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Nouvelle utilisation d'une ancienne drogue : Comment la kétamine combat-elle la dépression ?

Des chercheurs de trois universités canadiennes ont trouvé la clé pour débloquer l'effet antidépresseur de la kétamine dans le cerveau
Publié: 16 December 2020

Un groupe de protéines appelées 4E-BP, actives dans la formation de la mémoire, sont la clé pour débloquer l'effet antidépresseur de la kétamine dans le cerveau, selon des chercheurs de trois universités canadiennes. Cette découverte pourrait conduire à des traitements meilleurs et plus sûrs pour certains patients souffrant de dépression majeure.

Puisque plus de 30 % des patients sont résistants aux inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, les antidépresseurs les plus couramment prescrits, il est difficile de trouver un traitement efficace pour les troubles dépressifs majeurs.

Au début, la kétamine a été approuvée pour un usage en anesthésie et le soulagement de la douleur. Depuis lors, les chercheurs étudient de nouvelles utilisations de ce médicament; l'année dernière, la kétamine a été autorisée dans le cas de patients atteints de dépression majeure qui ne répondent pas aux traitements existants. Contrairement aux antidépresseurs classiques, dont l'effet peut prendre plusieurs semaines, la kétamine agit en quelques heures. Jusqu'à présent, on connaissait peu le mécanisme moléculaire qui déclenche l'effet antidépresseur de la kétamine dans le cerveau.

Dans l’étude publiée dans la revue Nature, les chercheurs de l'Université de Montréal, de l'Université McGill et de l'Université Carleton ont étudié l'effet de la kétamine sur le comportement et l'activité neuronale chez la souris. En utilisant des outils génétiques pour éliminer les protéines de cellules cérébrales spécifiques, l'équipe a découvert que, lorsque les 4E-BP sont absentes du cerveau, en particulier dans les neurones, la kétamine ne peut pas produire son effet antidépresseur. Les 4E-BP agissent comme un interrupteur pour activer ou désactiver le processus de synthèse des protéines ‒ une composante essentielle de la formation de la mémoire.

« C'est un autre excellent exemple de la façon dont la recherche fondamentale, en l'occurrence le contrôle de la synthèse des protéines, conduit à des découvertes majeures dans la compréhension de la maladie et à l'espoir de la guérir », a déclaré l’un des coauteurs de l'étude, le Pr Nahum Sonenberg, professeur au Département de biochimie de l’Université McGill.

Les chercheurs ont examiné le rôle des 4E-BP sur l'effet de la kétamine dans deux grands types de neurones: les neurones excitateurs, qui constituent la plupart des neurones dans certaines parties du cerveau, et les neurones inhibiteurs, qui contrôlent les neurones excitateurs et influent sur le comportement.

« Nous nous attendions à ce que les 4E-BP ne soient importantes que dans les cellules excitatrices, mais étonnamment l'élimination des 4E-BP des cellules inhibitrices a suffi à bloquer l'effet de la kétamine », a déclaré le Pr Jean-Claude Lacaille, coauteur de l’étude et professeur au Département de neurosciences de l'Université de Montréal.

La médecine n'est pas une panacée

La découverte et l'approbation de la kétamine pour les patients qui ne répondent pas aux traitements habituels ont été considérées comme une avancée majeure de la psychiatrie moderne. Malgré ses promesses, la kétamine reste une thérapie imparfaite, car elle peut créer une dépendance. Les chercheurs espèrent que les résultats de leur étude ouvriront la voie à des thérapies antidépressives plus efficaces et plus sûres pour les patients souffrant de troubles dépressifs majeurs.

« Trop de décisions continuent d'être prises selon une approche par essais et erreurs qui peut prolonger la souffrance des patients et nuire à leur qualité de vie », a indiqué le Pr Argel Aguilar-Valles, coauteur de l’étude et ancien associé de recherche à l’Université McGill, maintenant professeur adjoint à l’Université Carleton.

« Notre découverte nous rapproche d'une utilisation plus sûre de la kétamine et, en fin de compte, d'une approche de médecine personnalisée, où les traitements médicaux sont adaptés aux caractéristiques individuelles de chaque patient », a-t-il poursuivi.

L'étude a également été réalisée par une clinicienne-chercheuse, la Dre Gabriella Gobbi, du Département de psychiatrie de l’Université McGill, qui travaille auprès d’individus atteints de dépression ou d'autres maladies psychiatriques.

Dans une prochaine étape, les chercheurs examineront si les hommes et les femmes ont des réactions différentes à la kétamine. Cela pourrait avoir des implications importantes pour le traitement des personnes qui souffrent de troubles dépressifs, parmi lesquelles les femmes sont largement surreprésentées, soutiennent-ils.

L’étude

L’article intitulé « Antidepressant ketamine actions engage cell-specific translation via eIF4E », Argel Aguilar-Valles, Danilo De Gregorio, Edna Matta-Camacho, Mohammad J. Eslamizade, Abdessattar Khlaifia, Agnieszka Skaleka, Martha Lopez-Canul, Angelica Torres-Berrio, Sara Bermudez, Gareth M. Rurak, Stephanie Simard, Natalina Salmaso, Gabriella Gobbi, Jean-Claude Lacaille et Nahum Sonenberg, a été publié le dans Nature.

DOI : https://doi.org/10.1038/s41586-020-03047-0

L’Université McGill

Fondée à Montréal, au Québec, en 1821, l’Université McGill est l’une des principales universités canadiennes. McGill compte deux campus, 11 facultés, 13 écoles professionnelles, 300 programmes d’études et au-delà de 40 000 étudiants, dont plus de 10 200 aux cycles supérieurs. McGill accueille des étudiants originaires d’environ 150 pays, ses 12 800 étudiants étrangers représentant 31 pour cent de sa population étudiante. Environ 19 pour cent des étudiants de McGill indiquent que leur langue maternelle est le français.

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