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Le secret des fleurs invisibles: pourquoi certaines plantes produisent-elles des fleurs petites et peu attrayantes?

Deux chercheurs montréalais pensent avoir trouvé la réponse, validant une hypothèse de Darwin vieille de 150 ans
Publié: 3 February 2021

Qui dit fleur dit couleurs chatoyantes, contrastées et éclatantes… Pourtant, toutes les plantes ne produisent pas uniquement de telles fleurs. Certaines espèces qualifiées de «cléistogames» en produisent en fait deux types: les «normales», qui sont superbes, et les «avortons», qui sont petits, jamais ouverts et qui se pollinisent eux-mêmes. Cette seconde catégorie de fleurs n’a donc pas besoin d'appâter les insectes pollinisateurs avec quelque artifice de beauté que ce soit.

Dans une étude publiée dans Current Biology, les professeurs Daniel Schoen de l’Université McGill et Simon Joly de l’Université de Montréal, montrent que la cléistogamie, comme on appelle ce type d'autopollinisation, est fortement associée aux fleurs bilatéralement symétriques, soit celles qui ont un seul plan de symétrie au lieu de plusieurs; les orchidées en sont un bon exemple.

Charles Darwin a formulé cette hypothèse il y a environ 150 ans, mais ce n'est que maintenant, grâce aux recherches des Prs Joly et Schoen, que l'hypothèse a été prouvée scientifiquement.

« Les fleurs possèdent généralement des organes reproducteurs mâles et femelles, ce qui, pour un organisme sédentaire, constitue une stratégie évolutive efficace pour assurer la reproduction, explique le Pr Simon Joly, qui est aussi chercheur au Jardin botanique de Montréal, une institution d’Espaces pour la vie. En offrant une récompense telle que du nectar ou du pollen ‒ ou la promesse d'une telle récompense ‒, les fleurs ont permis aux plantes d'inciter les animaux pollinisateurs à transporter le pollen entre plantes d’une même espèce, agissant efficacement comme intermédiaires dans le processus d'accouplement ».

Échec de la reproduction

« Le problème avec cette stratégie, poursuit le Pr Joly, c’est qu'en l'absence de pollinisateurs, la plante peut ne pas se reproduire ou a beaucoup plus de difficulté à le faire ».

Certaines plantes ont donc trouvé des moyens d'éviter ce problème: « Certaines fleurs se pollinisent elles-mêmes. Et lorsque les pollinisateurs sont rares, la production de fleurs cléistogames est certainement la solution la plus particulière et la plus efficace pour assurer l'autopollinisation. Ce n'est pas une stratégie commune, mais la cléistogamie est néanmoins relativement répandue parmi les plantes à fleurs ».

En effet, c’est le mode de reproduction de plus de 500 espèces provenant de 40 familles de plantes à fleurs, comme les impatientes et les violettes. Cependant, la cléistogamie passe la plupart du temps inaperçue en raison de la petitesse des fleurs cléistogames.

« Darwin était bien conscient des avantages de la cléistogamie comme “stratégie” de reproduction et il a émis l'hypothèse qu'elle est plus susceptible de survenir chez les espèces à fleurs bilatéralement symétriques que chez les espèces à fleurs radialement symétriques (qui ont plusieurs plans de symétrie, comme les fleurs de pommier). Et ceci parce que les premières sont normalement pollinisées par moins d'espèces d'insectes que les fleurs radialement symétriques », mentionne le Pr Daniel Schoen, qui est professeur W.C. Macdonald de botanique au sein du Département de biologie de l’Université McGill.

Toutefois, jusqu'à présent, l'hypothèse de Darwin sur l'association entre la cléistogamie et la symétrie bilatérale, ou zygomorphie pour utiliser le terme botanique, n'avait jamais été correctement testée.

Plus de 2 500 espèces analysées

Pour vérifier l’hypothèse de Darwin, Simon Joly et Daniel Schoen ont analysé plus de 2 500 espèces de plantes à fleurs ‒ le plus grand ensemble de données jamais réunies pour des fleurs présentant ces caractéristiques inhabituelles. « Les modèles évolutifs indiquent que la cléistogamie survient presque quatre fois plus fréquemment chez les espèces zygomorphes, souligne le professeur Joly, et nous avons obtenu les mêmes résultats quelle que soit la façon dont nous avons analysé les données ».

Les coauteurs ont également constaté que, par rapport aux espèces à symétrie radiale, les espèces à symétrie bilatérale produisent en moyenne la moitié moins de graines et de fruits en l'absence de pollinisateurs, ce qui laisse entendre que la cléistogamie leur procure potentiellement plus d’avantages en assurant la reproduction.

« Ces résultats donnent à penser que la production de fleurs ouvertes et fermées est favorisée dans des environnements aux conditions fluctuantes, comme lorsque l'abondance des pollinisateurs varie », ajoute le Pr Schoen.

Cette étude met en lumière le défi auquel les fleurs sont confrontées: assurer leur descendance tout en minimisant la consanguinité. La cléistogamie représente une solution à ce dilemme en produisant deux types de fleurs: les fleurs normales, qui se « croisent » avec d’autres fleurs grâce aux pollinisateurs, et les cléistogames, qui assurent la reproduction lorsque les conditions de pollinisation sont mauvaises.

« Notre étude a donc confirmé l'hypothèse que Darwin a énoncée il y a 150 ans à partir de ses observations sur quelques dizaines d'espèces, résume le Pr Joly. Il est intéressant de noter que certains sélectionneurs développant de nouvelles variétés de plantes ont avancé l’idée que, si les plantes génétiquement modifiées pouvaient être sélectionnées pour produire uniquement des fleurs cléistogames, cela pourrait aider à réduire la propagation de leurs génomes modifiés ‒ une application pratique qui pourrait être très bénéfique pour l'environnement ».

À propos de l'étude

L’article « Repeated evolution of a reproductive polyphenism in plants is strongly associated with bilateral flower symmetry », par Simon Joly et Daniel Schoen, a été publié dans Current Biology.


L’Université McGill

Fondée en 1821 à Montréal, au Québec, l’Université McGill figure au premier rang des universités canadiennes offrant des programmes de médecine et de doctorat. Année après année, elle se classe parmi les meilleures universités au Canada et dans le monde. Établissement d’enseignement supérieur renommé partout dans le monde, l’Université McGill exerce ses activités de recherche dans deux campus, 11 facultés et 13 écoles professionnelles; elle compte 300 programmes d’études et au-delà de 40 000 étudiants, dont plus de 10 200 aux cycles supérieurs. Elle accueille des étudiants originaires de plus de 150 pays, ses 12 800 étudiants internationaux représentant 31 % de sa population étudiante. Au-delà de la moitié des étudiants de l’Université McGill ont une langue maternelle autre que l’anglais, et environ 19 % sont francophones.

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