Photo de Louis-Ferdinand CélineLouis-Ferdinand Céline

(1894-1961)

Dossier

Bibliographie

Ouvrages cités

Les écrits non-romanesques de Céline étant fort nombreux, plusieurs d'entre eux s'inscrivant de surcroît dans des polémiques extra-littéraires, la présente bibliographie propose un choix de textes et d'entretiens dans lesquels l'écrivain définit sa conception du roman, fondamentalement liée à sa conception de la langue. Il s'agit donc d'une sélection des écrits céliniens les plus pertinents en regard de la question du roman. Ces écrits sont regroupés dans trois sections (essais, entretiens et correspondance) ; dans chaque section, les différentes interventions sont présentées suivant l'ordre chronologique de leur production. Les citations qui complètent cette bibliographie exposent les principaux éléments de la conception célinienne du roman.

Essais et articles :

« Hommage à Zola », dans Céline et l'actualité littéraire. 1932-1957, Jean-Pierre Dauphin et Henri Godard (dir.), Cahiers Céline, Paris, Gallimard, tome 1, 1976 [texte paru dans Marianne, no 50, 4 octobre 1933], p. 77-84.

Entretiens avec le professeur Y, Paris, Gallimard, 1955.

Entretiens :

« Propos recueillis par Robert de Saint-Jean », entretien avec Robert de Saint-Jean, dans Céline et l'actualité littéraire. 1932-1957, Jean-Pierre Dauphin et Henri Godard (dir.), Cahiers Céline, Paris, Gallimard, tome 1, 1976 [entretien réalisé en 1933, paru dans Robert de Saint-Jean, Journal d'un journaliste, Paris, Grasset, 1974], p. 49-52.

« Rencontre avec Céline », entretien avec André Parinaud, dans Céline et l'actualité littéraire. 1932-1957, Jean-Pierre Dauphin et Henri Godard (dir.), Cahiers Céline, Paris, Gallimard, tome 1, 1976 [entretien paru dans La Parisienne, no 1, janvier 1953], p. 151-156.

« Céline il misantropo », entretien avec Alberto Arbasino, traduction de Élisa Rucci, dans Céline et l'actualité. 1933-1961, Jean-Pierre Dauphin et Pascal Fouché (dir.), Cahiers Céline, Paris, Gallimard, tome 7, 1986 [entretien paru dans Il Mondo, septembre 1957], p. 402-407.

« Ma grande attaque contre le verbe », transcription d'un enregistrement gravé sur le disque Leur oeuvre et leur voix, dans Le style contre les idées. Rabelais, Zola, Sartre et les autres, préface de Lucien Combelles, Bruxelles, Complexe, coll. « Le regard littéraire », 1987 [enregistrement daté d'octobre 1957], p. 61-73.

« Rabelais, il a raté son coup », entretien, dans Le style contre les idées. Rabelais, Zola, Sartre et les autres, préface de Lucien Combelles, Bruxelles, Complexe, coll. « Le regard littéraire », 1987 [entretien paru dans Le Meilleur livre du mois en 1957], p. 119-125.

« Un entretien jamais publié avec le réprouvé de Meudon », entretien avec Georges Cazal, dans Céline et l'actualité. 1933-1961, Jean-Pierre Dauphin et Pascal Fouché (dir.), Cahiers Céline, Paris, Gallimard, tome 7, 1986 [entretien réalisé en 1958, paru dans Le Figaro magazine en octobre 1985], p. 402-407.

Mon ami Bardamu : entretiens familiers avec Louis-Ferdinand Céline, entretiens avec Robert Poulet, Paris, Plon, 1971.

Correspondances :

« Maintenant aux querelles ! », Lettre à André Rousseaux (24 mai 1936), dans Le style contre les idées. Rabelais, Zola, Sartre et les autres, préface de Lucien Combelles, Bruxelles, Complexe, coll. « Le regard littéraire », 1987, p. 53-55.

Lettres à la N.R.F., Pascal Fouché (éd.), Paris, Gallimard, 1991.

Lettres à Albert Paraz. 1947-1957, Jean-Paul Louis (éd.), Paris, Gallimard, 2009.

Céline & les éditions Denoël. 1932-1948, Pierre-Edmond Robert (éd.), Paris, Imec, 1991.

Lettres des années noires, Philippe Alméras (éd.), Paris, Berg International, 1994.

Citations

« Hommage à Zola », dans Céline et l'actualité littéraire. 1932-1957, Jean-Pierre Dauphin et Henri Godard (dir.), Cahiers Céline, Paris, Gallimard, tome 1, 1976 [texte paru dans Marianne, no 50, 4 octobre 1933], p. 77-84.
« Aujourd'hui, le naturalisme de Zola, avec les moyens que nous possédons pour nous renseigner, devient presque impossible. On ne sortirait pas de prison si on racontait la vie telle qu'on la sait, à commencer par la sienne. Je veux dire telle qu'on la comprend depuis une vingtaine d'années. Il fallait à Zola déjà quelque héroïsme pour montrer aux hommes de son temps quelques gais tableaux de la réalité. La réalité aujourd'hui ne serait permise à personne. […]
La position de l'homme au milieu de son fatras de lois, de coutumes, de désirs, d'instincts noués, refoulés est devenue si périlleuse, si artificielle, si arbitraire, si tragique et si grotesque en même temps, que jamais la littérature ne fut si facile à concevoir qu'à présent, mais aussi plus difficile à supporter. Nous sommes environnés de pays entiers d'abrutis anaphylactiques ; le moindre choc les précipite dans les convulsions meurtrières à n'en plus finir. » (p. 78-79)

« Les mots d'aujourd'hui, comme notre musique, vont plus loin qu'au temps de Zola. Nous travaillons à présent par la sensibilité et non plus par l'analyse, en somme “du dedans”. Nos mots vont jusqu'aux instincts et les touchent parfois, mais, en même temps, nous avons appris que là s'arrêtait, et pour toujours, notre pouvoir. » (p. 81-82)

« Il n'est peut-être que temps, en somme, de rendre un suprême hommage à Émile Zola à la veille d'une immense déroute, une autre. Il n'est plus question de l'imiter ou de le suivre. Nous n'avons évidemment ni le don, ni la force, ni la foi qui créent les grands mouvements d'âmes. […]
L'oeuvre de Zola ressemble pour nous, par certains côtés, à l'oeuvre de Pasteur si solide, si vivante encore, en deux ou trois points essentiels. Chez ces deux hommes, transposés, nous retrouvons la même technique méticuleuse de création, le même souci de probité expérimentale et surtout le même formidable pouvoir de démonstration, chez Zola devenu épique. Ce serait beaucoup trop pour notre époque. » (p. 82-83)
Entretiens avec le professeur Y, Paris, Gallimard, 1955.
« [...] les écrivains d'aujourd'hui ne savent pas encore que le cinéma existe !... et que le cinéma a rendu leur façon d'écrire ridicule et inutile… péroreuse et vaine !... […] Parce que leurs romans, tous leurs romans gagneraient beaucoup, gagneraient tout, à être repris par un cinéaste… leurs romans ne sont plus que des scénarios, plus ou moins commerciaux, en mal de cinéastes !... le cinéma a pour lui tout ce qui manque à leurs romans : le mouvement, les paysages, le pittoresque, les belles poupées, à poil, sans poil, les Tarzan, les éphèbes, les lions, les jeux du cirque à s'y méprendre ! les jeux de boudoir à s'en damner ! la psychologie !... les crimes à la veux-tu voilà !... des orgies de voyages ! comme si on y était ! tout ce que ce pauvre peigne-cul d'écrivain peut qu'indiquer !... » (p. 26)

« [R]evenons à mon style ! pour être qu'une petite trouvaille, je vous l'ai dit, c'est entendu, ébranle quand même le Roman d'une façon qu'il s'en relèvera pas ! le Roman existe plus !
– Il existe plus ?
– Je m'exprime mal !... je veux dire que les autres existent plus ! les autres romanciers !... tous ceux qu'ont pas encore appris à écrire en “ style émotif ”… […] y a plus eu de “ jour d'atelier ” possible, plus de “ Radeau de la Méduse ” possible, une fois le “ Déjeuner sur l'herbe ” ! » (p. 86-87)
« Propos recueillis par Robert de Saint-Jean », entretien avec Robert de Saint-Jean, dans Céline et l'actualité littéraire. 1932-1957, Jean-Pierre Dauphin et Henri Godard (dir.), Cahiers Céline, Paris, Gallimard, tome 1, 1976 [entretien réalisé en 1933, paru dans Robert de Saint-Jean, Journal d'un journaliste, Paris, Grasset, 1974], p. 49-52.
« Il faut que j'entre dans le délire, que je touche au plan Shakespeare car je suis incapable de construire une histoire avec l'esprit logique des Français… […] Ce que je peux faire facilement, c'est la chevalerie, le roman d'apparition avec des rois, des spectres… Mais impossible pour moi de tracer l'épure d'un roman… Il faut que je sente une résonance, que je travaille dans le nerf, que j'aie le bon contact. Alors, je continue. Je ne m'occupe jamais de logique. Je cherche à suivre la bonne piste, à toucher […], à ne pas lâcher, à arriver jusqu'à l'entrée de la grotte, puis à entrer dedans et alors le moindre son de ma voix appelle mille échos... »  (p. 51-52)
« Rencontre avec Céline », entretien avec André Parinaud, dans Céline et l'actualité littéraire. 1932-1957, Jean-Pierre Dauphin et Henri Godard (dir.), Cahiers Céline, Paris, Gallimard, tome 1, 1976 [entretien paru dans La Parisienne, no 1, janvier 1953], p. 151-156.
« Ils me vomissent tous, hein ? Pour mon attitude politique, qu'ils disent ! Mais peut-être aussi, un peu, parce que je les empêche de dormir, tous ces petits jeunes gens ou ces petits vieux de l'Académie française ou postulants à l'Académie Trouduc et qui écrivent comme avant l'âge du cinéma, faisant des scénarios, croyant faire des romans, tous ces inspirés qui racontent des histoires, ce qui est moins fatiguant que d'apprendre à écrire, tous ces types qui n'ont rien dans le coeur, la tête et le bide, et qui se triturent l'imagination pour remplir le vide de leur esprit.
Du roman ! Laissez-moi rire. Il faut un style pour écrire. Après on peut causer de la pluie et du beau temps, de l'amour ou de la haine ; le style est là qui sauve tout. Les histoires ! il n'y a qu'à se baisser pour en ramasser, à jeter un coup d'oeil dans la rue… Mais écrire ! Communiquer sa fièvre, sa trouille, sa faim, son amour, sa rage… Minute ! Il faut d'abord ressentir tout ça, puis se trouver, se comprendre, travailler sur sa petite personne. C'est long. Ça ne paye pas. Il vaut mieux inventer. Le cinéma a besoin de scénarios. Mais quand ils baptisent ça roman, je saute en l'air nerveusement. Le temps réparera tout ça. » (p. 153-154)
« Céline il misantropo », entretien avec Alberto Arbasino, traduction de Élisa Rucci, dans Céline et l'actualité. 1933-1961, Jean-Pierre Dauphin et Pascal Fouché (dir.), Cahiers Céline, Paris, Gallimard, tome 7, 1986 [entretien paru dans Il Mondo, septembre 1957], p. 402-407.
« ... parce que je suis un styliste, seulement cela... seule la couleur m'intéresse. Du roman, il n'y a plus rien à attendre. Ni à apprendre. Désormais les contacts humains sont tellement nombreux que l'enseignement et l'éducation n'ont plus rien à faire avec la littérature (et réciproquement). Seul m'intéresse le point de vue émotif. » (p. 406)

« Des romans ? Mais non, il y a trop de gens qui vont en voiture, qui veulent aller vite ; et puis, c'est une tâche qui dépasse les forces actuelles, le courage manque, et la constance, il y a des modèles déjà faits, tout prêts, pour lesquels il existe souvent le plan de l'oeuvre, mais le roman manque, c'est trop commode même alors d'adopter la phrase apprise au lycée, la petite formule. » (p. 406-407)
« Ma grande attaque contre le verbe », transcription d'un enregistrement gravé sur le disque Leur oeuvre et leur voix, dans Le style contre les idées. Rabelais, Zola, Sartre et les autres, préface de Lucien Combelles, Bruxelles, Complexe, coll. « Le regard littéraire », 1987 [enregistrement daté d'octobre 1957], p. 61-73.
« [...] j'ai l'impression [quand je lis un livre] de gens qui font des grimaces. Ils font des singeries tout à fait inutiles. Ils ne vont pas directement dans le sujet, ils tournent autour, ils s'avancent des chaises, ils font des prologues ; mais ils ne vont pas directement au nerf, n'est-ce pas, à l'émotion ; ça ils n'y vont pas du tout. Alors voilà : pour tout dire, je regarde les romans de mes contemporains, je me dis : “ Ça signifie déjà du travail, mais du travail inutile. ” Voilà ce que j'en pense. Parce qu'ils ne sont pas à la mesure de l'époque, ni dans le ton de l'époque. » (p. 63)

« [...] le roman n'a plus la mission qu'il avait : il n'est plus un organe d'information. Du temps de Balzac, on apprenait la vie d'un médecin de campagne dans Balzac : du temps de Flaubert, la vie de l'adultère dans Bovary, etc., etc. Maintenant nous sommes renseignés sur tous ces chapitres, énormément renseignés : et par la presse, et par les tribunaux, et par la télévision, et par les enquêtes médico-sociales. Oh ! il y en a des histoires, avec des documents, des photographies… Il n'y a plus besoin de tout ça. Je crois que le rôle documentaire, et même psychologique, du roman est terminé, voilà mon impression. Et alors, qu'est-ce qui lui reste ? Eh bien, il ne lui reste pas grand-chose, il lui reste le style, et puis les circonstances où le bonhomme se trouve. [...] il s'agit de se placer dans la ligne où vous place la vie, et puis de ne pas en sortir, de façon à recueillir tout ce qu'il y a, et puis de transposer en style. Alors, question de style... Le style de tous ces trucs-là, je le trouve dans le même ton que le bachot, dans le même ton que le journal habituel […].
Je dis que ce que l'on fait, ce sont des romans inutiles, parce que ce qui compte, c'est le style, et le style, personne ne veut s'y plier. » (p. 63-65)

« Vous savez, dans les Écritures, il est écrit : “ Au commencement était le Verbe. ” Non ! Au commencement était l'émotion. Le Verbe est venu ensuite pour remplacer l'émotion […]. On a sorti l'homme de la poésie émotive pour le faire entrer dans la dialectique, c'est-à-dire le bafouillage, n'est-ce pas ? Ou les idées. Les idées, rien n'est plus vulgaire. […] Ce n'est pas mon domaine, les idées, les messages. Je ne suis pas un homme à message. Je ne suis pas un homme à idées. Je suis un homme de style. Le style […] consiste à prendre les phrases, je vous le disais, en les sortant de leurs gonds. Ou une autre image : si vous prenez un bâton et si vous voulez le faire paraître droit dans l'eau, vous allez le courber d'abord, parce que la réfraction fait que si je mets ma canne dans l'eau, elle a l'air d'être cassée. Il faut la casser avant de la plonger dans l'eau. C'est un vrai travail. C'est le travail du styliste. » (p. 67-68)

« Je me demandais ce matin pourquoi on résistait à changer de style. Les grandes civilisations ont changé souvent de style. [...] Les Français, eux, sont soudés : ils sont soudés au style Voltaire, qui était une jolie forme d'ailleurs, qui fut copié par Bourget, par Anatole France, et finalement par tout le monde. Il m'a été donné de lire la Revue des deux mondes des cent dernières années. Il y a là-dedans toute espèce de romans faciles ; il n'y a qu'à rajouter des téléphones, des avions, et ça ira très bien. On est resté sous un style. » (p. 69-70)
« Rabelais, il a raté son coup », entretien, dans Le style contre les idées. Rabelais, Zola, Sartre et les autres, préface de Lucien Combelles, Bruxelles, Complexe, coll. « Le regard littéraire », 1987 [entretien paru dans Le Meilleur livre du mois en 1957], p. 119-125.
« […] Rabelais, il a raté son coup. […]
Ce qu'il voulait faire, c'était un langage pour tout le monde, un vrai. Il voulait démocratiser la langue, une vraie bataille. La Sorbonne, il était contre, les docteurs et tout ça. Tout ce qui était reçu et établi, le roi, l'Église, le style, il était contre.
Non, c'est pas lui qui a gagné. C'est Amyot, le traducteur de Plutarque : il a eu, dans les siècles qui suivirent, beaucoup plus de succès que Rabelais. C'est sur lui, sur sa langue, qu'on vit encore aujourd'hui. Rabelais avait voulu faire passer la langue parlée dans la langue écrite : un échec. Tandis qu'Amyot, les gens maintenant veulent toujours et encore de l'Amyot, du style académique. […]
Rabelais, oui, il a échoué, et Amyot a gagné. La postérité d'Amyot, c'est tous ces petits romans émasculés qui paraissent de nos jours dans les meilleures maisons d'édition. Des milliers par an. Mais, des romans comme ça, moi j'en fais un à l'heure.
Or, on ne publie que cela, où est la postérité de Rabelais, la vraie littérature ? disparue. La raison en est claire. Il faudrait comprendre une fois pour toutes (assez de puribonderie !) que le français est une langue vulgaire, depuis toujours, depuis sa naissance au traité de Verdun. » (p. 120-122)
« Un entretien jamais publié avec le réprouvé de Meudon », entretien avec Georges Cazal, dans Céline et l'actualité. 1933-1961, Jean-Pierre Dauphin et Pascal Fouché (dir.), Cahiers Céline, Paris, Gallimard, tome 7, 1986 [entretien réalisé en 1958, paru dans Le Figaro magazine en octobre 1985], p. 402-407.
« Mon truc est de faire du vécu émotif, je fais passer l'émotion dans le langage écrit. » (p. 417)

« Il y a deux fautes profondes : celle de la nouveauté à toute force et celle du rationalisme. Nouveauté à toute force : … bouleversante… c'est un nouveau Balzac, un nouveau Victor Hugo… prodigieux… Maupassant dépassé… C'est faux ! Et ça sent le mensonge. Pourquoi ? Il n'est pas donné à l'homme de faire beaucoup de neuf. Très peu. » (p. 417)

« [...] ce qui est gratuit ne vaut rien. [...] Il faut marcher sur une corde raide, sur le gouffre dans le noir, il y a plein de monstres en dessous. Voltaire risquait beaucoup, tout le temps. Rabelais aussi. […] On est tellement documenté dans le monde actuel que je ne vois pas beaucoup d'écrivains apprendre quelque chose au monde. […] Maintenant il n'y a plus d'intéressant que le style. C'est comme la photo, on a tellement photographié qu'on n'a plus besoin de peinture descriptive.
Dans le roman actuel on se détourne de tout effort. » (p. 418-419)
« Maintenant aux querelles ! », Lettre à André Rousseaux (24 mai 1936), dans Le style contre les idées. Rabelais, Zola, Sartre et les autres, préface de Lucien Combelles, Bruxelles, Complexe, coll. « Le regard littéraire », 1987, p. 53-55.
« J'écris comme je parle, sans procédé, je vous prie de le croire. Je me donne du mal pour rendre le “ parlé ” en “ écrit ”, parce que le papier retient mal la parole, mais c'est tout. […] Je trouve quant à moi en ceci le seul mode d'expression possible pour l'émotion. Je ne veux pas narrer, je veux faire RESSENTIR. Il est impossible de le faire avec le langage académique, usuel – le beau style. C'est l'instrument des rapports, de la discussion, de la lettre à la cousine, mais c'est toujours de la grimace et du figé. Je ne peux pas lire un roman en langage classique. Ce sont là des PROJETS de romans, ce ne sont jamais des romans. Tout le travail reste à faire. Le rendu émotif n'y est pas. Et c'est lui seul qui compte. D'ailleurs, cela est tellement exact que sans camaraderie, forcerie, complaisance, pénurie, on ne les lirait plus depuis longtemps ! Leur langue est impossible, elle est morte, aussi illisible (en ce sens émotif) que le latin. […] Une langue c'est comme le reste, ÇA MEURT TOUT LE TEMPS, ÇA DOIT MOURIR. Il faut s'y résigner, la langue des romans habituels est morte, syntaxe morte, tout mort. Les miens mourront aussi, bientôt sans doute, mais ils auront eu la petite supériorité sur tant d'autres, ils auront pendant un an, un mois, un jour, VÉCU. » (p. 54-55)
Lettres à la N.R.F., Pascal Fouché (éd.), Paris, Gallimard, 1991.
« En fait ce “ Voyage au bout de la nuit ” est un récit romancé, dans une forme assez singulière et dont je ne vois pas beaucoup d'exemples dans la littérature en général. Je ne l'ai pas voulu ainsi. C'est ainsi. Il s'agit d'une manière de symphonie littéraire, émotive plutôt que d'un véritable roman. L'écueil du genre c'est l'ennui. Je ne crois pas que mon machin soit ennuyeux. Au point de vue émotif ce récit est assez voisin de ce qu'on obtient ou devrait obtenir avec de la musique. Cela se tient sans cesse aux confins des émotions et des mots, des représentations pieuses, sauf aux moments d'accents, eux impitoyablement précis.
D'où quantité de diversions qui entrent peu à peu dans le thème et le font chanter finalement comme une composition musicale. » (peu avant le 14 avril 1932, p. 14)

« Ah cette nénéref elle m'agace comme les filles qui parlent toujours d'amour et n'ont jamais joui ! qui donnent des cours d'amour ! Enfin c'est un tic, mais toute la littérature en général qui m'horripile. Je vois et lis toujours dans l'horripilant ! Tous ces romans y compris Balzac me semblent toujours autant d'impostures (que dire de Gide ou Proust !). Ce sont pour moi des plans de romans, mais tout reste à faire, l'essentiel, le rendu émotif ! Tous ces gens bavachent à 25 kil. du nerf, persuadés qu'ils y sont ! et le nerf c'est la vie. Ils pérorent, rhétorent, moralisent, maximent, mais de musique point l'once. La musique seule est un message direct au système nerveux. Le reste blabla. Ils ne sont point batis [sic] pour transposer émotivement. […] Je trouve qu'aucun de ces bafouilleurs n'est “ DANS LA CHOSE ”. » (17 janvier 1949, p. 79-80)

« [...] tout s'est effondré dans la littérature DEPUIS le cinéma, sans que les écrivains semblent l'avoir pressenti, admis, rien du tout. Sans le vouloir ils fabriquent tous à présent des plans de scénarios. On regrette en les lisant : le film. Scénarios aussi les romans Flaubert, Hugo, Loti, Balzac ! Le cinéma fait beaucoup mieux. Il n'y a plus qu'un espace réservé au roman, l'émotivité directe. Tout le reste est pris et comment ! par le film. Autrefois on pouvait demander (avant le film) au lecteur des efforts d'imagination… auxquels il se refuse absolument aujourd'hui.
“ Gertrude entre par la porte de droite… tout en larmes… son fiancé, maussade, bougonne sur le sofa etc. ”
Tout ceci le cinéma s'en charge une fois pour toutes. Pour faire mieux que le cinéma, pour être lisible il faut être à présent dans Gertrude et dans le fiancé, sans les décrire. » (Lettre à Jean Paulhan, 19 janvier 1949, p. 82-83)

« [...] Je voudrais bien que votre commentaire me situe une bonne fois pour toutes entre Rabelais et Dostoïevski et très fermement ! » (Lettre à Marcel Arland, 4 mai 1957, p. 361)
Lettres à Albert Paraz. 1947-1957, Jean-Paul Louis (éd.), Paris, Gallimard, 2009.
« Je ne sais pas quels jean foutres essayent en ce moment de me faire appartenir à la lignée Joyce. […] Je n'ai jamais lu d'abord qu'une seule page de Joyce - Ça m'a suffi. Je ne méprise pas. Je ne méprise rien. Mais il ne me dit rien. Je ne suis pas un enculeur de mouches moi. Je fais des Chansons - Les cons des lettres, abrutis, n'ont pas encore compris ? Si je devais appartenir à une lignée elle serait strictement française diantre ! Tallemant ?… Bruant… peut-être ? Vallès sûrement… Barbusse… Cette manie de comparer une langue création vivante par excellence à des traductions forcément choses mortes !! Et le rythme ? et la cadence ? qui sont TOUT ils n'en font RIEN. » (24 novembre 1949, p. 240-241)

« J'ai lu le Magot [article qui cite Céline parmi les douze écrivains français alors vivants qui seront “ classiques ” en l'an 2000]. Je lui ai répondu qu'à mon avis – en l'an 2000 – on ne lirait plus que Barbusse – Morand – Ramuz et moi-même ! » (12 avril 1949, p. 173-174).

« Ils [mes livres] ressemblent plutôt aux chansons de gestes. Ils sont chansons nullement PROSE – absolument rien à faire avec le naturalisme français le romantisme ou le néo naturalisme américain. Ils sont en tension transposée musicale extrême du premier mot au dernier sur 700 pages, pas une syllabe au hasard. Je me sers du langage parlé, je le recompose pour mon besoin – mais je le force en un rythme de chanson – Je demeure toujours en danse. JE NE MARCHE PAS. […] Un jour je me suis dit : pour aller de la gare Montparnasse à La Villette, il y a deux moyens ou bien y aller par les rues les trottoirs se faire rebuter bahutter retenir culbuter par les voitures, les cycles, les passants s'emmerder dans les encombrements ou s'y rendre directement par le métro – sous terre c'est-à-dire – […] se perdre dans les analyses, […] repentirs et patata ou foncer dans l'intimité des choses TOUT DROIT – Mais gafe [sic.] ! sans perdre les rails, sans dérailler. Ces rails-là créés par l'auteur – le rythme c'est lui qui le trouve – la certitude, la boussole des ténèbres – et yop petit ! […] s'enfoncer comme dans le métro dans le dedans du sujet – (sans doute un peu ce qu'ont fait les peintres impressionnistes –) » (10 septembre 1949, p. 208-209).
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