Photo de Pierre MichonPierre Michon

(1945-...)

Dossier

Bibliographie

Ouvrages cités

Classée par ordre chronologique, la présente bibliographie rassemble les entretiens de Pierre Michon parus dans différents journaux, magazines et revues entre 1989 et 2007. Sauf indication contraire, la majorité de ces textes ont été recueillis dans Le Roi vient quand il veut. Propos sur la littérature (textes réunis et édités par Agnès Castiglione avec la participation de Pierre-Marc de Biasi, Paris, Albin Michel, 2007). Dans ces textes, la question de genre (et du roman en particulier) est le plus souvent abordée obliquement, à travers les thèmes plus vastes de la littérature et de l'écriture, de la pratique d'écriture. Si les entrées précisent la référence bibliographique originale de chaque entretien, elles renvoient au Roi vient quand il veut.

« D'abord, contemporain », réponse à l'enquête : « Où va la littérature française ? », La Quinzaine littéraire, no 532, 16-31 mai 1989, p. 13-20.

« Contemporain de la légende », paru sous le titre : « Entretien avec Pierre Michon », propos recueillis par Tristan Hordé, Le Français aujourd'hui, "La nouvelle", no 87, septembre 1989, p. 21-26.

« Une forme déchue de la prière », paru sous le titre : « Michon le fils », propos recueillis par Xavier Person, Atlantiques, no 66, janvier 1992, p. 27-33.

« Un jeu de vessies et de lanternes », propos recueillis par Tristan Hordé, Recueil, no 21, Champ Vallon, printemps 1992, p. 34-46.

« La mer est belle », paru sous le titre : « Entretien avec Pierre Michon », propos recueillis par Jérôme Giudicelli, Le Même et l'Autre, no 2, printemps 1992, p. 47-63.

« Le roi vient quand il veut », paru sous le titre : « Entretien avec Pierre Michon », propos recueillis par Daniel Nadaud, Interlope la Curieuse, revue de l'École des beaux-arts de Nantes, no 5, juin 1992, p. 64-74.

« Châtelus, Bénévent, Mégara », propos recueillis par Michel Jourde et Christophe Musitelli, Les Inrockuptibles, no 46, juin 1993, p. 75-98.

« L'entretien d'Olivet », paru sous le titre : « Entretien d'Olivet, juillet 1993 », propos recueillis par Marianne Alphant, L'Œil de la lettre, « Rencontre avec Pierre Michon », dossier réalisé par la librairie Les Temps modernes à Orléans, 25 février 1994, p. 99-112.

« Rimbaud et Bernadotte », paru sous le titre : « Correspondances : entretien croisé Pierre Michon - Mehdi Belhaj Kacem », Le Matricule des Anges, no 15, hiver 1996, p. 113-118.

« Je me parle en patois », paru sous le titre : « Entretien avec Pierre Michon », propos recueillis par Jean-Christophe Millois, Prétextes, no 9, 1996, repris dans Prétextes, « Ultimum prétexte », Spécial anniversaire cinq ans, été-automne 1999, p. 119-126.

« Glorieux, caché, mort », paru sous le titre : « Interview Pierre Michon », propos recueillis par Cendrine de Susbielle, Virgin Megapress, no 38, mars 1997, p. 127-132.

« Cause toujours », paru sous le titre : « Pierre Michon, un auteur majuscule », propos recueillis par Thierry Bayle, Le Magazine littéraire, no 353, avril 1997, p. 133-159.

« La prose de Moby Dick », propos recueillis par Patrick Kéchichian, Le Monde des livres, 3 octobre 1997, p. 160-163.

« Je ne suis pas ce que j'écris », paru sous le titre : « Entretien avec Pierre Michon », propos recueillis par Anne-Sophie Perlat et Franz Johansson, Sherzo, « Pierre Michon », no 5, octobre 1998, p. 164-176.

« Qu'as-tu fait de tes talents? » paru sous le titre : « L'entretien : Pierre Michon », propos recueillis par Catherine Argand, Lire, no 271, décembre 1998-janvier 1999, p. 177-191.

« Les écrivains de Balzac », paru sous le titre : « Pierre Michon, les écrivains de Balzac », propos recueillis par Marianne Alphant, Le Magazine littéraire, no 373, février 1999, p. 192-200.

« La chair est la proie de la langue », propos recueillis par Yaël Pachet, Esprit, octobre 2000, p. 201-208.

« Un Sade qu'on peut lire à l'école », paru sous le titre : « Pierre Michon : " Le miracle d'un embrasement de la langue " », propos recueillis par Pierre-Marc de Biasi, Le Magazine littéraire, no 401, septembre 2001, p. 209-221.

« Le monde qui appelle », paru sous le titre : « Une heure avec Pierre Michon », propos recueillis par Alain Girard-Daudon, Encre de Loire, Revue trimestrielle des métiers du livre en Pays de Loire, no 20, octobre 2001, p. 222-228.

« Liquider la réalité », paru sous le titre : « Questions à Pierre Michon », propos recueillis par Jean-Marc Huitorel, Les Passant immobiles, Nantes, éditions Joca Seria, 2001, p. 229-231.

« Les carnets inédits de La Grande Beune », propos recueillis par Pierre-Marc de Biasi, Genesis, no 18, éditions Jean-Marc Place, 2002, p. 232-256.

« Boum, ça c'est du latin », propos recueillis par Jean-Baptiste Harang, Libération, 10 octobre 2002, p. 257-261.

« Si Zhongwen joue du luth », paru sous le titre : « Pierre Michon, écrivain majuscule », propos recueillis par Didier Jacob, Le Nouvel Observateur, no 1981, du 24 au 30 octobre 2002, p. 262-267.

« En attendant l'autodafé », paru sous le titre : « Pierre Michon : écrire avant l'autodafé », propos recueillis par Pierre-Marc de Biasi, Le Magazine littéraire, no 415, décembre 2002, p. 268-289.

« Mais qu'est-ce qu'on va devenir? », propos recueillis par J.-L. Bertini, C. Casaubon, S. Omont et L. Roux, La Femelle du requin, "Entre ciel et terre", no 22, hiver 2004, p. 290-309.

« La bible est mon pays », propos recueillis par Pierre-Marc de Biasi, Le Magazine littéraire, no 448, décembre 2005, p. 310-317.

« Pirate au long cours », paru sous le titre : « Pierre Michon, pirate au long cours », propos recueillis par Bertrand Leclair, La Quinzaine littéraire, no 919, numéro anniversaire des quarante ans, 16-31 mars 2006, p. 318-329.

« Giono chez les Aztèques », paru sous le titre : « Pierre Michon, lecteur de Jean Giono », propos recueillis par Jacques Chabot, Bulletin de l'Association des Amis de Jean Giono, no 65, Manosque, printemps-été 2006, p. 330-346.

« La vache et l'archer », paru sous le titre : « Pierre Michon : " Le coup de génie de Gustave Flaubert " », propos recueillis par Pierre-Marc de Biasi, Le Magazine littéraire, no 458, novembre 2006, p. 347-356.

« La fleur bleue de Julien Gracq », paru sous le titre : « Entretien avec Pierre Michon : Une littérature de l'attente », propos recueillis par Pierre-Marc de Biasi, La Magazine littéraire, no 465, juin 2007, p. 357-371.

Citations

« D'abord, contemporain », réponse à l'enquête : « Où va la littérature française ? », La Quinzaine littéraire, no 532, 16-31 mai 1989, p. 13-20.
« On parle beaucoup de ce " retour au récit ", mais je crois que cela concerne davantage le marché du livre que l'art littéraire (le récit traditionnel, le roman, s'est toujours mieux vendu que les textes relevant de genres plus inclassables, plus périlleux ; en redorant son blason on le vend mieux encore, on déculpabilise l'acheteur paresseux : j'ai peur que cette fin de la " terreur " soit aussi celle d'une certaine exigence). En tout cas, faire de ce crexu de la vague un raz-de-marée est pour le moins exagéré : il n'y a pas eu de retour, puisqu'il n'y a pas eu d'éclipse. On veut seulement légitimer ce qu'on ne prenait plus la peine de légitimer, soit qu'on jugeât le récit injustifiable, ou au contraire qu'il allait sans dire. On parle aussi de ce retour au sujet, au je : mais ce qu'on voit à l'oeuvre dans les positions de narration, c'est bien davantage le je de l'individualisme, expressif, effusif, que le je de l'énonciation tyrannique, celui qui métamorphose le sujet en pure littérature et le délivre miraculeusement de l'individu qui le porte ; en d'autres termes, le sujet hérissé d'intentions du psychanalysant, et non le sujet littéraire qu'aucune intention n'absout, entièrement gagé sur la réussite esthétique et sans cesse y échouant. Et bien sûr ce je décisif résonne aussi dans l'oeuvre de tel ou tel de nos contemporains, mais je ne vois là nul " retour " : il y a de ces grandes voix despotiques dans l'avant-garde comme dans une certaine tradition, dans Claude Simon comme dans Des Forêts ou Jouhandeau, et c'est tout simplement ce qui fait qu'un texte devient oeuvre (de même, la modernité n'a pu paradoxalement nous convaincre de la mort du sujet que par les voix inimitables de Barthes ou de Blanchot). Bref, la grande question, dans les produits de l'avant-garde comme dans ce récit " qui revient ", c'est celle que se posait Jakobsen mais qui s'est toujours posée : Qu'est-ce qui, d'un texte, fait une oeuvre d'art ? Et nulle intention ne peut en faire l'économie. » (p. 14-15)

« Le prétendu retour au récit sert peut-être de couverture à quelque chose de plus grave : on assiste au retour en force de la non-littérature sur le terrain même du littéraire ; d'une facilité agressive qui n'avait plus guère de sol théorique sous les pieds depuis vingt ans. [...] Quelle que soit la pureté des intentions de quelques-uns, cela profite surtout à l'increvable réaction poujadiste et hussarde contre les clercs, avec ses valeurs régressives, non littéraires, bref ses postures publicitaires : l'ignorance revendiquée, l'imagination, l'esprit, l'actuel, la créativité, la fantaisie, la productivité, toutes qualités dont les classes moyennes (c'est-à-dire tout le monde, et en particulier les acheteurs de livres) dotent spontanément l'écrivain. Autrement dit, le consensus reprend en main la littérature ; il envahit ce champ qui est sa négation même et y fait des affaires ; il donne à ses objets un format standard qu'il recouvre de noms divers, " récit " auprès des intellectuels, " roman " auprès des masses ; il déculpabilise la facilité afin de la vendre sans la moindre entrave. Le marché du livre n'a plus le besoin ni la patience de déguiser : à ce qu'il ne s'embarasse même plus d'appeler art, il a substitué depuis longtemps la marchandise, sans tambour ni trompette. » (p. 15-16)
« Contemporain de la légende », paru sous le titre : « Entretien avec Pierre Michon », propos recueillis par Tristan Hordé, Le Français aujourd'hui, "La nouvelle", no 87, septembre 1989, p. 21-26.
« [Question : Quels sont les avantages de la brièveté ? Quelles exigences comporte-t-elle ? Réponse :] " La brièveté est essentielle. J'incline à penser que j'écris des romans courts - densifiés, ressérés, dégraissés - plutôt que des nouvelles. Je rêve d'un roman plus pur que l'autre, le long - " aujourd'hui, je vais fabriquer un petit roman de trente pages ", disait Lautréamont. Je suis toujours surpris de l'entensivité de cette baudruche qu'est le roman, ce fourre-tout emcombré de digressions, de dialogues, d'effets de vérité, où l'énonciation se perd : le bouillon est trop allongé, elle s'y noie. Il est vrai que les thuriféraires du genre vantent cette souplesse infinie : mais je ne peux m'empêcher d'y voir de la mauvaise foi, une impuissance maquillée en triomphe. Ce que je recherche, c'est peut-être l'épure du roman, son minimum vital, ce qui lui suffit : quelque chose comme ce que fut le sonnet à tout le champ de la poésie, cette petite prison de quatorze vers essentiels en regard d'unités poétiques certes plus souples, plus longues, plus libres - mais grevées d'inessentiel.
Je voudrais que, le livre une fois refermé, l'épure de ce récit minimal soit claire au lecteur, strictement évidente et longuement résonnante comme le sont les rimes d'un sonnet. Cette joie de la totalité embrassée et comprise est évidemment inaccessible au lecteur de roman, dont la lecture entrecoupée a pu durer une semaine, et à qui ne reste, le livre fini, qu'une tonalité générale, un feeling : une vague frustration accompagne cette trop grande liberté de lecture. Pour parler franc : le récit bref permet de tenir en main le lecteur, de lui interdire la lecture plurielle, de lui ôter sa liberté et de le charmer au sens fort. S'il joue le jeu, s'il se laisse prendre, il en peut tirer je crois des gratifications plus enivrantes, plus archaïques. " » (p. 24-25)
« Une forme déchue de la prière », paru sous le titre : « Michon le fils », propos recueillis par Xavier Person, Atlantiques, no 66, janvier 1992, p. 27-33.
« [Question : En quoi est-ce un échec d'écrire ? Réponse :] " Sans doute en ce que la volonté de réconciliation qui préside à l'écriture n'est jamais à la mesure de l'extrême retranchement de celui qui s'est mis en situation d'écrire. La même pratique (écrire, peindre) qui vise à réconcilier avec le monde est une pratique de retranchement, de rupture. L'écriture est une pratique solitaire, et quel que soit son désir de communauté, elle est toujours loin de son compte. Mallarmé écrit : " Qui écrit... se retranche. " Mais on est pas forcé d'aller aussi loin que lui qui voulait être mort, exclu de tout. Il a même écrit dans une lettre à un ami : " Dieu merci, je suis complètement mort. " » (p. 28)

« [Votre écriture emprunte au registre du religieux, tant par son vocabulaire que par un style parfois presque oratoire. Réponse :] La littérature est une forme déchue de la prière, la prière d'un monde sans Dieu. On écrit comme jadis on s'adressait à quelqu'un, à un autre qu'autrui, à une grand instance fantasmatique mais comblante, qu'on appelait Dieu. Le grand tiers. Ce matin, je lisais cette phrase dans un de mes carnets, je ne sais plus si elle est de moi : " Dieu existe car il est le dédicataire de l'art. " Elle me semble plutôt sonner comme du Malraux. " » (p. 29)

« [Vous êtes donc assez éloigné d'une littérature contemporaine plus ludique, qui semble faire l'économie du tragique. Réponse :] " Cette littérature court le double risque de la frivolité et de l'autisme : d'un côté la danse sur le vide, de l'autre le babil d'un seul, le solipsisme, l'incommunicabilité des avant-gardes. Les contemporains manquent souvent de ferveur. C'est là qu'à mes yeux passe le clivage : d'un côté les écrivains fervents qui postulent un grand autrui donnant sens à la communaité des lecteurs, de l'autre les frivoles s'adressant à un autrui simple, éclaté, minimal. " » (p. 30)

« [Le titre de votre dernier livre, Rimbaud le fils, situe le créateur dans sa solitude face à l'absence du père. Réponse :] "L'écrivain est un fils égrotant depuis la fin du romantisme. Avant, il y avait une littérature d'héritage qui se passait sans problème de génération en génération, de père sain en fils sain. Le prométhéisme maladif du post-romantisme a fait déraper ce dispositif : la littérature est maintenant le champ de bataille des fils sans pères, des fils éternels. C'est cela, la crise de la littérature, la littérature comme crise : tous ces fils sont en révolte contre d'autres fils qui les ont précédés, et non plus contre des pères. Et avec le père a disparu l'instance légitimante, celle qui dit au fils : tu es écrivain. " » (p. 31)
« Un jeu de vessies et de lanternes », propos recueillis par Tristan Hordé, Recueil, no 21, Champ Vallon, printemps 1992, p. 34-46.
« [Question : On pourrait commencer par éclairer les relations entre légendevie et biographie. Réponse :] " Mes premiers textes se donnent pour des vies, ils l'affichent dans le titre. Alors on me dit depuis que je suis un auteur de vies, et j'ai voulu m'en expliquer, le justifier en théorie, mais peut-être n'ai-je fait que répondre après coup à une demande toute extérieure, me cantonnant là où on voulait me cantonner. Si bien que je réponds à chaque fois au coup par coup, et sans doute différemment. Je vais essayer cette fois d'échapper aux délimitations de genres littéraires, où je suis mal à l'aise - mais je vais enfoncer des portes ouvertes.
Faire passer une biographie pour une vie, c'est céder au fantasme de totalité ; c'est donner la succession d'instants d'une existence pour un parcours orienté, cohérent, tendu vers un but [...]. Et dans un sens, c'est ce qu'a toujours fait tout romancier, faute de quoi ses personnages tomberaient en morceaux, en petits morceaux, en tout petits morceaux. Mais, d'un point de vue plus optimiste, ou plus volontariste, on peut dire aussi qu'une vie, c'est ce chaos d'exister, une existence donc, dès lors qu'elle achoppe sur le peu de chose qui la transforme en destin - c'est-à-dire qui lui donne un sens. Et, comme la rencontre d'un sens et d'une existence - l'incarnation du sens - se fait à corps défendant, avec perte et fracas, avec douleur, parfois avec en plus de la joie, cela plus que tout mérite d'être raconté et lu - légendé. " » (p. 34-35)

« [Question : Écrire brièvement, est-ce une contrainte ? Réponse :] " [...] Écrire court va à l'encontre des grandes machines romanesques totalisantes, avec une bonne grosse Weltanschauung bien carrée, à la mode Mitteleuropa ou américaine. Mais je vais trop loin : dans ces grandes machines, il y a aussi de bons livres. L'écrivain se coule dans le moule qu'il peut, et ce n'est pas le genre qui fait le talent.
Dans notre temps de prolifération, où toute chose pullule comme le fait le Capital, on peut aussi brandir avec délectation le Rasoir d'Occam affûté au XIVe siècle : " Il ne fait pas multiplier le nombre d'entités au-delà de ce qui est nécessaire."
Par-delà  ces justifications oiseuses, j'écris court pour garder intacte l'émotion, le tremblement, d'un bout à l'autre. La longueur de corde impartie au fildefériste est brève. " » (p. 35-36)
« La mer est belle », paru sous le titre : « Entretien avec Pierre Michon », propos recueillis par Jérôme Giudicelli, Le Même et l'Autre, no 2, printemps 1992, p. 47-63.
« [Question : Pourquoi, dès lors, regarder Van Gogh [dans Vie de Joseph Roulin] à travers un petit postier de province, Roulin, qui n'a l'envergure que d'un personnage secondaire et dont vous écrivez qu'il ne comprend pas l'oeuvre du peintre ? Réponse :] " Comment la comprendrait-il ? Qu'est-ce que ça veut dire comprendre une oeuvre ?
[...] Vous savez, ce type de personnages, Roulin ou ceux de Vies minuscules, c'est le type romanesquement très ancien du témoin, du petit témoin. C'est très employé dans le roman populiste et ses avatars nobles, Cervantes, Céline. C'est une figure extrêmement efficace parce que le lecteur peut directement compatir avec elle : c'est la figure chrétienne du pauvre, c'est le prolétaire ou Charlot. C'est la figure qui gagne d'emblée et sans médiation la sympathie du lecteur, et dans ce sens c'est une facilité populiste. " » (p. 50-51)

« [Question : Vies minuscules est une affirmation puisque les derniers mots sont : " Qu'ils soient ! " Comme si tout votre travail visait à une sorte de miracle. Réponse :] Oui, je voudrais faire apparaître comme charnellement les personnages dont le parle. Peut-être que toutes les V.M., ces vies d'hommes écrasés et morts sans traces, ont été écrites pour qu'ils répondent à l'injonction de la dernière page : Lève-toi, Lazare.
Mais le miracle (ou la chance) c'est aussi pour moi réussir à faire quelques petits livres - car écrire ne m'est pas naturel, et je suppose que ça n'est naturel à personne. Il faut que je me persuade passionnément de l'idée que le miracle va peut-être arriver en cours d'écriture, qu'au détour d'une phrase et grâce à l'écrit, je vais comprendre dans l'éblouissement quelque chose - au monde, à mon rapport au monde. Bataille a une pensée superbe là-dessus. Il dit à peu près : " Toute oeuvre d'art, bien sûr, peut exister indépendamment du désir de prodige. Mais toute oeuvre d'où ce désir est absent n'est pas une grande oeuvre ". Et ça je le crois volontiers. Il faut vouloir percer quelques murs, croire que prodigieusement les mots vont y entamer une brèche, pour commencer d'écrire et persister. " » (p. 57)

« [Question : De même en ce qui concerne la dimension de vos livres, on perçoit une prédilection pour la forme courte. Réponse :] " Ce n'est pas un a priori. Il s'est trouvé que ça marchait bien comme ça. Chacun de mes récits est écrit d'un seul élan. Ce sont des fugues de 30 à 60 pages qui me permettent de ne pas perdre de vue mon incipit et d'amener mon émotion de départ intacte jusqu'à la fin. C'est de la fabrique émotionnelle : je veux écrire dans ce tremblement, comme un fil-de-fériste sur sa corde. Et j'aimerais que le lecteur tremble comme moi sur cette petite longueur de corde. " » (p. 58)

« [Une autre expression m'a frappé dans ce que vous venez de dire : " Ça marche ! " Comment sentez-vous que ça marche ? Réponse :] " J'ai face à l'acte d'écrire une tactique contournée, peut-être supersitieuse, c'est-à-dire qu'il faut que j'approche l'écriture par des traverses, des biais, les mille ruses de la latéralité ; c'est ce que je fais, m'approcher. Ça marche si mon angle d'attaque latéral est juste. Et ça ne marche pas si j'aborde mon sujet frontalement. Je passe mon temps à déplacer le tabouret. Si je me dis bille en tête, bien assis devant la question : " Qu'est-ce que je pense de Rimbaud, qu'ai-je à dire de cela ? ", rien ne peut en sortir, absolument rien. Mais tout à coup, un jour, un matin, j'ai bien déplacé le tabouret, j'ai biaisé la question, et ma première phrase est là. Et quand la première phrase est là, il n'y a plus qu'à tirer le fil, tout continue, tout marche.
Je peux ajouter que ça marche quand je suis ivre de mon sujet, quand je m'éprends de lui. " » (p. 58-59)

« [En somme écrire, c'est ne pas penser, surtout s'écarter de toute démarche herméneutique... Réponse :] " L'interprétation est un genre, la littérature un autre : ils ne doivent pas être menés de front. Stevenson (à moins que ça ne soit Borges ?) avait cette formule amusante : il disait que dans une oeuvre de fiction, l'écrivain doit se garder de l'interprétation pour la même raison que Dieu ne fait pas de théologie. Il y a une sorte de bêtise, ou d'inélégance, dans la littérature qui se met à penser autrement que par métaphores. " » (p. 59-60)

« Question : En même temps, vous rejetez tout romanesque. Votre marge de manoeuvre n'est-elle pas étroite ? Réponse :] " Très étroite. Mas c'est dans une petite marge que je me sens à ma place, parce que inventer de toutes pièces quelque chose (c'est ça le " romanesque "), ça me semble très outrecuidant. Je me donne de multiples contraintes, ou des obstacles (par exemple un référent fort, inaltérable, inaliénable, come la vie de Van Gogh ou de Rimbaud), mais cela accepté, ma liberté est totale. Faulkner disait que nous disposons tous d'un territoire pas plus grand qu'un timbre-poste, et que ce qui importe ce n'est pas sa superficie, mais la profondeur à laquelle on le creuse. Mon timbre-poste est minuscule. Je ne sais pas si je le creuse bien... " » (p. 61)

« Question : [...] Quel rapport entretiennent chez vous la peinture et l'écriture ? Réponse :] " C'est extrêmement fort : j'écris entouré d'images. Je suis iconolâtre, j'ai " le culte des images ", comme disait Baudelaire. Tout cela entre dans ma stratégie de l'apparition, de l'écrit conduisant au visible. Ça me permet aussi des tactiques plus ponctuelles : si je suis à court d'idées, il me suffit d'ouvrir un libre de peinture et de tomber sur tel tableau pour trouver immédiatement une métaphore, une pensée, bref, des phrases : oui, la peinture fait écrire, si on ne l'interprète pas, si on s'y perd, si on l'interroge et la pille. Ça marche. " » (p. 61-62)
« Le roi vient quand il veut », paru sous le titre : « Entretien avec Pierre Michon », propos recueillis par Daniel Nadaud, Interlope la Curieuse, revue de l'École des beaux-arts de Nantes, no 5, juin 1992, p. 64-74.
« [Question : Dans ta quête de portraits, n'es-tu pas toujours, en fait, l'objet détourné de ceux-ci ? Ne sont-ils pas autant d'autoportraits ? Réponse :] " [...] Ainsi, dans ce que tu appelles mes portraits, je suis le sujet du portrait, le comte, c'est-à-dire dans mes textes le personnage de Watteau par exemple, ou Van Gogh ; je suis celui qui peint, et aussi celui qui raconte, le témoin, l'humble narrateur, le curé Carreau ou le facteur Roulin ; et je suis enfin une troisième voix qui apparaît çà et là dans mes textes, qui est moi sans doute, l'écrivain, le gratte-papier qui est mangé par l'ombre, tout au fond du tableau. J'aimerais bien qu'il y ait en plus le roi, c'est-à-dire la littérature, ou le sens, ou le vrai, ou peut-être tout simplement le lecteur. Mais le roi vient quand il veut.
Alors oui, des autoportraits, dans la mesure où le meilleur moyen de se mettre soi-même en lumière, en souffrance, en épreuve, c'est encore de passer par l'autre, d'être l'autre dans un fort mouvement de sympathie, de compassion, d'équivalence. Des autoportraits pour traquer l'autre en soi-même. Mais sûrement pas des autoportraits pour " me chercher ". Car, comme disait Gide, un écrivain (un peintre aussi bien) qui " se cherche " court le risque de se trouver - et dès lors il n'y a plus que des tics et du bluff, une technique qui se fait passer pour intériorité, de l'aquis maquillé en espérance. " » (p. 66-67)

« [Sur la phrase : " On est devenu très fort depuis qu'on sait que le langage ment " dans Vie de Joseph Roulin] Alors peut-être que dans cette phrase écrite un peu légèrement, sur laquelle tu me fais réfléchir, peut-être que je veux dire deux choses apparemment contradictoires : d'abord oui, tout le langage, et en particulier la littérature, qui est comme l'âme du langage, ment comme un arracheur de dents. Mais celui à qui on arrache la dent, le lecteur, doit croire aveuglément les paroles du charlatan, car son soulagement, sa paix, sa jouissance sont à ce prix. On se croit très fort en sachant que la littérature ment, mais on est encore plus fort quand on a la faiblesse d'y croire. Qui sait jouir de la belle falsification trouve parfois un peu de vérité. » (p. 74)
« Châtelus, Bénévent, Mégara », propos recueillis par Michel Jourde et Christophe Musitelli, Les Inrockuptibles, no 46, juin 1993, p. 75-98.
« [Question : Mais vous savez qu'on présente votre travail comme une entreprise de restauration d'une littérature éclatante qui retrouverait le lustre de la langue et de la rhétorique anciennes, après les errements des avants-gardes. Réponse :] " Ce n'est pas une restauration : les écarts de langage sont multiples, la rhétorique est brisée sans cesse. Les langues de Claudel, de Chateaubriand ou de Bossuet me plaisent considérablement, mais il me semble que je les casse. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? J'ai beaucoup lu certaines avant-gardes, les gens de Tel quel par exemple, dans les années 60. Les avant-gardes nous ont à la fois empêchés d'écrire et ont fait, peut-être, que nous n'avons pas écrit n'importe comment. Nous sommes plusieurs à qui elles ont permis d'éviter un relâchement et un retour. Il faut les avoir toujours à l'esprit. Ce sont des lectures qui nous ont permis d'affiner notre goût tout en ne récusant pas pour autant le grand style. Regardez les engouements de ces gens-là : Artaud, c'est quand même du très grand style. Et Louis-René Des Forêts : voilà quelqu'un qui a toujours lu avec beaucoup d'attention et de respect les multiples rappels à l'ordre de l'avant-garde, mais qui avait en dépit de cela une oeuvre de langue, de grandes strophes, de grands enjambements. Une des raisons peut-être pour lesquelles on veut me faire endosser cet habit réactionnaire, c'est qu'à mes yeux le vieux concept périmé de beauté conserve en art une valeur pertinente. " » (p. 95-96)
« L'entretien d'Olivet », paru sous le titre : « Entretien d'Olivet, juillet 1993 », propos recueillis par Marianne Alphant, L'Œil de la lettre, « Rencontre avec Pierre Michon », dossier réalisé par la librairie Les Temps modernes à Orléans, 25 février 1994, p. 99-112.

« [Question : En écrivant votre premier livre, Vies minuscules, aviez-vous le sentiment qu'il s'agissait d'un roman ou d'une autobiographie ? Réponse :] "J'avais l'intention de commencer par du roman mais je m'en sentais — et j'en étais — totalement incapable. J'ai vécu dans cette impossibilité jusqu'à 35 ans. Il y avait une sorte d'injonction catégorique qui me fondait : écrire une grand roman. Mais avec ça on ne peut rien faire : je n'avais guère de vie, pas de travail ni d'activité sociale, l'idée de roman n'était là que pour dénier la réalité que j'étais, enjoliver l'ensemble avec ce que j'avais glané de recettes de l'ancien temps. Évidemment ça ne marchait pas. J'ai toujours pensé que la seule chose qui était complètement hors de ma portée et de mes possibilités, c'était la littérature. Et j'ai besoin d'y croire encore pour avoir un peu de goût. Et c'est sans doute quand je me suis rendu compte que du temps s'était écoulé dans cette quête stupide et tout à fait romanesque, c'est par une espèce de retour involontaire sur moi que je me suis dit qu'il y avait peut-être, dans ce qui s'était réellement passé là et où j'avais vainement essayé de jouer ma vie, la matière d'une sorte de livre. Ce retour c'est les Vies minuscules. " » (p. 99-100)

« [Question : Pourquoi le roman plutôt que la poésie ? Vous ne rêviez pas d'être Rimbaud ? Réponse :] "[…] La poésie n'était pas cette grande chose étrangère qui me changerait miraculeusement en un autre. Je m'étais mis en tête que les oeuvres plus longues, celles que je convoitais de faire, étaient faites pas pur effet de grâce, sans aucune peine. Je voulais penser que la grande création littéraire était ce qui venait sans forcer. Mais pour que la grâce soit flagrante, il ne fallait pas que ce soit trop court. Rimbaud, je me disais : non, tout de même, ça ne suffit pas. Une oeuvre, c'est plusieurs mètres dans cette bibliothèque... " » (p. 100)

«Cette opération d'écriture dont je parle, et qui est peut-être très partagée, doit être à la fois surdocumentée et complètement traitée dans le noir, même tout à fait dans le noir, sinon ce somnambulisme serait un travail, j'aurais l'impression que ça ne me tombe pas du ciel. Or, il faut que j'aie l'impression que ça me tombe du ciel. Je sais combien c'est là une machinerie, mais sans elle où serait le plaisir d'écrire, où serait la jouissance, où serait le fantasme du créateur hors du temps ? On écrit en ne sachant pas tout à fait de quoi on parle, mais en sachant qu'en le disant de cette façon-là, ça vous émeut considérablement. Et que celui qui va le lire, puisqu'il est usager du même langage, va vibrer de la même façon sans savoir pourquoi non plus. Tous les grands textes que je lis me dont cet effet. J'ai l'impression que leur auteur en maîtrise totalement la formulation mais ne maîtrise pas le savoir qui serait au coeur de cette formulation : comme si certaines phrases avaient le don d'enclore à la fois une extrême force émotionnelle et un mystère total, comme si le langage avait parfois des noeuds… Mais là je sens que je suis parti dans une espèce de truc… Demandez-moi des choses bêtes. » (p. 106-107)
« Rimbaud et Bernadotte », paru sous le titre : « Correspondances : entretien croisé Pierre Michon - Mehdi Belhaj Kacem », Le Matricule des Anges, no 15, hiver 1996, p. 113-118.

[Sur la technicité littéraire]
« Dans des unités courtes et chargées telles que sont mes historiettes, la technique demeure esclave de ce qui m'importe, c'est-à-dire la tension, l'émotion, la rapidité d'exécution, l'ivresse énonciative, quelque chose aussi comme une sorte d'intelligence fugace qui brièvement s'annexe tout ce qui n'est pas elle — toutes causes qui convergent peut-être vers ce que vous appelez le chant. Dans cette pratique et de moi-même et de la langue, la technicité littéraire m'est aussi consubstantielle et asservie que la main qui tient mon stylo : c'est une servante stylée, on n'y pense pas. Mais il va de soi que dans les constructions longues et mûrement pensées, où la tension et la quasi-intelligence ont le temps de respirer, de reprendre pied, de marquer la pause, bref de retomber, alors la technicité, la fabrique, la crapulerie romanesque, l'intelligence complaisamment éprise d'elle-même — toute cette dégoûtation soudain l'emporte et prétend régner sur moi et mon texte, ce que je ne saurais accepter sans accepter aussi une chute phénoménale de potentiel. Et ne croyez pas que ce soit une question de morale ou de décision : non, c'est que le style me tombe des mains et que je ne peux que rire de moi-même, si je me vois en train de bricoler du roman. L'oeuvre longue — ce qu'on appelle aujourd'hui roman — c'est l'acceptation du relatif, de la jactance, du travail ; c'est un jeu de copules et de brouillage des points de colle qui font tenir ces copules ; on touille et trafique le texte, on le décolle du moment absolu à la faveur duquel il est né : on fait ce qu'on appelle très justement un produit. Et il y a toujours quantité de bons apôtres qui me disent : alors, ton grand roman, c'est pour quand ? C'est sans doute la meilleure façon de me demander de rentrer gentiment dans le circuit avec un bon produit. Et parfois je cède, je fais semblant d'écrire un long roman, et ça donne des projets comme L'Origine du monde.
Cela dit, il est tout à fait évident que si un jour je peux tenir sans fabrique mon potentiel énonciatif intact sur trois cent pages, je ne le refuserai pas - seulement j'ai peur d'être sous perfusion à la page trois cent. » (p. 113-115)
« Glorieux, caché, mort », paru sous le titre : « Interview Pierre Michon », propos recueillis par Cendrine de Susbielle, Virgin Megapress, no 38, mars 1997, p. 127-132.

[À propos de Trois auteurs et de Mythologies d'hiver]
« Vous me parlez de louagne, d'exaltation, et il est vrai que c'est ce que j'éprouve envers la littérature en général. Mais il y a aussi le contraire. J'ai pour la littérature une grande ambivalence d'esprit, je l'aime, je n'aime qu'elle puisque c'est mon destin, et en même temps je la déteste de m'avoir voué à ce travail vide, harassant. Elle n'a peut-être plus de réalité dans le monde dans lequel nous vivons. La littérature n'est plus un art majeur. Les médias font semblant de ne pas le savoir, parce que ça fait fonctionner leur parlotte... L'art de notre siècle, on le sait bien, c'est le cinéma. Les écrivains sont des espèces de survivants maintenus sous perfusion, on ne sait pas pourquoi, un peu comme une réserve d'Indiens. Si on écrit aujourd'hui, on peut aimer passionnément la littérature - on doit aussi la détester. Elle est peut-être une chose du passé, comme on dit. » (p. 127-128)

 

« Cause toujours », paru sous le titre : « Pierre Michon, un auteur majuscule », propos recueillis par Thierry Bayle, Le Magazine littéraire, no 353, avril 1997, p. 133-159.

« [Question : La Grande beune a suivi un silence de plusieurs années. C'est celui de vos textes qui approche le plus la forme romanesque. Réponse :] " Oui. C'est presque un roman, cette Grande Beune. En tout cas il a été reçu comme tel. Le projet initial était beaucoup plus vaste, sous le titre de L'Origine du monde, en référence à Courbet et au désir massif de ma buraliste qui est au coeur du récit, si je puis dire, ou son ventre, et aussi parce qu'il y est beaucoup question de préhistoire, d'archaïsmes. Mais avec tout le bruit qu'on a fait autour du tableau de Courbet ces dernières années, j'ai été bien obligé de laisser tomber ce titre. Pour revenir au " roman ", La Grande Beune, donc, la centaine de pages qui a été publiée représente à peine le tiers de ce qui a été écrit. C'est que ces deux tiers qui n'ont pas été publiés, ces deux tiers en plus, c'étaient deux tiers en trop. C'était " tout un roman ", justement : c'était fabriqué, planifié, ficelé, et nécessairement truqué puisque tendu vers l'arbitraire d'une forme assez fatiguée : celle du petit objet de trois cents pages qu'affectionne le marché sous le nom de roman. Seul méritait d'être publié ce qui l'a été : le désir fou et sans issue définie d'un très jeune homme pour une belle dame, désir que j'a éprouvé moi-même pendant cent pages. Après il fallait de l'action, la possession ou le renoncement, la fornication ou le meurtre, les rebondissements comme on dit, tous ces événements très relatifs et arbitraires dans lesquels le roman perd en chemin le potentiel énergétique de la prose. " » (p. 136-137)
« La prose de Moby Dick », propos recueillis par Patrick Kéchichian, Le Monde des livres, 3 octobre 1997, p. 160-163.

Note:

Texte de Pierre Michon sur sa dette à l'égard de William Faulkner, à l'occasion de la célébration du centenaire du romancier américain.

« Je ne suis pas ce que j'écris », paru sous le titre : « Entretien avec Pierre Michon », propos recueillis par Anne-Sophie Perlat et Franz Johansson, Sherzo, « Pierre Michon », no 5, octobre 1998, p. 164-176.

« [Question : Et partagez-vous sa méfiance [la méfiance de Borges] à l'encontre du roman ? Réponse :] " Mis à part les classiques du XIXe siècle, les romans fondateurs, jusqu'à Proust, jusqu'à Joyce, jusqu'à Faulkner, qu'on lit avec ferveur, ce qui nous passe par les mains maintenant est souvent un sous-produit des types littéraires mis en place au siècle dernier. Ces romans sont des exercices rhétoriques sur une forme qui, à mon sens, est assez poussive. Car qu'était-ce que le roman au XIXe siècle ? Une étude sociologique doublée d'une histoire d'amour. Je ne crois pas qu'aujourd'hui le roman soit le plus apte à faire cela, le cinéma y parvient beaucoup mieux. C'est évidemment un avis personnel, qui vient surtout du fait que je ne peux plus lire de romans, sauf quelques exceptions vraiment originales, car évidemment il y en a encore. Je pense, en particulier, aux romans qui jouent sur le registre du polar, de la science-fiction... " » (p. 166)

[Sur le refus du roman et le choix de la forme brève]
«  C'est une idiosyncrasie, c'est ma forme en quelque sorte, ce n'est pas un choix idéologique. Quand on me demande de parler du roman, je semble prendre des positions à l'emporte-pièce. En fait, c'est simplement une forme littéraire qui m'est étrangère. Je me souviens d'une anecdote à ce propos. Quand Gaston Gallimard demandait à Henri Michaux : « Mais quand est-ce que vous nous donnez un roman ? », Michaux répondait : « Si un roman vient, je le prendrai volontiers, je vous l'apporterai. » Il n'en est pas venu, c'est tout. » (p. 167)
« Qu'as-tu fait de tes talents? » paru sous le titre : « L'entretien : Pierre Michon », propos recueillis par Catherine Argand, Lire, no 271, décembre 1998-janvier 1999, p. 177-191.

[Sur le roman contemporain comme un pur artefact]
«  Je vois la plupart du temps la vocation transformée en carrière. En écrivant un roman tous les ans, les auteurs diluent l'élan initial, cet élan qui porte toute l'écriture. Dans le même temps, il est très difficile de s'affranchir, d'exister en dehors de cette règle. Un écrivain n'existe pas, n'est pas payé s'il ne publie pas. » (p. 180-181)

« [Question : Vous-même, comment qualifierez-vous vos textes, de quel genre relèvent-ils ? Réponse :] " Je ne les qualifie pas. Je veux être libre, écrire dans une forme qui n'a pas de nom. Pourquoi faudrait-il le faire ? Les Petits poèmes en prose de Baudelaire, la Recherche du temps perdu de Proust ou les Confessions d'un mangeur d'opium de Thomas de Quincey ne sont pas estampillés. La notion de genre finit avec le XVIIIe siècle. " » (p. 181)

« Mallarmé disait : " Il n'y a pas de prose. Il n'existe que du vers plus ou moins rythmé ". Voilà, au plus juste, ma façon de concevoir l'écrit. » (p. 184)

[Sur la parution de deux chapitres de La Grande beune dans une revue littéraire qui n'ont finalement pas été intégrés au livre]
«  La centaine de pages qui a été publiée en livre représente à peine le tiers de ce qui a été écrit. Il m'a fallu huit ans pour comprendre que ces deux tiers étaient en trop, qu'ils faisaient de ce livre tout un roman, qu'il me fallait dépouiller le texte, en faire la scène d'exposition d'un mythe primitif, la mise en place d'un dispositif du désir. Un désir qui ne doit ni s'accomplir ni être refusé. Je n'ai pas envie d'écrire des péripéties. Surtout avec des personnages qui relèvent de la pure invention. Je ne supporte pas, en fait, de créer des ectoplasmes. » (p. 185)

« [Question : Ce sont vos personnages que vous appelez des ectoplasmes ? Réponse :] " Créer des personnages comme je l'ai fait dans La Grande Beune me dégoûte un peu. Il existe déjà tellement d'écrivains, tellement de romanciers qui peuplent le monde d'ectoplasmes… La coupe est pleine, plus personne n'y croit. Je n'ai pas besoin d'inventer des vies, des personnages. Il y a suffisamment de gens qui sont morts et qui attendent que l'on parle d'eux. " » (p. 185)
« Les écrivains de Balzac », paru sous le titre : « Pierre Michon, les écrivains de Balzac », propos recueillis par Marianne Alphant, Le Magazine littéraire, no 373, février 1999, p. 192-200.

Note:

Entretien de Pierre Michon sur Honoré de Balzac.

« La chair est la proie de la langue », propos recueillis par Yaël Pachet, Esprit, octobre 2000, p. 201-208.
[Sur le débat littéraire qui entoure la forme de l'oeuvre de Pierre Michon]
«  Il s'agit bien en effet d'un débat contemporain plus ou moins tu ou affiché dont le coeur serait cette question inavouée : le roman n'est-il pas un genre exténué, comme l'était la tragédie classique au temps de Voltaire ? Et, dans la mesure où je ne baisse pas tout à fait les bras, c'est-à-dire dans la mesure où je fais des petits textes qui ressemblent tout de même à des récits, brefs, mais des récits, je me sens proche de beaucoup de contemporains immédiats qui essaient aussi de sortir du roman sans prétendre tout démolir. Mais fermement et absolument.
Parmi ceux-là, beaucoup reprennent la forme brève, mais des formes brèves qui ne seraient pas ce que le siècle dernier a appelé la nouvelle - qui n'est qu'un morceau de roman. Et nous avons à notre disposition la forme très ancienne des vies - on me prête, à moi et à d'autres, le fait d'avoir réinstauré ce genre, mais c'est une tarte à la crème, il n'y a là ni invention ni retour. Cette forme, que j'appelle vie par commodité, me paraît être le roman débarrassé de son grand fourbi, ou fourre-tout. Je vais m'expliquer par une métaphore pharmaceutique. Dans la notice des médicaments, on lit par exemple : pénicilline : 0,5% ; excipient : 99,5%. Eh bien, le roman tel qu'il se pratique aujourd'hui de plus en plus me paraît être un gigantesque excipient dans lequel la pénicilline est perdue. Ce genre que j'appelle une vie, ça n'est après tout que le roman débarrassé de ses copules, de son tirage à la ligne, de sa " pensée " et de son remplissage. Il est vrai que les romans de Flaubert par exemple étaient des vies sans copule : Vie d'Emma Bovary ou Vie de Félicité qui ont reçu par la suite d'autres titres. » (p. 202-203)

« [Question : Ce changement de format entre le roman du XIXe siècle et les " vies " du XXe siècle tient-il alors moins à un changement de genre qu'à un changement de souffle et d'énergie ? Réponse :] " À mon sens, le roman long, romanesque, sans excipient, puissant sans bavardage, a été mené à son terme au XXe siècle dans des expériences comme celles de Joyce ou Faulkner, ou Beckett, qui y ont mis fin. Ils ont mené le genre à sa dernière perfection. Nous vivons un temps d'épigones de ces gens-là, bien sages, bien-pensants, bien obéissants, bien révolutionnaires, qui sont tellement en dessous de leurs modèles. Pour reprendre la métaphore de la tragédie classique, après Corneille et Racine, c'était fini : il y a eu des épigones encore pendant deux siècles, jusqu'à Ponsard, qui était contemporain de Hugo. Mais la chose était morte. Des spectres.
Mais je généralise trop. Je ne peux répondre à cette question qu'en mon nom propre. Oui, mon énergie, ou ma jouissance d'écrire, ne se déploie que dans le bref. Le geste artistique qui me paraît le plus admirable au monde est celui de ces vieux peintres orientaux qui, pendant dix ans, ne font rien, se promènent au bord de l'eau, et qui, tout à coup, en deux minutes et trois coups de pinceau, font un admirable canard. On est loin du travail de forçat auquel ce temps veut astreindre nos romanciers : un, voire deux livres par an, beaucoup de souffrances et de labeur perdus à chercher des copules. Faire du bref, c'est aussi, idéologiquement, échapper au piège de la production, de la libre entreprise, du marché. " » (p. 204-205)

« Le roman ne sait pas qu'il va au petit bonheur, comme dans la vie. Le roman est le singe de la vie. Il est de la durée, de la durée qui aime la durée. Sa chute vient comme la mort dans la vie, mais ça nous connaissons, on s'en fout. (Borges dit : " Le roman est une superstition de notre temps ", mais Borges est très poli). » (p. 208)
« Un Sade qu'on peut lire à l'école », paru sous le titre : « Pierre Michon : " Le miracle d'un embrasement de la langue " », propos recueillis par Pierre-Marc de Biasi, Le Magazine littéraire, no 401, septembre 2001, p. 209-221.

Note :

Entretien de Pierre Michon sur les manuscrits de Gustave Flaubert.

« Le monde qui appelle », paru sous le titre : « Une heure avec Pierre Michon », propos recueillis par Alain Girard-Daudon, Encre de Loire, Revue trimestrielle des métiers du livre en Pays de Loire, no 20, octobre 2001, p. 222-228.
[Sur le roman comme genre exténué]
« Je suis prosateur, c'est-à-dire romancier à ma façon, puisque j'écris des histoires, et que notre époque a la manie d'appeler roman tout ce qui est histoire écrite : le roman est une superstition de notre temps selon la belle formule de Borges. » (p. 226)
« Les carnets inédits de La Grande Beune », propos recueillis par Pierre-Marc de Biasi, Genesis, no 18, éditions Jean-Marc Place, 2002, p. 232-256.
[Sur le geste d'interruption de l'écriture qui fait l'oeuvre]
«  C'est difficile. Le problème, c'est que je ne vais pas pouvoir m'expliquer sans donner une opinion... Voilà en deux mots. Dans le roman achevé, clos, tel qu'il se pratique maintenant, tel qu'il s'est toujours pratiqué depuis siècles à de très rares exceptions, comme Flaubert par exemple, il y a une sorte d'inélégance par saturation. Il faut remplir une forme de 250 ou 500 pages, qui se développe, avec ce qu'il faut de surprises et de choses convenues, une histoire qui va à son terme, bien bouclée, comme un film, avec une chute qui arrive à point nommé avant le mot "fin ". Pour moi, c'est mortel. C'est le domaine de la liberté relative et délayée, celle de la parole - alors que le bref joue avec la liberté absolue, celle de l'acte. » (p. 244)

« [Question : Voulez-vous dire que la créativité doit se localiser dans l'ellipse, le manque, une sorte d'omission qui serait une liberté pour le lecteur ? Réponse :] " Oui. Il va de soit que si Notre-Dame de Paris, qui est un magnifique roman, s'arrêtaît au moment où on découvre qu'Esmeralda est la fille de la vieille mendiante qui la conspue, ce serait magnifique. On aurait là un mythe pur. Un mystère. Mais non, Hugo n'a pas la force de s'en tenir à l'indécidable. Ça reste génial, bien sûr, parce que c'est Hugo. Mais quand la trame romanesque est saturée sans génie, comme ça se passe la plupart du temps, c'est franchement insupportable. Je trouve plus de plaisir comme lecteur dans les comptes-rendus scientifiques des archéologues ou des ethnologues, dans leurs incertitudes et leurs contradictions que dans la plupart des romans bien ficelés de notre temps où je ne ressens plus aucune véritable satisfaction. D'ailleurs, je ne les lis plus. À quoi bon produire ces vieux artefacts bien bouclés ? Donc, je travaille à autre chose : pas des romans, des blocs de prose. Et les carnets sont un des instruments de ce travail. " » (p. 244-245)
« Si Zhongwen joue du luth », paru sous le titre : « Pierre Michon, écrivain majuscule », propos recueillis par Didier Jacob, Le Nouvel Observateur, no 1981, du 24 au 30 octobre 2002, p. 262-267.
« Faulkner assume sa lourdeur et la poursuit. C'est un véritable romancier. Il y en a peu. Comme Balzac, c'est un écrivain-fleuve. Il charrie tout, mais ne contient pas sa propre critique. Borges dit quelque part : " Tout livre qui ne contient pas son contre-livre peut être considéré comme incomplet. " [...] Faulkner est capital, c'est un tournant. Il y a vraiment, pour tout écrivain aujourd'hui, un avant et un après-Faulkner. Il est dans ce sens plus important, je crois, que Proust, Joyce ou Kafka. Parce qu'on sent immédiatement la coupure. C'est la marque du génie, d'un créateur de formes incomparables, à son insu. » (p. 265)
« Mais qu'est-ce qu'on va devenir? », propos recueillis par J.-L. Bertini, C. Casaubon, S. Omont et L. Roux, La Femelle du requin, "Entre ciel et terre", no 22, hiver 2004, p. 290-309.
« [Question : Si vous n'êtes pas romancier, comment vous définissez-vous ? Réponse :] " Tout prend une apparence idiote : prosateur ? Ça ne veut rien dire prosateur. Il y a pourtant une si belle réflexion de Michel Deguy : « Le roman cache la prose française. » Mais c'est quoi, la prose française ? Je n'ai d'ailleurs jamais dit que je n'écrirais pas de roman. " » (p. 298)
« Giono chez les Aztèques », paru sous le titre : « Pierre Michon, lecteur de Jean Giono », propos recueillis par Jacques Chabot, Bulletin de l'Association des Amis de Jean Giono, no 65, Manosque, printemps-été 2006, p. 330-346.

Note :

Transcription d'un entretien de Pierre Michon avec Jacques Chabot tenu le 29 juillet 2005 à Manosque dans le cadre des XXXIIIe Journées Giono.

« La vache et l'archer », paru sous le titre : « Pierre Michon : " Le coup de génie de Gustave Flaubert " », propos recueillis par Pierre-Marc de Biasi, Le Magazine littéraire, no 458, novembre 2006, p. 347-356.

Note :

Entretien de Pierre Michon à l'occasion du cent cinquantenaire de la publication de Madame Bovary de Gustave Flaubert.

« La fleur bleue de Julien Gracq », paru sous le titre : « Entretien avec Pierre Michon : Une littérature de l'attente », propos recueillis par Pierre-Marc de Biasi, La Magazine littéraire, no 465, juin 2007, p. 357-371.
« À force de lire et de relire depuis des années ses fragments critiques - Préférences, les LettrinesEn lisant en écrivant, etc. - j'avais fini par me faire de Gracq une idée un peu dans le genre de Sainte-Beuve ou de Valéry : le grand écrivain essayiste. J'avais perdu de vue le romancier. Or, après m'être replongé dans ses fictions, je retrouve chez Gracq quelque chose qui ressemble bien plus à Jules Verne qu'à Sainte-Beuve, plus à Stevenson et Conrad qu'à Valéry : de la grande narration, une vraie machine romanesque. Ce qui est singulier, c'est que c'est puissamment romanesque, mais sans nouveauté technique particulière - et pourtant absolument neuf. Le Rivage est un bouquin qui est branché directement sur l'Aventure, la grande fiction narrative telle qu'on la rêvait au XIXe siècle. On y entend souffler ce qu'il appelle l'esprit-de-l'histoire. En langue française, c'est peut-être le dernier grand roman de ce format. Pourquoi Gracq s'est-il arrêté d'écrire de la fiction dans les années 1970 ? À peu près au même moment que Simenon... Pourquoi ? » (p. 358-359)
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