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Remonter le temps pour comprendre l’évolution des différences sexuelles

Publié: 3 May 2012

Le développement de différences sexuelles comme stratégie adaptative

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Les différences sexuelles sont à l’origine de certains des traits morphologiques les plus spectaculaires observés dans la nature, dont les riches couleurs du guppy mâle, le chatoyant plumage du paon, les imposantes défenses du morse et les larges bois de l’orignal. On croit que le conflit sexuel – la compétition copulatoire mâle-femelle – joue un rôle particulièrement important dans l’évolution des traits morphologiques qui distinguent les deux sexes.

Toutefois, les processus génétiques à l’origine de ces traits restent flous, et les scientifiques n’ont pas encore élucidé les mécanismes liés à leur évolution à partir de leurs formes ancestrales plus simples et moins élaborées. Chaque infime étape de l’évolution semble constituer un pas en avant, mais est-ce vraiment le cas?

Afin de répondre à cette question, le professeur Locke Rowe, du Département d’écologie et de biologie de l’évolution de l’Université de Toronto, et ses collaborateurs Ehab Abouheif, du Département de biologie de l’Université McGill, et Abderrahman Khila, des universités de Toronto et McGill, ont mis au point une méthode permettant de recréer ces étapes en remontant le temps et en observant la transformation de simples antennes en appendices plus complexes. Les antennes constituent notamment un système d’accrochage du mâle à la femelle au cours de l’accouplement et, selon les chercheurs, plus ce système est élaboré, plus il est efficace. Cette étude, intitulée Function, developmental genetics, and fitness consequences of a sexually antagonistic trait, a fait l’objet d’un article qui sera publié dans le numéro du 4 mai de la revue Science.

Dans le cadre de leurs travaux, les chercheurs se sont particulièrement intéressés au comportement des araignées d’eau de l’espèce Rheumatobates rileyi, chez lesquelles la guerre des sexes au moment de l’accouplement est facilement observable à la surface de l’eau. Il existe bel et bien chez cette espèce un conflit sexuel quant à la fréquence des accouplements, l’intérêt du mâle se portant vers des accouplements fréquents, contrairement à la femelle : les deux sexes ont donc développé des traits morphologiques favorisant leurs intérêts respectifs.

« Au cours de l’évolution, ces traits particuliers aux mâles et aux femelles tendent à se développer de plus en plus rapidement, phénomène que l’on peut comparer à une véritable course aux armements », explique le professeur Rowe.

Ainsi, chez les araignées d’eau, les antennes du mâle, qui étaient à l’origine de simples appendices sensoriels, ont évolué pour prendre la forme de dispositifs préhenseurs plus volumineux et plus élaborés.

À l’aide d’une caméra à grande vitesse, les chercheurs ont observé les activités d’accouplement de cet insecte, et découvert que chacune des structures de ses antennes – crochets, segments hypertrophiés et pics – semblait avoir été conçue dans le but précis d’accrocher la femelle. Ils ont ensuite déterminé quels étaient les gènes exprimés au cours du développement des antennes chez le mâle (immédiatement avant la maturation), car une fois les gènes connus, il devient possible d’en altérer l’expression et, ainsi, de modifier l’antenne. Les chercheurs ont donc identifié un gène particulièrement prometteur et en ont entravé l’expression par interférence ARN au cours du développement.

« Nous avons pu créer des mâles dotés d’une large gamme d’antennes, allant de simples appendices – semblables à ceux des femelles – à des organes extrêmement élaborés dotés de crochets et d’autres dispositifs préhenseurs semblables à ceux observés aujourd’hui chez le mâle », explique le professeur Abouheif.

Les chercheurs ont ensuite étudié des mâles dotés de différents types d’antennes afin de déterminer l’utilité de ces dernières comme système d’accrochage à la femelle. Ils ont alors remarqué que le succès reproducteur augmentait proportionnellement au degré d’évolution des antennes. « La compétition copulatoire pourrait donc expliquer la complexité toujours croissante de ces antennes », affirme le professeur Rowe.

La particularité de cette étude réside dans le fait qu’elle propose des modèles génétiques pour expliquer un système naturel où les forces sélectives qui président à la transformation des traits observés sont déjà bien connues. Elle constitue l’une des rares études de cas (avec celle de Darwin sur les pinsons) où les chercheurs ont pu établir un lien direct entre les forces de sélection connues, l’évolution des traits morphologiques et les processus génétiques sous-jacents.

Cette étude a été financée par le Programme des chaires de recherche du Canada, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et le Programme ATIP-Avenir du CNRS, en France.

 

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