Célébration du 30e anniversaire du Code civil du Québec

Les figures du Code Civil du Québec- 5 décembre 2024

Par Aliya Behar, traduit par Natacha Trautmann

 

Discrètes mais omniprésentes, les figures qui garnissent le Code civil du Québec ont formé, soutenu et enrichi ses pages. Ces figures ont pris vie durant l'événement du Centre Paul-André Crépeau de droit privé et comparé intitulé Les figures du Code civil du Québec. L'événement a célébré le 30e anniversaire du Code civil du Québec réformé et a rendu hommage à ses nombreux architectes visionnaires, le Professeur Paul-André Crépeau étant l'un d'entre eux.

Le mot figure revêt une multitude de sens, tous analysés et disséqués dans les articles du Code civil. Dérivé du latin figura, le terme figure désigne la forme, l'aspect, le mode d'expression, la manière d'être ou même la représentation à travers la sculpture. Le mot figura lui-même provient du verbe fingere, qui signifie façonner, mouler, faire ressembler à, prétendre être ou encore se prétendre. Ce terme se retrouve dans le mot feindre, une technique que connaissent très bien les avocats, friands de fictions et de présomptions.

Par conséquent, les participants ont été encouragés à examiner le Code au travers du prisme de la figure de Janus, tournant leur regard aussi bien vers le passé que vers l'avenir. En déconstruisant les nombreuses facettes du Code, les participants ont cherché à évaluer de manière critique sa structure, sa stature, ses façonnages et défigurations. Tout au long des discussions de la journé à propos de changement et de transformation, les conférenciers ont examiné comment les figures du Code incarnent non seulement un rôle législatif, mais reflètent également des dynamiques et tensions sociétales au sein du droit civil québécois plus largement. Cette polysémie s'est avérée cruciale pour discerner comment chaque figure contribue à une appréciation plus profonde et plus nuancée du Code et de sa place au sein de la société québécoise.

Le premier panel de la journée a traité des figures entourant la personne - le cœur de la tradition civiliste et le sujet des droits civils au sens du Code. La Professeure Christelle Landheer-Cieslak a comparé la définition juridique de "personne" à l'individu central qui se trouve dans notre système de droits et de libertés fondamentaux. L'examen qu'elle a mené sur l'utilisation du Code de ces termes révèle l'équilibre délicat entre la nécessité de créer des normes uniformes pour réguler les individus, tout en tenant compte de la richesse et de la compléxité inhérentes à chaque être humain. Ainsi, la figure de personne devient une représentation vivante de la réciprocité, entre l'identité légale et l'expérience vécue.

Le Professeur Benjamin Moron-Puech a exploré quant à lui les termes de sexe et de genre à travers l'image d'une figure de Janus qui tournerait un de ses visages vers le passé et l'autre vers le futur, néanmoins liés l'un à l'autre. En examinant les occurences de chaque terme et en tenant compte du contexte de leur utilisation tout au long de l'évolution du Code civil, le professeur Moron-Puech a plaidé pour une réflexion appronfondie sur la manière dont le droit civil québécois perçoit la complexité de la notion de genre. Son apport met en évidence le fait que la notion de genre représente une identité plus subtile et nuancée, en dépit des obstacles découlant de la distinction radicale entre le sexe et le genre.

Les Professeures Alexandra Popovici et Gaële Gidrol-Mistral ont démasqué la notion d'"étranger" dans le contexte du droit privé, soulignant la prévalence de cette figure mystérieuse au sein du Code civil. Entre sa présence dans le droit international privé, l'administration du bien d'autrui et la notion de tiers indéterminé ou intéressé, le domaine du droit privé ne saurait exister sans l'"étranger". Les Professeures Popovici et Gidrol-Mistral soulignent le recours à l'étranger pour sa surveillance et son application, et se demandent si cet étranger ne défigure pas les fondements individualistes du Code.

Le second ensemble de panélistes a abordé la figuration et la dégiguration du Code civil en ce qui concerne ses composantes contributives, structurelles et numériques. Le Professeur Sylvio Normand a mis en avant les nombreuses figures se trouvant au sein et au-delà de la communauté légale qui ont contribué aux quarante années de processus de révision de la réforme du Code. À chaque étape de rédaction et de révision, un groupe différent - praticiens, académiciens, avocats gouvernementaux, société civile - a présidé la réforme. Tout au long du projet, ces acteurs principaux ont travaillé à la fois ensemble et en compétition les uns avec les autres pour voir leur rôle, ainsi que le Code, évoluer. Le Professeur Jérémy Boulanger-Bonnelly a discuté de la tendance croissante du Code, qui se veut un ensemble unifié et accessible du droit québécois, à faire référence à des réglementations externes dans ses dispositions. Bien que ces renvois puissent permettre une plus grande flexibilité juridique, des processus d'amendement plus rapides et des réponses à la complexification de la vie moderne, l'accélération des renvois externes au sein du Code indique une dispersion inquiétante des sources législatives, une accessibilité publique moindre et une sécurité juridique plus faible, ainsi qu'un manque accru de consultation significative pour les changements législatifs. Enfin, Me Laurence Bich-Carrière a examiné les figures numériques au sein du Code civil, allant de la numérotation des articles et des références aux sommes d'argent, aux âges et aux périodes. Elle a évalué de manière critique la façon dont le choix des chiffres dans le Code, bien qu'apparemment arbitraire, reflète un désir d'imiter le monde qui nous entoure. Au travers de son analyse, elle atteste que si les figures sont des représentations au sein du Code, alors ses nombres sont son langage secret.

Le troisième panel de conférenciers s'est intéressé aux intersections entre les figures, les obligations et le Code civil. La Professeure Michelle Cumyn s'est attardée aux effets des formulaires de contrat d'adhésion qui ont bouleversé le droit civil des contrats, particulièrement depuis l'avènement du commerce en ligne. Ces formulaires ont redessiné le régime contractuel à l'avantage des grandes entreprises. Ces dernières ont façonné les règles applicables à leurs secteurs d'activités en dehors du Code, grâce aux formulaires. La figure du contrat illustre, en l'espèce, comment le détournement de la liberté contractuelle et de l'autonomie de la volonté a reconfiguré les relations juridiques privées.

Les Professeurs André Bélanger et Marc-Antoine Picotte ont étendu le discours des contrats d'adhésion au droit des contrats, arguant que le capitalisme a transformé et défiguré le droit des contrats au sein du Code civil. Ils ont critiqué le contrat d'adhésion, comparant la figure d'une partie contractante à celle d'un automate manquant de consentement significatif et de compréhension des implications de ses actions. Ils ont affirmé que le volontarisme est un masque posé sur la partie contractante pour cacher sa véritable aliénation de la relation contractuelle.

Au travers du prisme du regard critique du Professeur Maurice Tancelin, la Professeure Pascale Dufour a analysé les trajectoires du droit des obligations qui imprègnent le Code civil. Elle a discuté de l'appréciation de Tancelin qui insiste sur le caractère métissé du droit civil québécois, et a évalué comment ses critiques sur la réforme du Code civil continuent de modeler notre compréhension de l'évolution du droit civil québécois.

L'atelier Les figures du Code civil du Québec a permis des réfléxions originales sur le caractère polysémique des figures conceptuelles, historiques, numériques et sociétales du droit civil québécois. Ces figures associées au Code civil en révèlent des traits distinctifs. En tant qu'un des architects du Code, la vision et l'héritage du Professeur Paul-André Crépeau ont profondément marqué les discussions de la journée et ont été honorés au travers des réflexions sur le passé, le présent et le futur du Code - 30 ans depuis sa réforme. Un ouvrage collectif est en cours de préparation par l'équipe du Centre, afin de préserver et partager au public la contribution de chaque conférencier.

Nous tenons à exprimer notre sincère gratitude aux intervenants et modérateurs qui ont fait de cet événement un succès :

Professeur Mark Antaki (Université McGill, Codirecteur du Centre Crépeau)

Professeur André Bélanger (Université d'Ottawa)

Me Laurence Bich-Carrière (Lavery)

Professeur Jérémy Boulanger-Bonnelly (Université McGill)

Professeure Michelle Cumyn (Université McGill, Codirectrice du Centre Crépeau)

Professeure Pascale Dufour (Université de Montréal)

Me Manon Ferrand (Université de Montréal)

Professeure Gaële Gidrol-Mistral (Université du Québec à Montréal)

Noémie Gourde-Bouchard (ancienne Directrice adjointe du Centre Crépeau)

Professeure Christelle Landheer-Cieslak (Université Laval)

Professeur Benjamin Moron-Puech (Université Lunière Lyon 2)

Professeur Pierre-Emmanuel Moyse (Université McGill)

Professeur Sylvio Normand (Université Laval)

Professeur Marc-Antoine Picotte (Université du Québec en Outaouais)

Professeure Alexandra Popovici (Université De Sherbrooke)

Professeure Nathalie Vézina (Université de Sherbrooke)

 

Le Centre remercie tout particulièrement la Chambre des notaires pour son soutien, sans lequel la tenue de cet événement n'aurait pas été possible !

Le Centre Crépeau remercie la Chambre des notaires du Québec et le Ministère de la Justice Canada pour leur appui financier. 

                 

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