The Embrace, l’amour rêvé de Martin Luther King Jr.

Après des décennies du racisme systémique, la dénonciation des injustices raciales et sociales se poursuit afin de parvenir à une société où le droit à l'égalité et l'accès à la justice ne seraient pas le privilège de certains. Faisant allusion à la sculpture The Embrace, récemment dévoilée à Boston, Me. Tamara Thermius rappelle le courage de ceux qui luttent pour le changement social ainsi que certains enseignements de Martin Luther King Jr. qui résonnent aujourd'hui.

Le 13 janvier 2023, dans le plus ancien parc d’Amérique, le Boston Common, la statue The Embrace a été dévoilée. Ce monument expose l’amour qui liait Martin Luther King Jr. à Coretta Scott King. Amour qui leur a permis de mener la lutte contre les injustices, envers et contre tous les obstacles, tant privés que publics.

Cette œuvre monumentale est inspirée d’une photographie prise en 1964, alors que le révérend King recevait le prix Nobel de la paix. Pour le sculpteur, Hank Willis Thomas, cette photo démontre comment cette lutte est une œuvre commune.

Tout au long de sa vie, le Dr King a incarné une valeur cardinale, celle du courage. Le courage d’élever sa voix pour dénoncer les injustices sociales et raciales, le courage de demander des comptes à l’État. Debout, il a demandé des changements sociaux, des mesures faisant contrepoids à des décennies de marginalisation des Noir·es. Il a fait preuve d’un engagement acharné pour éradiquer le racisme systémique afin de rendre possible une réelle égalité.

Contre la neutralisation, sauver la mémoire du Dr King

Lundi, à l’occasion du Martin Luther King Jr. Day, certains auront commémoré l’héritage laissé par le Dr King. Face à ceux qui tendent à dénaturer tant son image que ses propos, il est crucial de lui rendre pleinement justice en comprenant le sens profond de son engagement et non en tentant de le neutraliser. Il faut se rappeler les circonstances dans lequel son discours I Have a Dream a été prononcé : la Marche pour le travail et la liberté (March on Washington for Jobs and Freedom). De ce discours, une phase est constamment galvaudée : « Je rêve que mes quatre petits-enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais sur le contenu de leur caractère ». Elle est détournée et instrumentalisée pour affirmer que la vision du monde du Dr King ne considérait pas le construit social qu’est la race, une vision colorblind (aveugle à la couleur de peau), en somme.

Cette interprétation est reprise par ceux qui critiquent avec ardeur les demandes d’avancées sociales visant à reconnaitre les conséquences du racisme systémique. Ces critiques mettent tout en œuvre pour lutter contre les mesures visant à le contrer de manière proactive, par exemple par la discrimination positive. Le Dr King se battait afin que des politiques systémiques soient mises en place. Des arguments truffés d’angles morts sont mis en avant, des arguments qui font fi des causes et des conséquences historiques des inégalités.

Cette phrase ne peut donc être lue isolément de l’œuvre du révérend King, qui prend évidemment en compte les injustices vécues par les Noir·es.

Cette lecture dénature non seulement la vision de Martin Luther King Jr., mais également ses valeurs. Le Dr King rêvait d’une société dans laquelle le droit à l’égalité et l’accès à la justice ne seraient pas le privilège de certains. Il se battait afin que des politiques systémiques soient mises en place. Comme il le soulignait dans I Have a Dream : « C’est l’heure d’arracher notre nation des sables mouvants de l’injustice raciale et de l’établir sur le roc de la fraternité. C’est l’heure de faire de la justice une réalité pour tous les enfants de Dieu. »

Une pensée actuelle

Dans sa Lettre de la prison de Birmingham, leDr King partage certains enseignements qui résonnent encore aujourd’hui : « Toute injustice, où qu’elle se produise, est une menace pour la justice partout ailleurs. »

En cette période « post-pandémique » qui peut nier que « nous sommes pris dans un réseau de relations mutuelles auquel nous ne pouvons échapper; notre destinée commune est un vêtement sans couture. Ce qui affecte directement l’un de nous nous affecte tous indirectement. »

Et que dire de propos prémonitoires comme ceux-ci : « Mes amis, je dois vous dire que nous n’avons pas obtenu le moindre gain dans le domaine des droits civiques sans exercer une pression résolue, légale et non violente. L’Histoire est la longue et tragique illustration du fait que les groupes privilégiés cèdent rarement leurs privilèges sans y être contraints. »

« Ce qui affecte directement l’un de nous nous affecte tous indirectement. »

Tout ce que nous pouvons espérer aujourd’hui, c’est qu’il avait tort lorsqu’il disait dans cette même lettre : « Il arrive que les individus soient touchés par la lumière de la morale et renoncent volontairement à leurs attitudes injustes, mais […] les groupes n’ont pas autant de moralité que les individus. »

Mais The Embrace me donne espoir. Cette sculpture de six mètres de haut permettra aux passant·es de la traverser. Selon Hank Willis Thomas, « lorsque vous vous tenez à l’intérieur de la sculpture, vous serez au cœur de l’étreinte », ce qui vous permettra de vivre « ce qui se passe lorsque deux personnes s’étreignent : leurs cœurs se synchronisent. Vous êtes en quelque sorte à l’intérieur de l’amour. »

Moi, tout comme plusieurs personnes racisées, nous rêvons du jour où nous irons marcher sous cette œuvre afin d’être enveloppé·es par l’amour de The Embrace. Je rêve aussi à ce moment où tant l’amour que la force des femmes noires, piliers dans la lutte des droits de la personne, embraseront mon âme.


Me Tamara Thermitus Ad. E.

Me Thermitus est chercheuse invitée au Centre des droits de la personne et du pluralisme juridique de l'Université McGill. Admise au Barreau du Québec en 1988, elle est titulaire d'une maîtrise en droit (2013) de l'Université McGill axée sur la théorie critique de la race et les droits de la personne. Elle a été directrice des politiques et de la planification stratégique au Bureau des pensionnats indiens (2004-2006). En tant que négociatrice en chef du gouvernement fédéral, elle a négocié le mandat de la Commission de vérité et de réconciliation. Pendant près de 25 ans, elle a été avocate plaidante au Bureau régional du Québec de Justice Canada.

Tout au long de sa carrière, Me Thermitus s'est engagée à lutter contre les discriminations. Après avoir été présidente du Comité consultatif sur les minorités visibles du ministère fédéral de la Justice , de 2004 à 2010, elle a été présidente du Comité sur les communautés culturelles du Barreau du Québec. À ce titre, elle a été parmi les premières à sensibiliser les instances du Barreau aux questions relatives à la discrimination raciale dans la profession et le système judiciaire au Québec. Elle a dirigé la rédaction de plusieurs mémoires sur le profilage racial et la discrimination raciale. Elle a également été l’instigatrice du cours sur le contexte social du droit pour l'École du Barreau.

En plus d'être conférencière sur les questions de discrimination raciale, depuis juin 2020, Me Thermitus utilise sa plume pour éduquer les Canadiens et les Québécois sur des questions telles que le racisme systémique, l'intersectionnalité, la réconciliation et la violence à l'égard des femmes.

Récipiendaire de la Médaille du jubilé de la Reine Elizabeth (2012), Me Thermitus Ad.E. (Advocatus Emeritus) a reçu de nombreux prix dont le Mérite du Barreau du Québec (2011), elle est la première avocate noire à recevoir une telle reconnaissance. Elle a également reçu le Prix du leadership en matière d'équité en emploi et de diversité (ministère de la Justice, 2010 et 2016).

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