Le cycle 2012-2014 des ateliers de droit civil, présenté par le Centre Paul-André Crépeau de droit privé et comparé, s'est déroulé sous le thème « Les apparences en droit civil ».
Le cycle d'ateliers de droit civil compte sur l'appui financier des Fonds d’appui à l’accès à la justice dans les deux langues officielles.
Chaque atelier était accrédité pour 1,5 heures de formation continue obligatoire auprès du Barreau du Québec.
Bertrand Stoffel, Université de Zurich : « Appearance and evidence: Is the proof in the pudding? »
le vendredi 4 avril 2014, 12h30 à 14h00, salle 202, Nouveau Pavillon Chancellor-Day
Résumé (en anglais seulement): Appearance plays a major role in civil evidence. Certainly, the judge may sometimes rely on science to prove facts. Often however, the judge will have to base her judgment on what appears to her as true or false.
In private law, proof is the demonstration of an alleged fact. It is the process that will lead the judge to the intimate conviction of the existence of the fact. But what, then, are the criteria for the establishment of such demonstration? To a large extent, the judge will rely on her own experience to establish the existence of a fact. She will review documents, hear statements, and inspect locations. All this will put the fact in evidence: It will make it appear as true or false.
The evidence—or appearance—of a fact will always be provisional. That is to say, no matter how many pieces of evidence are available, one can never be sure that this is exactly how the fact happened. Indeed, to the observer, the fact evidenced will remain an isolated fact. Moreover, the appearance of that fact will be that which the observer, in his own position and with his own experience, will perceive.
This atelier will explore how proof in private law can be a matter of appearance and how it relies on observation and probability. Reliance on observation is not without problems. Observation will disturb the facts, suppressing some of them and putting others in front. In the same vein, the judge will need to base her findings on her experience of life in order to establish the probability of a fact, thus linking proof with considerable uncertainty and subjectivity.
Régine Tremblay, Université de Toronto : « Sans foi ni loi: Appearances of Conjugality and Lawless Love »
le vendredi 24 janvier 2013, 12h30 à 14h00, salle 202, Nouveau Pavillon Chancellor-Day
Résumé: L’auteure propose un survol historique du traitement des conjoints de fait en droit civil québécois. Elle défend qu’hier comme aujourd’hui, la non-reconnaissance de ce type d’unions dans le Code civil du Québec repose davantage sur une désapprobation ancrée dans d’autres ordres normatifs : la religion et l’économie. Cependant, ce type d’unions produit de nombreux effets juridiques en droit privé comme en droit public. Cette situation crée une apparence de conjugalité et ne peut que confondre le justiciable.
Béatrice Kan-Balivet, Université Jean Moulin Lyon 3, Directrice adjointe de l'Institut de droit patrimonial et de l'immobilier (IDPI) : « Apparences et administration du bien d¹autrui »
le vendredi 29 novembre 2013, 12h30 à 14h00, salle 202, Nouveau Pavillon Chancellor-Day
Résumé: La nécessité de recourir à un tiers pour administrer ses biens est une constante exclusive de toute considération spatiale ou temporelle, exacerbées dans nos sociétés contemporaines par la mondialisation et la mutation des patrimoines. Le droit objectif présente ainsi une gamme étendue de dispositifs pour répondre aux besoins d’un sujet de droit, qui ne veut, ne peut ou ne doit pas administrer ses biens. Les circonstances ayant justifié l’avènement d’une théorie générale de l’administration du bien d’autrui dans le nouveau Code civil québécois sont également présentes en droit français, sans pour autant qu’un tel axe de réflexion ait percé dans le Code civil français, voire au niveau doctrinal. Si le contexte est similaire, le modèle unitaire de la technique avec pouvoir pose interrogation.
La difficile réception de la fiducie dans les pays de la famille romano-germanique invite à nouveau à s’interroger sur les apparences de modèle unitaire de l’administration du bien d’autrui.
La lutte contre les apparences passe par l’établissement d’une différenciation notionnelle des techniques d’administration du bien d’autrui. La technique avec pouvoir dans une acception juridique ne saurait faire oublier les techniques sans pouvoir, lesquelles lui sont antérieures et subsistent en droit positif, même si elles sont plus frustes. La propriété-gestion nécessite en effet un transfert de propriété pour administrer lesdits biens, tandis que l’avancée à consister avec la détention-gestion, à ne remettre ses biens qu’en possession au sens du droit romain, l’administré en conservant la propriété. La différence est sensible, l’administrateur n’est alors plus titulaire d’un pouvoir, mais d’un droit.
Cette différenciation notionnelle n’est pas sans enjeux puisqu’elle induit une différenciation fonctionnelle. Chaque mode de gestion réalise en effet un équilibre propre entre les deux impératifs de gestion que sont, le dynamisme de la gestion et la protection des intérêts en présence. Historiquement, c’est d’ailleurs la prise de conscience de ces fonctions qui explique le déclin ou la « réapparition » de certaines techniques. Selon la technique utilisée, par exemple, l’étendue des prérogatives de l’administrateur ou encore les risques encourus par l’administré ne sont pas les mêmes.
La lutte contre les apparences en matière d’administration du bien d’autrui s’inscrit en conséquence dans une démarche fondamentale avec des enjeux qui ne sont pas seulement théoriques.
Adrian Popovici, Université McGill : « Le mandat apparent »
le vendredi 20 septembre 2013, 12h30 à 14h00, salle 202, Nouveau Pavillon Chancellor-Day
Résumé: Le mandat apparent est le joyau des phénomènes juridiques que l’on peut regrouper sous le titre de la théorie de l’apparence en droit civil. Un rappel des règles qui le gouvernent et de sa raison d’être peut ouvrir la voie vers d’autres concepts collatéraux encore peu explorés : les contrats fictifs, imposés, présumés, les contrats-sanctions, etc… Tout ça pour stimuler la résurrection du quasi-contrat, nouvelle vague; quasi-contrat réalité ou hérésie?
Ross Anderson, Université de Glasgow : « Security over Intangibles: Appearance and Reality »
le vendredi 5 avril 2013, 12h30 à 14h00, salle 202, Nouveau Pavillon Chancellor-Day
Résumé : À quoi les biens incorporels ressemblent-ils? Ils sont de nature intellectuelle et non physique, ce qui est vrai de tous droits dans tous systèmes. Il semble, cependant, que les avocats civilistes peuvent voir ce que leurs homologues de common law ne peuvent pas. Grâce à la structure inhérente du droit civil (personnes, obligations, biens) ainsi qu’aux principes patrimoniaux généraux tels que le numerus clausus et les principes de la publicité et de l’opposabilité, les avocats civilistes distinguent d’office les droits réels des droits réels limités (ou démembrements). La division entre droits réels et droits personnels inhérente à cette structure joue un rôle central dans le droit des sûretés. Cette simplicité est un des grands facteurs attrayants à l’approche civiliste en droit privé.
Cela dit, les concepts de base civilistes sont trop souvent affirmés sans être expliqués, peut-être à cause de leur histoire, de leur force d’autorité et de leur rationalité relative. C’est notamment le cas en droit des sûretés. Le niveau de réflexion critique en droit civil quant aux intérêts propriétaires en matière de sûretés n’a pas atteint celui du discours contemporain en common law. Les réponses en common law démontrent en général une grande ingéniosité pratique, voire ad hoc. Toutefois, cette ingéniosité n’a pas été accompagnée d’intelligibilité.
La cohérence est depuis longtemps un attribut du droit civil. Cependant, les grands Codes civils n’étaient pas toujours cohérents, particulièrement en ce qui a trait aux points techniques liés à la propriété et aux sûretés. Les Codes ont été formulés lorsque l’actif paradigmatique était le bien foncier et lorsque les biens incorporels étaient, pour des fins commerciales, encadrés par les codes commerciaux et, en particulier, le droit des titres négociables. Une perception de conservatisme en est le résultat, et le manque d’une révision systématique a parfois mené à des modifications fragmentaires seulement. La récente révision du droit sûretés mobilières en Écosse – un système de langue anglaise qui, dans ce domaine, se sert du droit civil – a offert une occasion d’y réfléchir de manière globale.
C’est dans ce contexte que j’examine trois points : l’application de la théorie des droits limités aux créances et aux droits de propriété intellectuelle; le principe de l’opposabilité et le principe de la publicité. Dans certains cas, je démontre que la cohérence apparente du droit civil n’est qu’illusoire. Néanmoins, en me référant aux écrits de George Gretton, je suggère qu’une approche plus cohérente des principes patrimoniaux de base apporterait de la clarté à la structure du droit. Ces améliorations doctrinales nous permettraient de nous concentrer sur la traduction de cette théorie à la réalité des opérations financières ordinaires.
Daniel Jutras, Université McGill : « Que personne ne bouge! La confiance légitime comme source d’obligations en droit civil »
le vendredi 18 janvier 2013, 12h30 à 14h00, salle 202, Nouveau Pavillon Chancellor-Day
Silvia Ferreri, Université de Turin : "The Appearance of Ownership: Sale of Another's Property (An Independent Version in Italy)"
le vendredi 16 novembre 2012, 12h30 à 14h00, salle 202, Nouveau Pavillon Chancellor-Day
Résumé : L’article italien correspondant au principe français voulant que « possession vaut titre » (art. 2279 du Code civil français) ne fait pas de distinction entre les biens volés et perdus, et les biens confiés à quelqu’un qui a échoué dans l’exercice adéquat de la garde du bien pour le propriétaire (voir art. 1153 du Code civil italien). Ce changement a eu lieu en 1942 lors de l’adoption d’un nouveau code remplaçant l’ancien, reproduction fidèle du Code Napoléon du 19e siècle.
Il y a quelques explications à cette innovation : la distinction n’était pas facilement exécutable en cour, plusieurs exceptions s’y rattachaient, et son fondement dans la tradition romaine n’était pas du tout certain. Cette situation isole quelque peu l’Italie de ses pays européens voisins. Ceci mène à un résultat déplorable : l’Italie est devenue un marché privilégié de biens volés importés de l’étranger, la Suisse et l’Allemagne distinguant toujours la façon dont les biens ont quitté la possession du propriétaire.
Au moins deux jugements valent d’être mentionnées : Governo di Francia c. De Contessini e altri, Corte di cassazione, 24 novembre 1995, no 12166, et Casa della cultura ecuadoriana c. Danusso, Trib. Torino, 23 mars 1982. Ces deux décisions proposent des solutions opposées, au moins en ce qui a trait à la restitution d’un bien importé illégalement. Pourquoi y avait-il la distinction auparavant? Il faut retourner aux règles concurrentes romaine (nemo dat quod non habet) et germanique (Hand wahre Hand). La règle germanique sera la règle au temps du jus commune (avant la révolution française), et c’est elle qui sera codifiée en France. Cependant, dans l’environnement romaniste, la distinction n’a jamais été fortement perçue et, en 1942, l’Italie s’est détachée des autres codifications européennes. Malheureusement, l’exigence de bonne foi de l’acheteur est présumée (selon une règle spécifiée à l’art. 1147 du Code italien), ce qui met le fardeau sur le demandeur de prouver le manque de bonne foi, le résultat étant parfois l’incapacité de récupérer les biens volés. Cependant, il existe d’autres règles à garder à l’esprit quant à la protection des « biens culturels », qui offrent la possibilité de les récupérer : la Codice dei Beni Culturali (D.Lgs. 42/2004, art. 64); la Convention d’UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels (Paris, 14 novembre 1970); la Convention d'UNIDROIT de 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (Rome, 24 juin 1995), en vigueur depuis 1998 (5 ratifications); la Directive 93/7/CEE du Conseil du 15 mars 1993 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre; et le Règlement (CE) no 116/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 concernant l'exportation de biens culturels.
Eric Descheemaeker, Université d'Édimbourg : "Truth and Truthfulness in the Law of Defamation"
le mercredi 3 octobre 2012, 12h30 à 14h00, salle 202, Nouveau Pavillon Chancellor-Day
Résumé : Cet article propose d’étudier de façon comparative deux enjeux liés, mais analytiquement distincts, du droit de la diffamation. Le premier est de savoir si la véracité du propos diffamatoire libère le défendeur de sa responsabilité. Sur cette question, les traditions de droit civil et de common law ont traditionnellement pris des directions opposées, la seconde acceptant la suffisance d’une vérité simpliciter, la première s’en gardant bien. Quelques motifs pour ces différences seront explorés durant cette présentation. La situation est différente lorsque l’on parle de vérité dans le sens de ce que quelqu’un croit être la vérité. La croyance du défendeur en la vérité du propos (prima facie), même diffamatoire, doit-elle – devrait-elle – être prise en compte? Des distinctions devraient-elles être faites en fonction de la « qualité » de cette croyance? L’exposé fait valoir que l’on devrait reconnaître, comme moyen de défense en matière de diffamation, cette idée d’une véracité raisonnable. De lege lata, un tel principe général ne s’est jamais matérialisé, mais force est d’observer que le principe a toujours été dans les parages, sous le couvert d’autres outils analytiques. D’ailleurs, plusieurs développements internationaux peuvent être compris comme une tentative de s’approcher de la conception voulant que la véracité du propos devrait être prise en compte dans l’analyse.