L’héroïsme de Joyce Echaquan

Dans cet article éloquent, Tamara Thermitus aborde le racisme systématique auquel sont confrontés les peuples autochtones du Canada, tant historiquement qu'aujourd'hui. Elle termine par un appel à l'action qui souligne la nécessité de respecter les droits des autochtones et, plus particulièrement, de disposer de données socioéconomiques ventilées.

Je reviens de la manifestation réclamant justice pour Joyce.

Comment une femme à l’article de la mort a-t-elle l’instinct et le courage de filmer l’ultime violence dont son peuple est la cible, si ce n’est que par sa connaissance de l’oppression raciale ? Le nom de Joyce Echaquan est passé à l’histoire tout comme celui de George Floyd. En mourant en direct sous nos yeux, ils nous ont rendus témoins du racisme dans toutes ses dimensions.

Destins brisés par les institutions. Destins tragiques reliés par le colonialisme. Destins mobilisateurs pour que l’on nomme la cause de leur mort : le racisme systémique qui justifie autant les privilèges que le fait qu’on les ignore. Destins ouvrant une voie vers le changement et qui nous forcent à prendre acte de la violence étatique insoutenable et injustifiable.

Impossible de se taire devant ces images, aucune explication n’est possible. Impossible de rester silencieux, car être silencieux, c’est être complice. Comme le disait Desmond Tutu : « Rester neutre face à l’injustice, c’est choisir le camp de l’oppresseur. »

Ainsi, l’histoire des Amériques a créé un creuset où les Premières Nations ont accueilli les Européens et les Africains. Or, les destins des Noirs et des Autochtones sont liés, puisqu’ils ont été et continuent d’être victimes de racisme.

Ici, le racisme tire sa source de l’esclavage qui a existé en Nouvelle-France. L’article 47 des Articles de capitulation de Montréal de 1760 le reconnaît : « Les nègres et panis [Indiens] des deux sexes resteront en leur qualité d’esclaves en la possession des Français et Canadiens, à qui ils appartiennent : il leur sera libre de les garder à leur service dans la colonie ou de les vendre ; ils pourront aussi continuer à les faire élever dans la religion romaine. »

Aujourd’hui, les Noirs et les Autochtones sont sous-payés et surreprésentés chez les chômeurs. Ils sont surreprésentés dans la population carcérale, font l’objet de profilage racial et sont plus touchés par le diabète et les maladies cardiaques.

Bien que la lutte contre le racisme systémique leur soit commune, on ne peut ignorer qu’il y ait des particularités des peuples autochtones qui ont des droits sur les territoires et des droits reconnus par la Constitution canadienne. On ne peut passer sous silence l’héritage qu’ont laissé les pensionnats indiens dans les communautés autochtones, pensionnats où les enfants ont été placés de force dès leur plus jeune âge.

Dans l’enceinte de la Chambre des communes, le 9 mai 1883, c’est en ces termes que Sir John A. Macdonald a justifié la politique sur les pensionnats indiens : « Lorsque l’école est dans les réserves, l’enfant vit avec ses parents, qui sont des sauvages [Indiens] ; […] ses habitudes et l’entraînement et son mode de pensée sont sauvages. C’est simplement un sauvage qui sait lire et écrire. On m’a fortement incité […] pour que les enfants indiens soient retirés autant que possible de l’influence parentale, et la seule façon de le faire serait de les placer dans des écoles industrielles centrales de formation où les habitudes et les modes de pensée sont ceux des hommes blancs. » [traduction libre]

Cet héritage a laissé des séquelles intergénérationnelles dans les communautés autochtones et a des effets sur leurs relations avec les Québécois. Je le sais parce que j’ai vécu à Sept-Îles. De plus, j’ai participé au règlement des pensionnats indiens, qui a créé la Commission de vérité et réconciliation (CVR). Dès 1870 et pendant plus d’un siècle, les pensionnats indiens ont séparé plus de 150 000 enfants de leurs familles et de leurs communautés.

J’ai également été témoin de la résilience des Autochtones et j’ai entendu des centaines de témoignages des souffrances de ces personnes âgées qui témoignaient des sévices sexuels, physiques et psychologiques subis durant leur enfance.

Les séquelles, que les Autochtones ont portées toute leur vie, sont gravées dans l’ADN de leur descendance. La mort de Joyce a réactivé cette souffrance.

Les principes directeurs qui ont guidé la négociation du mandat de la Commission de vérité et réconciliation chargée de contribuer à la guérison et à la réconciliation sont toujours d’actualité. Ils se résument ainsi : la reconnaissance de la place historique des peuples autochtones ; le respect du statut constitutionnel des peuples autochtones ; la réparation des torts historiques ; le respect du devoir de consulter les groupes autochtones ; la représentation des autochtones dans le système justice pénale, pour lutter contre la surreprésentation des autochtones dans ce système tout en s’attaquant à la sous-représentation des autochtones comme acteurs ; la réconciliation ; la naissance d’une véritable relation entre les autochtones et les Québécois.

On ne peut ignorer les fractures sociales. À juste titre, les Autochtones demandent tant au gouvernement qu’à la société que leurs droits soient respectés, notamment en entérinant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Pour pouvoir appliquer pleinement ces principes, encore faut-il avoir des données ventilées. Il est crucial d’obtenir des données socioéconomiques ventilées représentant les différents groupes racisés et les Autochtones afin d’optimiser l’efficacité des politiques sociales et des pratiques gouvernementales. La commission Viens a d’ailleurs souligné l’importance de recueillir des données précises et fiables.

Nous le devons à Joyce Echaquan.

Cet article a originalement été publié dans La Presse le 7 octobre 2020.

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