelque chose sur les affinités et les influences occultes. C’est Teverino, auquel je renvoie mon lecteur, ainsi que je le ferai souvent quand je ne voudrai pas redire ce que j’ai mieux développé ailleurs. Je sais bien que je n’écris pas pour le genre humain. Le genre humain a bien d’autres affaires en tête que de se mettre au courant d’une collection de romans et de lire l’histoire d’un individu étranger au monde officiel. Les gens de mon métier n’écrivent jamais que pour un certain nombre de personnes placées à celles qui les occupent. (72)

La vie est un roman que chacun de nous porte en soi, passé et avenir. (102)

Je ne comprenais pas encore la lecture des contes de fées, les mots imprimés, même dans le style le plus élémentaire, ne m’offraient pas grand sens, et c’est par le récit que j’arrivais à comprendre ce qu’on m’avait fait lire. De mon propre mouvement, je ne lisais pas, j’étais paresseuse par nature et n’ai pu me vaincre qu’avec de grands efforts. Je ne cherchais dans les livres que les images; mais tout ce que j’apprenais par les yeux et par les oreilles entrait en ébullition dans ma petite tête, et j’y rêvais au point de perdre souvent la notion de la réalité et du milieu où je me trouvais. (147)

Je composais à haute voix d’interminables contes que ma mère appelait mes romans. Je n’ai aucun souvenir de ces plaisantes compositions, ma mère m’en a parlé mille fois et longtemps avant que j’eusse la pensée d’écrire. Elle les déclarait souverainement ennuyeuses, à cause de leur longueur et du développement que je donnais aux digressions. C’est un défaut que j’ai bien conservé à ce qu’on dit; car, pour moi, j’avoue que je me rends peu compte de ce que je fais, et que j’ai aujourd’hui, tout comme à quatre ans un laisser-aller invincible dans ce genre de création. (147-148)

J’ai souvent pensé à lui en esquissant le portrait d’un certain chanoine qui a été goûté dans le roman de Consuelo. […] J’ai beaucoup changé la ressemblance pour les besoins du roman, et c’est ici le cas de dire que les portraits tracés de cette sorte ne sont plus des portraits; c’est pourquoi lorsqu’ils paraissent blessants à ceux qui croient s’y reconnaître, c’est une injustice commise envers l’auteur et envers soi-même. Un portrait de roman, pour valoir quelque chose, est toujours une figure de fantaisie. L’homme est si peu logique, si rempli de contrastes et de disparates dans la réalité, que la peinture d’un homme réel serait impossible et tout à fait insoutenable dans un ouvrage d’art. Le roman entier serait forcé de se plier aux exigences de ce caractère, et ne serait plus un roman. Cela n’aurait ni exposition, ni intrigue, ni nœud, ni dénouement; cela irait tout de travers comme la vie et n’intéresserait personne, parce que chacun veut trouver dans un roman une sorte d’idéal de la vie.* (207)

*Cette opinion, prise dans un sens absolu, serait très contestable. On s’efforce, en ce moment, de fonder une école de réalisme qui sera un progrès si elle n’outrepasse pas son but et ne devient pas trop systématique. Mais, dans les ouvrages que j’ai lus, dans ceux de M. Champfleury, entre autres, le réalisme est encore poétisé suffisamment pour donner raison à la courte théorie que j’expose. (207)

C’est donc une bêtise que de croire qu’un auteur ait voulu faire aimer ou haïr telle ou telle personne en donnant à ses personnages quelques traits saisis sur la nature; la moindre différence en fait un être de convention, et je soutiens qu’en littérature, on ne peut faire d’une figure réelle une peinture vraisemblable sans se jeter dans d’énormes différences, et sans dépasser extrêmement, en bien ou en mal, les défauts et les qualités de l’être humain qui a pu servir de premier type à l’imagination. (207)

D’abord ce furent des romans [que la bonne lisait], dont toutes les femmes de chambre ont la passion, ce qui fait que je pense souvent à elles quand j’en écris. (233)

J’étais déjà très artiste sans le savoir, artiste dans ma spécialité, qui est l’observation des personnes et des choses. Bien longtemps avant de savoir que ma vocation serait de peindre bien ou mal des caractères et de décrire des intérieurs, je subissais avec tristesse et lassitude les instincts de cette destinée. (241-242)

Me laissant aller à mon émotion et ne m’inquiétant pas d’être d’accord avec le jugement de mes auteurs, je donnai à mes récits la couleur de ma pensée, et même je me souviens que je ne gênais pas pour orner un peu la sécheresse de certains fonds. Je n’altérais point les faits essentiels; mais, quand un personnage insignifiant ou inexpliqué me tombait sous la main, obéissant à un besoin invincible d’art, je lui donnais un caractère quelconque que je déduisais assez logiquement de son rôle ou de la nature de son action dans le drame général. (312)

L’art a cru trouver dans les formes nouvelles du romantisme une nouvelle puissance d’expansion. L’art a pu y gagner, mais l’âme humain n’élève ses facultés que relativement, et la soif de la perfection, le besoin de l’infini restent les mêmes, éternellement avides, éternellement inassouvis. (314)

J’en reviens à dire plus clairement et plus positivement que rien de ce que j’ai écrit dans ma vie ne m’a jamais satisfaite, pas plus que mes premiers essais à l’âge de douze ans, que les travaux littéraires de ma vieillesse, et qu’il n’y a à cela aucune modestie de ma part. (315)

Je cessai donc d’écrire, mais le besoin d’inventer et de composer ne m’en tourmentait pas moins. Il me fallait un monde de fictions, et je n’avais jamais cessé de m’en créer un que je portais partout avec moi, dans mes promenades, dans mon immobilité, au jardin, aux champs, dans mon lit avant de m’endormir et, en m’éveillant, avant de me lever. (316)

J’ai lieu de croire que mon histoire intellectuelle est celle de la génération à laquelle j’appartiens, et qu’il n’est aucun de nous qui n’ait fait, dès son jeune âge, un roman ou un poème. (316)

Et voilà qu’en rêvant la nuit, il me vint une figure et un nom. Le nom ne signifiait rien que je sache : c’était un assemblage fortuit de syllabes comme il s’en forme dans les songes. Mon fantôme s’appelait Corambé, et ce nom lui resta. Il devint le titre de mon roman et le dieu de ma religion. (321)

D’abord, je me rendis bien compte de cette sorte de travail inédit; mais, au bout de très peu de temps, de très peu de jours même, car les jours comptent triple dans l’enfance, je me sentis possédée par mon sujet bien plus qu’il n’était possédé par moi. Le rêve arriva à une sorte d’hallucination douce, mais si fréquente et si complète parfois, que j’en étais comme ravie hors du monde réel. (323)

À travers tous ces jeux le roman de Corambé continuait à se dérouler dans ma tête. C’était un rêve permanent, aussi décousu, aussi incohérent que les rêves du sommeil, et dans lequel je ne me retrouvais que parce qu’un même sentiment le dominait toujours. (336)

Je le lus enfin, et j’en fus singulièrement affectée. Il me sembla que René c’était moi. Bien que je n’eusse aucun effroi semblable au sien dans ma vie réelle, et que je n’inspirasse aucune passion qui pût motiver l’épouvante et l’abattement, je me sentis écrasée par ce dégoût de la vie qui me paraissait puiser assez de motifs dans le néant de toutes les choses humaines. (477)

Voilà pourquoi, ayant rencontré fort peu d’exceptions au positivisme effrayant de mes contemporains d’âge, j’ai presque toujours vécu par instinct et par goût avec des personnes dont j’aurais pu, à peu d’années près, être la mère. En outre, dans toutes les conditions où j’ai été libre de choisir ma manière d’être, j’ai cherché un moyen d’idéaliser la réalité autour de moi et de la transformer en une sorte d’oasis fictive, où les méchants et les oisifs ne seraient pas tentés d’entrer ou de rester. (525)

Je n’écris pas pour me défendre de ceux qui ont un parti pris contre moi. J’écris pour ceux dont la sympathie naturelle, fondée sur une conformité d’instincts, m’ouvre le cœur et m’assure la confiance. C’est à ceux-là seulement que je peux faire quelque bien. Le mal que les autres peuvent me faire, à moi, je ne m’en suis jamais beaucoup aperçue. (562)

J’ébauchai [en 1829] une espèce de roman [La marraine] qui n’a jamais vu le jour; puis, l’ayant lu, je me convainquis qu’il ne valait rien, mais que j’en pouvais aire de moins mauvais, et qu’en somme il ne l’était pas plus que beaucoup d’autres qui faisaient vivre tant bien que mal les auteurs. Je reconnus que j’écrivais vite, facilement, longtemps sans fatigue; que mes idées, engourdies dans mon cerveau, s’éveillaient et s’enchaînaient, par la déduction, au courant de la plume; que, dans ma vie de recueillement, j’avais beaucoup observé et assez bien compris les caractères que le hasard avait fait passer devant moi, et que, par conséquent, je connaissais assez la nature humaine pour la dépeindre; enfin, que, de tous les petits travaux dont j’étais capable, la littérature proprement dite était celui qui m’offrait le plus de chances de succès comme métier, et, tranchons le mot, comme gagne-pain. (566)

Le nom que je devais mettre sur des couvertures imprimées ne me préoccupa guère. En tout état de choses, j’avais résolu de garder l’anonyme. […] J’avais écrit Indiana à Nohant, je voulus le donner sous le pseudonyme demandé; mais Jules Sandeau, par modestie, ne voulut pas accepter la paternité d’un livre auquel il était complètement étranger. Cela ne faisait pas le compte de l’éditeur. Le nom est tout pour la vente, et le petit pseudonyme s’étant bien écoulé, on tenait essentiellement à le conserver. Delatouche, consulté, trancha la question par un compromis : Sand resterait intact et je prendrais un autre prénom qui ne servirait qu’à moi. Je pris vite et sans cherche celui de George qui me paraissait synonyme de Berrichon. Jules et George, inconnus au public, passeraient pour frères ou cousins. (603)

Il est donc probable que j’eusse changé ce pseudonyme, si je l’eusse cru destiné à acquérir quelque célébrité; mais jusqu’au moment où la critique se déchaîna contre moi à propos du roman de Lélia, je me flattai de passer inaperçue dans la foule des lettrés de la plus humble classe. En voyant que, bien malgré moi, il n’en était plus ainsi, et qu’on attaquait violemment tout dans mon œuvre, jusqu’au nom dont elle était signée, je maintins le nom et poursuivis l’œuvre. Le contraire eût été une lâcheté. (604)

Et à présent j’y tiens, à ce nom, bien que ce soit, a-t-on dit, la moitié du nom d’un autre écrivain. Soit. Cet écrivain a, je le répète, assez de talent pour que quatre lettres de son nom ne gâtent aucune couverture imprimée, et ne sonnent point mal à mon oreille dans la bouche de mes amis. (604)

Je suis trop romanesque pour avoir vu une héroïne de roman dans mon miroir. Je ne me suis jamais trouvée ni assez belle, ni assez aimable, ni assez logique dans l’ensemble de mon caractère et de mes actions pour prêter à la poésie ou à l’intérêt, et j’aurais eu beau chercher à embellir ma personne et à dramatiser ma vie, je n’en serais pas venue à bout. (628)

Je n’avais pas la moindre théorie quand je commençai à écrire, et je ne crois pas en avoir jamais eu quand une envie de roman m’a mis la plume à la main. Cela n’empêche pas que mes instincts ne m’aient fait, à mon insu, la théorie que je vais établir, que j’ai généralement suivie sans m’en rendre compte, et qui, à l’heure où j’écris, est encore en discussion. (628-629)

Selon cette théorie, le roman serait une œuvre de poésie autant que d’analyse. Il faudrait des situations vraies et des caractères vrais, réels même, se groupant autour d’un type destiné à résumer le sentiment ou l’idée principale du livre. Ce type représente généralement la passion de l’amour, puisque presque tous les romans sont des histoires d’amour. Selon la théorie annoncée (et c’est là qu’elle commence), il faut idéaliser cet amour, ce type, par conséquent, et ne pas craindre de lui donner toutes les puissances dont on a l’aspiration en soi-même, ou toutes les douleurs dont on a vu ou senti la blessure. Mais, en aucun cas, il ne faut l’avilir dans le hasard des événements; il faut qu’il meure ou triomphe, et on ne doit pas craindre de lui donner une importance exceptionnelle dans la vie, des forces au-dessus du vulgaire, des charmes ou des souffrances qui dépassent tout à fait l’habitude des choses humaines, en même un peu le vraisemblable admis pas la plupart des intelligences. (629)

En résumé, idéation du sentiment qui fait le sujet, en laissant à l’art du conteur le soin de placer ce sujet dans des conditions er dans un cadre de réalité assez sensible pour le faire ressortir, si, toutefois, c’est bien un roman qu’il veut faire. (629)

Cette théorie est-elle vraie? Je crois que oui; mais elle ne doit pas être absolue. Balzac, avec le temps, m’a fait comprendre, par la variété et la force de ses conceptions, que l’on pouvait sacrifier l’idéalisation du sujet à la vérité de la peinture, à la critique de la société et de l’humanité même. (629)

S’il n’y avait qu’une école et qu’une doctrine dans l’art, l’art périrait vite, faute de hardiesse et de tentatives nouvelles. L’homme va toujours cherchant avec douleur le vrai absolu, dont il a le sentiment, et qu’il ne trouvera jamais en lui-même l’état d’individu. La vérité est le but d’une recherche pour laquelle toutes les forces collectives de notre espèce ne sont pas de trop; et cependant, erreur étrange et fatale, dès qu’un homme de quelque capacité aborde cette recherche, il voudrait l’interdire aux autres et donner pour unique découverte celle qu’il croit tenir. (631)

L’inspiration, voilà quelque chose de bien malaisé à définir et de bien important à constater comme un fait surhumain, comme une intervention presque divine. (631)

Je sentis en commençant à écrire Indiana une motion très vive et très particulière, ne ressemblant à rien de ce que j’avais éprouvé dans mes précédents essais. Mais cette émotion fut plus pénible qu’agréable. J’écrivis tout d’un jet, sans plan, je l’ai dit, et littéralement sans savoir où j’allais, sans m’être rendu compte du problème social que j’abordais. […] J’avais en moi seulement, comme un sentiment bien net et bien ardent, l’horreur de l’esclavage brutal et bête. (632)

J’écrivis donc ce livre sous l’empire d’une émotion et non d’un système. Cette émotion, lentement amassée dans le cours d’une vie de réflexions, déborda très impérieuse dès que le cadre d’une situation quelconque s’ouvrit pour la contenir; mais elle s’y trouva fort à l’étroit, et cette sorte de combat entre l’émotion et l’exécution me soutint pendant six semaines dans un état de volonté tout nouveau pour moi. (633)

Mais mon pauvre Corambé s’envola pour toujours, dès que j’eus commencé à me sentir dans cette veine de persévérance sur un sujet donné. Il était d’une essence trop subtile pour se plier aux exigences de la forme. À peine eus-je fini mon livre, que je voulus retrouver le vague ordinaire de mes rêveries. Impossible! Les personnages de mon manuscrit, enfermés dans un tiroir, voulurent bien y rester tranquilles; mais j’espérai en vain voir reparaître Corambé, et avec lui ces milliers d’êtres qui me berçaient tous les jours de leurs agréables divagations, ces figures à moitié nettes, ces voix à moitié distinctes qui flottaient autour de moi comme un tableau animé derrière un voile transparent. Ces chères visions n’étaient que les précurseurs de l’inspiration. Elles se cachèrent cruellement au fond de l’encrier, pour n’en plus sortir que quand je m’enhardirais à les y chercher. (633)

Quand je fus dans l’âge où l’on rit de sa propre naïveté, je remis Corambé à sa véritable place; c’est-à-dire que je le réintégrai, dans mon imagination, parmi les songes; mais il en occupa toujours le centre, et toutes les fictions qui continuèrent à se former autour de lui émanèrent toujours de cette fiction principale. (634)

Mes personnages prirent une autre manière de se manifester. Je ne les vis plus flotter dans un coin de ma chambre ni passer dans mon jardin à travers les arbres : mais, en fermant les yeux, je les vis plus nettement dessins, et leurs paroles, n’arrivant plus à mon oreille par de mystérieux murmures, se gravèrent plus distinctes dans mon esprit. Quand ils vinrent dans mon sommeil, ils ne firent plus que m’ennuyer; mais quand j’étais dans mon armoire (le petit bureau de mon cabinet), ils me parlaient et agissaient sur mon papier blanc, bien ou mail mais d’une façon brusque et impérieuse qui avait aussi son charme. (636)

J’eus à peine terminé mon premier manuscrit, qu’il s’effaça de ma mémoire, non pas peut-être d’une manière aussi absolue que les nombreux romans que je n’avais jamais écrits, mais au point de ne plus m’apparaître que vaguement. (637)

Si je n’avais pas mes ouvrages sur un rayon, j’oublierais jusqu’à leur titre. On peut me lire un demi-volume de certains romans que je n’ai pas eu à revoir en épreuves depuis quelques semaines, sans que, sauf deux ou trois ouvrages sur un rayon, j’oublierais jusqu’à leur titre. On peut me lire un demi-volume de certains romans que je n’ai pas eu à revoir en épreuves depuis quelques semaines, sans que, sauf deux ou trois noms principaux, je devine qu’ils sont de moi. (637)

J’ai mis depuis environ quinze ans, depuis l’époque où j’ai vu qu’on les lisait et qu’on les discutait, la plus grande conscience à les livrer aussi finis qu’il m’était possible. Mais, excepté un ou deux, je n’ai jamais pu rien y refaire. L’entrain épuisé, il ne me reste plus la moindre certitude sur la valeur de la forme qu’il a prise, et je changerais tout, s’il me fallait changer quelque chose. (637)

C’est, du reste, une chose si variée dans son mécanisme que ce que l’on appelle l’inspiration dans les arts, que plus on s’enquiert des particularités extérieures, moins on est à même de trouver une synthèse pour les opérations du cerveau. (639)

Par goût, je n’aurais pas choisi la profession littéraire, et encore moins la célébrité. J’aurais voulu vivre du travail de mes mains, assez fructueusement pour pouvoir faire consacrer mon droit au travail par un petit résultat sensible, mon revenu patrimonial étant trop mince pour me permettre de vivre ailleurs que sous le toit conjugal, où régnaient des conditions inacceptables. (652)

Ce qui, du reste, m’a mise à l’aise toute ma vie en écrivant des livres, c’est la conscience du peu de popularité qu’ils devaient avoir. Par popularité, je n’entends pas qu’ils dussent, par leur nature, rester dans la région aristocratique des intelligences. Ils ont été mieux lus et mieux compris par ceux des hommes du peuple qui portent le sentiment de l’idéal dans leur aspiration, que par beaucoup d’artistes qui ne se soucient que du monde positif. Mais, soit dans le peuple, soit dans l’aristocratie, je n’ai dû contenter, à coup sûr, que le très petit nombre. (723)

Je sentis alors l’effroi de cette vie de travail dont j’avais accepté toutes les responsabilités. Il ne m’était plus permis de m’arrêter un instant, de revoir mon œuvre, d’attendre l’inspiration, et j’avais des accès de remords en songeant à tout ce temps consacré à un travail frivole, quand mon cerveau éprouvait le besoin de se livrer à de salutaires méditations. Les gens qui n’ont rien à faire et qui voient les artistes produire avec facilité sont volontiers surpris du peu d’heures, du peu d’instants qu’ils peuvent se réserver à eux-mêmes. Ils ne savent pas que cette gymnastique de l’imagination, quand elle n’altère pas la santé, laisse du moins une excitation des nerfs, une obsession d’images et une langueur de l’âme qui ne permettent pas de mener de front un autre genre de travail. (751)

Correspondance, Tome I, 1812-1831, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, coll. « Bibliothèque du XIXe siècle », 2013.

Cela ne veut pas dire que je dédaigne les œuvres des contemporains, mais seulement que la postérité jugera les hommes mieux que nous. Je voudrais avoir quelque chose de Benjamin Constant et surtout de Royer-Collard. Mais quoi? Je ne suis pas au courant de ces publications. (502-503)

Depuis que tu m’as mis en tête d’écrire quelque chose pour toi, ma douce Jane, je n’ai plus ni appétit ni sommeil. J’aimerais mieux en mourir d’étisie que de manquer à ma promesse et au milieu du tourment que ce projet me donne, j’éprouve cependant un désir toujours plus vif de surmonter des difficultés, dont le résultat sera de te forcer de penser à moi tout le temps que durera la lecture de mon livre. Mais hélas! un livre! comment faire? Par où commencer, surtout lorsque comme moi on a l’habitude de prendre tous les livres par la fin! Tu me donnes pourtant toute la latitude possible, que ce soit un roman ou un poème, de la prose ou des vers, il n’importe, dis-tu. Me voilà bien à mon aise, moi, qui n’ai écrit dans ma vie que deux bons morceaux en prose. Savoir, une recette pour faire le plum-pudding et un mémoire de blanchisseuse, parfaitement exacts et bien rédigés. Quant aux vers, j’en ai fait une fois, trois de suite dans une certaine chanson pour laquelle j’ai failli être pendue et ma maison rasée. […] Ne crois pas pourtant que j’aie perdu mon temps à chercher ce que j’allais faire : dès que j’eus reçu ta lettre, je me mis à l’ouvrage sauf à réfléchir après. Que me manquait-il en effet? J’avais du papier du Hâvre excellente qualité, des plumes d’oie qui écrivaient d’elles-mêmes, et de l’encre peut-être plus noire que celle qui servait à Monta[i]gne. Que faut-il de plus par le temps qui court? J’écrivis, j’écrivis tant qu’il y en a sur mon bureau de quoi faire gémir toutes les presses de Paris. Mais quand cette besogne fut un peu avancée je voulus y mettre de l’ordre, l’écrire en caractères moins désespérants, et rassembler ces feuilles éparses dans le volume le moins épais possible afin de les confier à la poste. C’est là que commencèrent les difficultés. Ce fut pour moi un travail à en perdre la vue, que de vouloir déchiffrer ma propre écriture. Je priai quelques-uns de mes amis de m’aider, mais ils me déclarèrent tous que la science de Mr Champollion et Consorts ne parviendrait pas à débrouiller mes hiéroglyphes? Quel dommage que des idées aussi lumineuses aient été tracées en caractères si étrangement crochus! Que de trésors perdus pour la postérité, à moins que les siècles futurs n’engendrent une nouvelle race de savants plus versés dans la science des chiffres? À cette difficulté s’en joignit une autre, celle de lier ensemble les parties de mon ouvrage car j’avais écrit ce qui m’était venu à l’esprit sans m’inquiéter des intervalles à remplir pour joindre ensemble les événements. (561-563)

Il a écouté patiemment la lecture de mes œuvres légères – Le Gaulois n’avait pas eu la force de les porter. Il avait fallu deux mulets pour les traîner jusque-là. – Il m’a dit que c’était charmant, mais que cela n’avait pas le sens commun. À quoi j’ai répondu : « C’est juste ». Qu’il fallait tout refaire. À quoi j’ai répondu : « Ça se peut. » Que je ferais bien de recommencer. À quoi j’ai ajouté : « Suffit. » (783)

J’ai donc craint qu’il ne voulût pas l’étendre à deux personnes et je lui ai dit que le nom de Sandeau était celui d’un de mes compatriotes qui avait bien voulu me le prêter. En cela je suivais son conseil car il est bon que je vous dise que M. Véron, le rédacteur en chef de la Revue [de Paris] déteste les femmes et n’en veut pas entendre parler. (784)

Mon article a été renvoyé de la Revue de Paris, parce que l’ouvrage ne portant pas un nom connu, ne pouvait pas être bon! Cependant Latouche, qui s’était fait fort de le faire insérer me l’a envoyé redemander ce matin et promet encore une fois qu’il paraîtra, pourvu que je le laisse y faire les changements qu’il jugera convenables et qu’il le signera comme il voudra. Je consens à tout, de sorte que je ne sais même pas quel est mon nom littéraire. Quant au roman les corrections qu’il exige vont mal avec mes principes, j’aime mieux adopter celles que Kératry m’imposera, car lui du moins est un honnête homme, et un bon homme. (796)

Je ne crois pas, mon cher enfant, à tous les chagrins qu’on me prédit dans la carrière littéraire où j’essaye d’entrer. Il faut voir et apprécier quels motifs m’y poussent et quel but j’y poursuis. […] Je songe donc uniquement à augmenter mon bien-être par quelque profits, et, comme je n’ai nulle ambition d’être connue je ne le serai point. Je n’attirerai l’envie et la haine de personne. La plupart des écrivains vivent d’amertumes et de combats, je le sais, mais ceux qui n’ont d’autre ambition que celle de gagner leur vie vivent à l’ombre et paisiblement. Béranger, le grand Béranger lui-même, malgré sa gloire et son éclat, vit retiré et à part de toutes les coteries. Ce serait bien le diable si un pauvre talent comme le mien ne pouvait se dérober aux regards. Le temps n’est plus où les éditeurs faisaient queue à la porte des écrivains. La chose est renversée et de tous les états le plus libre et le plus obscur peut-être est celui d’auteur, pour qui n’a pas d’orgueil et de fanfaronnade. Quand on vient me donc me dire que la gloire est un chagrin de plus que je me prépare, je ne puis m’empêcher de rire de ce mot, qui n’est pas heureux, et e tous ces lieux-communs qui ne sont applicables qu’aux génies ou à la vanité. Je n’ai ni l’un ni l’autre, et j’espère ne connaître aucune de ces tracasseries qu’on croit inévitables. (801)

Je suis plus que jamais résolue à suivre la carrière littéraire, malgré les dégoûts que j’y trouve parfois, malgré les jours de paresse et de fatigue qui viennent interrompre mon travail, malgré la vie plus que modeste que je mène ici, je sens que mon existence est désormais remplie. J’ai un but, une tâche, disons le mot, une passion. Le métier d’écrire en est une violence et presque indestructible, quand elle s’est emparée d’une pauvre tête, elle ne peut plus s’arrêter. Je n’ai point eu de succès; mon ouvrage a été trouvé invraisemblable par les gens à qui j’ai demandé conseil. (817-818)

Il faut, quand on veut écrire, tout voir, tout connaître, rire de tout. Ah! ma fois vive la vie d’artiste! Notre devise est liberté. (818)

La littérature est dans le même chaos que la politique. Il y a une préoccupation, une incertitude dont tout se ressent. On veut du neuf et pour en faire, on fait du hideux. Balzac est au pinacle pour avoir peint l’amour d’un soldat pour une tigresse et celui d’un artiste pour un castrato. (825)

Je travaille le soir à mon roman. Cela m’amuserait beaucoup si je n’étais pas obligée de me dépêcher. Une autre fois, je prendrai plus de latitude avec mon éditeur, afin de travailler pour mon plaisir et sans fatigue. (939)

Je suis sûre du moins d’avoir fait une excellente chose le jour où j’ai jeté au feu tout le premier volume dont vous avez écouté héroïquement l’exposé. Après ce grand acte, je croisai les bras et comme l’Éternel je me reposai. Depuis, J’ai refait le premier volume en entier, il est chez l’imprimeur, le second y sera dans quelques jours. Vous voyez que je travaille, mais comme dit ma mère en parlant de ses enfants : « Je fais vite et mal. » (947-948)

Je ne travaille donc plus qu’à corriger des épreuves et à me faire mousser. Tu ne sais pas ce que c’est? c’est de courir les journaux et de leur demander naïvement de dire du bien de mon livre avant qu’il n’ait paru et sur ma parole. (972)

Correspondance, Tome II – 1832 - juin 1835, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1966.

[Sur Indiana] J’ai peur d’ennuyer souvent, d’ennuyer comme la vie ennuie. Et pourtant, quoi de plus intéressant que l’histoire du cœur quand elle est vraie? Il s’agit de la faire vraie, voilà le difficile, voilà probablement où se trouvera de temps en temps l’écueil malgré mes méditations, mes objections, mes appréhensions et mes souvenirs. (47)

[À Balzac] Je vous envoie mon livre. Agréez-le, mis ne le lisez pas. Mettez-le dans un coin comme un souvenir de nous, mais n’en secouez jamais la poussière, si vous voulez ne pas souffrir dans la personne de vos amis. (86)

Si nous avions dix ans de calme politique, la littérature verrait sans doute une ère florissante, car après la réaction du faux sur le vrai (réaction qui s’est opérée ces dix dernières années et qui achève son cours) arriverait maintenant celle du vrai sur le faux, celle que tout lecteur demande, que tout écrivain rêve et désire mais qui ne peut éclore dans un siècle de fureurs et sur une terre d’hôpitaux. (105)

Le succès d’Indiana m’épouvante beaucoup. Jusqu’ici je croyais travailler sans conséquence et ne mériter jamais aucune attention, mais la fatalité en a ordonné autrement. Il faut justifier les admirations non méritées dont je suis l’objet. Cela me dégoûte singulièrement de mon état. Il me semble que je n’aurai plus de plaisir à écrire. (115)

Enfin je vois de loin en loin dans les dîners littéraires où je vais très rarement, Mr de Vigny, Auguste Barbier, Alexandre Dumas, Ampère, Jouffroy, Loève-Veymars, l’herminier etc, un tas de célébrités don je ne me soucie guère jusqu’ici. (292)

Je compte sur votre bon esprit et sur votre bonne volonté pour expliquer au public les symboles peut-être un peu obscurs de mon livre. Il faut un jugement sain et un goût sérieux comme le vôtre pour éclaircir et débrouiller ce poème confus et diffus. J’avais pourtant mon idée en le faisant. Vous la comprendrez, et vous suppléerez aux défauts de l’exécution. (388)

Je sais que je suis entachée de la désignation de femme de lettres, et, plutôt que d’avoir l’air de consommer ma marchandise littéraire par économie, dans la vie réelle, je tâche de dépenser et de soulager mon cœur dans les fictions de mes romans; mais il m’en reste encore trop, et je n’ai pas le droit de le montrer sans qu’on en rie. C’est pourquoi je le cacher; c’est pourquoi je me consume et mourrai seule comme j’ai vécu. (546-547)

Ce serait bien mal interpréter mes livres, que d’y trouver une prétention de doctrine quelconque. […] Jusqu’ici je ne me suis pas attribué assez d’importance pour songer à faire autre chose que des romans pris dans l’acception pure et simple du mot. Si plus tard, j’acquérais une réputation plus réelle et mieux fondée comme écrivain, je chercherais à préciser mes principes et à les exposer assez clairement pour que le blâme ou l’approbation d’autrui ne fussent point hasardés. (740-741)

Lélia n’est point un livre, c’est un cri de douleur, ou un mauvais rêve, ou une discussion de mauvaise humeur, pleine de vérités et de paradoxes, de justice et de préventions. Il y a de tout, excepté du calme, et sans le calme il n’y a pas de conclusion acceptable. Il ne faudrait pas plus demander un code moral à Lélia, qu’un travail d’esprit à un malade. (741)

Correspondance, Tome III – juillet 1835 - avril 1837, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1967

Lélia est une livre assez obscur pour moi-même. Il fut écrit sous l’empire de souffrances morales très vives et très énergiquement avouées. La franchise est donc le seul mérite de cette production vague, incomplète, et manquant absolument le but d’utilité sociale exigé par le public. On m’en a fait de grands reproches, que j’ai trouvés injustes, parce que je n’avais pas eu la prétention d’écrire un livre de philosophie, et que je croyais la plainte, dans toute sa naïveté et dans toute son amertume, permise dans un ouvrage de poésie. (93)

Il se peut qu’à beaucoup d’égard, si j’avais à recommencer un tel livre, mes plaintes portassent sur d’autres sujets : vous savez que la vie change de face, et l’âme avec elle. Quand j’aurai vécu davantage, j’essaierai peut-être de donner une conclusion à tous les fragments d’existence que j’ai disséminés dans divers romans plus ou moins faibles de conception. (93)

Le public le sait, aussi c’est au public que j’en appelle pour repousser les interprétations malpropres du chaste moraliste qui prétend avoir compris le résultat et le but définitif de tous mes ouvrages. Je déclare ici que le juge éclairé d’Indiana, de Valentine, de Lélia et de Jacques, n’a ni compris ni lu aucun de mes livres. (119)

Je suis en train de faire d’importantes corrections à Lélia. Je bouleverse tout le personnage de Trenmor, et je transporte la réhabilitation, non pas la morale, mais poétique du joueur, dans la bouche de Leone Leoni, ce passage était assez purement écrit, j’eusse été faché de le perdre, et je crois qu’il est maintenant tout à fait en sa place, et sans inconvénient puisqu’il est dans la bouche d’un personnage réprouvé. Je l’ai relu avec attention et conscience. Je n’y ai rien trouvé d’immoral. Le grand défaut c’est l’invraisemblance des événements. Mais pourvu que les caractères soient vrais, la folie des incidents est un droit du romancier et de plus forts que moi ne s’en sont pas fait faute. (392-393)

Je fais un nouveau volume à Lélia. Cela m’occupe plus que tout autre roman n’a encore fait. Lélia, n’est pas moi. Je suis meilleure enfant que cela; mais c’est mon idéal. C’Est ainsi que je conçois ma muse si toutefois je puis me permettre d’avoir une muse… (403)

La littérature est le dernier des métiers pour les commençants. Le talent n’y fait rien, le hasard et le caprice du moment font tout. (575)

Correspondance, Tome IV – mai 1837 - mars 1840, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1968.

Je vous envoie un nouveau roman sous forme dramatique, qui réjouira le cœur de Buloz car la philosophie et le mysticisme, les deux plus grandes pestes de cet honnête Buloz, y sont assez déguisés pour ne pas l’effarouche. (634)

Vous dites que le retard d’Engelwald vous gêne. Et moi aussi. Mais je ne peux pas vous donner une chose au succès de laquelle je ne crois pas. Vous savez que les auteurs se font aisément illusion sur le succès de leurs ouvrages. Moi comme un autre probablement. Si je tire mauvais augure de celui-ci, il faut que ce soit bien vrai. Il faut donc qu’il soit entièrement refait et j’y travaille. Mais refaire est plus long et plus ennuyeux que faire. Je ne vais donc pas vite, faisons un arrangement si ce retard vous est préjudiciable. (669-670)

Correspondance, Tome V – avril 1840 – décembre 1842, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1969.

La littérature n’est donc qu’une portion de ma vie, et je ne sais jamais ce qui s’imprime pour ou contre moi et les autres. (19)

Je ne sais faire que des romans, et c’est un roman encore que je fais. Un compagnon menuisier en est le héros; c’est vous dire que je ne suis pas sortie des idées, des sentiments et des convictions sous l’empire desquels j’écrivis plusieurs romans dont la tendance démocratique m’a été assez reprochée par le beau monde. (135)

Tout au contraire, je suis prête, quand l’inspiration m’en viendra au point de vue de l’art, de [sic] faire un très beau portrait des vrai nobles, mais parmi ceux-là, mon ami, je vous avoue que je ne mettrai jamais ceux qui ont conspiré jadis pour Louis-Philippe ni ceux qui se sont rattachés à sa puissance. Je les tiens pour des gens sans dignité, sans goût et sans aucun caractère poétique. Ils sont dans une contradiction avec leurs principes et leurs idées intimes qui me les rend pour le moins très ridicules, et je ne vois pas par où on pourrait les embellir. (254)

D’après votre seconde lettre, et après avoir examiné mon manuscrit, je vois clairement que vous me demandez l’impossible. Vous voulez tout bonnement que je parle d’une époque sans y faire participer mes personnages, que je vous montrer des étudiants de 1831 dévoués au gouvernement de Louis-Philippe, un démocrate prolétaire qui ne s’afflige pas, après les journées de juillet, du rétablissement de la monarchie; vous voulez des grisettes qui ne soient pas des grisettes et dans la vie desquelles il ne faut pas entrer. Vous voulez que je parle de la bourgeoisie, et que je ne dise pas qu’elle est bête et injuste; de la société, et que je ne la trouve pas absurde et impitoyable; enfin que je ne me permette pas d’avoir un sentiment et une manière de voir sur les faits que je retrace et le milieu où j’établis ma scène. […] Relisez donc deux ou trois pages de Jacques et de Mauprat, dans tous mes livres jusque dans les plus innocents, jusque dans les Mosaïstes, jusque dans la dernière Aldini, vous y verrez une opposition continuelle contre vos bourgeois, vos hommes réfléchis, vos gouvernements, votre inégalité sociale, et une sympathie constante pour les hommes du peuple. [..] (421)

Tu sais que je ne tiens pas à mon génie littéraire. Si tu n’aimes pas ce roman [Horace], il faut ne pas te gêner de me le dire. Je voudrais te dédier quelque chose qui te plût, et je reporterais la dédicace au produit d’une meilleure inspiration. (547)

J’ai peint comme j’ai pu mes figures, comme je les ai bues quand elles étaient vivantes dans mon imagination. Mais elles s’y sont bien effacées, à mesure qu’elles ont fait place à d’autres; et je ne puis regarder que devant moi; ce qui est derrière n’existe déjà plus. (675)

Le roman demande plus d’animation et de variété, des scènes plus inattendues, des personnages moins faits d’une pièce, une intrigue plus compliquée, plus d’art enfin. (810)

Correspondance, Tome VI – 1843 - juin 1845, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1969.

Je ne suis qu’un romancier, c’est-à-dire un pauvre composé de poète et de peintre. Je m’inspire de ce qui m’émeut moralement, mais je ne puis peindre ce qui m’a frappé physiquement. Je ne pourrais pas faire un roman sur des hommes que je n’ai pas connus, sur des scènes que je n’ai pas vues, sur des événements que je n’ai pas traversés. Enfin ces sortes d’histoires poétiques qu’on appelle romans nous viennent malgré nous, et quelques fois de pâles figures, de médiocres sujets nous les inspirent, s’ils se trouvent sur notre chemin; tandis que nous sentons notre impuissance pour peindre de grandes épopées qui se sont passées dans un milieu inconnu pour nous. […] Le cadre donné, ce que nous avons de foi, et d’enthousiasme vient s’y placer naturellement, et s’il n’en était pas ainsi, nos contes ne mériteraient pas de trouver deux lecteurs. Mais ce cadre, cette couleur qui les remplit, cette lumière qui les anime, cette vie qui y circule (bien ou mal, il faut que l’intention et l’espoir de toutes ces choses s’y trouve [sic]), ce cadre enfin vous ne pourriez par des documents. Si j’étais en Italie, aux lieux où ces événements dont vous me parlez se sont accomplis, et qu’un des acteurs principaux fût à mes côtés […] sans doute alors le tableau se dessinerait dans mon imagination. Mais encore faut-il que ce cicerone de ma vision fût inspiré pour me donner l’inspiration. Il faudrait que ce fût vous-même, et sans doute le feu sacré passerait de vous en moi. De loin, et quand même vous me procureriez par écrit les notions les plus complètes, les plus colorées, je n’aurais qu’un aspect vague des choses, et, au lieu d’un roman, je ferais une histoire ou une prédication. (35)

[À Eugène Sue] Je crois qu’un roman estimable doit être un plaidoyer en faveur d’un généreux sentiment, mais que pour faire un bon roman, il faut que le plaidoyer y soit tout au long sans que personne s’en aperçoive. Voilà tout le secret du roman. Je ne l’ai pas encore trouvé dans la pratique. Toujours, quand je suis à l’œuvre le plaidoyer emporte le roman, ou le roman le plaidoyer. Tout l’art (car il y a de l’art dans les moindres choses encore que le roman,) consisterait, je le sens, à incarner un monde idéal dans un monde réel. C’est une grande difficulté. Il faut là plus que de l’observation, plus que de la mémoire, plus que du style, plus que de l’invention. C’est un certain don aussi peu communicable et définissable, que celui de la peinture, et il faut bien des facultés et des qualités réunies pour que ce don-là apparaisse. (108)

[À Louis Véron] Je l’ai écrit de bonne foi, comme un roman d’actualité, purement roman, peinture de mœurs par dessus tout. Je persiste à le croire tel, et ma bonne foi va jusqu’à ne pas comprendre que vous lui fassiez l’honneur de le trouver philosophique ou dogmatique en quoi que ce soit. Ce que je crois comprendre, c’est qu’il ne vous plaît point et que vous jugez qu’il ne plaira point au public. Je n’ai pas l’amour propre de soutenir que vous vous trompez, mais je dis que dans une pareille question vous ne pouvez pas être juge et partie, ni moi non plus. (657)

Mon orgueil littéraire ne se refuserait pas du tout à écouter vos conseils et à vous soumettre mon plan. Mais je serais emportée loin de mon plan, loin de vos conseils en écrivant, comme cela m’est toujours arrivé vis-à-vis de moi-même et de mes amis. Croyez-en, Monsieur, une bonne foi que vous ne rencontrerez pas toujours chez les gens de mon métier, je vous tromperais si je vous promettrais l’impossible. (672)

Ne me parlez donc plus de conditions et de conventions sur la nature de mon travail. Cela m’est impossible. Je suis entrée déjà bien des fois dans de longues explications avec vous à cet égard, pour que vous compreniez la nature de mon cerveau et que vous sachiez bien qu’il n’y a là dedans aucune défaite, aucune affectation, aucune arrière-pensée. (672)

Maintenant pour vous prouver que je ne mets pas d’aigreur dans tout cela, je ne me refuse pas à vous offrir la préférence sur le roman que le hasard de l’inspiration (je n’écris jamais ce mot sans rire) pourra me suggérer d’ici à quelques mois. Je ne m’engagerai à rien, mais si j’ai comme je l’espère à me louer de votre franchise dans ce dénouement, je vous communiquerai peut-être mon roman si je le vois de nature à vous satisfaire. Comprenez bien, je vous en supplie, que je n’ai pas de parti-pris quand j’écris un conte. Il vient comme il peut. Si ce que vous appelez le communisme me domine dans ce moment-là, le roman s’en ressentira. (673)

Quant à vos considérations morales sur les hommes et les femmes de mes livres, vous entrez un peu trop au vif dans la question. Je ne vous permets par de dire, mon cher Hetzel, quand je n’ai connu dans ma vie que des hommes sans caractère. Mais que j’aie peint en beau ceux que j’estime, trop en laid ceux que je n’estime pas (il s’agit ici de types et non d’individus) il est bien possible que vous ayez raison. C’est l’art qui a péché en cela chez moi. Peut-être aussi trop de prévention pour ou contre. (725)

Je dois vous dire que mon roman ne vaut pas l’argent qu’on m’en offre, et pas même celui que je suis forcée d’en demander. Le roman est devenu une denrée de mode, exhorbitante [sic], scandaleuse. (727)

Je crois difficile que ce roman [en feuilleton] ait le moindre intérêt pour les lecteurs, haché en si petits morceaux. Les conversations et les scènes n’ont pas été faites en vue de ces divisions. Je renonce donc, et très philosophiquement aujourd’hui, à toute satisfaction d’artiste et à tout désir de succès pour ce chétif ouvrage. Je suis d’ailleurs tout à fait malade et il m’est impossible de reconstruire mon roman dans ma mémoire. Faites en ce que voudrez, je vous l’abandonne; vous avez la bonté d’être beaucoup plus au courant que moi, et je vous crois bien plus capable de trouver les titres et les divisions convenables. (788)

Correspondance, Tome VII – juillet 1845 - juin 1847, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1970.

Du reste, ne vous inquiétez pas de la forme du roman. Le fond ne l’emporte pas, et c’est un pur roman : mais sans coup de théâtre et sans effets de feuilleton, vous savez ce que je veux et sais faire, je ne crois pas qu’il y ait profit pour un journal à m’acheter, car je ne suis pas à la mode. (50)

On cherchera toujours l’histoire dans le drame et dans le roman, la vraie histoire, celle qui est du ressort de la littérature poétique, ce n’est pas tnt l’événement que ses causes. Le roman même dit historique ne s’attache pas tant au fait qu’à l’idée sociale qui l’a produit; et comment peindre les mœurs sans dire l’idée qui les corrompt ou les purifie? Voyez encore fort bien ce qu’il faut lui faire dire et penser, et ce n’est pas indifféremment qu’il attache un certain caractère à la jeune royauté anglaise, ou à l’antique nationalité de l’Écosse. Enfin il faut, suivant moi, et vous le savez aussi bien que moi, que chaque personnage d’un livre soit le représentant d'une des idées qui circulent dans l’air qu’il respire, qui dominent ou s’insinuent, qui montent ou tombent, qui naissent, qui règnent ou qui finissent. Un homme qui n’aurait aucun sentiment et aucune opinion par rapport aux choses de son temps, serait un idiot dans la vie réelle. Dans un livre, il n’existerait pas. (56)

Certes mes romans ont ce défaut, au point de vue de l’art pur, d’être trop déclamatoires parfois. Que voulez-vous, je déclame naïvement et sans intention. Est-ce un défaut capital? Peut-être, mais des œuvres bien supérieures aux miennes ont aussi un défaut essentiel, et on n’en trouverait, même chez les grands maîtres, aucune qui en fût exempte. […] Je dirais de moi plus humblement, que si quelquefois j’arrive à la sensibilité et à la chaleur, c’est parce que j’ai un fonds d’enthousiasme naïf et même niais. (73)

Je n’appelle pas s’asseoir écrire des romans. C’est ce qui fait le plus partie du mouvement. (164)

Si vous voulez de ma prose, il faudra toujours que vous me preniez comme un oiseau de passage au moment où j’irai me poser chez vous. Je ne fais jamais de traité, que lorsque l’ouvrage est, non seulement commencé, mais assez avancé et fini dans ma pensée. Autrement, je me mettrais dans ce grand embarras, car je ne finis pas, il s’en faut bien, tout ce que je commence. (353)

Laissez-moi le temps et la liberté illimitée, ou je ne pourrai jamais rien écrire pour vous ni pour personne! (372)

Je n’aime pas à faire des romans historique, cela donnerait trop de travail à ma mémoire des faits et des dates, qui est chez moi une faculté à l’état de crétinisme. Mon roman n’est donc qu’une fantaisie, avec couleur locale, comme on dit. Mais cette couleur locale est du temps présent. Je n’aime guère à peindre que le temps où je vis. Autre genre d’impuissance et de paresse. (539)

Un roman fini est une épine sortie du pied que l’on n’a nulle envie d’y faire rentrer. (548)

Correspondance, Tome VIII – juillet 1847 - décembre 1848, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1971.

En bonne logique, je mérite mieux que Balzac. Non que j’aie autant de talent mais parce que j’ai mieux ménagé le mien et que la marchandise est moins vulgarisée et plus soignée quant à l’étiquette. Je n’ai jamais été poussée comme lui au gaspillage de mon cerveau par des nécessités de position, et jusqu’ici j’ai toujours été payée plus cher. (593-594)

D’après le roman d’Antoine vous me croyez peut-être plus communiste, ou communiste autrement que je ne le suis. J’ai essayé de soulever des problèmes sérieux dans des écrits dont la forme frivole et tout de fantaisie, permet à l’imagination de se lancer dans une recherche de l’idéal absolu qui n’a pas d’inconvénients en politique. Un roman n’est pas traité. Les personnages dissertent sans conséquence et cherchent, comme les individus qui causent au coin de leur feu, à se rendre raison du présent et de l’avenir. Les romans parlent au cœur et à l’imagination, et quand on vit dans une époque d’égoïsme et d’endurcissement on peut, sous cette forme, frapper fort pour réveiller les consciences et les cœurs, s’il s’agissait d’écrire une doctrine pour être mise en pratique immédiatement, ou de donner le dernier mot de ses croyances relativement à l’humanité, telle qu’Elle est aujourd’hui, j’aurais été plus prudente et moins vague dans mes appréciations. Mais alors je n’aurais pas été une femme et j’aurais fait autre chose que des romans. Laissons l’imagination de chacun apprécier selon son goût et sa partie les ouvrages d’imagination. Pourvu que ces ouvrages soient animés d’un esprit de générosité et qu’ils tendent à l’amour du bien, ils ne peuvent faire de mal et même ils peuvent faire un peu de bien. (685)

Je suis bien aise que cette Fadette vous plaise. Ces sortes de fadaises me coûtent peu de fatigue morale, mais seulement une certaine fatigue physique quand il faut se presser. Il n’est donc guère étonnant que j’aie trouvé la force de les imaginer au milieu de nos malheurs. (757)

Correspondance, Tome IX – janvier 1849 – décembre 1850, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1972.

À force d’être dans les romans et dans les poèmes, et sur la scène, et dans l’histoire même, l’amour, la vérité de l’être et des affections, n’y sont pas du tout. La littérature veut idéaliser la vie. Eh bien, elle n’y parvient pas, elle ment, elle doit mentir, puisque l’art est une fiction, ou tout au moins une interprétation. On est superbe, on est grand, on a cent pieds de hauts dans les romans et dans les poèmes. (222)

J’aime bien à écrire, à composer, j’aime bien mon art, mais je n’en aime pas le métier, et tout ce qui est relatif à l’exécution matérielle m’est odieux. (880)

Correspondance, Tome X – janvier 1851 - mars 1852, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1973.

La prose n’est guère mieux logée et l’état d’homme de lettres est le pire de tous à l’heure qu’il est. D’ailleurs, il n’est pas possible, même en ayant le don de la forme, d’intéresser et d’attacher le public sans avoir le fonds, et le fonds de l’écrivain sérieux, c’est la vie, c’est l’expérience, c’est la connaissance des hommes et des choses; je crois donc qu’il faut que les jeunes espérances mûrissent beaucoup avant de produire de fruits. (21-22)

Je suis bien aise que ce roman vous plaise, je ne me le rappelais guère, et je ne sais pas s’il n’y a pas un peu trop de détails sur l’art vers la fin. Je m’assurerai de cela en relisant l’épreuve. (91)

Il faut que l’artiste éprouve cette oppression, mais qu’il la surmonte et qu’il l’ôte à son lecteur, et que son travail bien travaillé ait l’air facile. Le talent c’est la sobriété du génie. Le génie ne se conseille pas et ne se donne pas, mais le talent, c’est notre affaire de le chercher et de le trouver. (310)

Quand j’ai une idée à développer il me faut un espace court ou long dont je ne peux pas me rendre compte. (533)

Correspondance, Tome XI – avril 1852 - juin 1853, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1976.

Mais tout le monde me dit que je devrais combattre ces orages du feuilleton par la voie des réclames, que, pour quelque monnaie on a des compliments dans une colonne du journal tandis qu’on vous échine dans l’autre et que le gros public lisant plus souvent cette annonce de trois lignes que la longue tartine du feuilleton, un succès spontané lutte et soutient par là. On me dit aussi que tous mes confrères le font, et que moi seule, je ne le fais pas. Je vous avoue que j’y aurais une répugnance invincible si je devais m’en occuper moi-même. (340)

Correspondance, Tome XII – juillet 1853 - décembre 1854, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1976.

Passons à la querelle du réalisme. Là encore, je ne suis pas du tout au courant. Je vis si littéralement à la campagne que je ne suis plus du tout littéraire. Je n’ai pas vu poser la question, et je ne sais pas si, de part et d’autre, elle a été bien posée. Selon moi celle du romantisme ne l’avait pas été du tout dans le principe et l’on s’est beaucoup battu dans le vide, je peux me tromper, mais il me semble. (267)

Il est vraiment trop facile de construire la vie d’un écrivain avec des chapitres de roman, et il faut le supposer bien naïf ou bien maladroit pour croire que si, dans ses livres, il faisait allusion à des émotions ou à des situations personnelles, il ne les entourerait d’aucune fiction qui déroutât complètement le lecteur sur le compte de ses personnages et sur le sien propre. (289)

Correspondance, Tome XIII – janvier 1855 - juin 1856, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1978.

Je voulais faire, avec fidélité historique, l’histoire de l’amour aux différents âges; en prenant pour exemple des couples de personnages célèbres à mon choix, ceux qui me paraîtraient le mieux caractériser la philosophie bonne ou mauvaise des sentiments aux différentes époques. (272)

Oh! le temps n’est plus où j’écrivais Lélia. Je ne doute plus, Dieu merci, et je le bénis de ce que j’ai tant douté, puisque j’ai usé en moi les pauvres arguments du doute, jusqu’à la corde. Tu vois que je ne cours pas sus à la doctrine qui t’absorbe, tant s’en faut, mais je ne veux pas de la règle qui prétend s’imposer et qui n’est qu’un ouvrage fait de main d’homme, ouvrage que j’ai bien le droit de juger. (311)

J’entends par travailler non pas défaire et refaire, mais produire toujours quand vous vous y sentez porté. Les choses d’imagination ne veulent pas être arrêtées, mais pour reposer sur un fond, il ne faut pas non plus qu’elles prennent toute la vie. Vous ferez donc bien de rester militaire. Plus vous vivrez de la vie réelle, avec le goût de l’observation et de l’arrangement, qui est propre aux amateurs de romans, plus vous trouverez facile la rédaction de vos souvenirs et de vos rêveries. Un roman n’est pas autre chose que le résumé plus ou moins réussi de ce que nous observons au-dehors et de ce que nous bâtissons en nous-mêmes. (336)

Correspondance, Tome XIV – juillet 1856 - juin 1858, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1979.

Cher ami, ce n’est pas un roman historique, c’est un roman d’époque et de couleur du temps de Louis XIII. Le roman historique promet des faits sérieux, des personnages importants, des récits de grandes choses. Ce n’est pas là ce que je fais et ce titre annoncé dans La Presse, promettait des aventures plus graves que celles que je mets en scène. Comme il serait difficile de faire saisir au lecteur la distinction que je vous explique, sans périphrase trop longues, faites, je vous prie, retrancher de l’annonce le mot historique. Il vaut mieux tenir plus qu’on ne promet que de promettre plus qu’on ne tiendra. J’ai fait la chose à mon point de vue, et j’ai beaucoup cherché pour rester dans l’exactitude historique des moindres coutumes, idées et manières d’agir du temps qui me sert de cadre. Je n’ai pas rattaché ma fable à un point historique qui ne soit rigoureusement exact. Mais tout cela ne fait pas un roman de Walter Scott. On n’en fait plus! (378-379)

Je crois que ce sera un ouvrage court. Pourtant je n’en sais rien encore. Le sujet me plaît et je commence. Tout mon travail de recherches et de notes est terminé d’aujourd’hui. (531)

Le roman est très amusant, très accidenté et aura beaucoup de succès. Il n’y a pas un mot de religion, de politique ou socialisme. Vous pouvez en répondre. (629)

Correspondance, Tome XV – juillet 1858 - juin 1860, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1981.

Ce n’est pas un malheur pour vous, pas plus que pour Flaubert, d’appartenir à la race des voyants. On s’est mêlé de baptiser votre manière et la sienne de réalisme, je ne sais pas pourquoi; à moins que le réalisme ne soit tout autre chose que ce que les premiers adeptes ont tenté de nous expliquer. Je soupçonne, en effet, qu’il y a une manière d’envisager la réalité des choses et des êtres, qui est un grand progrès, et vous en apportez la preuve triomphante. Mais le nom de réalisme ne convient pas, parce que l’art est une interprétation multiple, infinie. C’est l’artiste qui crée le réel en lui-même, son réel à lui, et pas celui d’un autre. Deux peintres font le portrait de la même personne. Tous deux font une œuvre qui représente la personne, si ce sont deux maîtres; et pourtant les deux peintures ne se ressemblent pas. Qu’est devenue la réalité? (480)

Ce à quoi je ne puis céder, c’est à laisser couper mes feuilletons en deux. Pour cela, non, non non! Dites-le et avertissez que si on ne se conforme pas aux conventions que vous avez faites avec moi, j’aime mieux que l’on me rende toute parole et le manuscrit. Je ne tiens pas à écrire dans les journaux, bien au contraire! Les feuilletons conviennent mal à ma manière et m’ôtent la moitié du succès que j’ai dans les revues et en volume. Il n’y a pas assez d’accidents et de surprises dans mes romans pour que le lecteur s’amuse au déchiquetage de l’attente. Ce roman-ci particulièrement, a besoin d’être lu par chapitre comme ils sont chiffrés et coupés. Par autrement. Donc, maintenez votre autorité et mon droit, on bien ne commencez pas. (615)

[Aux Goncourt] C’est la jeune école, je le sais. On veut tout dire, tout décrire, ne pas laisser un brin d’herbe dans l’ombre, compter les festons et les astragales. C’est éblouissant, mais parfois ça l’est trop. Vous verrez que vous arriverez à sacrifier comme dans les bons tableaux. Mais rien ne presse. (719-720)

Correspondance, Tome XVI – juillet 1860 - mars 1862, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1981.

J’ai commencé un autre roman, mais il faut que j’apprenne beaucoup de choses dont je veux parler sans dire de bêtises, et je ne sais pas, comme Balzac, prendre juste ce qu’il me faut sans une notion générale. Je me passionne pour les choses où je mets le nez. (32)

Mais pour en revenir au roman, plus je vais, plus je pense qu’il faut faire face à la prétendue doctrine du réalisme en montrant qu’on peut être très exact et très consciencieux sans fouler aux pieds la poésie et l’art. Comment! Il y en a qui présentent que le beau c’est la fantaisie, tandis que la nature, la vraie nature étudiée sur le fait, disséquée, même à la loupe et à la pince, est toute beauté et toute perfection! Laissons-les dire et allons. Ils ne savent rien, ils n’ont rien vu, rien regardé, rien compris, ces prétendus amants du fait matériel. (33)

Je ne suis pas de ceux qui trouvent le roman chose futile et sans profondeur, mais quand on a le bonheur d’être savant et poète, il faudrait, ce me semble, travailler des deux mains. (421)

Correspondance, Tome XVII – avril 1862 - juillet 1863, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1983.

Vous lirez le roman et quelque prudence que nous y apportions, il y aura toujours un risque à courir, n’en doutez pas si le sujet lui-même est de ceux qu’on ne doit pas laisser traiter! (272)

Il me semble que le dénouement est intéressant et rachète l’ensemble un peu froid. Ce roman n’est pas de ceux qui me plaisent beaucoup, quoique je l’aie travaillé avec un soin extrême. S’il plaît à vos lecteurs c’est apparemment moi qui me trompe. (283)

Correspondance, Tome XIX – janvier 1865 – mai 1866, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1985.

Pour le moment je suis dans le toil and trouble comme vous; il faut achever un roman. Est-ce que vous ne trouvez pas que c’est vers la fin, qu’on voudrait repartir pour un développement complet de la destinée des personnages? C’est quand l’éditeur vous crie : en voilà assez, que l’on commence à bien connaître ses acteurs, à voir clair dans leur pensée, à sentir les fatalités de leur caractère et à en déduire toutes les sérieuses conséquences. Si on avait le temps, il faudrait mettre au panier tout ce qu’on a fait le résumer en un chapitre d’exposition et commencer la véritable histoire de ces gens dont l’esprit s’est enfin révélé à vous. Jusque-là ce n’était qu’interrogatoire et tâtonnement pour s’approprier une première phase de leur vie. Comme on saurait bien ou l’on va si cette première phase n’était qu’un prologue! (191)

Cette phase de mon roman est lourde, je le sais. C’est appesantissement logique d’une situation qui va éclater. Je sais que la dernière partie est intéressante et dramatique; et elle est si bien la conséquence de tout cette recherche du bonheur qui préoccupe mes personnages et mon héros principal, que je tiens bien à laisser aller la rêverie de ce côté-là, sauf à retarder l’action. Si vous craignez que le lecteur impatient ne s’endorme, donnez-lui la cinquième partie en même temps que la 4e. Cela ne fera pas un n[unmér]o impossible de longueur, je ne crois pas. (285-286)

J’ai dîné aujourd’hui [Lundi 12 février] pour la 1re fois chez Magny avec mes petits camarades, le dîner mensuel fondé par Ste-Beuve. Il y avait Gautier, St-Victor, Flaubert, Ste-Beuve, Berthelot, le fameux chimiste, Bouillet [sic], les Goncourt, etc. Taine et Renan n’y étaient pas. Nous n’étions que 12. J’ai été reçue à bras ouverts. Il y a trois ans qu’on m’invite. Je me suis décidée aujourd’hui à y aller seule, ce qui tranche la question. Je ne voulais être amenée par personne. Ils ont tous beaucoup d’esprit, mais du paradoxe et de l’amour-propre excepté Berthelot et Flaubert qui ne parlent pas d’eux-mêmes. (711)

Correspondance, Tome XX – juin 1866 - mai 1868, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1985.

[À Flaubert] Pensez-y, car dans nos romans, ce que font ou ne font pas nos personnage ne repose pas sur une autre question que celle-là. Possèderont-ils, ne possèderont-ils pas l’objet de leurs ardentes convoitises? que ce soit l’amour ou gloire, fortune ou plaisir, dès qu’ils existent, ils aspirent à un but. Si nous n’avons en nous une philosophie, ils marchent droit selon nous, si nous n’en avons pas, ils marchent au hasard et sont trop dominés par les événements que nous leur mettons dans les jambes. Imbus de nos propres idées, ils choquent souvent celles des autres. Dépourvus de nos idées et soumis à la fatalité, ils ne paraissent pas toujours logiques. Faut-il mettre un peu ou beaucoup de nous en eux, ne faut-il rien mettre que ce que la société met dans chacun de nous?

[À Flaubert] Quant au style, j’en fais meilleur marché que vous. // Le vent joue de ma vieille harpe comme il lui plaît d’en jouer. Il a ses hauts et ses bas, ses grosses notes et ses défaillances, au fond ça m’est égal pourvu que l’émotion vienne mais je ne peux rien trouver en moi. C’est l’autre qui chante à son gré, mal ou bin, et quand j’essaie de penser à ça, je m’en effraie et me dis que je ne suis rien, rien du tout. (207)

Ne rien mettre de son cœur dans ce qu’on écrit? je ne comprends pas du tout, oh mais, du tout. Moi il me semblerait qu’on ne peut pas y mettre autre chose. Est-ce qu’on peut séparer son esprit de son cœur, est-ce que c’est quelque chose de différent? est-ce que la sensation même peut se limiter, est-ce que l’être peut se scinder? Enfin ne pas se donner tout entier dans son œuvre, me paraît aussi impossible que de pleurer avec autre chose que ses yeux et de penser avec autre chose que son cerveau qu’est-ce que vous avez voulu dire? (217)

Quant à la vie littéraire, je ne la connais pas. Je ne connais pas de milieu littéraire où elle s’exprime et se manifeste de manière à lui être accessible, avant qu’il n’ait fait preuve de maturité, c’est-à-dire que je ne connais intimement que des vieux comme moi. (473)

[À Flaubert] Quand je vois le mal que mon vieux se donne pour faire un roman, ça me décourage de ma facilité, et je me dis que je fais de la littérature savetée. (483)

[À Flaubert] Je crois que l’artiste doit vivre dans sa nature le plus possible. À celui qui aime la lutte, la guerre, à celui qui aime les femmes, l’amour, au vieux qui, comme moi, aime la nature, le voyage et les fleurs, les roches, les grands paysages, les enfants aussi, la famille, tout ce qui émeut, tout ce qui combat l’anémie morale. Je crois que l’art a besoin d’une palette toujours débordante de tons doux ou violents suivant le sujet du tableau ; que l’artiste est un instrument dont tout doit jouer avant qu’il ne joue des autres : mais tout cela n’est peut-être pas applicable à un esprit de ta sorte qui a beaucoup acquis et qui n’a plus qu’à digérer. Je n’insisterais que sur un point, c’est que l’être physique est nécessaire à l’être moral et que je crains pour toi un jour ou l’autre la détérioration de la santé qui te forcerait à suspendre ton travail et à le laisser refroidir. (643)

Correspondance, Tome XXI – juin 1868 - mars 1870, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1986.

Il me semble qu’en ce moment on va trop loin dans l’affirmation d’un réalisme étroit et un peu grossier dans la science comme dans l’art. (12)

Correspondance, Tome XXII – avril 1870 - mars 1872, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1987.

[À Flaubert] J’ai eu des principes; ne ris pas, des principes d’enfant très candide qui me sont restés à travers tout, à travers Lélia et l’époque romantique, à travers l’amour et le doute, les enthousiasmes et les désenchantements. (595)

[À Flaubert] Chez les artistes et les lettrés, je n’ai trouvé aucun fond. Tu es le seul avec qui j’aie pu échanger des idées autres que celles du métier. Je ne sais si tu étais chez Magny un jour où je leur ai dit qu’ils étaient tous des messieurs. Ils disaient qu’il ne fallait pas écrire pour les ignorants, ils me conspuaient parce que je ne voulais écrire que pour ceux-là, vu qu’eux seuls ont besoin de quelque chose. Les maîtres sont pourvus, riches et satisfaits. Les imbéciles manquent de tout, je les plains. Aimer et plaindre ne se séparent pas. Et voilà le mécanisme peu compliqué de ma pensée. (595-596)

[À Flaubert] Nous nous aimons passionnément nous cinq, et la sacro-sainte littérature, comme tu l’appelles, n’est que secondaire pour moi dans la vie. J’ai toujours aimé quelqu’un plus qu’elle, et ma famille plus que ce quelqu’un. (748-749)

Correspondance, Tome XXIII – avril 1872 - mars 1874, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1989.

Je me dis que si j’avais eu plus de talent, j’aurais mieux fait accepter mon idéalisme. (12)

Et puis l’étrange révolution, je devrais dire réaction littéraire qui a succédé au romantisme m’a fait douter aussi parfois de la bonté de mes moyens pour en combattre le déchaînement excessif. Je trouvais que cette recherche du vrai positif avait du bon, du très bon; qu’Elle nous débarrassait de l’abus de l’à peu près en philosophie et en littérature. Je préférais une phase d’athéisme en toutes choses à l’invitation du catholicisme hypocrite et bigot. Je l’ai dit, je le pensais, je le pense toujours. […] Moi, je crois que le laid est transitoire, le beau éternel. (13)

L’art pour l’art est un vain mot. L’art pour le vrai, l’art pour le beau et le bon, voilà la religion que je cherche, et, si je vous parle de moi, pour qui la célébrité est un martyre, et la retraite un paradis, c’est pour vous dire que, ayant fait une belle chose, vous avez pour devoir de la publier, tout en la rendant accessible au vulgaire. (39)

[À Flaubert] Tu veux écrire pour les temps. Moi je crois que dans cinquante ans je serai parfaitement oubliée et peut-être durement méconnue. […] Mon idée a été plutôt d’agir sur mes contemporains, ne fût-ce que sur quelques-uns, et de leur faire partage mon idéal de douceur et de poésie. (332)

Correspondance, Tome XXIV – avril 1874 - mai 1876, édité par Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1990.

Tu aimes trop la littérature, elle te tuera et tu ne tueras pas la bêtise humaine. (147)

On me reproche beaucoup d’avoir trop philosophé dans mes romans. C’est encore là un résultat de mes fréquents accès de passivité. Si je suis sous le coup d’un vif sentiment, d’une conviction émue, il faut que mes rêveries, que mes fictions mêmes s’en ressentent. (506)

[À Flaubert] Cette volonté de peindre les choses comme elles sont, les aventures de la vie comme elles se présentent à la vue, n’est pas bien raisonnée, selon moi. Peignez en réaliste ou en poète les choses inertes, cela m’est égal; mais, quand on aborde les mouvements du cœur humain, c’est autre chose. Vous ne pouvez pas vous abstraire de cette contemplation; car l’homme c’est vous, et les hommes, c’est le lecteur. Vous aurez beau faire, votre récit est une causerie entre vous et lui. Si vous lui montrez froidement le mal sans lui montrer le bien, il se fâche. Il se demande si c’est lui qui est mauvais ou si c’est vous. Vous travaillez pourtant à l’émouvoir et à l’attacher; vous n’y parviendrez jamais si vous n’êtes pas ému vous-même, ou si vous le cachez si bien, qu’il vous juge indifférent. Il a raison : la suprême impartialité est une chose antihumaine et un roman doit être humain avant tout. S’il ne l’est pas, on ne lui sait point de gré d’être bien écrit, bien composé et bien observé dans le détail. La qualité essentielle lui manque : l’intérêt. (514)

[À Flaubert] Cela [Son Excellence Eugène Rougon est un livre de grande valeur] ne change rien à ma manière de voir que l’art doit être la recherche de la vérité, et que la vérité n’est pas la peinture du mal. Elle doit être la peinture du mal et du bien. Un peintre qui ne voit que l’un est aussi faux que celui qui ne voit que l’autre. La vie n’est pas bourrée que de monstres. La société n’est pas formée que de scélérats et de misérables. Les honnêtes gens ne sont pas le petit nombre, puisque la société subsiste dans un certain ordre et sans trop de crimes impunis. Les imbéciles dominent, c’est vrai, mais il y a une conscience publique qui pèse sur eux et qui les oblige à respecter le droit. Que l’on montre et flagelle les coquins, c’est bien, c’est moral même, mais que l’on nous dise et nous montre la contrepartie : autrement le lecteur naïf, qui est le lecteur en général, se rebute, s’attriste, s’épouvante, et vous nie pour ne pas se désespérer. (586)

Indiana, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2020 [1832].

Notice 

C’est mon premier roman; je l’ai fait sans aucun plan, sans aucune théorie d’art ou de philosophie dans l’esprit. J’étais dans l’âge où l’on écrit avec ses instincts et où la réflexion ne nous sert qu’à nous confirmer dans nos tendances naturelles.

Préface de 1832

Indiana, si vous voulez absolument expliquer tout dans ce livre, c’est un type; c’est la femme, l’être faible chargé de représenter les passions comprimées, ou, si vous l’aimez mieux, supprimées par les lois ; c’est la volonté aux prises avec la nécessité; c’est l’amour heurtant son front aveugle à tous les obstacles de la civilisation. [...]

Peut-être que tout l’art du conteur consiste à intéresser à leur histoire les coupables qu’il veut ramener, les malheureux qu’il veut guérir.

Préface de l'édition de 1842

Lorsque j’écrivis le roman d’Indiana, j’étais jeune, j’obéissais à des sentiments pleins de force et de sincérité, qui débordèrent de là dans une série de romans basés à peu près tous sur la même donnée : le rapport mal établi entre les sexes, par le fait de la société. [...]

[À propos des critiques] C’était investir d’un rôle bien grave et bien lourd un jeune auteur à peine initié aux premières idées sociales, et qui n’avait pour tout bagage littéraire et philosophique qu’un peu d’imagination, du courage et l’amour de la vérité. Sensible aux reproches, et presque reconnaissant des leçons qu’on voulait bien lui donner, il examina les réquisitoires qui traduisaient devant l’opinion publique la moralité de ses pensées, et, grâce à cet examen où il ne porta aucun orgueil, il a peu à peu acquis des convictions qui n’étaient encore que des sentiments au début de sa carrière, et qui sont aujourd’hui des principes. [...]

Longtemps après avoir écrit la préface d’Indiana sous l’empire d’un reste de respect pour la société constituée, je cherchais encore à résoudre cet insoluble problème : le moyen de concilier le bonheur et la dignité des individus opprimés par cette même société, sans modifier la société elle-même. [...]

J’ai enfin compris que, si j’avais bien fait de douter de moi et d’hésiter à me prononcer à l’époque d’ignorance et d’inexpérience où j’écrivais Indiana, mon devoir actuel est de me féliciter des hardiesses auxquelles je me suis cependant laissé emporter alors et depuis; hardiesses qu’on m’a tant reprochées, et qui eussent été plus grandes encore si j’avais su combien elles étaient légitimes, honnêtes et sacrées. [...]

Je me suis trouvé tellement d’accord avec moi-même dans le sentiment qui me dicta Indiana, et qui me le dicterait encore si j’avais à raconter cette histoire aujourd’hui pour la première fois, que je n’ai voulu y rien changer, sauf quelques phrases incorrectes et quelques mots impropres. Sans doute, il en reste encore beaucoup, et le mérite littéraire de mes écrits, je le soumets entièrement aux leçons de la critique; je lui reconnais à cet égard toute la compétence qui me manque. [...]

Ceux qui m’ont lu sans prétention comprennent que j’ai écrit Indiana avec le sentiment non raisonné, il est vrai, mais profond et légitime, de l’injustice et de la barbarie des lois qui régissent encore l’existence de la femme dans le mariage, dans la famille et la société.

Leone Leoni dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. IV, Paris, J. Hetzel, 1853 [1834].

Notice

Voulant échapper au spleen par le travail de l’imagination, je commençai au hasard un roman qui débutait par la description même du lieu, de la fête extérieure et du solennel appartement où je me trouvais. [...]

Et pourquoi un ouvrage d’imagination aurait-il besoin d’être médité? Quelle moralité voudrait-on faire ressortir d’une fiction que chacun sait être fort possible dans le monde de la réalité?

La Dernière Aldini, dans Œuvres T. 7, Paris, J. Hetzel et Cie, Victor Lecou, 1855 [1838].

Notice

Les romans sont toujours plus ou moins des fantaisies, et il en est de ces fantaisies de l’imagination comme des nuages qui passent. D’où viennent les nuages et où vont-ils?

Lélia, Paris, Classiques Garnier, 1960 [1833].

Notice

Après Indiana et Valentine, j’écrivis Lélia, sans suite, sans plan, à bâtons rompus, et avec l’intention, dans le principe, de l’écrire pour moi seule. Je n’avais aucun système, je n’appartenais à aucune école, je ne songeais presque pas au public; je ne me faisais pas encore une idée nette de ce qu’est la publicité. Je ne croyais nullement qu’il pût m’appartenir d’impressionner ou d’influencer l’esprit des autres.

Préface

Il est rare qu’une œuvre d’art soulève quelque animosité sans exciter d’autre part quelque sympathie. [...]

Lélia a été et reste dans ma pensée un essai poétique, un roman fantasque où les personnages ne sont ni complètement réels, comme l’ont voulu les amateurs exclusifs d’analyse de mœurs, ni complètement allégoriques, comme l’ont jugé quelques esprits synthétiques, mais où ils représentent chacun une fraction de l’intelligence philosophique du XIXe siècle. [...]

Cette prédiction pour le personnage fier et souffrant de Lélia m’a conduit à une erreur grave au point de vue de l’art : c’est de lui donner une existence tout à fait impossible, et qui, à cause de la demi-réalité des autres personnages, semble choquante de réalité, à force de vouloir être abstraite et symbolique. [...]

Le dénoûment, ainsi que de nombreux détails de style, beaucoup de longueurs et de déclamations, m’ont choqué comme péchant contre le goût. J’ai senti le besoin de corriger, d’après mes idées artistiques, ces parties essentiellement défectueuses. [...]

Mais si, comme artiste, j’ai usé de mon droit sur la forme de mon œuvre, ce n’est pas à dire que comme homme j’aie pu m’arroger celui d’altérer le fond des idées émises dans ce livre, bien que mes idées aient subi de grandes révolutions depuis le temps où je l’ai écrit. [...]

Le Compagnon du Tour de France, Paris, Michel Lévy frères, 1869 [1841].

Notice

J’écrivis le roman du Compagnon du Tour de France dans des idées sincèrement progressives. Il me fut bien impossible, en cherchant à représenter un type d’ouvrier aussi avancé que notre temps le comporte, de ne pas lui donner des idées sur la société présente et des aspirations vers la société future. Cependant on cria, dans certaines classes, à l’impossible, à l’exagération, on m’accusa de flatter le peuple et de vouloir l’embellir. Eh bien, pourquoi non? […] Depuis quand le roman est-il forcément la peinture de ce qui est, la dure et froide réalité des hommes et des choses contemporaines?

Avant-propos

Il y aurait toute une littérature nouvelle à créer avec les véritables mœurs populaires, si peu connues des autres classes. Cette littérature commence au sein même du peuple; elle en sortira brillante avant qu’il soit peu de temps. C’est là que se retrempera la muse romantique, muse éminemment révolutionnaire, et qui, depuis son apparition dans les lettres, cherche sa voie et sa famille. [...]

L’auteur du conte qu’on va lire n’a pas la prétention d’avoir fait cette découverte. S’il est du nombre de ceux qui l’ont pressentie, il n’en est guère plus avancé pour cela, car il ne se sent ni assez jeune ni assez fort pour donner l’élan à la littérature populaire sérieuse, telle qu’il la conçoit. Il a essayé de colorer son tableau d’un reflet qui se laisse voir, mais qui ne se laisse guère saisir par les mains débiles. En traçant cette esquisse, il s’est convaincu d’une vérité dont il avait depuis longtemps le sentiment : c’est que, dans les arts, le simple est ce qu’il y a de plus grand à tenter, de plus difficile à atteindre.

Horace, Paris, L. de Potter, 1842.

Notice

C’est peut-être ce mot-là qui m’a frappée et qui m’a portée à écrire Horace vers le même temps. Je tenais peut-être à montrer que les exploiteurs sont quelquefois dupes de leur égoïsme, que les dévoués ne sont pas toujours privés de bonheur. Je n’ai rien prouvé ; on ne prouve rien avec des contes, ni même avec des histoires vraies; mais les bonnes gens ont leur conscience qui les rassure, et c’est pour eux surtout que j’ai écrit ce livre.

La Comtesse de Rudolstadt, Paris, L. de Potter, 1844.

Notice

Ce défaut, qui ne consiste pas dans un décousu, mais dans une sinuosité exagérée d’événements, a été l’effet de mon infirmité ordinaire : l’absence de plan. Je le corrige ordinairement beaucoup quand l’ouvrage, terminé, est entier dans mes mains. [...]

Je sentais bien que cette manière de travailler n’était pas normale et offrait de grands dangers; ce n’était pas la première fois que je m’y étais laissé entraîner; mais, dans un ouvrage d’aussi longue haleine et appuyé sur tant de réalités historiques, l’entreprise était téméraire. La première condition d’un ouvrage d’art, c’est le temps et la liberté. Je parle ici de la liberté qui consiste à revenir sur ses pas quand on s’aperçoit qu’on a quitté son chemin pour se jeter dans une traverse; je parle du temps qu’il faudrait se réserver pour abandonner les sentiers hasardeux et retrouver la ligne droite. L’absence de ces deux sécurités, crée à l’artiste une inquiétude fiévreuse, parfois favorable à l’inspiration, parfois périlleuse pour la raison, qui, en somme, doit enchaîner le caprice, quelque carrière qui lui soit donnée dans un travail de ce genre. [...]

Ma réflexion condamne donc beaucoup cette manière de produire. Qu’on travaille aussi vite qu’on voudra et qu’on pourra : le temps ne fait rien à l’affaire; mais entre la création spontanée et la publication, il faudrait absolument le temps de relire l’ensemble et de l’expurger des longueurs qui sont précisément l’effet ordinaire de la précipitation. La fièvre est bonne, mais la conscience de l’artiste a besoin de passer en revue, à tête reposée, avant de les raconter tout haut, les songes qui ont charmé sa divagation libre et solitaire. [...]

Il y a dans Consuelo et dans la Comtesse de Rudolstadt, des matériaux pour trois ou quatre bons romans. Le défaut, c’est d’avoir entassé trop de richesses brutes dans un seul. [...]

Tel qu’il est, l’ouvrage a de l’intérêt et, contre ma coutume quand il s’agit de mes ouvrages, j’en conseille la lecture. [...]

Que l’on fasse bon marché de l’intrigue et de l’invraisemblance de certaines situations; que l’on regarde autour de ces gens et de ces aventures de ma fantaisie, on verra un monde où je n’ai rien inventé, un monde qui a existé et qui a été beaucoup plus fantastique que mes personnages et leurs vicissitudes : de sorte que je pourrais dire que ce qu’il y a de plus impossible dans mon livre, est précisément ce qui s’est passé dans la réalité des choses.

Jeanne dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. III, Paris, J. Hetzel, 1853 [1844].

Notice

Jeanne est le premier roman que j’aie composé pour le mode de publication en feuilletons. Ce mode exige un art particulier que je n’ai pas essayé d’acquérir, ne m’y sentant pas propre.

Le Meunier d’Angibault dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. IV, Paris, J. Hetzel, 1853 [1845].

Notice

Ce roman est, comme tant d’autres, le résultat d’une promenade, d’une rencontre, d’un jour de loisir, d’une heure de far niente. Tous ceux qui ont écrit, bien ou mal, des ouvrages d’imagination ou même de science, savent que la vision des choses intellectuelles part souvent de celle des choses matérielles. La pomme qui tombe de l’arbre fait découvrir à Newton une des grandes lois de l’univers. À plus forte raison le plan d’un roman peut-il naîre de la rencontre d’un fait ou d’un objet quelconque. Dans les œuvres du génie scientifique, c’est la réflexion qui tire du fait même la raison des choses. Dans les plus humbles fantaisies de l’art, c’est la rêverie qui habille et complète ce fait isolé. La richesse ou la pauvreté de l’œuvre n’y fait rien. Le procédé de l’esprit est le même pour tous.

Teverino, Paris, Desessart, 1846.

Notice

Ce que je me suis cru le droit de poétiser un peu dans Teverino, c’est l’excessive délicatesse des sentiments et la candeur de l’âme aux prises avec les expédients de la misère. Il ne faudrait pas prendre au pied de la lettre les paradoxes qui séduisent l’imagination de ce personnage, et croire que l’auteur a été assez pédant pour vouloir prouver que la perfection de l’âme est dans une liberté qui va jusqu’au désordre. La fantaisie ne peut rien prouver, et l’artiste qui se livre à une fantaisie pure ne doit prétendre à rien de semblable. Est-il donc nécessaire, avant de parler à l’imagination du lecteur, par un ouvrage d’imagination, de lui dire que certain type exceptionnel n’est pas un modèle qu’on lui propose? Ce serait le supposer trop naïf, et il faudrait plutôt conseiller à ce lecteur de ne jamais lire de romans, car toute lecture de ce genre est pernicieuse à quiconque n’a rien d’arrêter dans le jugement ou dans la conscience.

La Mare au Diable, Paris, Desessart, 1846.

Notice

Personne ne fait une révolution à soi tout seul, et il en est, surtout dans les arts, que l’humanité accomplit sans trop savoir comment, parce que c’est tout le monde qui s’en charge. Mais ceci n’est pas applicable au roman de mœurs rustiques : il a existé de tout temps et sous toutes les formes, tantôt pompeuses, tantôt maniérées, tantôt naïves. [...]

Je n’ai voulu ni faire une nouvelle langue ni me chercher une nouvelle manière. On me l’a cependant affirmé dans bon nombre de feuilletons, mais je sais mieux que personne à quoi m’en tenir sous mes propres desseins, et je m’étonne toujours que la critique en cherche si long, quand l’idée la plus simple, la circonstance la plus vulgaire, sont les seules inspirations auxquelles les productions de l’art doivent l’être. [...]

Si on me demande ce que j’ai voulu faire, je répondrai que j’ai voulu faire une chose très touchante et très simple, et que je n’ai pas réussi à mon gré. J’ai bien vu, j’ai bien senti le beau dans le simple, mais voir et peindre sont deux! Tout ce que l’artiste peut espérer de mieux, c’est d’engager ceux qui ont des yeux à regarder aussi. [...]

Lucrezia Floriani, dans Œuvres illustrées de George Sand, vol. V, Paris, J. Hetzel, 1853 [1847].

Avant-propos

Or, tu as souvent fort mauvais goût, mon bon lecteur. Depuis que tu n’es plus Français, tu aimes tout ce qui est contraire à l’esprit français, à la logique française, aux vieilles habitudes de la langue et de la déduction claire et simple des faits et des caractères. Il faut, pour te plaire, qu’un auteur soit à la fois aussi dramatique que Shakespeare, aussi romantique que Byron, aussi fantastique qu’Hoffmann, aussi effrayant que Lewis et Anne Radcliffe, aussi héroïque que Calderon et tout le théâtre espagnol; et, s’il se contente d’imiter seulement un de ces modèles, tu trouves que c’est bien pauvre de couleur. [...]

Il est résulté de tes appétits désordonnés, que l’école du roman s’est précipitée dans un tissu d’horreurs, de meurtres, de trahisons, de surprises, de terreurs, de passion bizarre, d’événements stupéfiants; enfin, dans un mouvement à donner le vertige aux bonnes gens qui n’ont pas le pied assez sûr ni le coup d’œil assez prompt pour marcher de ce train-là. [...]

Or, tu as souvent fort mauvais goût, mon bon lecteur. Depuis que tu n’es plus Français, tu aimes tout ce qui est contraire à l’esprit français, à la logique française, aux vieilles habitudes de la langue et de la déduction claire et simple des faits et des caractères. Il faut, pour te plaire, qu’un auteur soit à la fois aussi dramatique que Shakespeare, aussi romantique que Byron, aussi fantastique qu’Hoffmann, aussi effrayant que Lewis et Anne Radcliffe, aussi héroïque que Calderon et tout le théâtre espagnol; et, s’il se contente d’imiter seulement un de ces modèles, tu trouves que c’est bien pauvre de couleur. [...]

Il est résulté de tes appétits désordonnés, que l’école du roman s’est précipitée dans un tissu d’horreurs, de meurtres, de trahisons, de surprises, de terreurs, de passion bizarre, d’événements stupéfiants; enfin, dans un mouvement à donner le vertige aux bonnes gens qui n’ont pas le pied assez sûr ni le coup d’œil assez prompt pour marcher de ce train-là.

Notice

Ce n’est point par fausse modestie, encore moins par pusillanimité de caractère, que je déclare aimer beaucoup les événements romanesques, l’imprévu, l’intrigue, l’action dans le roman. Pour le roman comme pour le théâtre, je voudrais que l’on trouvât le moyen d’allier le mouvement dramatique à l’analyse vraie des caractères et des sentiments humains. Sans vouloir faire ici la critique ni l’éloge de personne, je dis que ce problème n’est encore résolu d’une manière générale et absolue, ni pour le roman, ni pour le théâtre. Depuis vingt ans, on flotte entre les deux extrêmes, et, pour ma part, aimant les émotions fortes dans la fiction, j’ai marché cependant dans l’extrême opposé, non point tant par goût que par conscience, parce que je voyais ce côté négligé et abandonné par la mode. J’ai fait tous mes efforts, sans m’exagérer leur faiblesse ni leur importance, pour retenir la littérature de mon temps dans un chemin praticable entre le lac paisible et le torrent fougueux.

La Petite Fadette, Paris, Michel Lévy frères, 1849.

Notice

De nos jours, plus faible et plus sensible, l’artiste, qui n’est que le reflet et l’écho d’une génération assez semblable à lui, éprouve le besoin impérieux de détourner la vue et de distraire l’imagination, en se reportant vers un idéal de calme, d’innocence et de rêverie. C’est son infirmité qui le fait agir ainsi, mais il n’en doit point rougir, car c’est aussi son devoir.

Préface

L’art est comme la nature, lui dis-je : il est toujours beau. Il est comme Dieu, qui est toujours bon; mais il est des temps où il se contente d’exister à l’état d’abstraction, sauf à se manifester plus tard quand ses adeptes en seront dignes. Son souffle ranimera alors les lyres longtemps muettes; mais pourra-t-il faire vibrer celles qui se seront brisées dans la tempête? L’art est aujourd’hui en travail de décomposition pour une éclosion nouvelle.

Le Château des Désertes, Paris, Michel Lévy frères, 1851.

Notice

C’est ainsi que la fantaisie, le roman, l’œuvre de l’imagination, en un mot, a son effet détourné, mais certain, sur l’emploi de la vie. Effet souvent funeste, disent les rigoristes de mauvaise foi ou de mauvaise humeur. Je le nie. La fiction commence par transformer la réalité; mais elle est transformée à son tour et fait entrer un peu d’idéal, non pas seulement dans les petits faits, mais dans les grands sentiments de la vie réelle.

Mont-Revêche, Paris, Michel Lévy frères, 1869 [1853].

Avant-propos

Voici encore un roman à propos duquel on dira probablement, comme on dit à propos de tous ceux que j’ai faits, comme on dit à propos de tous les romans en général : « Qu’est-ce que cela prouve? » [...]

Je n’ai jamais songé à demander rien de ce genre aux ouvrages d’art; voilà pourquoi je n’ai jamais songé à m’imposer rien de semblable. Mais sans doute il m’est permis aujourd’hui de répondre à cette objection injuste, non pas quant à moi peut-être, car il est fort possible que je n’aie fait preuve que d’impuissance en ne concluant pas, mais injuste au premier chef envers le roman en général. [...]

Qu’est-ce que la fable d’un roman, d’une tragédie, d’une narration quelconque? C’est l’histoire vraie ou fictive d’un fait, c’est un récit. Voilà ce que j’appellerai le roman du roman. Tout ce qu’on y fait entrer d’ornements pour la peinture, ou de réflexions pour la pensée, n’en est que l’accessoire; mais ce sont des choses si distinctes, que ces accessoires semblent quelquefois assez agréables pour faire oublier et pardonner la mauvaise combinaison de l’action, tandis que, parfois aussi, l’intérêt et l’habileté de cette combinaison font que le style sans charme et les détails sans vraisemblance trouvent grâce devant le lecteur. [...]

Or, le roman étant forcé de tourner dans la peinture des faits réels, il ne faut pas lui demander ce qui n’est pas de son ressort, ce qui, en bien des cas, tuerait l’art et l’intérêt dans le roman.

Constance Verrier, Paris, Michel Lévy frères, 1860.

Avant-propos

Depuis un siècle, le roman s’est bien relevé de l’arrêt porté par Rousseau; il n’est pas nécessairement pernicieux. C’est un instrument qui s’est beaucoup perfectionné. Des mains habiles et fécondes peuvent faire résonner toutes ses cordes. Il peut se prêter à l’enseignement de tous les âges et de toutes les situations; il peut faire éclore chez l’enfant et développer chez l’adolescent le sens du beau et du bien; il peut confirmer et consacrer cette notion chez l’homme mûr et chez le vieillard; mais ce ne sera pas toujours par les mêmes moyens ni avec le même procédé, et il ne serait pas absolument juste de vouloir obliger l’artiste à chanter exclusivement et perpétuellement pour tel ou tel auditoire. Ce qu’il y a de certain, c’est que le roman est une forme qui permet d’écrire alternativement pour tous, au gré de l’inspiration et dans la mesure d’une puissance donnée.

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