Photo de Marcel ProustMarcel Proust

(1871-1922)

Dossier

Le roman selon Marcel Proust

Les origines de l'art du roman de Marcel Proust, par Gabrielle Roy-Chevarier, 13 avril 2010

L'art du roman de Marcel Proust a ceci de particulier qu'il est difficilement dissociable de sa vision globale de l'art. Le travail de tout artiste est sans cesse comparé, voire associé à celui du romancier. À l'inverse, ce que Proust dit de la littérature peut servir de théorie sur l'art dans son ensemble. L'art du roman chez Proust doit donc être entendu à la fois comme étant ce qui participe à la fabrique du roman et ce qui lui donne sa valeur comme objet d'art. L'essai sur l'art enchâssé dans Le Temps retrouvé a pour cela une valeur exemplaire, car il exprime de la façon la plus complète, cohérente et profonde toute la vision esthétique de Proust, qui à la fois explique et justifie sa propre oeuvre romanesque. Lire Le Temps retrouvé, c'est donc avoir une idée d'ensemble de la pensée de Proust, qui n'est ailleurs qu'à l'état fragmentaire.

Ces fragments, qui sont autant d'indices d'une pensée qui s'est entièrement investie dans un même projet romanesque, n'en sont cependant pas seulement le reflet amoindri : l'étude des écrits non romanesques (essais, articles, lettres, notes de carnet) précédant et chevauchant la genèse d'À la Recherche du temps perdu dévoile un mouvement dynamique entre la réflexion critique de Proust et sa pratique comme romancier.

Le discours sur l'art que Proust expose dans Le Temps retrouvé est d'une continuité surprenante avec les idées émises dès ses premiers écrits. Paradoxalement, il n'y a pas à proprement parler de discours sur le roman dans ces écrits de jeunesse, car Proust se concentre plutôt sur des analyses d'autres arts que le roman : peinture, poésie, philosophie, histoire de l'art. Seule une lecture téléologique de ces écrits disparates, c'est à dire une lecture orientée vers le discours contenu dans la Recherche, permet de mettre au jour les indices significatifs indiquant à la fois l'évolution chronologique et l'importance des idées qui seront reprises une fois le roman conçu. L'analyse des écrits de la jeunesse de Proust ne peut cependant pas se limiter à cette lecture orientée visant à retrouver dans un passé de critique amateur les indices d'une pensée future sur le roman, puisque Proust, avant l'année charnière que représente 1908, ne se considère pas comme étant un romancier. Ses écrits sur l'art n'ont donc pas été écrits afin de tester une vision de son art du roman, mais répondraient plutôt à un besoin de réfléchir aux conventions artistiques et esthétiques de son temps. Ces réflexions se sont néanmoins toujours jumelées à un désir de créer, si bien que Proust, sans se trouver dans la posture du romancier, propose une conception de l'art qui s'articulerait le mieux au roman.

Après une première lecture, téléologique, permettant de dégager les principaux lieux de la pensée de Proust dans ses écrits, il faut reconsidérer ces mêmes fragments indépendamment de ce fil conducteur les liant à la Recherche. On peut alors constater que la pensée critique de Proust l'a certes menée vers le roman, puisqu'une fois romancier ses conceptions premières ont peu changé, mais qu'elle n'a pas été suffisante pour concevoir le roman tel que le sera À la Recherche du temps perdu. En effet, ce qui surgit de l'étude minutieuse des écrits entourant l'année 1908, dont on ne peut trop souligner l'importance, c'est que Proust n'a réussi a transformer ses idées générales sur l'art en art du roman qu'en pratiquant concrètement l'écriture romanesque. Les années 1908-1909 voient donc la pensée critique se nourrir des découvertes dans l'écriture proprement romanesque, qui à son tour s'enrichit des réflexions théoriques. L'importance que revêt la pratique de l'écriture dans le développement d'une poétique du roman n'annule cependant pas l'importance des écrits non romanesques, car la pratique du roman concrétise et pousse plus loin les idées élaborées auparavant dans la réflexion critique.

L'émergence d'une conception de l'art chez Proust.

Les débuts littéraires de Proust dans les années 1890 témoignent de sa grande curiosité pour tous les arts et toutes les formes de pensées. Il aime explorer ce qui distingue et unit les formes d'art entres elles. Le point fixe de cette réflexion est pourtant toujours la littérature, à laquelle sont comparés les autres arts, mais aussi la philosophie. Sous l'éclectisme apparent des sujets abordés se trouve donc un fil conducteur, une pensée sur la littérature, qui sert de point de comparaison mais qui aussi se nourrit et se développe au contact d'autres arts.

La philosophie est reconnue, dès les premiers articles de Proust, comme étant de nature semblable à la littérature par sa « raison supérieure une et infinie comme le sentiment » et « ce sentiment mystérieux et profond des choses » («Tel qu'en songe par Henri de Régnier », p. 51) qui les caractérisent toutes les deux. Art de la raison, la philosophie sert rapidement de repoussoir à ce que Proust perçoit comme étant l'art véritable : « L'art est un instinct, et les réfléchis sont un peu des impuissants, tel est à peu près le sens du mauvais sort jeté aux nobles oeuvres modernes, qui les frappe à leur naissance d'une mort immédiate. » ( «Le Nez de Cléopâtre, par Henri de Saussine », p. 54)

En juillet 1896, dans un article intitulé « Contre l'obscurité », Proust pousse plus loin sa condamnation de la philosophie en littérature et dégage une idée maîtresse de ce qui deviendra son art du roman : « Le romancier bourrant de philosophie un roman qui sera sans prix aux yeux du philosophe aussi bien que du littérateur, ne commet pas une erreur plus dangereuse que celle que je viens de prêter aux jeunes poètes et qu'ils ont non seulement mise en pratique, mais érigée en théorie . » Ainsi, « l'aide du raisonnement, loin de le fortifier, paralyse l'élan du sentiment qui seul peut les porter au coeur du monde. Ce n'est pas par une méthode philosophique, c'est par une sorte de puissance instinctive que Macbeth est, à sa manière, une philosophie . » (« Contre l'obscurité», p. 88)

La vision des idées abstraites comme étant inférieures aux sensations, aux impressions vécues, constitue le coeur même de l'esthétique de Proust. Il ouvre donc son essai Contre Sainte-Beuve, qu'il a commencé à rédiger vers la fin de l'année 1908, par des phrases qui rappellent l'article de 1896 : « Chaque jour j'attache moins de prix à l'intelligence. Chaque jour je me rends mieux compte que ce n'est qu'en dehors d'elle que l'écrivain peut ressaisir quelque chose de nos impressions, c'est-à-dire atteindre quelque chose de lui-même et la seule matière de l'art . » (Contre Sainte-Beuve, p. 43)

C'est par le biais de l'analyse de la peinture que Proust étoffe sa conception de l'art en lui faisant prendre source dans la réalité. Comme il le montre dans un article incomplet sur Chardin et Rembrandt, écrit vers 1895 ou 1896, Proust montre que l'art est avant tout une question de vision de la réalité. Cette réalité, vue par l'artiste, dévoile alors quelque chose de mystérieux qui provoque en lui de la joie, et c'est cette joie même qu'un Chardin va fixer sur la toile. C'est ainsi que « [l]e plaisir que vous donne sa peinture d'une chambre où l'on coud, d'une office, d'une cuisine, d'un buffet, c'est saisi au passage, dégagé de l'instant, approfondi, éternisé, le plaisir que lui donnait la vue d'un buffet, d'une cuisine, d'une office, d'une chambre où l'on coud . » («Chardin et Rembrandt», p. 69) Regarder un tableau, c'est réussir à partager la vision du peintre et donc à voir avec lui qu'il est possible de sortir une scène de vie quotidienne de la trivialité du temps dans laquelle elle était inscrite. Dans le même article, Proust constate cependant que le tableau renferme en lui-même tout ce que la vision avait à offrir : il n'ouvre pas, comme la philosophie, sur une réflexion qui tenterait de comprendre la source de la joie du peintre. Malheureusement l'article est incomplet, mais il laisse entrevoir l'idée selon laquelle la littérature permettrait de franchir cette étape que la peinture, elle, ne franchit pas. Sans faire de la philosophie qui la détruirait, la littérature irait au-delà de la simple reproduction de la joie ressentie au contact de la réalité.

La figure du peintre, qui détourne l'art d'une contemplation abstraite d'idées pour le ramener dans le concret de la réalité, se voit cependant rapidement mise au second rang après celle du poète, dont le travail devient la quintessence de ce qui constitue la création artistique pour Proust. Le poète, contrairement au peintre qui se contente de restituer sur une toile sa propre vision de la réalité, fait le travail supplémentaire de tenter de connaître et de comprendre la joie qui le saisit au contact de cette même réalité. Dans son article « La poésie ou les lois mystérieuses », écrit entre 1896 et 1899, Proust écrit :

Le poète reste arrêté devant toute chose qui ne mérite pas l'attention de l'homme bien posé, de sorte qu'on se demande si c'est un amoureux ou un espion et, depuis longtemps qu'il semble regarder cet arbre, ce qu'il regarde en réalité. […] Il reste devant cet arbre, mais ce qu'il cherche est sans doute au-delà de l'arbre, car il ne sent plus ce qu'il a senti, puis tout d'un coup il le ressent de nouveau, mais ne peut l'approfondir, aller plus loin. […]Le poète regarde et semble regarder à la fois en lui-même et dans le cerisier double, et par moments quelque chose en lui-même lui cache ce qu'il y voit, et il est obligé d'attendre un instant, aussi que la personne qui passe l'oblige à attendre un instant en lui masquant un instant le cerisier double. (« La poésie ou les lois mystérieuses », p. 113-114)

Le véritable poète est celui qui, à l'instar de Jules Renard dans son recueil Histoires naturelles, «ne cherche pas d'échappatoires, au contraire de presque tous qui ne pouvant approfondir leur sensation, au lieu d'insister, de chercher ce qu'il y a dedans, ne s'obstinent pas, glissent ailleurs, ne peuvent y pénétrer davantage et , de ratages en ratages, finissent par couvrir une immense circonférence, croient que cela finit par être plus beau que, d'un point quelconque, avoir su descendre au centre. [Jules Renard] approfondit, saisit la vérité cachée dans la sensation . » (« Jules Renard », p. 92)

Ce poète idéal n'est cependant pas forcément celui qui écrit de la poésie. Le poète est l'écrivain qui est capable d'accomplir un travail de perception réelle et profonde des choses. C'est ainsi que Chateaubriand, sur lequel Proust écrit vers 1898, est considéré comme un poète, puisqu'il est capable d'accéder à une autre réalité et, en la partageant dans ses livres, permet de faire survivre à sa personne mortelle, une autre personne qui, elle, est immortelle . (Voir « sur Chateaubriand », p. 348)

La critique active comme moyen de création.

C'est lorsque Proust découvre Ruskin, critique d'art anglais fort à la mode dans les années 1890, que s'accentuent et s'approfondissent ses idées. Il décide d'entreprendre deux traductions, La Bible d'Amiens (publiée en 1904) et Sésame et les lys (publié en 1906) dont les préfaces témoignent de l'évolution de sa pensée. Ruskin représente, curieusement, l'écrivain idéal pour Proust, qui n'hésite pas à écrire qu'il est « le plus grand écrivain de tous les temps et de tous les pays » dans la préface à la Bible d'Amiens (Pastiches et mélanges, p. 171). Ce qui donne au livre de Ruskin tout son prix, nous dit Proust dès les premières lignes de sa préface à la Bible d'Amiens, c'est qu'en allant visiter la cathédrale en suivant les indications du critique d'art, le lecteur est assuré de l'y retrouver : superposé aux beautés de la cathédrale d'Amiens se trouve donc ajoutée la beauté de la vision de Ruskin (Pastiches, p. 98). Ruskin critique d'art mais aussi créateur d'art, voilà une figure qui séduit tout à fait Proust et reproduit celle que lui-même voudrait être. En effet, parallèlement à son travail de critique, Proust a poursuivi jusque-là quelques projets d'écriture, qui ont abouti à la publication d'un recueil hétéroclite de morceaux de tous genres, Les Plaisirs et les jours, et à un roman resté inachevé, Jean Santeuil. Il semble évident que la pratique de l'écriture a influencé les idées de Proust véhiculées dans ses essais critiques, mais le contact de Ruskin intensifie et surtout justifie cette approche binaire entre théorie et pratique. C'est ainsi que dans la préface à la Bible d'Amiens Proust désigne le péché de l'idolâtrie comme étant le péché capital de tout amateur d'art qui ne deviendrait pas à son tour créateur. L'idolâtrie s'applique de façon générale aux grands admirateurs d'une oeuvre qui vont s'extasier devant un tissus parce que c'est le même que celui qui figure dans un tableau de Gustave Moreau ou devant une robe parce que c'est celle que portait la princesse de Cadignan dans un roman de Balzac :

La toilette de Mme de Cadignan est une ravissante invention de Balzac parce qu'elle donne une idée de l'art de Mme de Cadignan, qu'elle nous fait connaître l'impression que celle-ci veut produire sur d'Arthez et quelques-uns de ses « secrets ». Mais une fois dépouillée de l'esprit qui est en elle, elle n'est plus qu'un signe dépouillé de sa signification, c'est-à-dire rien. (Pastiches et mélanges, p. 174)

Proust ne conseille pas pour autant de nier toute influence extérieure à soi, bien au contraire : il préconise seulement de ne pas verser dans l'excès et de ne jamais oublier de se placer soi-même dans la peau du créateur : « Il n'y a pas de meilleure manière d'arriver à prendre conscience de ce qu'on sent soi-même que d'essayer de recréer en soi ce qu'a senti le maître. Dans cet effort profond c'est notre pensée elle-même que nous mettons, avec la sienne, au jour. » ( Pastiches et mélanges, p. 174)

L'essai « Journées de lecture », publié comme préface à la traduction de Sésame et les Lys de Ruskin, mais écrit en 1905, (année où il a été publié pour la première fois sous le titre «Sur la lecture» ), accentue cette position de critique-créateur prônée par Proust. Une mise en scène narrative où sont retrouvées, intactes, les journées de lectures de l'enfance, est suivie d'une réflexion sur les limites de la lecture n'ayant pas pour but une exploration créatrice personnelle.

Le suprême effort de l'écrivain comme de l'artiste n'aboutit qu'à soulever partiellement pour nous le voile de laideur et d'insignifiance qui nous laisse incurieux devant l'univers. Alors il nous dit […] « Regarde ! Apprends à voir ! » Et à ce moment il disparaît. Tel est le prix de la lecture et telle est aussi son insuffisance. C'est donner un trop grand rôle à ce qui n'est qu'une initiation d'en faire une discipline. La lecture est au seuil de la vie spirituelle ; elle peut nous y introduire : elle ne la constitue pas.  (Pastiches et mélanges, p. 230-231)

Les lecteurs exclusifs sont comme les idolâtres dont Proust parlait dans la préface de la Bible d'Amiens, car le livre est décrit, dans « Journées de lecture », comme étant en vérité :

Une idole immobile, [que le lecteur] adore pour elle-même, qui au lieu de recevoir une dignité vraie des pensées qu'elle éveille, communique une dignité factice à tout ce qui l'entoure. […] Son esprit (au lecteur) sans activité originale ne sait pas isoler dans les livres la substance qui pourrait le rendre plus fort ; il s'encombre de leur forme intacte, qui, au lieu d'être pour lui un élément assimilable, un principe de vie, n'est qu'un corps étranger, un principe de mort. (Pastiches et mélanges, p. 237)

Lire sans chercher à soi-même écrire devient donc une « maladie littéraire » (Pastiches, p. 237), car « un esprit original sait subordonner la lecture à son activité personnelle. » Ainsi, « la puissance de notre sensibilité et de notre intelligence, nous ne pouvons la développer qu'en nous-mêmes, dans les profondeurs de notre vie spirituelle . » (Pastiches, p. 244)

Les années créatrices : le passage de la théorie à la pratique.

Les années qui suivent la rédaction de l'essai « Journées de lecture » sont cruciales pour Proust : comme il s'assume de plus en plus comme écrivain, sa pensée critique sert de façon plus directe ses réflexions en tant que romancier. Ses idées sur l'art et l'écriture s'affinent, se solidifient, s'approfondissent, mais restent néanmoins assez semblables à ce qu'elles avaient été jusqu'à ce moment-là.

L'année 1906, celle qui suit la mort de sa mère, est peu productive car Proust est en grand deuil. Ses lettres reflètent cependant une attitude plus critique et montrent qu'il est préoccupé par la recherche d'un style personnel, son propre style comme écrivain. C'est ainsi que Proust, qui auparavant ne tarissait pas d'éloges pour chacune des oeuvres (poétiques ou romanesques) écrites par ses amis, pose sur elles un regard plus sévère. Le style est la cible première des critiques de Proust qui conseille à ses amis de le rendre plus personnel, plus inventif. Dans une lettre à son ami Henri Joubert de janvier 1906, il critique ainsi son livre :

Seulement cher ami à mon avis vous ne cherchez pas assez à rendre votre impression, votre pensée, votre forme, personnelles. […] Votre style est brillant, facile, harmonieux, il n'est pas vôtre suffisamment […] si vous voulez que vos livres, en dehors même du sujet, expriment fortement votre personnalité alors cher ami il faut la dégager davantage. (Correspondance, 1906)

De même, dans une lettre de février 1906 à Maurice Barrès, pour qui il ne montrait jusque-là qu'une respectueuse admiration, Proust ose la critique:

«Où Chateaubriand l'emporte (je parle de l'écrivain, car vous êtes un autre penseur !) c'est par la fécondité incessante de son style, tandis que vous avez des pages stériles que vous avez laissé mâcher par les chèvres et où vous vous êtes "souvent ennuyé comme ici."» (Correspondance, 1906)
À Henri Bordeaux, un autre ami écrivain, Proust lui reproche en novembre 1906 de ne pas avoir un style assez personnel, d'être trop « barrériste ». (Correspondance, 1906)

L'obsession du style se retrouve d'ailleurs dans le Contre Sainte-Beuve, où Proust reproche à Balzac de manquer de style, puisque chez Balzac ne transparaît pas assez la transformation que sa pensée « a fait subir à la réalité » (p. 200):

Le style ne suggère pas, ne reflète pas : il explique. Il explique d'ailleurs à l'aide des images les plus saisissantes, mais non fondues avec le reste, qui font comprendre ce qu'il veut dire comme on le fait comprendre dans la conversation si on a une conversation géniale, mais sans se préoccuper de l'harmonie du tout et de ne pas intervenir. […] c'est par des images de ce genre, c'est-à-dire frappantes, justes, mais qui détonnent, qui expliquent au lieu de suggérer, qui ne se subordonnent à aucun but de beauté et d'harmonie… (Contre Sainte-Beuve, p. 201)

Comme Proust l'explique dans un important article, écrit en 1907 pour louer le recueil de poésie Les Éblouissements de son amie Anna de Noailles, le style est le reflet du « moi profond qui individualise les oeuvres et les fait durer .» (p. 233) Il ne peut naître que de la « résurrection de ce qui a été senti », donc de « la seule réalité intéressante ». (p. 238) Pour la première fois, l'impression poétique, si chère au processus créateur pensé par Proust depuis les années 1890, se double d'une conception dans le temps, car s'esquisse ici l'idée que l'impression sentie face à la réalité (donc au fond du moi) prend une profondeur d'autant plus remarquable si elle provient d'un passé cru mort jusque-là.

Proust critique le style d'autres écrivains, mais cherche aussi le sien propre. L'année 1908 est cruciale dans l'évolution de sa pensée: il oscille, dès janvier 1908, entre son ambition d'être romancier et celle, plus modeste, de n'être qu'un critique. C'est donc pendant cette année que Proust va intensifier sa pratique des pastiches, qui est pour lui un exercice qui se situe exactement entre la critique et la création : c'est de la « critique littéraire ‘en action' ». Comme le souligne Jean Milly, « [p]ar les pastiches, il veut se libérer d'influences trop fortes, pour conquérir son indépendance, sa pleine capacité de créateur original. Il a la phobie du ‘pastiche involontaire', de l'imitation inconsciente .» (Milly, p. 36) 

Depuis l'essai « Journées de lecture », Proust adopte donc une attitude qui reflète une volonté de se former avant tout comme écrivain. Malgré ses affinités avec la poésie et le processus de création poétique, c'est le roman qui devient pour Proust la seule voie possible. En effet, il note à l'été 1908 dans son carnet une phrase qui sera reprise dans Le Temps retrouvé et qui montre ici le renoncement de Proust à la poésie :

Arbres vous n'avez plus rien à me dire, mon coeur refroidi ne vous entend plus, mon oeil constate froidement la ligne qui vous divise en partie d'ombre et de lumière, ce seront les hommes qui m'inspireront maintenant, l'autre partie de ma vie où je vous aurais chantés ne reviendra jamais. (Carnet de 1908, p. 52)

Il ne s'agit pas à proprement parler d'un renoncement à la poésie mais d'un déplacement des vérités trouvées dans l'impression poétique vers un objet qui n'est pas la poésie et où, plutôt que la nature, ce seront les humains qui seront « chantés ». Beaucoup de doutes entourent cette position équivoque de Proust entre deux genres, entre deux postures, celle du poète et celle du romancier. Pour se rassurer et surtout justifier à ses yeux la validité d'une telle démarche, il note dans son carnet, à l'automne 1908 :

Ce qui me console c'est que Baudelaire a fait les poèmes en prose et les Fleurs du Mal sur les mêmes sujets, que Gérard de Nerval a fait en une pièce de vers et dans un passage de Sylvie le même château Louis XIII, le myrte de Virgile, etc. En réalité ce sont des faiblesses, nous autorisons en lisant les grands écrivains les défaillances de notre idéal qui valait mieux que leur oeuvre. (Carnet de 1908, p. 65 )

Proust s'insère donc dans une filiation d'écrivains dont la posture était selon lui semblable à la sienne : Chateaubriand , Baudelaire, Gérard de Nerval. Son projet, encore vague, vise à dépasser le projet artistique de ses prédécesseurs : « Allons plus loin que Gérard, pourquoi se borner à tel rêve, tel moment, cristalliser dans une seule chose y sacrifier tout … » (Carnet de 1908, p. 65 )

Philip Kolb soutient d'ailleurs que dès janvier 1908 Proust aurait entrepris un projet de roman, comme l'indique son carnet où, à l'été de cette année, il note quelles en sont les « pages écrites ». La structure de ce roman, avec son « côté de Villebon et le côté de Méséglise » préfigure celle de À la recherche du temps perdu.

Ce projet de roman n'est cependant pas assez solide pour se développer pleinement et Proust le laisse de côté à l'automne 1908 pour se concentrer sur un essai sur Sainte-Beuve auquel il pense depuis quelques années déjà . Pourtant, les « pages écrites » témoignaient d'un état avancé dans la conception, voire l'écriture d'un roman. Ces pages ont pour la plupart été reprises dans l'édition de 1954 du Contre Sainte-Beuve. Or Proust n'a peut-être pas encore trouvé l'idée majeure qui lui permettra d'écrire l'oeuvre qu'il veut vraiment faire. Ses doutes quant à sa capacité à devenir un romancier tel qu'il le conçoit, se retrouvent dans une note écrite dans son carnet vers octobre 1908 :

La paresse ou le doute ou l'impuissance se réfugiant dans l'incertitude sur la forme d'art. Faut-il en faire un roman, une étude philosophique, suis-je romancier ? […] Je sens que j'ai dans l'esprit comme un lac de Genève invisible la nuit. J'ai là quatre visages de jeunes filles, deux clochers, une filière noble, en l'hortensia normand un "allons plus loin" dont je ne sais ce que je ferai (Carnet de 1908, p. 61)

L'incertitude sur la forme d'art à adopter se résout, à la fin de 1908, par l'entreprise de deux projets similaires sur Sainte-Beuve, mais dont l'un sera narratif, et l'autre sera un essai. (voir les lettres à Georges de Lauris de décembre 1908)

C'est en 1909, où Proust poursuit ces deux projets indépendants, mais qui ont été confondus comme n'en étant qu'un seul par la première édition du Contre Sainte-Beuve en 1954 , qu'il est possible de voir que la pensée de Proust sur son propre art du roman n'a été possible que par la pratique du roman. Il apparaît que les idées fondamentales de Proust sur le roman ne s'articulent véritablement que par la mise en scène narrative. Les réflexions critiques donnent toujours le pas à la création romanesque, tout en ayant un rôle important dans la genèse du roman : elles permettent de cristalliser et de mieux affirmer comme art du roman ce qui a été pressenti lors des recherches en création.

C'est ainsi que pendant la rédaction de ces deux projets, l'un romanesque, l'autre essayistique, Proust approfondit l'idée fondamentale de son grand roman : la mémoire involontaire. On trouve au feuillet 10v du Carnet de 1908, donc vers la fin 1908, la note suivante: « Nous croyons le passé médiocre parce que nous le pensons mais le passé ce n'est pas cela, c'est telle inégalité des dalles du baptistère de St Marc (photographie du Bap[tistère] de St Marc à laquelle nous n'avions plus pensé [)], nous rendant le soleil aveugla[nt] sur le canal. » (Carnet de 1908, p. 60)

La préface de l'essai Contre Sainte-Beuve, écrite en juillet 1909, articule plus nettement l'idée de mémoire involontaire grâce à une scène qui préfigure la scène de la madeleine de Combray. Ici, un narrateur « je » trempe une biscotte dans du thé :

Je sentais un bonheur qui m'envahissait, et que j'allais être enrichi de cette pure substance de nous-mêmes qu'est une impression passée, de la vie pure restée pure (et que nous ne pouvons connaître que conservée, car en ce moment où nous la vivons, elle ne se présente pas à notre mémoire, mais au milieu des sensations qui la suppriment) et qui ne demandait qu'à être délivrée, qu'à venir accroître mes trésors de poésie et de vie. (Contre Sainte-Beuve, p. 45) 

Un autre moment de mémoire involontaire, où le narrateur se rappelle brusquement un voyage en train, approfondit la réflexion :

À la même minute, l'heure brûlante et aveuglée où ce bruit tintait revécut pour moi, et toute cette journée dans sa poésie, d'où s'exceptaient seulement, acquis pour l'observation voulue et perdue pour la résurrection poétique, le cimetière du village, les arbres rayés de lumière et les fleurs balzaciennes. (Contre Sainte-Beuve, p. 46)

Tout comme Proust l'exposait dans son article sur Les Éblouissements d'Anna de Noailles, l'impression poétique provient de la résurrection soudaine d'un moment du passé. Il semble pourtant évident que l'incarnation de cette idée de la mémoire involontaire, de la résurrection du passé par un personnage « je » et une mise en scène fictive qui elle-même est située dans le passé de ce narrateur, indique que l'impression poétique ne s'articule pas chez Proust dans la poésie. Un passage du Contre Sainte-Beuve, qui est purement narratif, permet de voir plus clairement le mouvement vers le roman que permet l'idée de mémoire involontaire : la scène présente un narrateur « je » qui s'émeut devant un rayon de soleil sur le balcon, alors que Françoise coiffe sa mère. Il réalise que la joie qu'il ressent n'est pas contenue seulement dans la beauté plastique de ce rayon de soleil sur les pierres mais dans ce que cette joie cache :

des innombrables souvenirs indistincts les uns derrière les autres jusqu'au fond de mon passé ressentaient l'impression de ce rayon de soleil en même temps que mes yeux aujourd'hui, et donnaient à cette impression une sorte de volume, mettaient en moi un sorte de profondeur, de plénitude, de réalité faite de toute cette réalité de ces journées aimées, consultées, senties dans leur vérité, dans leur promesse de plaisir, dans leur battement incertain et familier. (Contre Sainte-Beuve, p. 104 )

Ce passage, qui rappelle ceux cités précédemment, ajoute l'idée essentielle que, dans ce rayon de soleil, ce sont des moments entiers du passé, vécus dans la durée, qui se trouvent imbriqués dans l'impression vécue dans le présent. Pour décrire ces moments nés du rayon de soleil, faire renaître ces « journées aimées », il faut les inscrire de nouveau dans la durée, celle du roman. 

La mise en scène narrative est ce qui permet à Proust de concevoir l'espace romanesque qui sera le sien. C'est par le roman que le roman se crée. Par la mise en scène narrative, Proust récupère et approfondit des idées articulées auparavant dans des essais critiques pour les mener plus proche d'une conception du roman. Le projet de roman sur Sainte-Beuve n'aboutit pas à un essai, procédé qu'il avait déjà employé dans « Journées de lecture », mais ouvre sur un roman encore plus vaste. Les passages entourant celui du rayon de soleil montrent d'ailleurs comment les moments du passé rapidement décrits ont un potentiel romanesque latent, car ces moments, nés des souvenirs ressurgis de ce rayon de soleil, évoquent à leur tour des journées qu'il faudrait décrire plus en profondeur. Ils permettent en outre l'apparition de personnages, « d'individus » qui seuls, selon l'article de Proust « Contre l'obscurité » de 1896 peuvent réaliser « l'universel ou éternel ». Or, « dans les oeuvres comme dans la vie des hommes, pour plus généraux qu'ils soient, doivent être fortement individuels (cf. La Guerre et la PaixLe Moulin sur la Floss), et on peut dire d'eux, comme de chacun de nous, que c'est quand ils sont le plus eux-mêmes qu'ils réalisent le plus largement l'âme universelle . » («Contre l'obscurité», p. 90)

Le contact critique de Proust avec Balzac, pendant la rédaction du Contre Sainte-Beuve en 1909 lui permet d'affiner cette idée de personnages exprimant l'universel dans leur individualité. Cependant, Balzac sert à la fois de modèle et de repoussoir.

Dans son carnet Proust note de longues listes de noms aristocratiques car il est à la recherche de noms pour ses propres personnages. C'est en mai 1909, sur le feuillet 35, que Proust trouve le nom de Guermantes. (Carnet de 1908, p. 94) Sur le même feuillet, il écrit : « Balzac fait bien parler chaque personnage », propos qu'il reprend et développe dans son essai sur Balzac dans le Contre Sainte-Beuve :

Ce même homme [Balzac] qui étale naïvement ses vues historiques, artistiques, etc., cache les plus profonds desseins, et laisse parler d'elle-même la vérité de la peinture du langage de ses personnages, si finement qu'elle peut passer inaperçue, et il ne cherche en rien à la signaler. Quand il fait parler la belle Mme Roguin qui, Parisienne d'esprit, pour Tours est la femme du préfet de la province, comme toutes les plaisanteries qu'elle fait sur l'intérieur des Rogron sont bien d'elle et non de Balzac ! ( Contre Sainte-Beuve, p. 210)

Il conçoit et théorise sa conception du personnage romanesque par rapport à celle de Balzac à la fois dans la partie strictement essayistique de son Contre Sainte-Beuve et dans la partie à caractère plus romanesque, « Le Balzac de M. de Guermantes ». Il y a un écho certain entre ces deux projets parallèles : on voit, testés dans la partie « romanesque », les remarques dégagées dans l'essai. Par exemple, Proust souligne la vulgarité de Balzac qui nomme par son petit nom un personnage qui vient à peine d'entrer en scène « comme un enfant qui, ayant baptisé ses poupées, leur prête une existence véritable ». Or lui-même, dans le « Balzac de M. de Guermantes », introduit à peine le personnage de Mme de Guermantes avant de l'appeler Pauline (Contre Sainte-Beuve, p. 222). Proust admire donc chez Balzac ce don de fortement individualiser ses personnages, au risque de paraître un peu vulgaire. Il admire en outre la grande idée de Balzac d'avoir gardé les mêmes personnages dans tous ses romans. C'est cela qui a permis d'établir des rapports nouveaux entre les parties séparées de son oeuvre, qui dès lors « vivent et ne pourraient plus se séparer ». (Contre Sainte-Beuve, p. 214) Dans une note qu'il voulait inclure dans son essai, Proust ajoute : « Bien montrer pour Balzac […] les lentes préparations, le sujet qu'on ligote peu à peu, puis l'étranglement foudroyant de la fin. Et aussi l'interpolation des temps […] comme dans un terrain où les laves d'époques différentes sont mêlées. » (Contre Sainte-Beuve, p. 212, note 1) 

Ces réflexions sur le personnage balzacien ont fortement influé sur l'art du roman de Proust qui, une fois romancier, décrit sa vision du personnage en ces termes dans une entrevue accordée à la sortie du Côté de chez Swann:

Vous savez qu'il y a une géométrie plane et une géométrie dans l'espace. Eh bien, pour moi, le roman ce n'est pas seulement de la psychologie plane, mais de la psychologie dans le temps. Cette substance invisible du temps, j'ai tâché de l'isoler, mais pour cela il fallait que l'expérience pût durer. […] les divers aspects qu'un même personnage aura pris aux yeux d'un autre, au point qu'il aura été comme des personnages successifs et différents, donneront – mais par cela seulement – la sensation du temps écoulé. (« Swann expliqué par Proust] », p. 253)

Il faut cependant rappeler que Balzac n'a pas servi que de modèle à Proust. Balzac a ses défauts, comme celui de sans cesse souligner l'intelligence d'une remarque d'un de ses personnages, soit par le biais de la narration, soit par les commentaires des autres personnages , ceci « aux dépens de l'impression de vie de l'oeuvre d'art ». (Contre Sainte-Beuve, p. 198) Mais les défauts de Balzac sont formateurs et aussi utiles à Proust que ses qualités. La dynamique qui s'opère entre les découvertes dans l'écriture d'un roman et les réflexions critiques sur l'art du roman de Balzac se reflète dont avec force dans la formation de la conception proustienne du personnage romanesque.

Pour conclure, l'étude de l'art du roman de Proust que l'on trouve dans les écrits non romanesques précédant l'écriture d'À la recherche du temps perdu a pour fonction première de montrer le mouvement inverse de ce qui serait attendu. En effet, plutôt que d'être le résultat d'une pratique assumée du roman, la réflexion critique qui met en place les principaux lieux de la poétique du roman de Proust se forme alors que le roman lui-même n'a pas encore été pensé par l'auteur. Si une lecture indicielle, orientée vers le discours reconnu comme étant celui définissant l'art du roman de Proust présentait un risque puisqu'elle pouvait mener à une lecture biaisée, la forte dynamique entre la pensée critique et la pratique romanesque au moment de la genèse de la Recherche montre au contraire que cette vision d'un mouvement vers le roman était justifiée. La réflexion théorique, toujours doublée d'un désir de créer, s'est enrichie au fil des années, sans jamais se contredire, si bien qu'elle a été entièrement absorbée par le roman une fois ce dernier conçu. Les idées plus conceptuelles de Proust sur l'art et la littérature ont réussi à s'incarner dans le travail de mise en scène narrative, permettant alors les découvertes essentielles à la structure de la Recherche sur le temps et la mémoire involontaire. Le rapport symbiotique, de plus en plus intense à partir de l'année 1908, entre la réflexion critique et l'écriture romanesque, s'est fait au profit d'un investissement toujours plus grand dans le roman, jusqu'au point où la réflexion théorique est devenue désuète. Comme on peut le constater avec les réflexions entourant le traitement du personnage chez Balzac, l'analyse critique a néanmoins joué un rôle majeur dans l'évolution de la pensée sur l'art du roman de Proust jusqu'à ce que l'écriture de la Recherche débute véritablement, illustrant ainsi de façon exemplaire comment l'art du roman chez Proust est celui d'une pratique tout autant que celui d'une théorie.

Ouvrages cités :

  • Milly, Jean. Les Pastiches de Proust, édition critique et commentée par Jean Milly, Paris, Librairie Armand Colin, 1970.
  • Proust, Marcel. Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, coll. «Idées», 1954.
  • Proust, Marcel, Le Carnet de 1908, établi et présenté par Philip Kolb, Paris, Gallimard, coll. «Cahiers Marcel Proust nouvelle série»,  1976.
  • Proust, Marcel. Pastiches et Mélanges, Paris, Gallimard,  coll. «Idées nrf», 1947.
  • Proust, Marcel. « Tel qu'en songe par Henri de Régnier », novembre 1892, dans Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 50-51.
  • Proust, Marcel. « Un roman à lire : Le Nez de Cléopâtre par Henri de Saussine », juillet 1893, dans Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 54-55. 
  • Proust, Marcel. « [Chardin et Rembrandt] », vers 1895,  dans Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 68-78.
  • Proust, Marcel. « Contre l'obscurité », 15 juillet 1896, dans Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 86-91.
  • Proust, Marcel. « Jules Renard », vers 1896, dans Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 92-93.
  • Proust, Marcel. « [La création poétique]», vers 1898, dans Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 108-109.
  • Proust, Marcel. « [La poésie ou les lois mystérieuses]», entre 1895 et 1900, dans Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 113-118.
  • Proust, Marcel. « Sur la lecture », 1905, republié sous le titre « Journées de lecture » dans Pastiches et mélanges, Gallimard, 1947.
  • Proust, Marcel. « Les Éblouissements, par la Comtesse de Noailles », 15 juin 1907, dans Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 229-241.
  • Proust, Marcel. « Swann expliqué par Proust », 1913, dans Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 253-255.
  • Proust, Marcel. Correspondance. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon, 1970-1993, 21 vol.

Bibliographie

Ouvrages cités

Cette bibliographie recense tous les écrits non-romanesques de Marcel Proust qui participent de son art du roman. Se trouvent ainsi cités plusieurs textes ne faisant pas mention du roman de façon explicite, mais qui pourtant sont essentiels à la bonne compréhension de la pensée de Proust sur le roman. Les écrits ont été placés en ordre chronologique de date de rédaction, avec mention de la date de rédaction (si connue), celle de la première édition, puis, entre crochets, de l'édition utilisée pour les citations. Le dépouillement de la correspondance est pour l'instant incomplet.

Les débuts littéraires (1892-1899) :

« Tel qu'en songe par Henri de Régnier », Le Banquet, no 6, novembre 1892, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 50-51.]

« Un roman à lire : Le Nez de Cléopâtre par Henri de Saussine », Gratis-Journal, juillet 1893, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 54-55.]

« [Chardin et Rembrandt] », inachevé, vers 1895, Le Figaro littéraire, 27 mars 1954 [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 68-78.]

« Contre l'obscurité », La Revue blanche, 15 juillet 1896, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 86-91.]

« Jules Renard », vers 1896, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 92-93.]

« [La création poétique] », vers 1898, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 108-109.]

« [Le pouvoir du romancier] », entre 1895 et 1900, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968 , [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 109-110.]

« [La poésie ou les lois mystérieuses]», entre 1895 et 1900, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 113-118.]

Les années créatrices (1900-1909) :

(Cette section regroupe regroupe les écrits de Proust précédant et chevauchant la genèse d'À la recherche du temps perdu.)

« Préface à la Bible d'Amiens », 1904, Pastiches et mélanges, Paris, Gallimard, 1919, [Pastiches et mélanges, Gallimard, 1947.]

« Sur la lecture », La Renaissance latine, 1905, republié sous le titre « Journées de lecture » dans Pastiches et mélanges, Gallimard, 1919, [Pastiches et mélanges, Gallimard, 1947.]

« Les Éblouissements, par la Comtesse de Noailles », Le Figaro, supplément littéraire du 15 juin 1907, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 229-241.]

Le Carnet de 1908, édition de Philip Kolb, Paris, Gallimard, « Cahiers Marcel Proust nouvelle série », 1976.

Contre Sainte-Beuve, 1908-1909, Paris, Gallimard, « Idées », 1954.

Proust romancier (1909-1922) :

Swann expliqué par Proust », Le Temps, 12 novembre (daté du 13) 1913, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 253-255.]

« À propos du ''style'' de Flaubert », partiellement rédigé autour du 15 janvier 1913, Nouvelle Revue française, janvier 1920, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 282-296.]

« À propos de Baudelaire », Nouvelle Revue française, juin 1921, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 314-335.]

« [Réponse à une enquête des ‘Annales'] », Les Annales politiques et littéraires, 26 février 1922 [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 336- 337.]

« [Enquête sur le renouvellement du style] », La Renaissance politiquelittéraire, artistique, 22 juillet 1922, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 341.]

Notes de date incertaine :

(Les notes, essais ou articles dont il a été impossible d'attribuer une date de rédaction certaine ont été regroupés dans cette section, selon l'ordre attribué dans Essais et articles (1994).)

« [Sur Goethe] », rédaction de date incertaine, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 343-346.]

« [Joubert] », rédaction de date incertaine, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 346-347.]

« [Sur Chateaubriand] », écrit après 1898, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 347-349.]

« Notes sur Stendhal », rédaction de date incertaine, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 349-352.]

«Tolstoï», rédaction de date incertaine, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 353-354.]

Correspondance (1880-1922) :

Correspondance I : 1880-1895. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon, 1970.

Correspondance II: 1896-1901. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon.

Correspondance III : 1902-1903, Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon.

Correspondance IV : 1904. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon.

Correspondance V : 1905. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon.

Correspondance VI : 1906. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon.

Correspondance VII : 1907. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon, 1981.

Correspondance VIII : 1908. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon, 1981.

Correspondance IX : 1909. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon, 1982.

Correspondance X : 1910-1911. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon, 1983.

Correspondance XI : 1912. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon, 1983.

Correspondance XII : 1913. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon, 1984.

Correspondance XIII : 1914. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon, 1985.

Correspondance XIV : 1915. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon.

Correspondance XV : 1916. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon.

Correspondance XVI : 1917. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon.

Correspondance XVII : 1918. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon.

Correspondance XVIII : 1919. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon.

Correspondance XIX : 1920. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon.

Correspondance XX : 1921. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon.

Correspondance XXI : 1922. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon.

Citations

« Tel qu'en songe par Henri de Régnier », Le Banquet, no 6, novembre 1892, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 50-51.]
« Au-dessus de ce qu'on appelle généralement intelligence, les philosophes cherchent à saisir une raison supérieure une et infinie comme le sentiment, à la fois, objet et instrument de leur méditations. C'est un peu de cette raison, de ce sentiment mystérieux et profond des choses que Tel qu'un songe réalise et pressent. » (p. 51)
« Un roman à lire : Le Nez de Cléopâtre par Henri de Saussine », Gratis-Journal, juillet 1893, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 54-55.]
« Si la nouvelle génération diffère de la précédente et vaut mieux qu'elle, c'est assurément par l'intensité de la réflexion, l'essor du rêve, l'ambition très haute de restituer sa place à la pensée que les matérialistes avaient bannie de l'univers et les naturalistes de l'art, par des aspirations vagues peut-être, mais assurément puissantes, qui tendent à donner à la vie un arrière-plan, à notre destinée un sens, à nos actes une sanction. Mais s'ils ont jusqu'à présent et sauf des exceptions bien chères, échoué dans leurs généreuses tentatives, c'est qu'à trop raisonner sur la vie, on perd le don de la donner, qu'une oeuvre trop réfléchie est rarement vivante, que plus l'analyse gagne en profondeur, la couleur perd en intensité, et que les êtres vivants sont comme ces papillons que l'on dépouille, en les clouant pour les étudier, d'un peu du mirage de leurs ailes. L'art est un instinct, et les réfléchis sont un peu des impuissants, tel est à peu près le sens du mauvais sort jeté aux nobles oeuvres modernes, qui les frappe à leur naissance d'une mort immédiate. » (p. 54)
« [Chardin et Rembrandt] », inachevé, vers 1895, Le Figaro littéraire, 27 mars 1954 [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 68-78.]

Note: Proust décrit comment l'art est d'abord une question de vision de la réalité. Cette réalité, vue par l'artiste, dévoile alors quelque chose de mystérieux qui provoquent en lui de la joie, et c'est cette joie même qu'un Chardin va fixer sur la toile.

« Le plaisir que vous donne sa peinture d'une chambre où l'on coud, d'une office, d'une cuisine, d'un buffet, c'est saisi au passage, dégagé de l'instant, approfondi, éternisé, le plaisir que lui donnait la vue d'un buffet, d'une cuisine, d'une office, d'une chambre où l'on coud. » (p. 69)

« Avec Rembrandt la réalité même sera dépassée. Nous comprendrons que la beauté n'est pas dans les objets, car sans doute alors elle ne serait si profonde et si mystérieuse. » (p. 76)

« Nous faisons tous comme le philosophe en regardant le ciel, mais nous ne cherchons pas comme lui à prendre conscience de notre joie ou de notre angoisse, de leur essence ou de leur raison. Sans doute même le peintre qui a peint ce philosophe n'a pas raisonné comme le philosophe. Pourtant, il avait bien regardé le ciel comme lui, puisqu'il l'a peint. » (p. 77)

« Je veux ajouter pour les peintres qui reprochent sans cesse aux littérateurs leur incapacité à parler peinture, leur complaisance à prêter aux peintres des intentions qu'ils n'eurent jamais, que si en effet les peintres font ce que j'ai dit, ou pour être plus précis si Chardin a fait tout ce que j'ai dit, il n'en eut jamais l'intention, il est même fort probable qu'il n'en eut jamais la conscience. » (p. 78)

« Contre l'obscurité », La Revue blanche, 15 juillet 1896, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 86-91.]
« Le romancier bourrant de philosophie un roman qui sera sans prix au yeux du philosophe aussi bien que du littérateur, ne commet pas une erreur plus dangereuse que celle que je viens de prêter aux jeunes poètes et qu'ils ont non seulement mise en pratique, mais érigée en théorie. Ils oublient, comme ce romancier, que si le littérateur et le poète peuvent aller, en effet, aussi profond dans la réalité des choses que le métaphysicien même, c'est par un autre chemin, et que l'aide du raisonnement, loin de le fortifier, paralyse l'élan du sentiment qui seul peut les porte au coeur du monde. Ce n'est pas par une méthode philosophique, c'est par une sorte de puissance instinctive que Macbeth est, à sa manière, une philosophie. » (p. 88)

« Qu'il me soit permis de dire encore du symbolisme, dont en somme il s'agit surtout ici, qu'en prétendant négliger les « accidents de temps et d'espace » pour ne nous montrer que des vérités éternelles, il méconnaît une autre loi de la vie qui est de réaliser l'universel ou éternel, mais seulement dans des individus. Dans les oeuvres comme dans la vie des hommes, pour plus généraux qu'ils soient, doivent être fortement individuels (cf. La Guerre et la PaixLe Moulin sur la Floss), et on peut dire d'eux, comme de chacun de nous, que c'est quand ils sont le plus eux-mêmes qu'ils réalisent le plus largement l'âme universelle. Les oeuvres purement symboliques risquent donc de manquer de vie et par là de profondeur. » (p. 90)
« Jules Renard », vers 1896, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 92-93.]
« Il est admirable parce qu'il ne cherche pas d'échappatoires, au contraire de presque tous [qui] ne pouvant approfondir leur sensation, au lieu d'insister, de chercher ce qu'il y a dedans, ne s'obstinent pas, glissent ailleurs, ne peuvent y pénétrer davantage et , de ratages en ratages, finissent par couvrir une immense circonférence, croient que cela finit par être plus beau que, d'un point quelconque, avoir su descendre au centre. Lui approfondit, saisit la vérité cachée dans la sensation (p. 92-93)
« [La création poétique] », vers 1898, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 108-109.]
« La vie du poète a ses petits événements comme celle des autres hommes. Il va à la campagne, il voyage. Mais le nom de la ville où il a passé un été, inscrit avec la date au bas de la dernière page d'une oeuvre, nous montre que la vie qu'il partage avec les autres hommes lui sert un tout autre usage, et parfois si ce nom de ville, datant à a fin du volume le moment et le lieu où le livre a été écrit, est justement celui de la ville où se passe le roman, nous sentons tout le roman comme une sorte de prolongement immense qui s'adapte à la réalité, et nous comprenons que la réalité fut pour le poète quelque chose de tout autre que pour les autres, quelque chose qui contient la chose précieuse qu'il cherchait et qu'il n'est pas facile d'en faire sortir. » (p. 108-109)
« [Le pouvoir du romancier] », entre 1895 et 1900, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968 , [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 109-110.]
« Nous sommes tous devant le romancier comme les esclaves devant l'empereur : d'un mot, il peut nous affranchir. » (p. 109)

« Par lui nous sommes le véritable Protée qui revêt successivement toutes les formes de la vie. » (p. 110)

« C'est pourquoi en fermant un beau roman, même triste nous nous sentons si heureux. » (p.110)
« [La poésie ou les lois mystérieuses]», entre 1895 et 1900, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 113-118.]
« Mais le poète reste arrêté devant toute chose qui ne mérite pas l'attention de l'homme bien posé, de sorte qu'on se demande si c'est un amoureux ou un espion et, depuis longtemps qu'il semble regarder cet arbre, ce qu'il regarde en réalité. Il reste devant cet arbre et tâche de fermer son oreille aux bruits de dehors et de ressentir encore ce qu'il a tout à l'heure senti, quand au milieu de ce jardin public, seul sur la pelouse cet arbre est apparu devant lui, semblant garder encore comme après un dégel d'innombrables petites boulettes de neige à la pointe de ses rameaux, tant il porte de fleurs blanches. Il reste devant cet arbre, mais ce qu'il cherche est sans doute au-delà de l'arbre, car il ne sent plus ce qu'il a senti, puis tout d'un coup il le ressent de nouveau, mais ne peut l'approfondir, aller plus loin. […] Le poète regarde et semble regarder à la fois en lui-même et dans le cerisier double, et par moments quelque chose en lui-même lui cache ce qu'il y voit, et il est obligé d'attendre un instant, aussi que la personne qui passe l'oblige à attendre un instant en lui masquant un instant le cerisier double. » (p. 113-114)

« Mais le poète, qui éprouve avec allégresse la beauté de toutes choses dès qu'il l'a sentie dans les lois mystérieuses qu'il porte en lui, et qui bientôt nous la fera trouver charmante en nous la montrant avec le petit bout des lois mystérieuses, le petit bout qui aboutit à elle, le petit bout qu'il peindra aussi en les peignant, touchant à leur pieds ou partant de leur front, le poète éprouve et fait connaître avec allégresse la beauté de toutes choses, d'un verre d'eau aussi bien que des diamants, mais aussi des diamants aussi bien que du verre d'eau […]. » (p. 114)
« Préface à la Bible d'Amiens », 1904, Pastiches et mélanges, Paris, Gallimard, 1919, [Pastiches et mélanges, Gallimard, 1947.]
« Les indications que les écrivains nous donnent dans leurs oeuvres sur les lieux qu'ils ont aimé sont souvent si vagues que les pèlerinages que nous y essayons gardent quelque chose d'incertain et d'hésitant et comme la peur d'avoir été illusoires. […] Voilà un genre de déboires que nous n'aurez pas à redouter avec Ruskin, à Amiens surtout ; vous ne courrez pas le risque d'y être venu passer une après-midi sans avoir su le trouver dans la cathédrale. » (p. 98)

« En écrivant son livre, Ruskin n'a pas eu à travailler pour vous, il n'a fait que publier sa mémoire et vous ouvrir son coeur. » (p. 111)

« La littérature aussi est une « lampe à sacrifices » qui se consume pour éclairer les descendants » (p. 135)

« Car l'homme de génie ne peut donner naissance à des oeuvre qui ne mourront pas qu'en les créant à l'image non de l'être mortel qu'il est, mais de l'exemplaire d'humanité qu'il porte en lui. » (p. 137)

« De tels hommes [tels John Ruskin], attentifs et anxieux devant l'univers à déchiffrer, sont avertis des parties de la réalité sur lesquelles leurs dons spéciaux leur départissent une lumière particulière, par une sorte de démon qui les guide, de voix qu'ils entendent, l'éternelle inspiration des être géniaux. Le don spécial, pour Ruskin, c'était le sentiment de la beauté, dans la nature comme dans l'art. » (p. 143)

« Vous comprendrez ensuite que le poète étant pour Ruskin, comme pour Carlyle, une sorte de scribe écrivant sous la dictée de la nature une partie plus ou moins importante de son secret, le premier devoir de l'artiste est de ne rien ajouter de son propre cru à ce message divin. » (p. 144)

« La réalité que l'artiste doit enregistrer est à la fois matérielle et intellectuelle. La matière est réelle parce qu'elle est une expression de l'esprit. Quant à la simple apparence, nul n'a plus raillé que Ruskin qui voient dans son imitation le but de l'art. » (p. 144)

« S'il [Ruskin] attache tant d'importance à l'aspect de choses, c'est que seul il révèle leur nature profonde. » (p.144-145)

« Car la peinture ne peut atteindre la réalité une des choses et rivaliser par là avec la littérature, qu'à condition de ne pas être littéraire. » (p. 145.)

« La force du génie se mesure plus à la force de ses croyances qu'à ce que l'objet de ses croyances peut avoir de satisfaisant pour le sens commun. » (p. 146)

« le plaisir esthétique est précisément celui qui accompagne la découverte d'une vérité. » (p. 170)

«Il n'y a pas de meilleure manière d'arriver à prendre conscience de ce qu'on sent soi-même que d'essayer de recréer en soi ce qu'a senti le maître. Dans cet effort profond c'est notre pensée elle-même que nous mettons, avec la sienne, au jour. » (p. 179)

« C'est à un sophisme tout aussi naïf qu'obéissent sans le savoir les écrivains qui font à tout moment le vide dans leur esprit, croyant le débarrasser de toute influence extérieure, pour être sûre de rester personnels. » (p. 179)

« Le sujet du romancier, la vision du poète, la vérité di philosophe s'imposent à eux d'un façon presque nécessaire, extérieure pour ainsi dire à leur pensée. Et c'est en soumettant son esprit à rendre cette vision, à approcher cette vérité que l'artiste devient vraiment lui-même. » (p. 180)
« Sur la lecture », La Renaissance latine, 1905, republié sous le titre « Journées de lecture » dans Pastiches et mélanges, Gallimard, 1919, [Pastiches et mélanges, Gallimard, 1947.]
« Pour moi, je ne me sens vivre et penser que dans une chambre où tout est la création et le langage de vives profondément différentes de la mienne […] où je ne retrouve rien de ma pensée consciente. » (p. 217)

« [La lecture est le]  miracle fécond d'une communication au sein de la solitude. » (p. 226)

« Nous sentons très bien que notre sagesse commence où celle de l'auteur finit […] de sorte que c'est au moment où ils nous ont dit tout ce qu'ils pouvaient nous dire qu'ils font naître en nous le sentiment qu'ils ne nous ont encore rien dit. » (p. 229)

« Le suprême effort de l'écrivain comme de l'artiste n'aboutit qu'à soulever partiellement pour nous le voile de laideur et d'insignifiance qui nous laisse incurieux devant l'univers. Alors il nous dit […] « Regarde ! Apprends à voir ! » Et à ce moment il disparaît. Tel est le prix de la lecture et telle est aussi son insuffisance. C'est donner un trop grand rôle à ce qui n'est qu'une initiation d'en faire une discipline. La lecture est au seuil de la vie spirituelle ; elle peut nous y introduire : elle ne la constitue pas. » (p. 230-231)

[Le livre est] « une idole immobile, [que le lecteur] adore pour elle-même, qui au lieu de recevoir une dignité vraie des pensées qu'elle éveille, communique une dignité factice à tout ce qui l'entoure. […] Son esprit sans activité originale ne sait pas isoler dans les livres la substance qui pourrait le rendre plus fort ; il s'encombre de leur forme intacte, qui, au lieu d'être pour lui un élément assimilable, un principe de vie, n'est qu'un corps étranger, un principe de mort. » (p. 237)

« Fromentin, Musset, malgré tous leurs dons, parce qu'ils ont voulu laisser leur portrait à la postérité, l'ont peint fort médiocre ; encore nous intéressent-ils infiniment même par là, car leur échec est instructif. DE sorte que quand un livre n'est pas le miroir d'une individualité puissante, il est encore le miroir de défauts curieux de l'esprit. » (p. 243)

« Un esprit original sait subordonner la lecture à son activité personnelle. » (p. 244)

« la puissance de notre sensibilité et de notre intelligence, nous ne pouvons la développer qu'en nous-mêmes, dans les profondeurs de notre vie spirituelle. » (p. 244)

« Anatole France juge à merveille ses contemporains. Sainte-Beuve, au contraire, n'a jamais été capable d'apprécier le romancier chez Stendhal. » (p. 245, note de bas de page)
« Les Éblouissements, par la Comtesse de Noailles », Le Figaro, supplément littéraire du 15 juin 1907, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 229-241.]
[À propos du recueil de poésie de la Comtesse de Noailles]: « De sorte qu'il n'y a pas de livre où le moi tienne autant de place, et aussi peu ; où en tienne autant […] le moi profond qui individualise les oeuvres et les fait durer, si peu le moi qu'on a défini d'un seul mot en disant qu'il était haïssable. » (p. 233)
Le Carnet de 1908, édition de Philip Kolb, Paris, Gallimard, « Cahiers Marcel Proust nouvelle série », 1976.

NOTE: Ce carnet de notes est celui que Proust a tenu en 1908 et 1909 et dans lequel s'est élaboré son roman À la Recherche du temps perdu, parallèlement à un essai sur Sainte-Beuve. Les citations qui sont inscrites ici respectent la syntaxe et la ponctuation d'origine, malgré la confusion que cela peut apporter. Les dates inscrites avant chaque entrée sont mises ici à titre indicatif et elles suivent la chronologie faite par Philip Kolb.

Juillet 1908 :

« Arbres vous n'avez plus rien à me dire, mon coeur refroidi ne vous entend plus, mon oeil constate froidement la ligne qui vous divise en partie d'ombre et de lumière, ce seront les hommes qui m'inspireront maintenant, l'autre partie de ma vie où je vous aurais chantés ne reviendra jamais. » (p. 52.)

Septembre-novembre 1908 :

« Nous croyons le passé médiocre parce que nous le pensons mais le passé ce n'est pas cela, c'est telle inégalité des dalles du baptistère de St Marc (photographie du Bap[tistère] de St Marc à laquelle nous n'avions plus pensé, nous rendant le soleil aveugla[nt] sur le canal.» (p. 60)

« Peut-être dois-je bénir ma mauvaise santé, qui m'a appris, par le lest de la fatigue, l'immobilité, le silence, la possibilité de travailler. Les avertissements de la mort.» (p. 60-61)

« La paresse ou le doute ou l'impuissance se réfugiant dans l'incertitude sur la forme d'art. Faut-il en faire un roman, une étude philosophique, suis-je romancier ? […] Je sens que j'ai dans l'esprit comme un lac de Genève invisible la nuit. J'ai là quatre visages de jeunes filles, deux clochers, une filière noble, en l'hortensia normand un « allons plus loin » dont je ne sais ce que je ferai. » (p. 61)

« Travail: recherche de ce qu'il y a de profond dans le plaisir. » (p. 64)

« Ce qui me console c'est que Baudelaire a fait les poèmes en prose et les Fleurs du Mal sur les mêmes sujets, que Gérard de Nerval a fait en une pièce de vers et dans un passage de Sylvie le même château Louis XIII, le myrte de Virgile, etc. En réalité ce sont des faiblesses, nous autorisons en lisant les grands écrivains les défaillances de notre idéal qui valait mieux que leur oeuvre. » (p. 65)

Novembre 1908 :

« Allons plus loin que Gérard [de Nerval], pourquoi se borner à tel rêve, tel moment, cristalliser dans une seule chose y sacrifier tout. » (p. 65)

«Écrivain disant des choses intelligentes et pas très justes dans la conversation. Cela devient ses livres. Écrivain sacrifiant à l'instinct intime devient pompier (Barrès).» (p. 67)

 « Depuis quarante ans littérature dominée par contraste entre la gravité de l'expression et la frivolité de la chose dite (issue de M[adam]e Bovary). L'Anneau d'Améthyste. [...] Il y a un défilé dans une petite rue qui est très bien (Rouge et Noir) et pour l'appréciation des choses de la vie (je crois bien que la cuisine est importante, etc., en un mot matérialisme). » (p. 67)

« Tout est fictif, laborieusement car je n'ai pas d'imagination mais tout est rempli d'un sens que j'ai longtemps porté en moi, trop longtemps car ma pensée en a oublié, mon coeur s'est refroidi, et j'ai façonné difficilement pour lui ces gauches conduites qui l'enferment mais d'où la chaleur émane. » (p. 69)

Automne 1909 :

« Approfondir des idées (Nietche, philosophie) est moins grand qu'approfondir des réminiscences parce que comme l'intelligence ne crée pas et ne fait que débrouiller non seulement son but est moins grand mais sa tâche est moins grande. » (p. 101)

« Aucune action extérieure à soi n'a d'importance. [...] La réalité est en soi. » (p. 101)

« Ce qui présente ainsi obscurément au fond de la conscience, [...] avant de le réaliser en oeuvre, avant de le faire sortir au dehors il faut lui faire traverser une région intermédiaire entre notre moi obscur, et l'extérieur, notre intelligence, mais comment l'amener jusque-là, comment le saisir. On peut rester des heures à tâcher de se répéter l'impression première, le signe insaisissable qui était sur elle et qui disait: approfondis-moi, sans s'en rapprocher sans la faire venir à soi. Et pourtant c'est tout l'art, c'est le seul art. Seul mérite d'être exprimé ce qui est apparu dans les profondeurs et habituellement sauf dans l'illumination d'un éclair, ou par des temps exceptionnellement clairs, animants, ces profondeurs sont obscures. Cette profondeur, cette inaccessibilité pour nous-même est la seule marque de la valeur - ainsi peu'être qu'une certaine joie. Peu importe de quoi il s'agit. Un clocher s'il est insaisissable pendant des jours a plus de valeur qu'une théorie complète du monde. » (p. 102)

« Ainsi ne pouvons-nous pas nous intéresser quand on nous parle d'un art plus humain, moins humain. Cela n'a pas de [sen]s pour nous. les [...] boutons dans une chaise de cuir, un point dans une étoffe (Ver Meer de Kahn) un corsage (Straus) valent autant qu'un art humain (Rolland, selon Placci, Bernstein, mon Renan (ceci plutôt à citer intellectuel) ou lié aux mots, sociologue (Barrès, Bordeaux) le tout est une question de distance intérieure de trajectoire, la matière est-elle cette matière mystérieuse sans l'entraînement de laquelle languit l'esprit, c'est tout. Des idées intellectuelles, humaines, mais frivoles mais visibles au ciel plus que clair de l'intelligence ont moins de prix, sont moins réelles.» (p. 102-103)

[À propos de Barbey d'Aurevilly]: « Ce qui est intéressant chez lui c'est que les choses matérielles y sont aimées pour q.q. chose d'autre qui y est caché » (p. 106)

Contre Sainte-Beuve, 1908-1909, Paris, Gallimard, « Idées », 1954.
Préface :

« Chaque jour j'attache moins de prix à l'intelligence. Chaque jour je me rends mieux compte que ce n'est qu'en dehors d'elle que l'écrivain peut ressaisir quelque chose de nos impressions, c'est-à-dire atteindre quelque chose de lui-même et la seule matière de l'art. Ce que l'intelligence nous rend sous le nom de passé n'est pas lui. En réalité, comme il arrive pour les âmes des trépassés dans certaines légendes populaires, chaque heure de notre vie, aussitôt morte, s'incarne et se cache en quelque objet matériel. Elle y reste captive, à jamais captive. A moins que nous ne rencontrions l'objet. À travers lui nous la reconnaissons, nous l'appelons, et elle est délivrée. » (p. 43)

« Je sentais un bonheur qui m'envahissait, et que j'allais être enrichi de cette pure substance de nous-mêmes qu'est un impression passée, de la vie pure restée pure (et que nous ne pouvons connaître que conservée, car en ce moment où nous la vivons, elle ne se présente pas à notre mémoire, mais au milieu des sensations qui la suppriment) et qui ne demandait qu'à être délivrée, qu'à venir accroître mes trésors de poésie et de vie. » (p. 45)

« À côté de ce passé, essence intime de nous-mêmes, les vérités de l'intelligence semblent bien peu réelles. » (p. 48)

Le rayon de soleil sur le balcon :

« Si personnelles que nous tâchions de rendre nos paroles, nous nous conformons pourtant quand nous écrivons à certains usages anciens et collectifs, et l'idée de décrire l'aspect d'une chose qui nous fait éprouver une impression est peut-être quelque chose qui aurait pu ne pas exister, comme l'usage de cuire la viande ou de se vêtir, si le cours de la civilisation avait été autre. » (p. 100) 

La méthode Sainte-Beuve :

« […] un livre est le produit d'un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices. Ce moi-là, si nous voulons essayer de le comprendre, c'est au fond de nous-mêmes, en essayant de le recréer en nous, que nous pouvons y parvenir. » (p. 127)

« En réalité, ce qu'on donne au public, c'est ce qu'on a écrit seul, pour soi-même, c'est bien l'oeuvre de soi. Ce qu'on donne à l'intimité, c'est-à-dire à la conversation (si raffinée soit-elle, et la plus raffinée est la pire de toutes, car elle fausse la vie spirituelle en se l'associant : les conversations de Flaubert avec sa nièce et l'horloger sont sans danger) et ses productions destinées à l'intimité, c'est-à-dire rapetissée au goût de quelques personnes et qui ne sont guère que de la conversation écrite, c'est l'oeuvre d'un soi bien plus extérieur, non pas du moi profond qu'on ne retrouve qu'en faisant abstraction des autres et du moi qui connaît les autres, le moi qui a attendu pendant qu'on était avec les autres, qu'on sent bien le seul réel, et pour lequel seuls les artistes finissent par vivre, comme un dieu qu'ils quittent de moins en mois et à qui ils ont sacrifié une vie qui ne sert qu'à l'honorer. » (p. 131-132)

Sainte-Beuve et Balzac :

«Tu [la mère du Narrateur] as quelquefois trouvé Flaubert vulgaire par certains côtés dans sa correspondance. Mais lui du moins n'a rien de la vulgarité, car lui a compris que le but de la vie de l'écrivain est dans son oeuvre, et que le reste n'existe  "que pour l'emploi d'une illusion à décrire". Balzac met tout à fait sur le même plan les triomphes de la vie et de la littérature. […] Mais, vois-tu, cette vulgarité même est peut-être cause de la force de certaines de ses peintures. » (p. 189-190)

« Cette réalité à mi-hauteur, trop chimérique pour la vie, trop terre à terre pour la littérature, fait que nous goûtons souvent dans sa littérature des plaisirs à peine différents de ceux que nous donne la vie. » (p. 196)

« Ce n'est pas pure illusion quand Balzac, voulant citer de grands médecins, de grands artistes, citera pêle-mêle des noms réels et des personnages de ses livres […]. Bien souvent ces personnages réels ne sont pas plus que réels. La vie de ses personnages est un effet de l'art de Balzac, mais cause à l'auteur une satisfaction qui n'est pas du domaine de l'art. » (p. 196)

« Lucien parle trop comme Balzac et il cesse d'être une personne réelle, différente de toutes les autres. […] Par exemple, quand tout de même les types étaient chez lui moins nombreux que les individus, on sent que l'un n'est qu'un des différents noms d'un même type. Par moments, Mme de Langeais semble être Mme de Cadignan, ou M. de Mortsauf, M. de Bargeton. […] à cause de cela, tous les détails destinés à faire ressembler davantage les personnages des romans à des personnes réelles, tournent à l'encontre ; le personnage vivait, Balzac en était si fier qu'il cite, sans nécessité, le chiffre de sa dot, ses alliances avec d'autres personnages de la Comédie humaine […] Mais parce qu'on voit le tour de main de Balzac, on croit un peu moins à la réalité de ces Grandlieu qui ne recevaient pas Mme de Sérizy. Si l'impression de la vitalité de charlatan, de l'artiste, est accrue, c'est aux dépens de l'impression de vie de l'oeuvre d'art ! » (p. 198)

« Le style est tellement la marque de la transformation que la pensée de l'écrivain fait subir à la réalité, que, dans Balzac, il n'y a pas à proprement parler de style. » (p. 200)

[À propos de Balzac] « Le style ne suggère pas, ne reflète pas : il explique. Il explique d'ailleurs à l'aide des images les plus saisissantes, mais non fondues avec le reste, qui font comprendre ce qu'il veut dire comme on le fait comprendre dans la conversation si on a une conversation géniale, mais sans se préoccuper de l'harmonie du tout et de ne pas intervenir. […] c'est par des images de ce genre, c'est-à-dire frappantes, justes, mais qui détonnent, qui expliquent au lieu de suggérer, qui ne se subordonnent à aucun but de beauté et d'harmonie, qu'il emploiera: "Le rire de M. de Bargeton, qui était comme des boulets endormis qui se réveillent, etc." [… ] Ainsi, au lieu de se contenter d'inspirer le sentiment qu'il veut que nous éprouvions d'une chose, il la qualifie immédiatement. […] il est si pressé de dire le fait que la phrase s'arrange comme elle peut. Il lui a donné le renseignement dont elle doit instruire le lecteur, à elle de s'en acquitter comme elle pourra. » (p. 201- 202)

« Ne concevant pas la phrase comme faite d'une substance spéciale où doit s'éliminer et ne plus être reconnaissable tout ce qui fit l'objet de la conversation, du savoir, etc., il [Balzac] ajoute à chaque mot la notion qu'il en a, la réflexion qu'elle lui inspire. » (p. 203)

« Il [Balzac] ne cache rien, il dit tout. Aussi est-on étonné de voir que cependant il y a de beaux effets de silence dans son oeuvre » (p. 204)

« Quelquefois ce n'est pas directement que Balzac exprime cette admiration que ses moindres mots lui inspirent. Il confie l'expression de cette admiration aux personnages en scène. » (p. 206)

« Car les autres romanciers, on les aime en se soumettant à eux, on reçoit d'un Tolstoï la vérité. Comme de quelqu'un de plus grand et de plus fort que soi. Balzac, on sait toutes ses vulgarités, elles nous ont souvent rebuté au début, puis on a commencé à l'aimer, alors on sourit à toutes ces naïvetés qui sont si bien lui-même; on l'aime, avec un tout petit peu d'ironie qui se mêle à la tendresse; on connaît ses travers, ses petitesses, et on les aime parce qu'elles le caractérisent fortement. » (p. 209)

« Ce même homme [Balzac] qui étale naïvement ses vues historiques, artistiques, etc., cache les plus profonds desseins, et laisse parler d'elle-même la vérité de la peinture du langage de ses personnages, si finement qu'elle peut passer inaperçue, et il ne cherche en rien à la signaler. Quand il fait parler la belle Mme Roguin qui, Parisienne d'esprit, pour Tours est la femme du préfet de la province, comme toutes les plaisanteries qu'elle fait sur l'intérieur des Rogron sont bien d'elle et non de Balzac ! » (p. 210)

« […] (car dans Balzac, c'est rarement le roman qui est l'unité ; le roman st constitué par un cycle, dont un roman n'est qu'une partie). » (p. 211)

[Note de l'auteur en bas de page] : « Bien montrer pour Balzac (La Fille au Yeux d'or, Sarrazine, La Duchesse de Langeais, etc) les lentes préparations, le sujet qu'on ligote peu à peu, puis l'étranglement foudroyant de la fin. Et aussi l'interpolation des temps (La Duchesse de Langeais, Sarrazinecomme dans un terrain où les laves d'époques différentes sont mêlées. » (p. 211)

« De tels effets ne sont guère possibles que grâce à cette admirable invention de Balzac d'avoir gardé les mêmes personnages dans tous ses romans. » (p. 213)

« Cette réalité selon la vie des romans de Balzac, fait qu'ils donnent pour nous une sorte de valeur littéraire à mille choses de la vie qui jusque-là nous paraissaient trop contingentes. Mais c'est justement la loi de ces contingences qui est dégagée dans son oeuvre. » (p. 217)

Conclusion :

« Flaubert mélange tableau et stupidité dites par les hommes :''Et comme d'autre part il rapportait sans réflexions, sans lien, les stupidités dites par les hommes […] cette ironie se répandit sur les traits purement descriptifs du tableau qui semblèrent, par la disproportion entre le graphique où se schématisent les plus grandes actions, prendre une sorte de teinte philosophique. Ainsi le conte Hérodias, qui relate la mort de saint Jean-Baptiste, finit ainsi : "Et comme la tête était très lourde, ils la portaient alternativement" etc. » (p. 296)

« Ce qu'il y a dans un tableau d'un peintre ne peut pas le nourrir, ni dans un livre d'un auteur non plus, et dans un second tableau du peintre, un second livre de l'auteur. Mais si dans le second tableau ou le second livre, il aperçoit quelque chose qui n'est pas dans le second et dans le premier, mais qui en quelque sorte est entre les deux, dans une sorte de tableau idéal, qu'il voit en matière spirituelle se modeler hors du tableau, il a reçu sa nourriture et recommence à exister et à être heureux. » (p. 296-297)

« Qu'importe qu'on nous dise : vous perdez à cela votre habileté. Ce que nous faisons, c'est remonter à la vie, c'est briser de toutes nos forces la glace de l'habitude et du raisonnement qui se prend immédiatement sur la réalité et fait que nous ne la voyons jamais, c'est retrouver la mer libre. Pourquoi cette coïncidence entre deux impressions nous rend-elle la réalité ? Peut-être parce qu'alors elle ressuscite avec ce qu'elle omet, tandis que si nous raisonnons, si nous cherchons à nous rappeler, nous ajoutons ou nous retirons. Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère. Sous chaque mot chacun de nous met son sens ou du moins son image qui est souvent un contresens. » (p. 297)

« Et parce que cette réalité véritable est intérieure, peut se dégager d'une impression commune, même frivole ou mondaine, quand elle est à une certaine profondeur et libérée de ces apparences, pour cette raison je ne fais aucune différence entre l'art élevé, qui ne s'occupe pas que de l'amour, à nobles idées, et l'art immoral ou futile, ceux qui font la psychologie d'un savant ou d'un saint plutôt que d'un homme du monde. » (p. 300)

[À propos de Romain Rolland]: « Peut-être quand nous aurons affaire à un artiste véritable qui, ayant brisé les apparences, sera descendu à la profondeur de la vie véritable, pourrons-nous alors, comme il y aura oeuvre d'art, nous intéresser davantage à une oeuvre mettant en jeu des problèmes plus étendus. Mais d'abord qu'il y ait profondeur, qu'on ait atteint les régions de la vie spirituelle où l'oeuvre d'art peut se créer. Or, quand nous verrons un écrivain, à chaque page, à chaque situation où se trouve son personnage, ne jamais l'approfondir, ne pas le repenser sur lui-même, mais se servir des expressions toutes faites que ce qui en nous vient des autres (et des mauvais autres) nous suggère quand nous voulons parler d'une chose, si nous descendons pas dans ce calme profond où la pensée choisit les mots où elle se reflétera toute entière, - un écrivain qui ne voit pas sa propre pensée, alors invisible à lui, mais se contente de la grossière apparence qui la masque à chacun de nous à tout moment de notre vie, dont le vulgaire se contente dans une perpétuelle ignorance, et que l'écrivain écarte, cherchant à voir ce qu'il y a au fond […] est, lui, bien plus matérialiste, car il ne descend même pas dans la région spirituelle d'où sont sorties des pages ne faisant que décrire des choses matérielles peut-être, mais avec ce talent qui est la preuve indéniable qu'elles viennent de l'esprit, il aura beau nous dire que l'autre art n'est pas de l'art populaire, mais de l'art pour quelques-unes, nous penserons, nous, que c'est le sien qui est cet art-là, car il n'y aura qu'une manière d'écrire pour tous, c'est d'écrire sans penser à personne, pour ce qu'on a en soi d'essentiel et de profond ; tandis que, lui, écrit en pensant à quelques-uns, à ces artistes dits maniérés, et non pas en essayant de voir par où ils pèchent, approfondissant jusqu'à trouver l'éternel l'impression qu'ils lui produisent, éternel que cette impression contient aussi bien que le contient un souffle d'aubépine ou n'importe quelle chose qu'on sait pénétrer ; mais ici comme partout, en ignorant ce qui se passe au fond de lui, en se contenant des formules rebattues et de sa mauvaise humeur, sans chercher à voir au fond […] Malheureusement, quand Jean Christophe, car c'est de lui que je parle, cesse de parler, M. Romain Rolland continue à entasser banalités sur banalités, et quand il cherche une image plus précise, c'est une oeuvre de recherche et non de trouvaille, et où il est inférieur à tout écrivain d'aujourd'hui. […] Aussi cet art est-il le plus superficiel, le plus insincère, le plus matériel (même si son sujet est l'esprit, puisque la seule manière pour qu'il y ait de l'esprit dans un livre, ce n'est pas que l'esprit en soit le sujet mais l'ait fait : il y a plus d'esprit dans Le Curé de Tours de Balzac que dans son caractère du peintre Steinbock), et aussi le plus mondain. » (p. 301-302)

« […] Un homme délicat sait que ces déclarations n'ont rien à voir avec la vraie franchise en art. C'est comme en morale : la prétention ne peut être réputée pour le fait. Au fond, toute ma philosophie revient, comme toute philosophie vraie, à justifier, à reconstruire ce qui est. » (p. 303)

« Le talent est le critérium de l'originalité, l'originalité est le critérium de la sincérité, le plaisir (pour celui qui écrit) est peut-être le critérium de la vérité du talent. » (p. 303)

« Les livres sont l'oeuvre de la solitude et les enfants du silence. » (p. 303)

« La matière de nos livres, la substance de nos phrases doit être immatérielle, non pas prise telle quelle dans la réalité, mais nos phrases elles-mêmes et les épisodes aussi doivent être faits de la substance transparente de nos minutes les meilleures, où nous sommes hors de la réalité et du présent. C'est de ces gouttes de lumière qu'est fait le style et la fable d'un livre. » (p. 303)

« Les écrivains que nous admirons ne peuvent pas nous servir de guides, puisque nous possédons en nous, comme l'aiguille aimantée ou le pigeon voyageur, le sens de notre orientation. » (p. 306)

« Swann expliqué par Proust », Le Temps, 12 novembre (daté du 13) 1913, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 253-255.]
« De jeunes écrivains, avec qui je suis d'ailleurs en sympathie, préconisent au contraire une action brève avec peu de personnages. Ce n'est pas ma conception du roman. Comment vous dire cela ? Vous savez qu'il y a une géométrie plane et une géométrie dans l'espace. Eh bien, pour moi, le roman ce n'est pas seulement de la psychologie plane, mais de la psychologie dans le temps. Cette substance invisible du temps, j'ai tâché de l'isoler, mais pour cela il fallait que l'expérience pût durer. […] les divers aspects qu'un même personnage aura pris aux yeux d'un autre, au point qu'il aura été comme des personnages successifs et différents, donneront – mais par cela seulement – la sensation du temps écoulé. » (p. 253)

« Pour moi, la mémoire volontaire, qui est surtout une mémoire de l'intelligence et des yeux, ne nous donne du passé que des faces dans vérité ; mais qu'une odeur, une saveur retrouvées dans des circonstances toutes différentes, réveillent en nous, malgré nous, le passé, nous sentons combien ce passé était différent de ce que nous croyions nous rappeler, et que notre mémoire volontaire peignait, comme les mauvais peintres, avec des couleurs sans vérité. » (p. 254)

« Si je me permets de raisonner ainsi sur mon livre, poursuit M. Marcel Proust, c'est qu'il n'est à aucun degré une oeuvre de raisonnement, c'est que ses moindres éléments m'ont été fournis par ma sensibilité, que je les ai d'abord perçus au fond de moi-même, sans les comprendre, ayant autant de peine à les convertir en quelque chose d'intelligible que s'ils avaient été aussi étrangers au monde de l'intelligence que, comment dire ? un motif musical ? » (p. 255)

« Le style n'est nullement un enjolivement comme croient certaines personnes, ce n'est même pas une question de technique, c'est – comme la couleur chez les peintres- une qualité de la vision, la révélation de l'univers particulier que chacun de nous voit,et que ne voient pas les autres, Le plaisir que nous donne un artiste, c'est de nous faire connaître un univers de plus. » (p. 255)
« À propos du ''style'' de Flaubert », partiellement rédigé autour du 15 janvier 1913, Nouvelle Revue française, janvier 1920, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 282-296.]
« Je lis seulement à l'instant (ce qui m'empêche d'entreprendre une étude approfondie) l'article du distingué critique de La Nouvelle revue française sur « le Style de Flaubert » [Albert Thibaudet]. J'ai été stupéfait, je l'avoue, de voir traiter de peu doué pour écrire, un homme qui par l'usage entièrement nouveau et personnel qu'il a fait du passé défini, du passé indéfini, du participe présent, de certains pronoms et de certaines propositions, a renouvelé presque autant notre vision des choses que Kant, avec ses Catégories, les théories de la connaissance et de la réalité extérieure. Ce n'est pas que j'aime entre tous les livres de Flaubert, ni même le style de Flaubert. Pour des raisons qui seraient trop longues à développer ici, je crois que la métaphore seule peut donner une sorte d'éternité au style, et il n'y a peut-être pas dans tout Flaubert une seule belle métaphore. Bien plus, ses images sont généralement si faibles qu'elles ne s'élèvent guère au-dessus de celles que pourraient trouver ses personnages les plus insignifiants. […] Mais enfin la métaphore n'est pas tout le style. Et il n'est pas possible à quiconque est un jour monté sur ce grand Trottoir roulant que sont les pages de Flaubert, au défilement continu, monotone, morne, indéfini, de méconnaître qu'elles sont sans précédent dans la littérature. » (p. 283)

[À propos de l'usage particulier des pronoms par Flaubert] « Flaubert était ravi quand il retrouvait dans les écrivains du passé une anticipation de Flaubert, dans Montesquieu par exemple : « Le vices d'Alexandre étaient extrêmes comme ses vertus; il était terrible dans la colère; elle le rendait cruel. » Mais si Flaubert faisait ses délices de telles phrases, ce n'était évidemment pas à cause de leur correction, mais parce qu'en permettant de faire jaillir du coeur d'une proposition l'arceau qui ne retombera qu'en plein milieu de la proposition suivante, elles assuraient l'étroite, l'hermétique continuité du style. Pour arriver à ce même but Flaubert se sert souvent des règles qui régissent l'emploi du pronom personnel. Mais dès qu'il n'a pas ce but à atteindre les mêmes règles lui deviennent complètement indifférentes.[…] Ces fautes perpétuelles sont presque aussi fréquentes chez Saint-Simon. Mais dans cette deuxième page de l'Éducation, s'il s'agit de relier deux paragraphes pour qu'une vision ne soit pas interrompue, alors le pronom personnel, à renversement pour ainsi dire, est employé avec une rigueur grammaticale, parce que la liaison des parties du tableau, le rythme régulier particulier à Flaubert, sont en jeu : ''La colline qui suivait à droite le cours de la Seine s'abaissa, et il en surgit une autre, plus proche, sur la rive opposée. Des arbres la couronnaient'', etc. Le rendu de sa vision, sans, dans l'intervalle, un mot d'esprit ou un trait de sa sensibilité, voilà en effet ce qui importe de plus en plus à Flaubert au fur et à mesure qu'il dégage mieux sa personnalité et devient Flaubert. » (p. 283-284)

[À propos de l'usage particulier des temps de verbe]: « […] ce qui jusqu'à Flaubert était action devient impression. » (p. 284)

« Un état qui se prolonge est indiqué par l'imparfait. […] Mais souvent le passage de l'imparfait au parfait est indiqué par un participe présent, qui indique la manière dont l'action se produit, ou bien le moment où elle se produit. […] Et cette variété de verbes gagne les hommes qui dans cette vision continue, homogène, ne sont pas plus que les choses, mais pas moins, « une illusion à décrire ». (p. 285)

« Cet imparfait sert à rapporter non seulement les paroles mais toute la vie des gens. L'Éducation sentimentale est un long rapport de toute une vie, sans que les personnages prennent pour ainsi dire une part active à l'action. » (p. 286)

« Ces singularités grammaticales traduisant en effet une vision nouvelle, que d'application ne fallait-il pas pour bien fixer cette vision, pour la faire passer de l'inconscient dans le conscient, pour l'incorporer dans enfin aux diverses parties du discours! » (p. 288)

« Aussi, pour ce qui concerne l'intoxication flaubertienne, je ne saurais trop recommander aux écrivains la vertu purgative, exorcisante, du pastiche […] pour pouvoir, après cela, redevenir original, ne pas faire du pastiche involontaire toute sa vie. » (p. 290)

« Je ne me lasserais pas de faire remarquer les mérites, aujourd'hui si contestés, de Flaubert. L'un de ceux qui me touchent le plus parce que j'y trouve l'aboutissement de modestes recherches que j'ai faites, est qu'il sait donner avec maîtrise l'impression du Temps. À mon avis la chose la plus belle de L'Éducation sentimentale, ce n'est pas une phrase, mais un blanc. […] « Et Frédéric, béant, reconnut Sénécal ! » Ici un «blanc », un énorme « blanc » et, sans l'ombre d'une transition, soudain la mesure du temps devenant au lieu de quarts d'heure, des années, des décades […]. » (p. 291)

« Dans Du côté de chez Swann, certaines personnes, mêmes très lettrées, méconnaissant la composition rigoureuse bien que voilée […] crurent que mon roman était une sorte de recueil de souvenirs, s'enchaînant selon les lois fortuites de l'association des idées. Elles citèrent à l'appui de cette contre-vérité, des pages où quelques miettes de « madeleine », trempées dans une infusion, me rappellent (ou du moins rappellent au narrateur qui dit « je » et qui n'est pas toujours moi) tout un temps de ma vie, oublié dans la première partie de l'ouvrage. Or, sans parler en ce moment de la valeur que je trouve à ces ressouvenirs inconscients sur lesquels j'asseois, dans le dernier volume – non encore publié – de mon oeuvre, toute ma théorie de l'art, et pour m'en tenir au point de vue de la composition, j'avais simplement pour passer d'un plan à un autre plan, usé non d'un fait, mais de ce que j'avais trouvé plus pur, plus précieux comme jointure, un phénomène de mémoire. » (p. 294-295)
« À propos de Baudelaire », Nouvelle Revue française, juin 1921, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 314-335.]
« Le monde de Baudelaire est un étrange sectionnement du temps où seuls de rares jours notables apparaissent » (p. 324)

« […] il n'y a pas de quoi se récrier sur une simple observation. Chateaubriand, lui, avait sur ce même sujet des nuages bien plus que des observations, des impressions, ce qui n'est pas la même chose […] » (p. 335)
« [Réponse à une enquête des ‘Annales'] », Les Annales politiques et littéraires, 26 février 1922 [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 336- 337.]
« L'expression roman d'analyse ne me plaît pas beaucoup. […] Je remplacerai donc, si vous voulez bien, le terme roman d'analyse par celui de roman d'introspection. » (p. 336)

« Quant au roman d'aventures, il est bien certain qu'il y a dans la vie, dans la vie extérieure, de grandes lois aussi, et si le roman d'aventures sait les dégager, il vaut le roman introspectif. Tout ce qui peut aider à découvrir des lois, à projeter de la lumière sur l'inconnu, à faire connaître plus profondément la vie, est également valable. » (p. 336)

« Pour dire un dernier mot du roman dit d'analyse, ce ne doit être nullement un roman de l'intelligence pure, selon moi. Il s'agit de tirer hors de l'inconscient, pour la faire entrer dans le domaine de l'intelligence, mais en tâchant de lui garder sa vie, de [ne pas] la mutiler, de lui faire subir le moins de déperdition possible, une réalité que la seule lumière de l'intelligence suffirait à détruire, semble-t-il. » (p. 336-337)
« [Enquête sur le renouvellement du style] », La Renaissance politique, littéraire, artistique, 22 juillet 1922, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 341.]
« La continuité du style est non pas compromise mais assurée par le perpétuel renouvellement du style. » (p. 341)

« On doit être préoccupé uniquement de l'impression ou de l'idée à traduire. Les yeux de l'esprit sont tournés au dedans, il faut s'efforcer de rendre avec la plus grande fidélité possible le modèle intérieur. Un seul trait ajouté (pour briller, ou pour ne pas trop briller, pour obéir à un vain désir d'étonner, ou à l'enfantine volonté de rester « classique ») suffit à compromettre le succès de l'expérience et la découverte d'une loi. » (p. 341)
« [Sur Goethe] », rédaction de date incertaine, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 343-346.]
« Les choses dont parlent habituellement nos livres disent ce qui excitait en nous l'inspiration et on voit bientôt ce qui s'imposait à notre esprit avec force. » (p. 343)

« On sent que [chez Goethe] toutes ces choses [lieux, cabinets d'amateurs] ne sont pas mises simplement pour le plaisir, mais qu'elles furent dans un rapport extrêmement sérieux avec sa vue intellectuelle, que l'affaire de son intelligence, son objectif le plus réel était de voir ce qu'il y avait de réel dans ce plaisir qu'elles lui faisaient éprouver […] et de déterminer leur influence sur l'esprit. » (p. 343)

« Souvent le récit est interrompu par un extrait du journal, du livre de pensée d'un des personnages. Ces pensées sont destinées selon Goethe à montrer les préoccupations habituelles de l'esprit du personnage. Mais le personnage lui-même, le fait qu'il incarne tel caractère, que la vie soit pour lui telle chose, est par rapport à Goethe comme cet extrait de journal par rapport au personnage. […] Ainsi les livres de Goethe ne peuvent pas nous reconstituer son existence, mais porter, comme un journal écrit pour soi-même, la marque forte des pensées où il se complaisait. Car ce n'est pas notre journal, ce sont nos livres que nous écrivons pour nous-même, pour notre véritable nous-même. » (p. 344)

« Le monde est assez arrangé dans ces romans comme un théâtre de marionnettes, tant on sent que Goethe tient dans un but mystérieux le fil qui les amène. Du reste tel est le charme de ses personnages. […] Des personnages n'ont exprès aucune figure particulière, étant simplement « deux amateurs de théâtre » (Wilhelm Meister) ou « deux personnes pour qui la morale n'existe pas » (le comte et la baronne dans Les Affinités électives). » (p. 345)
« [Joubert] », rédaction de date incertaine, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 346-347.]
« Et ainsi il y a chez Joubert une rareté qui exprime à sa manière la solitude (l'inspiration, le moment où l'esprit prend contact avec soi-même, où la parole intérieure n'a plus rien de la conversation et nie l'homme en tant qu'être causeur et discuteur) et malgré cela quelque chose de perpétuellement social, tout aux lettres, aux conversations, aux retours sur sa propre personne à lui Joubert, sur la vie conçue comme faite pour la société (ce qui est aussi le faible de Stendhal, combien différent, d'ailleurs). » (p. 346)

« La culture est comme les bonnes manières des esprits. […] Aussi tout cela a sa faiblesse, rapporte trop à soi, donne trop de réalité au moi phénoménal, et une importance en soi, une importance en tout cas de reliques, à des connaissances qui n'ont été que des instruments sans valeur par eux-mêmes pour atteindre la vérité. » (p. 347)
« [Sur Chateaubriand] », écrit après 1898, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 347-349.]
« J'aime lire Chateaubriand parce qu'en faisant entendre toutes les deux ou trois pages [...] ce qui est son cri à lui, aussi monotone mais aussi inimitable, on sent bien ce que c'est qu'un poète. Il nous dit que rien n'est sur la terre, bientôt il mourra, l'oubli l'emportera; nous sentons qu'il dit vrai, car il est un homme parmi les hommes; mais tout d'un coup parmi ces événements, ces idées, par le mystère de sa nature il a découvert cette poésie qu'il cherche uniquement, et voici que cette pensée qui devait nous attrister nous enchante et nous sentons non pas qu'il mourra, mais qu'il vit, qu'il est quelque chose de supérieur aux choses, aux événements, aux années, et nous sourions en pendant que ce quelque chose est le même que nous avons déjà aimé en lui. » (p. 347-348)
« Notes sur Stendhal », rédaction de date incertaine, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 349-352.]
« Goût exclusif des sensations de l'âme, reviviscence du passé, détachement des ambitions et ennui de l'intrigue, soit près de la mort (Julien en prison: plus d'ambition [...]) soir par suite du détachement causé par l'amour (Fabrice en prison [...]). [...] Ce qui amène à la troisième cause (momentanée celle-là) de détachement: émotion devant la nature d'où Julien découvrait tant de pays [...]. Les sensations sont très simples, celles des lieux admirablement situés. » (p. 350-351)

« En un sens les beaux livres ajoutent aux événements une tranche d'âme coïncidente. Dans Le Rouge et le Noir, chaque action est suivie d'une partie de la phrase indiquant ce qui se passe inconsciemment dans l'âme, c'est le roman du motif. » (p. 351)
«Tolstoï», rédaction de date incertaine, Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Gallimard, 1968, [Essais et articles, Gallimard, 1994, p. 353-354.]
« Balzac arrive à donner l'impression du grand; chez Tolstoï tout est naturellement plus grand, comme les crottes d'un éléphant à côté d'une chèvre. » (p. 353)

« Ces grandes scènes de moisson dans Anna Karénine, de chasse de patinage, etc., sont comme de grandes surfaces réservées qui espacent le reste, donnent une impression plus vaste. Il semble qu'il y ait toute la verte prairie à faucher, tout l'été entre deux conversations de Vronski. » (p. 353-354)

« Cette oeuvre n'est pas d'observation mais de construction intellectuelle. Chaque trait, dit d'observation, est simplement le revêtement, la preuve, l'exemple d'une loi dégagée par le romancier, loi rationelle ou irrationnelle. Et l'impression de puissance et de vie vient précisément de ce que ce n'est pas observé, mais que chaque geste, chaque parole, chaque action n'étant que la signification d'une loi, on se sent se mouvoir au sein d'une multitude de lois. » (p. 354)

« Et malgré tout, dans cette création qui semble inépuisable, il semble que Tolstoï pourtant se soit répété, n'ait eu à sa disposition que peu de thèmes, déguisés et renouvelés, mais les mêmes dans l'autre roman. [...] ne serait-ce pas un même souvenir qui aurait "posé"? » (p. 354)
Correspondance IV : 1904. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon.

Lettre à Henri Bordeaux, 28 mars ou 4 avril 1904.

«[...] il y a reprise de possession possible du passé. C'est celle qu'on tente en remontant le cours de souvenirs enchantés et en écrivant un beau livre. À celle-là vous avez réussi. La Voie est sans retour dans la réalité. Mais non dans l'art. Et par là encore l'art mérite le nom de consolateur. C'est ainsi que votre livre, par le fait même que vous avez réussi à l'écrire, contient une philosophie plus optimiste que celle qu'il exprime. Vérité dans le monde des sens. Erreur au delà. » (p. 98)

Note: Ce volume n'a pas été entièrement dépouillé.

Correspondance VI : 1906. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon.

Note: Ce volume n'a pas été entièrement dépouillé.

Lettre à Henri Joubert, Janvier 1906.

« Seulement cher ami à mon avis vous ne cherchez pas assez à rendre votre impression, votre pensée, votre forme, personnelles. … Votre style est brillant, facile, harmonieux, il n'est pas vôtre suffisamment … si vous voulez que vos livres, en dehors même du sujet, expriment fortement votre personnalité alors cher ami il faut la dégager davantage.»

Lettre à Maurice Barrès, 18 ou 25 février 1906.

« Où Chateaubriand l'emporte (je parle de l'écrivain, car vous êtes un autre penseur!) c'est par la fécondité incessante de son style, tandis que vous avez des pages stériles que avez laissé mâcher par les chèvres et où vous vous êtes « souvent ennuyé comme ici ».

Lettre à Marcel Cruppi, Juillet 1906.

« Ce que je crois c'est qu'ils [les écrivains que l'on admire] ne sont fécond que dans la première période [,] celle où nous les admirons aveuglément, car à ce moment-là ils agissent profondément sur notre sensibilité. Plus tard ils excitent seulement notre sens critique, qui est une faculté bien peu importante, où la personnalité se marque bien peu. … Mais il y a un grand nombre d'écrivains dont je partage toutes les opinions et que je n'admire nullement. En revanche je ne pense comme Ruskin presque sur aucun sujet et je l'admire infiniment. »

Correspondance VIII : 1908. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon, 1981.

Lettre à Robert Dreyfus, le 16 mai 1908.

« Mais dans l'intervalle mon projet se précise. Ce sera plutôt une nouvelle et alors il y aura le temps de te reconsulter. Mais la même raison qui me fait penser que l'importance et la réalité suprasensible de l'art empêchent certains romans anecdotiques, si agréables qu'ils soient, de mériter peut'être tout à fait le rang où tu sembles les placer (l'art étant quelque chose de trop supérieur à la vie, telle que nous la jugeons par l'intelligence et la dépeignons dans la conversation, pour se contenter de la contrefaire) - cette même raison ne me permet pas de faire dépendre la réalisation d'un rêve d'art, de raisons elles aussi anecdotiques et trop tirées de la vie pour ne pas participer à sa contingence et à son irréalité. Ce qui d'ailleurs présenté ainsi a l'air non pas faux mais banal et mériter quelque soufflet cuisant de l'existence irritée (comme Oscar Wilde disant que le plus grand chagrin qu'il avait eu c'était la mort de Lucien de Rubempré dans Balzac, et apprenant peu après par son procès qu'il est des chagrins plus réels). Mais tu sais que cet esthétisme banal ne saurait être ma philosophie esthétique. Et si la fatigue, la crainte d'être raseur, et surtout le crayon m'empêchait de l'expliquer, fais-moi crédit non de sa vérité mais de son sérieux. » (p. 122)

Lettre à Madame Straus, vendredi le 6 novembre 1908.

« Cette idée qu'il y a une langue française, existant en dehors des écrivains, et qu'on protège, est inouïe. Chaque écrivain est obligé de se faire sa langue, comme chaque violoniste est obligé de se faire son «son». Et entre le son de tel violoniste médiocre et le son (pour la même note) de Thibaut, il y a un infiniment petit, qui est un monde! Je ne veux pas dire que j'aime les écrivains originaux qui écrivent mal. Je préfère - et c'est peut'être une faiblesse - ceux qui écrivent bien. Mais ils ne commencent à écrire bien qu'à condition d'être originaux, de faire eux-mêmes leur langue. Le correction, la perfection du style existe, mais au-delà de l'originalité, après avoir traversé les fautes, non en decà. [...] La seule manière de défendre la langue, c'est de l'attaquer, mais oui Madame Straus! Parce que son unité n'est faite que de contraires neutralisés, d'une immobilité apparente qui cache une vie vertigineuse et perpétuelle. Car on ne «tient», on ne fait bonne figure, auprès des écrivains d'autrefois qu'à condition d'avoir cherché à écrire tout autrement. » (p. 277)

Correspondance IX : 1909. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon, 1982.

Note: Pendant l'année 1909 Proust ne donne aucun renseignement sur son art du roman, seulement des indications concernant l'avancement d'un projet d'essai sur Sainte-Beuve, mi-essai, mi-roman.

Correspondance X : 1910-1911. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon, 1983.

Lettre à Robert de Billy, mars 1910.

« Je viens de lire une très belle chose qui ressemble malheureusement un tout petit peu  (en mille fois mieux) à ce que je fais: La Bien-Aimée de Thomas Hardy. Il n'y manque même pas la légère part de grotesque qui s'attache aux grandes oeuvres. » (p. 54)

« C'est curieux que dans tous les genres les plus différents, de George Eliot à Hardy, de Stevenson à Emerson, il n'y a pas de littérature qui ait sur moi un pouvoir comparable à la littérature anglaise et américaine. L'Allemagne, l'Italie, bien souvent la France me laissent indifférent. Mais deux pages du Moulin sur la Floss me font pleurer. Je sais que Ruskin exécrait ce roman-là mais je réconcilie tous ces dieux ennemis dans le Panthéon de mon admiration. » (p. 55)

Lettre à Marcel Ballot, mercredi 29 juin 1910.

[À propos de Francis Jammes]: «Je vois bien ce qui manque à Jammes et ce n'est pas pour ses défauts que je l'aime. Mais ce qui lui manque, combien le possèdent qui n'ont pas grand talent. Nous pourrions tous suppléer à ses lacunes et je ne doute pas qu'il ne le pourrait lui-même. Mais pour ce qui est vraiment inestimable, pour cette sincérité et clairvoyance du regard qui au-delà des images apprises et confuses dont nous nous contentons sait démêler et noter la sensation exacte qu'il ressent, la nuance précise, qui l'égalerait? En sorte qu'il a peut'être un discours balbutiant mais dont chaque adjectif est tellement précis que les mots de chacun balbutient auprès des siens. » (p. 121)

Lettre à Max Daireaux, premiers jours de juillet 1910.

[À propos du livre Les Premières Amours d'un Inutile de Max Daireaux]: Je ne sais pas trop que vous en dire, il m'a trop amusé et par endroits charmé pour vous en dire du mal, il appartient trop exclusivement à une littérature que je n'aime pas pour vous en dire du bien. Vous avez infiniment d'esprit, d'originalité dans la drôlerie, d'intelligence, de rapidité, le don de l'intérêt, de la vivacité, du charme, c'est beaucoup. Mais vous vous proposez comme but de présenter comme on fait au théâtre des personnages conventionnels, des dames qui font semblant d'aimer Wagner, des messieurs qui disent comme des personnages de Gondinet ou de Croisset "Quoi? il a eu le triste courage de t'avouer qu'il s'appelait Dumont". Il est vrai que la fin stendhalienne de la phrase la relève. [...] Mais pour vos impressions vous vous contentez, comme au théâtre toujours, des vieilles formules, de l'apothéose du soleil couchant, de la solemnité religieuse des voûtes etc.» (p. 126-127)

Lettre à Robert de Montesquiou, mercredi 14 décembre 1910.

[À propos d'une conférence satirique donnée par Montesquiou le 12 décembre 1910]: «Par tempérament, je ne crois jamais qu'un artiste consente à faire d'une oeuvre d'art un simple double de la vie, et "mette" dans une oeuvre d'imagination, Monsieur X et Y. Vos châtelains, vos ecclésiastiques, votre Grande Mademoiselle sont trop vivants pour que je les eusse jamais soupçonnés d'être vécus. D'ailleurs quand vous voulez parler du prochain vous mettez assez volontiers les noms prénoms et titres, pour qu'on n'ajoute encore en cherchant des "clés".» (p. 225)

Lettre à Lucien Daudet, le mardi 10 janvier 1911.

«Je suis bien revenu de Th. Hardy: J'ai lu Barbara. C'est bien faible.» (p. 240)

Lettre à Reynaldo Hahn, mardi 4 mars 1911.

[À propos de Pelléas et Mélisandre de Claude Debussy, opéra que Proust écoute régulièrement et aime tout particulièrement]: «Cela n'a rien "d'humain" naturellement mais est d'une poésie délicieuse, quoique étant, autant que je puis supposer par comparaison, ce que je détesterais le plus si j'aimais vraiment la musique, c'est-à-dire n'étant que "notation" fugace au lieu de ces morceaux où Wagner expéctore tout ce qu'il contient de près, de loin, d'aisé, de difficile sur un sujet (seule chose que j'estime en littérature).» (p. 257)

Lettre à Georges de Porto-Riche, fin mars 1911.

«Les grands chefs-d'oeuvre sont à la fois très généraux et très particuliers, ils partent d'une vie tr^s individuelle et aboutissent à l'humanité.» (p. 274)

Lettre à Georges de Lauris, 23 ou 24 août 1911.

[À propos du feuilleton La Mort de Maurice Maeterlinck, paru au Figaro des 1er au 6 août 1911]: «Je me disais tout cela l'autre jour en lisant les articles de Maeterlinck et j'essayais de deviner si à une distance que j'ignorais, vous éprouviez aussi la petite déception qu'ils m'ont donnée. Ballot m'en a paru fort enthousiaste. Peut'être a-t-il moins pensé à la mort que moi. D'une façon générale je trouve qu'il y a contradiction dans les termes à parler ainsi de l'Inconnaissable comme de son cabinet de toilette, en disant quand il y a doute: "il y a trois infinis possibles. Le second est presque certain, le troisième est encore probable. Le premier n'a presque aucune chance d'être le vrai." Je sais bien qu'il y a le pari de Pascal, mais enfin cet Infini gagnant et cet Infini placé me choquent étrangement. Et puis la beauté même du style, la lourdeur de sa carrosserie ne conviennent pas à ces explorations de l'Impalpable. Je dis carrosserie parce que je crois que c'est ainsi que parlent nos amis qui ont des automobiles et que je me souviens que je me suis permis devant vous de petites irrévérences à l'endroit de Maeterlinck [...] en parlant d'Infini quarante cheveux et de grosse voiture marque Mystère. Mais ici mon objection est plus grave; et mon livre [...] vous montrera en quoi elle consiste. Il y avait bien longtemps que ce que j'y ai écrit sur la Mort était terminé quand ils ont paru [les articles de Maeterlinck], mais vous verrez que tout mon effort a été en sens inverse pour ne pas considérer la mort comme une négation ce qui n'a aucun sens et ce qui est [...] contraire à tout ce qu'elle nous fait éprouver. Elle se manifeste d'une façon terriblement positive.» (p. 337-338)

Lettre à Maurice Barrès, fin août 1911.

[À propos d'un discours et d'une préface de Barrès]:« C'est une chose admirable que chez vous le genre littéraire n'est que la forme d'utilisation possible d'impressions plus précieuses que lui, ou de vérités dont vous hésitez sous quelle forme vous devez les mettre au jour. Je vous imagine très bien riche encore de trésors dont vous n'avez pas encore trouvé de quelle façon ils étaient réalisables. » (p. 342)

Lettre à Maurice Barrès, dimanche 1er octobre 1911.

« Dans les rares intervalles que me laissent mes crises, je tâche de dicter un peu à la sténographie un livre déjà ébauché depuis longtemps et que je me permettrai de vous envoyer. C'est une espèce d'immense roman. J'ai souvent pensé avec inquiétude, si jamais vous aviez la patience de le feuilleter à l'opinion que vous en auriez. D'ailleurs on se demande pour qui on écrit. La Nouvelle Revue française qui semble plus intelligente que les autres parlait l'autre jour en termes assez sensés du "roman" [voir la NRF, 1er septembre 1911, no 33, p. 363-366]. Mais alors opposant le roman russe et anglais à la nouvelle succinte des Français, elle mettait la Chartreuse de Parme et le Rouge et le Noir dans la deuxième catégorie, entre la Princesse de Clèves et Adolphe. » (p. 353)

« Quant à Maeterlinck que vous m'avez reproché d'aimer trop il nous parle maintenant de l'Inconnaissable comme si c'était son cabinet de toilette, avec des descriptions détaillés. Sur certains points il a des doutes, mais il y a "quarante chances pour cent que"... et seulement "cinquante-cinq pour que..." Il a un Infini gagnant et un Infini placé! Et il roule dans l'Impalpable avec son style magnifique mais à la lourde carrosserie d'une quarante chevaux; une nouvelle voiture, marque Mystère. [...] Enfin on ne sait que penser. » (p. 353)

Lettre à Madame de Pierrebourg, premiers jours de novembre 1911.

« Je crois de plus en plus que l'artiste a devant lui son oeuvre à laquelle il ne doit doit rien changer (ce serait là le facile, changer, inventer hors du réel), la malaisé étant de le dévoiler entièrement, d'en respecter tous les contours, de mettre le ciseau dans le bloc exactement où l'on voit la statue. » (p. 368)

[À propos du roman de Madame de Pierrebourg]: « Or avec une simplicité de tragédie classique, Ma figure n'a d'autre source de son émotion et de ses péripéties que dans le développement naturel, sans intervention de l'auteur, sans causes efficientes surajoutées, de la situation initiale donnée. » (p. 369)

Correspondance XI : 1912. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon, 1983.

Lettre à Robert de Montesquiou, le 3 ou 4 avril 1912.

[À propos d'articles que Proust a fait publier afin de préparer son public à la venue prochaine de son livre]:« Quant à ce que vous dites du côté Souvenir d'Enfance hélas c'est la condamnation de l'idée d'écrire ces articles qui vont d'avance créer un malentendu au sujet de mon livre si composé et concentrique et qu'on prendra pour des Mémoires et Souvenirs d'Enfance.» (p. 90)

Lettre à Marthe Bibesco, mercredi 24 avril 1912.

[...] rien ne m'est plus étranger que de chercher dans la sensation immédiate, à plus forte raison dans la réalisation matérielle, la présence du bonheur. Une sensation, si désintéressée qu'elle soit, un parfum, une clarté, s'ils sont présents sont encore trop en mon pouvoir pour me rendre heureux. C'est quand ils me rappellent un autre, quand je les goûte entre le présent et le passé (et non pas dans le passé, impossible à expliquer ici) qu'ils me rendent heureux.» (p. 109)

Lettre à Georges de Lauris, peu après le 10 juillet 1912.

[À propos d'un roman de René Boylesve] : « Je ne sais pas si malgré la douce sympathie du titre qui moi aussi m'a attiré, vous [goûtez] beaucoup Madeleine jeune femme de Boylesve. Il y a je n'ose pas dire des parties, à peine des paragraohes, qui sont charmants. Mais le reste est d'un terne! Il est vrai que des paragraphes charmants c'est déjà si rare. Je ne suis pas du tout  de l'avis de Beaunier qui trouve que Boylesve c'est de l'ouvrage parfaitement fait mais sans intérêt. J'y trouve au contraire ça et là l'émanation d'une âme pleine de prix. Malheureusement ces émanations sont rares, brèves, et on peut les capter à peu près dans deux demi-phrases par volume.» (p. 163)

Lettre à Antoine Bibesco, peu avant le 25 octobre 1912.

[À propos du livre (qui sera Du Côté de chez Swann) que Proust veut publier]: « L'ouvrage est un roman; si la liberté du ton l'apparente semble-t-il à des Mémoires, en réalité une composition très stricte (mais à ordre trop complexe pour être d'abord perceptible) le différencie au contraire extrêmement des mémoires: il n'y a dedans de contingent que ce qui est nécessaire pour exprimer la part du contingent dans la vie. Et par conséquent dans le livre, ce n'est plus contingent. D'ailleurs rien que par mes articles tu peux voir que si personnelles qu'aient pu être mes impressions, je ne les considère que comme la manière d'entrer plus avant dans la connaissance de l'objet. Dans cet article sur l'église par exemple [paru dans le Figaro], avec une seule des impressions qui le composent, j'aurais pu si j'écrivais comme on fait aujourd'hui faire un article et par conséquent avec toutes, une dizaine d'articles, si j'avais raconté comme une chose importante l'histoire de mon impression; si par exemple, même sans aller au fond de l'impression que m'ont donnée les pierres tombales, j'avais, sur les plates-tombes, pris des poses, exécuté des mouvements désordonnés, cela frapperait, on dirait qu'il y a là quelque chose d'original. Mais mon impression approfondie, éclaircie, possédée, je la cache à côté de quinze autres sous un style uni où j'ai foi qu'un jour des yeux pénétrants la découvriront. Et d'heures exaltées il ne reste qu'une phrase, parfois qu'une épithète, et calmes. Il m'est impossible de t'expliquer dans une lettre ce que j'ai voulu faire dans mon livre.» ( p. 235-236)

Lettre à Louis de Robert, peu avant le 28 octobre 1912.

« J'ai travaillé vous le saurez peut'être depuis que je suis sis malade à un long ouvrage que j'appelle roman parce qu'il n'a pas la contingence de Mémoires (il n'y a dedans de contingent que ce qui doit représenter la part du contingent dans la vie) et qu'il est d'une composition très sévère quoique peu saisissable parce que complexe; je serais incapable d'en dire le genre. Car certaines parties se passent à la campagne, et d'autres dans certains mondes, et d'autres dans d'autres mondes, certaines sont familiales, et beaucoup d'une terrible indécence.» (p. 251)

«Croyez-vous que je ferais mieux de renoncer à l'idée de Fasquelle et qu'un éditeur purement littéraire [...] aurait plus de chance de faire accepter des lecteurs un livre qui à vrai dire ne ressemble pas du tout au classique roman.» (p. 252)

Lettre à Eugène Fasquelle, lundi soir 28 octobre 1912.

[À propos du traitement des personnages dans le roman que Proust est en train d'écrire] « [...] ils se présentent dans l'ouvrage comme dans la vie, c'est-à-dire fort mal connus d'abord et souvent découverts longtemps après pour le contraire de ce qu'on croyait [...]» (p. 256)

Correspondance XII : 1913. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon, 1984.

Lettre à Madame de Pierrebourg, peu après le 6 juin 1913.

«J'ai toujours été émerveillé chaque fois que j'ai vu un écrivain arracher un "genre" littéraire à la technique immémoriale et mensongère où il se momifiait, et en faisait de la vie, y faisait passer, aussi librement que dans un roman ou un essai, toute la vie de sa pensée.»

« un vrai romancier demande tant de vérité au roman que c'est pour lui faire faire ses preuves de vérité à l'histoire que de l'admettre à la dignité du roman.» (p. 195)

Lettre à Louis de Robert, juillet 1913.

« Vous me parlez de mon art minutieux du détail, de l'imperceptible, etc. Ce que je fais, je l'ignore, mais je sais ce que je veux faire; or, j'omets (sauf dans les parties que je n'aime pas) tout détail, tout fait je ne m'attache qu'à ce qui me semble (d'après un sens analogue à celui des pigeons voyageurs qui se dirigent [...]) déceler quelque loi générale. Or comme cela ne nous est jamais révélé par l'intelligence, que nous devons le pêcher en quelque sorte dans les profondeurs de notre inconscient, c'est en effet imperceptible, parce que c'est éloigné, c'est difficile à percevoir, mais ce n'est nullement un détail minutieux. [...] Par exemple, c'est une chose imperceptible si vous voulez que cette saveur de thé que je ne reconnais pas d'abord et dans laquelle je retrouve les jardins de Combray. Mais ce n'est nullement un détail minutieusement observé, c'est toute une théorie de la mémoire et de la connaissance (du moins, c'est mon ambition) non promulguée directement en termes logiques (du reste tout cela ressortira dans le troisième volume).» (p. 230-231)

Lettre à Jacques Copeau, peu après le 4 août 1913.

«Je ne partage nullement à l'égard d'une certaine préciosité les préventions de la N.R.F. et je ne vois nullement dans ces altérations de langage le symptôme fâcheux que dépistent vos collaborateurs et qui leur permet de tirer de fâcheux pronostics quant à la puissance mentale de l'écrivain. C'est au contraire une certaine opacité dite populaire du langage, préconisée par l'auteur de Jean Christophe qui me semble révéler exactement l'impuissance à approfondir ses idées» (p. 245)

Correspondance XIII : 1914. Texte établi, présenté et annoté par Philip Kolb, Paris, Plon, 1985.

Lettre à Henri Ghéon, 2 janvier 1914.

« [L'oeuvre dans laquelle s'inscrit Du côté de chez Swann] a pour objet de montrer les positions diverses que prennent par rapport à une autre un certain nombre de personnes au cours de la vie, de faire pour la psychologie, ce que ferait un géomètre qui passerait de la géométrie plane à la géométrie dans l'espace, de faire veux-je dire de la psychologie dans le Temps » (p. 23.)

« Vous croyez que je parle de Madame Sazerat parce que je n'ose pas omettre que je l'ai vue ce jour-là. Mais je ne l'ai jamais vue! Je considère les heures où j'ai ressenti une certaine exaltation devant la nature ou les oeuvres d'art, comme celles où j'étais en état de "connaissance" un peu profonde. Mais m'oubliant entièrement et ne pensant qu'à l'objet que je veux connaître, je ne fais pas avec cette connaissance partielle ce que feraient tels de vos amis (et ici je ne pense pas du tout à vous), je ne raconte pas que j'ai éprouvé cela, je n'entoure pas de lyrisme ce petit bout de vérité. Mais quand j'ai trouvé d'autres petits morceaux de vérité je les mets bout à bout pour tâcher de reconstituer, de restaurer l'objet, fût-ce un vitrail. Avec des heures passionnées et clairvoyantes que, au cours d'années différentes, il m'a été donné de passer à la Sainte-Chapelle, à Pont- Audemer, à Caen, à Évreux, j'ai en mettant bout à bout les petites impressions qui m'avaient été données, reconstitué le vitrail. J'ai mis devant lui Me Sazerat pour accentuer l'impression humaine de l'église à telle heure. Mais tous mes personnages, toutes les circonstances de mon livre sont inventés dans un but de signification. » (p. 24)

« Et pourtant deux choses il me semble prouvent que j'ai tout le contraire de cette "folie de sincérité" qui ne refuse rien. D'abord mon livre est dépouillé de ce qui occupe la majeure partie des romans: à moins que ce ne soit pour faire signifier à ces actes quelque chose d'intérieur, jamais un de mes personnages ne se lève, ne ferme une fenêtre, ne passe un pardessus etc. Deuxièmement moi qui mène la vie d'un malade, pas une fois je n'ai écrit la psychologie, le "roman" du malade. [...] Si je parle de maladie dans les volumes suivants, c'est une maladie inventée pour les besoins psychologiques de l'oeuvre.» (p. 25)


Lettre à Gaston de Pawlowski, 11 janvier 1914, ou peu après.

«[...] ce que vous me reprochez d'avoir fait est fort différent de ce que j'ai voulu faire. Il se peut que ce que j'ai voulu faire, je n'ai[e] point su l'exécuter. [...] L'art photographique est exactement ce que je déteste le plus. Ma microscopie me déplairait beaucoup moins, car les infiniments petits qu'elle rapproche gouvernent de grands ensembles, et, au lieu d'être passive, elle travaille pour la vérification de vastes hypothèses et la découverte des lois les plus générales.» (p. 54)

«Jamais je n'y ai songé! [à "illustrer" la philosophie de M. Bergson par une fiction romanesque]. Je n'ai prononcé qu'une seule fois le nom de Bergson [...] ce fut pour dire que rien n'était moins "bergsonien" qu'un tel livre [...].» (p. 54)


Lettre à Jacques Rivière, 6 février 1914.

«Enfin je trouve un lecteur qui devine que mon livre est un ouvrage dogmatique et une construction!" ( p. 98)

«J'ai trouvé plus probe et plus délicat comme artiste de ne pas laisser voir, de ne pas annoncer que c'était justement à la recherche de la Vérité que je partais, ni en quoi elle consistait pour moi. Je déteste tellement les ouvrages idéologiques où le récit n'est tout le temps qu'une faillite des intentions de l'auteur que j'ai préféré ne rien dire. Ce n'est qu'à la fin du livre, et une fois les leçons de la vie comprises, que ma pensée se dévoilera. Celle que j'exprime à la fin du premier volume, dans cette parenthèse sur le Bois de Boulogne que j'ai dressée là comme un simple paravent pour finir et clôturer un livre qui ne pouvait pas pour des raisons matérielles excéder cinq cents pages, est le contraire de ma conclusion. Elle est une étape, d'apparence subjective et dilettante, vers la plus objective et croyante des conclusions.» (p. 99)

« Non, si je n'avais pas de croyances intellectuelles, si je cherchais simplement à me souvenir et à faire double emploi par ces souvenirs avec les jours que j'ai vécus, je ne prendrais pas, malade comme je suis, la peine d'écrire. Mais cette évolution d'une pensée, je n'ai pas voulu l'analyser abstraitement mais la recréer, la faire vivre. Je suis donc forcé de peindre les erreurs, sans croire devoir dire que je les tiens pour des erreurs; tant pis pour moi si le lecteur croit que je les tiens pour la vérité.» (p. 99-100)

Lettre à André Gide, 6 mars 1914.

[À propos des Caves du Vatican de Gide] «J'aurais beaucoup à vous dire de ce roman, plus passionnant qu'un Stevenson, et dont les épisodes convergent, composés comme dans une rose d'Église. C'est à mon goût la composition la plus savante, mais je n'ai peut-être pas le droit de dire cela, puisque, ayant mis tout mon effort à composer mon livre, et ensuite à effacer les traces trop grossières de composition, les meilleurs juges n'ont vu là que du laisser-aller, de l'abandon, de la prolixité.» (p. 108)

« Il y a certaines choses que je ne peux aimer, dans vos Caves du Vatican, qu'en me forçant. Je ne parle pas seulement des boutons de Fleurissoire, mais de mille détails matériels; moi je ne peux pas, peut-être par fatigue, ou paresse, ou ennui, relater, quand j'écris, quelque chose qui ne m'a pas produit une impression d'enchantement poétique, ou bien où je n'ai pas cru saisir une vérité générale. Mes personnages n'enlèvent jamais leur cravate, ni même n'en renouvellent le "jeu" (comme au commencement d'Isabelle). Mais je crois que c'est vous qui avez raison. Cet effort que je suis obligé de faire en suivant Fleurissoire chez le pharmacien, Balzac longtemps me l'imposa, et la réalité, la vie. Enfin je lis votre roman avec passion. C'est vraiment une Création, dans le sens génésique de Michel-Ange; le Créateur est absent, c'est lui qui a tout fait et il n'est pas une des créatures. Je vous vois réglant les allées et venues de Fleurissoire comme le Dieu colérique de la Sixtine installant la lune dans le ciel. » (p. 108)

Lettre à André Gide, 6 ou 7 avril 1914.

[ À propos des Caves du Vatican de Gide] « Le point d'interrogation, la pointe de soleil levant et d'espoir sur lesquels s'achève votre livre, n'est peut-être pas, au point de vue purement géométrique de la composition, tout à fait satisfaisant. On s'attendait à ce que les issues fussent plus complètement bouchées, à avoir un livre hermétiquement clos. Mais il m'intéresse plus ainsi, faisant sa part à une des lois qui m'intéressent le plus, et que pour ma part je tâche toujours de mettre en lumière quand j'écris, à savoir les différences de pression, les variations de l'atmosphère morale pour un même individu. Cette aurore tonique de la fin me plaît beaucoup par là.» (p. 139-140)

Lettre à André Gide, 10 ou 11 juin 1914.

[À propos du personnage de Charlus] «Merci aussi d'avoir été indulgent à Monsieur de Charlus. J'essayais de peindre l'homosexuel épris de virilité parce que, sans le savoi, il est une Femme. Je ne prétends nullement que ce soit le seul homosexuel. Mais c'en est un qui est très intéressant et qui, je crois, n'a jamais été décrit. [...] je suis convaincu que c'est à son homosexualité que Monsieur de Charlus dois de comprendre tant de choses qui sont fermées à son frère le Duc de Guermantes, d'être tellement plus fin, plus sensible. Je l'ai marqué dès le début. Malheureusement l'effort d'objectivité que je fis comme partout rendra ce livre particulièrement haïssable.» (p. 246)

« Quant à mon titre général A la Recherche du Temps perdu, l'explication qu'en a donné Monsieur Ghéon m'a vraiment porté malheur, car [...] il n'est plus un critique, hollandais ou breton, qui ne me "resserve", en moins bon langage, ses reproches. Il semble bien pourtant que "Temps perdu" signifie "Passé", et puisque j'annonçais le troisième volume sous le titre: Le Temps retrouvé, c'était bien dire que j'allais vers quelque chose, que tout cela n'était pas une [vaine] évocation de dilettante. Fallait-il donc dès le début annoncer ce que je ne découvrirais qu'à la fin? je ne crois pas, pas plus que je ne crois qu'il [eût] été d'un artiste de dévoiler tout de suite que si Swann laissait Monsieur de Charlus sortir avec Odette, c'était parce que celui-ci avait été épris de Swann dès le collège, et qu'il savait n'avoir pas à être jaloux.» (p. 247)


Lettre à Daniel Halévy, 16 novembre 1914.

[À propos des Trois Croix, article parut dans le Journal des Débats le 17 novembre 1914] « En ce temps où il y a tant de sublime dans les faits, et si peu dans les paroles et les écrits, où chacun annonce que la Guerre a transformé les esprits, mais l'annonce dans un style qui montre trop qu'elle n'a rien transformé du tout, où ls mêmes sottises, les mêmes banalités reviennent, soit pires encore, soit semblant telles par leur confrontation aux grandes choses qu'elles s'imaginent exprimer, en ce temps où on ne peut par lire un journal sans dégoût [...] je crois que les Trois Croix sont le premier morceau de la littérature guerrière [...] qu'il m'ait été donné de lire. » (p. 331)


Lettre à Lucien Daudet, peu après le 21 novembre 1914.

« Je trouve la mort de Péguy admirable, mais non ce que j'ai lu de lui. Il est vrai que je ne dois connaître de lui que de mauvaises choses. En principe un art où un mot en appelle un autre, selon la loi de l'association des idées et non selon (trop fatigant à expliquer) où une chose est redite dix fois en laissant le choix entre dix formules dont aucune n'est la vraie, est pour moi le contraire de l'art. » (p. 353)

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