Photo Irène NémirovskyIrène Némirovsky

(1903-1942)

Dossier

Bibliographie

Ouvrages cités

La présente bibliographie regroupe les trois titres essentiels – parmi les documents actuellement publiés – qui permettent de dégager la conception du roman d'Irène Némirovsky. Cette conception de l'art romanesque se profile tantôt en parallèle avec des propos sur l'art du nouvelliste (La Vie de Tchekov [sic]), tantôt dans les extraits de ses cahiers d'écrivain et de ses manuscrits annotés ainsi que dans des entrevues accordées à la radio et dans des journaux et magazines, documents dont on trouve des transcriptions en annexe de Suite française et dans La vie d'Irène Némirovsky. Ces trois titres sont classés par ordre chronologique de publication. Sont pour le moment exclus de cette bibliographie plusieurs textes d'entrevues publiés du vivant de Némirovsky, qu'il nous reste à compulser, ainsi que les fonds d'archive la concernant qui sont conservés à l'Institut Mémoire de l'édition contemporaine.

La vie de Tchekov. Avant-propos de Jean-Jacques Bernard, Paris, Albin Michel, 1946.

« Notes manuscrites d'Irène Némirovsky sur l'état de la France et son projet Suite française, relevées dans son cahier », dans Suite française, Paris, Denoël, 2004, p. 393-407.

Olivier Philipponnat et Patrick Lienhardt, La vie d'Irène Némirovsky, Paris, Grasset/Denoël, 2007.

Citations

La vie de Tchekov. Avant-propos de Jean-Jacques Bernard, Paris, Albin Michel, 1946.

Dans cet ouvrage qui porte sur la vie et l'oeuvre d'Anton Tchekhov (qu'elle écrit « Tchekov »), la conception du roman d'Irène Némirovsky transparaît, de façon fragmentaire, en particulier par le biais de comparaisons entre l'art du romancier et celui du nouvelliste. Loin devant le Tchekhov dramaturge, c'est en effet avant tout le Tchekhov nouvelliste qui intéresse et que loue Némirovsky.

« La nouvelle, pour être réussie, exige les qualités que Tchekov possédait de naissance. – Le don de l'humour : un long roman tragique donne une impression de fatalité grandiose; un court récit où la tristesse est trop lourde et noire accable et répugne. – La pudeur : le romancier peut (et doit parfois) parler de lui-même; pour un auteur de nouvelles, c'est impossible : le temps lui est mesuré; l'écrivain ne peut alors se dévoiler dans sa complexité, dans sa richesse; le plus sage pour lui est de se tenir à l'écart. – L'économie des moyens, enfin, résultat direct, sans doute, de la pudeur. Ici, il avait été servi par son expérience de reporter : voir et écrire vite, c'était la loi du journalisme, et elle avait aiguisé la vision de Tchekov; elle avait doué son esprit qui tenait du prodige. Déjà, dans ses récits, perçait cette apparente froideur, ce détachement qu'on devait lui reprocher plus tard. C'était encore la loi du genre. Un auteur de nouvelles, s'il montre sa pitié pour ses personnages, risque de devenir sentimental et absurde. Peut-être aussi n'a-t-il pas le loisir de s'attacher à ceux qu'il décrit. Par un roman, on pénètre dans un milieu déterminé, on s'en imprègne; on le chérit ou on le hait. Mais une nouvelle, c'est une porte entr'ouverte un instant sur une maison inconnue et refermée aussitôt. On ne peut s'empêcher de songer à Tchekov médecin; c'est une expérience de médecin qu'il nous donne, plus l'expérience du journaliste : des diagnostics précis, sans faiblesse, sans pitié morbide, mais avec une sympathie profonde. » (p. 122-123)

« Maupassant, Mérimée, d'autres encore, dans leurs nouvelles mettent en lumière un épisode, un événement unique. La multiplicité des personnages et des scènes est réservée au roman. Cela semble logique; en fait, cela est arbitraire comme la plupart des règles artistiques. Lorsque, dans une nouvelle ou un roman, on met en relief un héros ou un fait, on appauvrit l'histoire; la complexité, la beauté, la profondeur de la réalité dépendent de ces liens nombreux qui vont d'un homme à un autre, d'une existence à une autre existence, d'une joie à une douleur.
Tchekov s'efforce d'enfermer beaucoup d'expérience humaine dans un nombre restreint de pages. Les Commères, par exemple, contiennent le récit d'une aventure romanesque, en elle-même significative et tragique. [...] L'amour du marchand n'est pas un phénomène isolé; il est relié à tout un ensemble d'amours et d'aventures; tout ici-bas influe sur ce qui l'entoure. » (p. 169-170)

« Notes manuscrites d'Irène Némirovsky sur l'état de la France et son projet Suite française, relevées dans son cahier », dans Suite française, Paris, Denoël, 2004, p. 393-407.

« 2 juin 1942 : ne jamais oublier que la guerre passera et que toute la partie historique pâlira. Tâcher de faire le plus possible de choses, de débats... qui peuvent intéresser les gens en 1952 ou en 2052. » (p. 402)

« L'important – les relations entre différentes parties de l'oeuvre. Si je connaissais mieux la musique, je suppose que cela pourrait m'aider. À défaut de musique, ce qu'on appelle rythme au cinéma. En somme, souci de la variété d'un côté et harmonie de l'autre. Au cinéma, un film doit avoir une unité, un ton, un style. Ex. : ces films américains de la rue où toujours on retrouve les gratte-ciel, où on devine l'atmosphère chaude, sourde, poisseuse d'un côté new-yorkais. Donc unité pour tout le film mais variété entre les parties. Poursuite – les amoureux – le rire, les larmes, etc. C'est ce genre de rythme que je voudrais atteindre. » (p. 403)

« Je crois que ce qui donne à Guerre et Paix cette expansion dont parle Forster, c'est tout simplement que dans l'esprit de Tolstoï, Guerre et Paix n'est qu'un premier volume qui devrait être suivi par Les Décembristes, mais ce qu'il a fait inconsciemment (peut-être, car naturellement je n'en sais rien, j'imagine) enfin ce qu'il a fait consciemment ou non est très important à faire dans un livre comme Tempête [en juin], etc., même si certains personnages arrivent à une conclusion, le livre lui-même doit donner l'impression de n'être qu'un épisode... ce qu'est réellement notre époque, comme toutes les époques bien sûr. » (p. 405)

« Le plus important ici et le plus intéressant est la chose suivante : les faits historiques, révolutionnaires, etc., doivent être effleurés, tandis que ce qui est approfondi, c'est la vie quotidienne, affective et surtout la comédie que cela présente. » (p. 407)
Olivier Philipponnat et Patrick Lienhardt, La vie d'Irène Némirovsky, Paris, Grasset/Denoël, 2007.

Cette biographie cite abondamment les manuscrits et leurs annotations, les carnets de Némiovsky et les entrevues qu'elle a données. Au sujet de l'art némirovskyen du roman, on consultera en particulier les transcriptions, en annexe (p. 429-436), de quatre entrevues accordées par Irène Némirovsky au début des années 1930.

« Il est tout à fait certain que s'il y avait eu Hitler, j'eusse grandement adouci David Golder, et ne l'aurais pas écrit dans le même sens [...] Et pourtant, j'aurais eu tort, c'eût été une faiblesse indigne d'un véritable écrivain! » (p. 188)

[À la relecture de sa première version du Pion sur l'échiquier (1934), Némirovsky note] : « Beaucoup trop net, expliqué, trop les points sur les i. Inutile. […] dire en deux mots ce qui était dit en dix, en un seul ce qui était dit en deux, et que chaque mot soit sincère, et dise bien ce qu'il veut dire, finalement dise plus qu'il ne veut dire. » (p. 242)

[Extrait du prière d'insérer des Chiens et les Loups (1940)] : « Je crains davantage, toutefois, l'objection des Juifs eux-mêmes : ''Pourquoi'', diront-ils, ''parler de nous? Ignorez-vous la persécution dont nous sommes victimes, la haine dont on nous poursuit? Si, du moins, on parle de nous, que ce soit uniquement pour glorifier nos vertus et pleurer sur nos malheurs!''
À cela je répondrais qu'il n'est pas de sujet ''tabou'' en littérature. Pourquoi un peuple refuserait-il d'être vu tel qu'il est, avec ses qualités et ses défauts?
Je pense que certains Juifs se reconnaîtront dans mes personnages. Peut-être m'en voudront-ils? Mais je sais que je dis la vérité. » (p. 338)

« Ce qui m'intéresse toujours c'est d'essayer de surprendre l'âme humaine sous les dehors sociaux du financier comme dans David Golder ou de l'homme d'État comme dans l'Affaire Courilof, de démasquer, en un mot, la vérité profonde qui est presque toujours en opposition avec l'apparence. » (p. 432)

« Rassurez-vous. Le livre ne sera pas aussi copieux, je n'aime pas les romans qui s'étirent désespérément... Vous voyez ces traits de crayon rouges et bleus? Tous les passages encadrés seront impitoyablement supprimés. Les autres seuls demeureront. Un plan? Je crois qu'un plan trop serré est un danger, j'écris d'abord le livre en entier, le plan vient ensuite de lui-même. C'est la manière de Barrès, et je pense que c'est la bonne. (p. 435)

[À propos de son propre rapport à la guerre lorsqu'elle rédige Suite française, en pleine Occupation, à celui de Tolstoï avec les événements historiques qu'il intègre à Guerre et paix ]: « Il s'en foutait. Oui, mais moi, je travaille sur de la lave brûlante. À tort ou à raison, je crois que c'est ce qui doit distinguer l'art de notre temps de celui des autres, c'est que nous sculptons l'instantané, nous travaillons sur des choses brûlantes. Ça se défait, certes, mais c'est justement ce qui est nécessaire dans l'Art d'aujourd'hui. Si pareille impression a un sens, c'est un devenir perpétuel, et non qq. chose de déjà achevé. Cf. cinéma. » (p. 403)

« Je ne fais jamais de plan. Je commence par écrire pour moi toute seule l'apparence physique et la biographie complète de tous les personnages, même les moins importants. De cette façon, avant même de m'atteler à la rédaction proprement dite, je connais parfaitement mes personnages et il me semble jusqu'à leurs intonations : tous les cas de la vie. Lorsque ceci est fait, je commence à écrire, dans un brouillon informe, le roman lui-même et en même temps les réflexions qu'il me suggère, le journal même du roman, pour reprendre l'expression d'André Gide. Ensuite je laisse le tout reposer en m'efforçant de ne plus penser à la littérature. Quand je le reprends, tout paraît s'organiser, se composer de soi-même. [...] il y en a encore une troisième [version] que je tape moi-même – les deux autres ont été écrites – mais elle ne porte guère que sur le style, que j'essaie tout bonnement de garder le plus simple possible.
– Et sur les épreuves?
– Je ne corrige que les détails. » (p. 433-434)

À un journaliste qui lui demande ce qu'elle pense du « roman-fleuve », elle répond : « Je l'aime beaucoup quand il jaillit de source. C'est-à-dire quand l'histoire écrite en deux tomes ne pouvait pas être écrite en un seul. Par exemple Guerre et Paix, à mon avis, ne pouvait pas être diminué d'une ligne. De même, en France, la série des Thibault.
Mais dans d'autres cas, cela s'appelle tout bonnement du remplissage, et je vous avoue que mes préférences vont à ce qui peut être dit en une page au lieu de deux, et en dix lignes au lieu d'une page. Mais tout cela est une affaire de goût personnel. » (p. 434)

« Je vous l'ai dit tout à l'heure, j'adore me raconter des histoires; or, c'est exactement ce que je fais avant d'écrire roman, je travaille dans la masse, je sors un à un mes personnages dont j'écris toute la vie, leur physique, leur éducation, ce que seraient leurs réactions en présence d'événements étrangers au livre lui-même. Je couvre ainsi des pages et des pages, je vis avec eux. [...] Je remplis des cahiers avec les caractères de mes personnages les plus secondaires. Cette vie antérieure du roman est pour moi passionnante. C'est très amusant de faire vivre les personnages dans l'enfance : ainsi, pour Le Pion sur l'échiquier, j'ai mis Muriel en prison, je l'ai fait débuter dans le monde. Toute l'enfance et la jeunesse de Geneviève, je pris un plaisir extrême à les imaginer. [...] c'est pour moi le commencement du roman, la naissance de mes personnages qui constitue le plaisir d'écrire, le reste est le vrai travail. [...] J'invente tous mes personnages, et ceux que je n'invente pas demeurent toujours un peu flous. On ne les voit pas aussi nettement que les autres. Ils sont toujours outrés, ils dépassent le modèle [...] Gloria, dans David Golder, Philippe, du Pion sur l'échiquier et même Muriel, pour laquelle j'ai emprunté quelques traits. L'être humain est trop complexe pour entrer dans le cadre d'un roman, il éclate ou il reste inférieur à lui-même, les types que je ne connaîtrais pas assez bien pour imaginer leurs sentiments, leurs réactions. Aussi, je continue à peindre la société que je connais le mieux et qui se compose de gens désaxés, sortis du milieu, du pays où ils eussent normalement vécu, et qui ne s'adaptent pas sans choc ni sans souffrances à une vie nouvelle. » (p. 458)

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