Une des façons d’endiguer la déferlante des anglicismes consiste à en recenser toutes les variétés – et elles sont nombreuses. Il y en a pour tous les goûts. Apprenons donc à en reconnaître les modalités avant même de chercher à les corriger.
1. Anglicismes lexicaux
L’anglicisme lexical montre qu’on peut donner un autre sens à l’expression les deux solitudes : l’anglicisation telle qu’elle se pratique au Québec et au Canada, d’une part ; et celle dont sont friands nos cousins outre-Atlantique, les Hexagonaux – nos ancêtres les Gaulois, oui, mais aussi, les Belges, les Suisses et les francophones des quatre coins du monde.
Ce type d’anglicisme permet le voyagement et l’exotisation à peu de frais. Pas besoin d’emprunter le tunnel sous la Manche ou de prendre l’avion pour l’Amérique. Suffit de parsemer un texte de quelques mots anglais, et voilà, on affiche son bilinguisme.
Au Québec, par contre, sauf pour un certain nombre de classiques devenus indéboulonnables (bumper, muffler et compagnie), on a tendance à réagir fortement devant l’anglicisme lexical, qui est un emprunt intégral. C’est la seule partie du monde où le panneau Stop est traduit par Arrêt, même si Stop est un mot allemand avant que d’être anglais, et que Arrêt signifie surtout Station (ex. : arrêt d’autobus).
Nous vivons dans une partie du monde où USA est souvent remplacé par l’énigmatique et imprononçable É-U, tandis que week-end cède joliment la place à fin de semaine.
L’exotisme n’a pas prise. Et n’a pas pris. Pour cause (du verbe causer = parler) : nous sommes en plein continent anglo-saxon. Or, il n’y a pas exotisme sans distance et sans distanciation précédant le rapprochement. Cette distance n’existe pas dans le Nouveau-Monde.
On a donc naturellement créé des mots français, notamment en informatique : matériel, logiciel, courriel, pourriel, etc., dont certains ont franchi l’Atlantique, et d’autres pas. On a contribué à la francisation de certains sports pourtant très populaires en Europe, comme le football (soccer). Nous disons donc coup de pied de coin puis but là où les Européens disent souvent corner et goal ; nous parlons du gardien, voire du cerbère plutôt que du goalkeeper. De quoi y perdre son latin. Et, à ce propos…
2. Anglicismes latins (latino-anglicismes)
À chacun ses latinismes et latino-anglicismes. Le français et l’anglais modernes ne recourent pas forcément aux mêmes classiques.
Raison pour laquelle l’anglais reprend e.g. et i.e là où le français les traduit par p. ex. ou c.-à-d.
Dans la Belle Province, le latinisme fax (issu de facsimile) est remplacé par le triolet télécopie / télécopier / télécopieur.
3. Anglicismes affixés (hybrides)
Ces affixations se produisent quand on allonge ce qui constitue déjà un anglicisme lexical, pour lui ajouter de nouvelles formes (nominales, verbales, adverbiales, adjectivales, etc.). Ex. : L’emprunt blast donnera le verbe blaster. Le mot custom produira customiser. Transition éminemment pratique… et parfois envahissante : songer à custom, customiser, customisable, customisateur, customisatrice, customisation… là où le verbe personnaliser et ses dérivés existent pourtant.
4. Anglicismes phonétiques
L’anglicisme phonétique est une déformation de la prononciation, rendue plus « anglaise ».
Ex. : le mot chèque émis selon le modèle de Tchèque ; l’alcool consommé comme s’il contenait un h (alko-ol), et le pyjama porté comme s’il s’écrivait avec un d (pydjama).
5. Anglicismes graphiques ou orthographiques
Ce type d’anglicisme vient tout simplement modifier le libellé du mot français, désormais vêtu à l’anglaise. On relève donc des addresse et apartement, au lieu de adresse et appartement (sous l’influence des mots anglais address et apartment).
6. Anglicismes typographiques
Ici, un certain nombre d’artifices de typographie s’estompent sous l’influence de l’anglais. Raison d’être des no, nbre, qté, H2O ; ainsi que du guillemetage à l’anglaise (‘’).
Normalement, on écrit pourtant no, nbre, qté, H2O ; et l’on use du guillemetage français (« »).
Sans compter les règles de ponctuation, qui ne sont pas les mêmes dans les deux langues.
7. Anglicismes de fréquence
Dans cette catégorie, l’usage du terme n’est pas, en soi, erroné ; ce qui l’est c’est son taux d’incidence. Autrement dit, si l’on n’était pas bilingue, on n’aurait que rarement recouru au terme en question.
Dans la langue de Shakespeare, les mots company et employee sont monnaie courante, alors que dans celle de Molière, dans un français non traductif, on parle plutôt de l’entreprise et de ses salariés (ou de son personnel), plutôt que de la compagnie et de ses employés.
On rappelle que le mot salariés inclut les employés (dans les bureaux) et les ouvriers (dans les usines) ; c’est donc un générique. Même chose pour le mot anglais employee (tous les gens qui travaillent pour l’entreprise sont des employees)...
Conclusion : tout employé est un employee, mais l’inverse n’est pas vrai.
Autre situation du genre : le mot decade est bien plus fréquent en anglais que son équivalent décennie, qui figure pourtant au dictionnaire ; on dira au cours des trente dernières années, plus souvent qu’au cours des trois dernières décennies ; la phrase Some wars last a decade se rendra naturellement par Certaines guerres durent dix ans (variante : Certaines guerres durent une dizaine d’années).
L’usage est fou, mais l’usage est roi.
8. Anglicismes bidons ou anglicismes fantômes
L’anglomanie peut amener à créer des mots anglais… qui n’en sont pas.
Ainsi, à Paris comme à Lyon, on peut aller au pressing (chez le teinturier), ce qui permet aussi de faire un peu de footing (marche) dans le parking (stationnement). Autant de vocables absents des dictionnaires anglais.
9. Anglicismes de maintien
Ici, on est à contre-pied du cas précédent. Le terme anglais existe bel et bien ; c’est sa traduction littérale qui fonctionne de moins en moins. Il s’agit donc d’une survivance d’un vieil usage français, au Canada et dans certaines régions de France. On dira alors, un peu vite, accommoder quelqu’un pour loger quelqu’un.
Dans un même ordre d’idées, un Européen peut marier sa fille sans qu’on crie à l’inceste, puisqu’il la marie à quelqu’un ou à quelqu’une d’autre. Au Québec, par contre, marier quelqu’un conserve souvent son sens ancien de épouser quelqu’un.
10. Anglicismes sémantiques
Les anglicismes sémantiques découlent d’une modification du sens français imputable à l’influence d’un faux-ami anglais. Cela explique le calque abusif de pamphlet au sens de dépliant ou brochure. Un peu comme l’usage de raisin au sens de raisin sec ; la confusion entre prune et pruneau ; entre librairie et bibliothèque. Dans chacun de ces cas, on a gauchi le sens figurant dans les dictionnaires.
11. Anglicismes morphologiques
Dans cette catégorie, on trafique les morphèmes de manière à recréer à l’identique l’image du terme anglais. On pourrait se demander pourquoi l’anglais use du pluriel pour les mots customs, physics, linguistics, avionics, statistics… là où le français emploie le singulier pour douane, physique, linguistique, avionique, statistique.
C’est ce qu’on appelle l’usage.
Cela étant, on dit plus couramment les mathématiques que la mathématique aujourd’hui…
On note que la démarche morphologique produit parfois des barbarismes, comme complétion au sens d’achèvement ou de parachèvement.
On observe aussi la fausse expression direct du fabricant (qui signifie, en réalité, directement du fabricant).
12. Anglicismes syntaxiques, ou anglicismes de structure
Un franglophone dira qu’il siège sur un comité (alors qu’il siège à un comité) ; qu’il téléphone quelqu’un (alors qu’il téléphone à quelqu’un). Les mots clés (siéger + comité) vont très bien ensemble ; ce qui ne convient pas c’est le mot de liaison (ou son absence) dans l’expression.
Il arrive aussi qu’on fasse usage de certains passifs abusifs (brochures à être distribuées) là où il suffirait d’un infinitif (brochures à distribuer).
13. Anglicismes phraséologiques
On se trouve devant un emprunt de locution ou d’image. Ici, ce n’est pas le mot de liaison qui fait défaut. Cette fois, c’est un des mots clés qui est mal choisi. Ex. : demander une question, faire du sens ; on dira plutôt poser une question, demander quelque chose ; c’est ça avoir du sens.
14. Anglicismes gestuels
C’est la forme la plus rare des anglicismes, qu’on pourrait qualifier de cinétiques ! Ce sont les guillemets anglais dessinés dans les airs par crochetage de l’index et du majeur des deux mains, quand ces doigts se dressent et s’abaissent, comme par analogie de forme. C’est aussi le cas du L de LOSER formé par le geste qui représente le chiffre deux (pouce et index écartés) placé au-dessus de la tête de l’orateur. Vu d’en face, ça donne un L majuscule…
Avec l’espoir que ce portrait Anglicismes vous aura plu.
On dit souvent que, à force d’être pressé et de mettre les deux langues sur le même pied, on finit par mettre les deux pieds sur la même langue…