Prédire les comportements suicidaires chez les étudiants grâce à l’intelligence artificielle
Comment prédire le risque de suicide chez les étudiants, alors même que la pandémie de COVID-19 nuit à la santé mentale d’une importante partie de la population? Une étude menée par une équipe de chercheurs montréalais et français de l’Université McGill, l’Université de Montréal, l’INSERM et l’Université de Bordeaux révèle que l’estime de soi est l’un des principaux facteurs prédictifs du risque de suicide. Les chercheurs ont utilisé l’intelligence artificielle (IA) pour reconnaître les facteurs qui permettent de prédire avec exactitude les comportements suicidaires chez les étudiants.
« Le suicide est la seconde cause de mortalité chez les jeunes de 15 à 24 ans. Une détection précoce des comportements et des pensées suicidaires est primordiale pour fournir une prise en charge adéquate », explique Mélissa Macalli, candidate au doctort à l’Université de Bordeaux et auteure principale de l’étude.
Les résultats de l’étude, publiés dans la revue Scientific Reports, se basent sur des données collectées en France auprès de plus de 5 000 étudiants suivis pendant au moins un an entre 2013 et 2019.
L’étude montre que quatre des 70 facteurs potentiels permettent de prédire près de 80 pour cent des comportements suicidaires lors du suivi : les pensées suicidaires, l’anxiété, les symptômes dépressifs et l’estime de soi.
L’IA permet de reconnaître les principaux prédicteurs des comportements suicidaires
Les chercheurs se sont servis de l’apprentissage machine pour analyser simultanément les nombreux facteurs associés au risque de suicide, puis les classer selon leur prévalence. Ces facteurs incluaient les données sociodémographiques, le style de vie, la consommation de drogues et d’alcool, les traumatismes infantiles et l’expérience personnelle ou familiale de comportements suicidaires.
« De nombreux facteurs connus peuvent contribuer à accroitre le risque chez les étudiants, comme la transition de l’école secondaire à l’université, le stress psychosocial, la pression associée aux études et l’adaptation à un nouvel environnement. Ces risques ont aussi été amplifiés par la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19, bien qu’il soit difficile de lier avec certitude la pandémie à une hausse des suicides », explique Massimiliano Orri, coauteur de l’étude et boursier postdoctoral de l’Université McGill au sein du Groupe McGill d’études sur le suicide, actuellement en poste à l’Université de Bordeaux.
Possibilité d’un dépistage à grande échelle
Les étudiants participant à l’étude devaient répondre à deux questionnaires, l’un au début de l’étude, l’autre un an plus tard. Les réponses collectées ont fourni aux chercheurs de précieux renseignements sur la santé des étudiants, leur consommation de drogues et d’alcool, leurs antécédents médicaux et leur état psychologique. Le questionnaire de suivi montre qu’environ 17 pour cent des étudiants interrogés (17,7 pour cent des femmes et 16,8 pour cent des hommes) ont développé des comportements suicidaires au cours de l’année écoulée entre les deux questionnaires.
« Cette recherche ouvre la possibilité d’un dépistage à grande échelle en identifiant, grâce à des questionnaires courts et simples, les étudiants à risque de suicide, pour les orienter vers une prise en charge adéquate », explique Christophe Tzourio, coordinateur de l’étude, professeur d’épidémiologie à l’Université de Bordeaux et directeur du Centre de Recherche Inserm-Université de Bordeaux U1219. De tels outils de dépistage pourraient devenir une solution de rechange aux évaluations psychologiques pratiquées par des médecins, pour les étudiants qui hésitent souvent à divulguer des informations personnelles sensibles lors d’interactions en face à face.
L’estime de soi : un facteur jusqu’alors méconnu
Selon les chercheurs, l’estime de soi est un facteur prédictif important du risque de suicide qui doit désormais être pris en compte dans les outils de dépistage, même pour les étudiants qui ne présentent pas de signes de comportement suicidaire.
Des analyses secondaires conduites auprès de 3 946 étudiants qui ne présentaient pas de comportements suicidaires à leur entrée dans l’étude montrent que le principal facteur remarqué chez les hommes est l’estime de soi. Chez les femmes, il s’agit des symptômes dépressifs, de l’estime de soi et de la pression liée aux études.
On connait bien le lien entre une faible estime personnelle et l’anxiété sociale, voire la dépression. La faible estime de soi, marqueur essentiel de la vulnérabilité psychologique chez les jeunes adultes, s’accompagne souvent de pensées suicidaires. « Notre travail prouve que l’estime de soi est un marqueur indépendant et crucial », affirment les chercheurs.
« Nos experts en santé mentale ont été surpris de trouver l’estime de soi dans les quatre principaux marqueurs des comportements suicidaires », explique Mélissa Macalli. « Cette découverte n’aurait pas été possible sans l’apprentissage machine, qui nous a permis d’analyser simultanément un grand volume de données. Elle ouvre des avenues de recherche et de prévention », conclut-elle.
L'étude L’article « A machine learning approach for predicting suicidal thoughts and behaviours among college students », par Mélissa Macalli, Marie Navarro, Massimiliano Orri, Marie Tournier, Rodolphe Thiébaut, Sylvana M. Côté et Christophe Tzourio a été publié dans Scientific Reports. |
L’Université McGill
Fondée en 1821 à Montréal, au Québec, l’Université McGill figure au premier rang des universités canadiennes offrant des programmes de médecine et de doctorat. Année après année, elle se classe parmi les meilleures universités au Canada et dans le monde. Établissement d’enseignement supérieur renommé partout dans le monde, l’Université McGill exerce ses activités de recherche dans deux campus, 11 facultés et 13 écoles professionnelles; elle compte 300 programmes d’études et au-delà de 40 000 étudiants, dont plus de 10 200 aux cycles supérieurs. Elle accueille des étudiants originaires de plus de 150 pays, ses 12 800 étudiants internationaux représentant 31 % de sa population étudiante. Au-delà de la moitié des étudiants de l’Université McGill ont une langue maternelle autre que l’anglais, et environ 19 % sont francophones.