Le tiers seulement des grandes rivières de la planète s’écoulent encore librement, selon une nouvelle étude publiée dans la revue Nature
• Seuls 37 % des grandes rivières de la planète s’écoulent encore librement.
• On dénombre près de 60 000 grands barrages à l’échelle mondiale, et plus de 3 700 autres sont prévus ou en cours de construction.
• Les changements climatiques représentent une menace grandissante pour l’ensemble des rivières de la planète, à la fois en raison des conséquences directes et de la décision des gouvernements nationaux de se tourner de plus en plus vers l’hydroélectricité comme source d’énergie renouvelable.
Des 246 plus grandes rivières de la planète, seulement un peu plus du tiers, soit 37 %, s’écoule encore librement, selon une nouvelle étude publiée dans la revue scientifique Nature. Les barrages et les réservoirs réduisent de façon considérable les nombreux bienfaits que procurent les rivières saines aux populations humaines et aux écosystèmes naturels du monde entier.
Une équipe internationale de 34 chercheurs de l’Université McGill, du Fonds mondial pour la nature et d’autres institutions[i] a examiné la connectivité de 12 millions de kilomètres de cours d’eau aux quatre coins du monde, offrant ainsi la toute première évaluation mondiale du nombre et de la répartition géographique des dernières grandes rivières à courant libre de la planète[ii].
En outre, les chercheurs ont découvert que seulement 21 des 91 fleuves longs de 1 000 kilomètres ou plus qui, à l’origine, s’écoulaient vers l’océan ont conservé cette connexion directe. Les dernières rivières à courant libre se limitent surtout aux régions éloignées de l’Arctique et des bassins amazonien et congolais.
« Les rivières forment un réseau complexe tissant des liens essentiels avec la terre, les nappes d’eau souterraines et l’atmosphère », explique Günther Grill, auteur principal de l’étude et chercheur postdoctoral au Département de géographie de l’Université McGill. « Les rivières à courant libre sont tout aussi importantes pour les humains que pour l’environnement, mais, en raison de la croissance économique, elles se font de plus en plus rares. S’appuyant sur des images satellitaires et sur d’autres données, notre étude examine ces rivières de façon plus détaillée que jamais. »
À l’échelle mondiale, les barrages et les réservoirs sont les principaux facteurs contribuant à la perte de connectivité des rivières. D’après l’étude, on compterait en tout quelque 60 000 grands barrages déjà construits et plus de 3 700 barrages hydroélectriques prévus ou en cours de construction. Souvent, ces barrages sont conçus et érigés dans le cadre de projets individuels, ce qui complique l’évaluation de leurs véritables répercussions dans l’ensemble d’un bassin ou d’une région.
Des rivières saines favorisent la conservation des stocks de poissons d’eau douce contribuant à nourrir des centaines de millions de personnes, transportent les sédiments permettant le maintien des deltas au-dessus du niveau de la mer, atténuent les effets des inondations et des sécheresses extrêmes, préviennent la perte de terres et d’infrastructures par érosion, et aident à soutenir une riche biodiversité. Le dérèglement de la connectivité des rivières entraîne souvent la diminution, voire l’élimination de ces services écosystémiques.
Corpus de données mondial et outils librement accessibles
« Cette étude est le fruit de plus de dix années de préparation et de collecte de données », souligne Bernhard Lehner, professeur agrégé, dont l’équipe de recherche à l’Université McGill, composée notamment de Günther Grill et des étudiantes aux cycles supérieurs Heloisa Ehalt Macedo et Florence Tan, a procédé aux simulations informatiques requises. « Nous devions tout d’abord créer une carte numérique représentant des millions de rivières, de lacs et de réservoirs à l’échelle planétaire, afin de pouvoir étudier les effets des modifications apportées par les humains sur ce réseau complexe de cours d’eau. »
« Les résultats de notre étude viennent réaffirmer qu’il est urgent et impératif de mettre en œuvre des stratégies nationales et internationales concertées visant à maintenir et à restaurer la connectivité des rivières et à assurer leur écoulement libre dans le monde entier, afin de préserver les espèces d’eau douce, les écosystèmes fluviaux et les services qu’ils procurent », soutient M. Grill. « Notre nouvelle méthode de cartographie des rivières à courant libre sert de fondement au suivi et à la surveillance de l’état des cours d’eau, au moyen d’un corpus de données mondial et d’outils que nous rendons librement accessibles à tous. »
L’étude révèle également que les changements climatiques accentuent la menace à la santé des rivières aux quatre coins du monde. La hausse des températures planétaires se répercute déjà sur les régimes d’écoulement, la qualité de l’eau et la biodiversité. En outre, la transition de nombreux pays vers des économies à faible émission de carbone accélère la planification et le développement de l’hydroélectricité, ajoutant à l’urgence de mettre au point des systèmes énergétiques permettant de réduire au minimum les conséquences néfastes sur le plan social et environnemental.
« Il ne s’agit pas de mettre fin au développement, précise le Pr Lehner, mais bien de trouver des solutions intelligentes et durables favorisant la coexistence harmonieuse des humains et des rivières à courant libre, comme la priorisation d’autres sources d’énergie (éolienne et solaire), l’amélioration du fonctionnement des centrales hydroélectriques ou le repérage de meilleurs emplacements de barrages. »
En vertu du Programme de développement durable à l’horizon 2030, la communauté internationale s’est engagée à protéger et à restaurer les rivières, obligeant les pays à vérifier l’étendue et l’état des écosystèmes aquatiques. Or, l’étude leur fournit les données et les méthodes nécessaires au maintien et à la restauration de l’ensemble des rivières à courant libre de la planète.
Cette étude a été financée en partie par le Fonds mondial pour la nature (WWF), le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et l’Université McGill.
Intitulée Mapping the world’s free-flowing rivers, l’étude, par G. Grill, B. Lehner et coll., a été publiée dans la revue Nature le 9 mai 2019 et est accessible à https://doi.org/10.1038/s41586-019-1111-9.
[i]Institutions participantes
Université McGill, WWF-États-Unis, WWF-Pays-Bas, WWF-Royaume-Uni, WWF-Méditerranée, WWF-Inde, Université de Bâle, Centre commun de recherche (JRC), WWF-Chine, WWF-Canada, WWF-Zambie, WWF-Programme du Grand Mékong, The Nature Conservancy, Université du Nevada, WWF-Malaisie, IHE Delft, WWF-Allemagne et HTWG Konstanz, King’s College de Londres, Université d’Umeå, Université suédoise des sciences agricoles, Université de Washington, Université Harvard, Université du Wisconsin à Madison, Conservation International, WWF-Mexique, WWF International, Université Stanford, Institut Leibniz d’écologie d’eau douce et de pêche intérieure (IGB), Université libre de Berlin, WWF-Brésil, Université Eberhard Karl de Tübingen.
[ii]Rivière à courant libre : toute première définition fondée sur la science
Rivière dont les fonctions et services des écosystèmes sont très peu touchés par des modifications de la connectivité fluviale, permettant la libre circulation d’eau, de matière, d’espèces et d’énergie dans le réseau hydrographique et en interconnexion avec les paysages environnants.
Personnes-ressources :
Pr Bernhard Lehner
Département de géographie
Université McGill
bernhard.lehner [at] mcgill.ca
Günther Grill
Département de géographie
Université McGill
guenther.grill [at] mail.mcgill.ca
Cynthia Lee
Service des relations avec les médias
Université McGill
514 398-6754
cynthia.lee [at] mcgill.ca
https://www.mcgill.ca/newsroom/fr
Photo de couverture : Days Edge Production WWF-US