Les mains des bébés
Le babillage universel de tous les bébés sains et entendants lorsquils ont environ sept mois marquerait apparemment le moment où un jeune enfant entame le chemin qui lamènera au langage parlé. On trouve désormais de nouvelles preuves de ce comportement dans les mains des bébés entendants tandis quils acquièrent un langage des signes naturel.
Selon une étude publiée dans le numéro du 6 septembre 2001 de Nature, lauteur Laura Ann Petitto, professeur au département des sciences de léducation de McGill et au département des sciences psychologiques et cérébrales du Collège Dartmouth, propose une explication inédite de la façon dont les bébés amorcent le processus remarquable dacquisition du langage.
Les résultats de cette étude, qui a pour titre « Language Rhythms in Babies‚ Hand Movements », étayent lidée que les bébés naissent doués dune sensibilité à des éléments rythmiques éminemment spécifiques que lon trouve naturellement dans le langage. Cette sensibilité est si puissante quun bébé peut trouver et produire les rythmes du langage même sans lapport vocal de ses parents. Létude avance en outre lidée passionnante que la perception par un bébé du mode rythmique est un mécanisme clé qui amorce le processus dacquisition du langage humain.
Laura Ann Petitto, qui a réalisé cette étude avec des étudiants de lUniversité McGill, à Montréal, au Canada et avec ses collègues Siobhan Holowka, Lauren Sergio (aujourdhui professeur adjoint à lUniversité York) et le professeur David Ostry (qui travaille aussi aux Haskins Laboratories à New Haven, Connecticut), a étudié les mouvements des mains de bébés entendants nés de parents complètement sourds et les a comparés aux mouvements des mains de bébés entendants nés de parents entendants.
« Les bébés entendants nés de parents sourds qui utilisent le langage des signes font une sorte de mouvement spécial avec leurs mains, avec un élément rythmique bien spécifique qui diffère des autres mouvements des mains », affirme Pettito. « Nous avons constaté que ce type de mouvement rythmique était d‚ordre linguistique. De fait, cest une sorte de babillage, mais gestuel. »
Laura Ann Petitto et ses collègues ont étudié six bébés entendants : trois qui nont guère été exposés au langage parlé, seulement au langage des signes utilisé par leurs parents totalement sourds, et trois qui ont été exposés au langage parlé. Les deux groupes étaient identiques sous tous les rapports du développement, la seule différence ayant trait au type dapport linguistique quils ont reçu (gestuel ou vocal).
Le groupe a utilisé un système optoélectronique de détection de position qui enregistrait des données tridimensionnelles sur les mains des bébés alors quils avaient environ six, dix et douze mois. Pendant que les enfants jouaient pendant des séances dune heure, des capteurs suivaient lemplacement et la trajectoire de diodes électroluminescentes (DEL) placées sur chacune de leurs mains. Puis, des programmes informatiques ont calculé la vitesse et les cycles des mouvements des mains dans le temps. Indépendamment de cela, on a filmé les séances que lon a visionnées uniquement après avoir pris les mesures. Grâce au fait que léquipe de Laura Ann Petitto a utilisé cette méthode danalyse précise, elle a réussi à surmonter les problèmes de subjectivité qui se rattachent au visionnement exclusif de vidéocassettes des mains des bébés et qui empoisonnent les recherches sur ce sujet depuis des dizaines dannées.
Les résultats révèlent que les bébés entendants exposés au langage des signes produisent deux types de mouvements des mains, alors que les bébés entendants exposés au langage parlé nen produisent essentiellement quun seul.
Les bébés exposés au langage des signes affichent une activité rythmique à basse fréquence, alors que leurs mains bougent par vagues ondulantes denviron un cycle complet par seconde, de même quun autre type dactivité rythmique à haute fréquence, où les mains se déplacent par vagues ondulantes denviron deux cycles et demi complets par seconde. Les bébés exposés au langage affichent presque exclusivement le type de mouvement à haute fréquence.
Il est étonnant de constater que seuls les bébés exposés au langage des signes produisent une activité des mains à basse fréquence dans un espace très restreint en avant deux-mêmes, ce qui correspond à lendroit où les signes doivent avoir lieu dans les langages des signes naturels.
Les bébés exposés au langage produisaient la majeure partie des mouvements des mains à haute fréquence à lextérieur de cet espace linguistique crucial.
« Cette distinction draconienne entre les deux types de mouvements des mains semble indiquer que les bébés parviennent à faire usage des éléments rythmiques qui sous-tendent le langage humain et quils trouvent cela important », affirme Laura Ann Petitto.
Cette découverte révèle la centralité des éléments rythmiques qui sous-tendent le langage humain. Parents et éducateurs peuvent exploiter cette tendance naturelle des enfants et aider ainsi le processus dacquisition du langage. La façon un peu chantante dont les parents ravis parlent à leur bébé et les jeux rythmiques courants dans les comptines entendues à la maison et à lécole pourraient revêtir plus dimportance pour le cerveau en développement dun enfant que ce que lon pensait jusque là, et ils constituent un outil important qui permet au jeune enfant de découvrir la grammaire et la structure de sa langue maternelle.
Désormais, léquipe de Laura Ann Petitto entend étudier les propriétés physiques des rythmes chantés que les parents utilisent pour communiquer avec leurs bébés. Les chercheurs veulent savoir à quel point la sensibilité dun bébé humain est au diapason des éléments rythmiques du langage quutilisent ses parents.
