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S’inspirer de la biologie pour préserver les langues en péril

Les spécialistes de la biodiversité ont recours à un arbre des langues pour orienter leurs efforts de préservation
Publié: 13 December 2017

 

L’une des 7 000 langues du monde disparaît toutes les deux semaines et la moitié de celles-ci – y compris bon nombre de langues autochtones d’Amérique du Nord – pourraient ne pas survivre au 21e siècle, estiment les experts. Afin de préserver la plus grande diversité linguistique qui soit face à une telle menace, des scientifiques de l’Université McGill proposent de s’inspirer de la biologie de la conservation.

Lorsqu’ils établissent des objectifs en matière de conservation, les écologistes ont recours à des arbres de l’évolution – des diagrammes montrant les liens entre les diverses espèces biologiques – pour identifier les espèces qui n’ont que peu de proches parents et que l’on appelle « distinctes sur le plan de l’évolution ». De même, de récentes avancées dans l’élaboration d’arbres de langues permettent maintenant d’évaluer le caractère unique d’une langue.

« De grands arbres d'espèces bien échantillonnés ont transformé notre compréhension de l’évolution de la vie et nous ont guidés dans le choix de nos priorités en matière de conservation de la biodiversité », affirme Jonathan Davies, professeur agrégé de biologie à l’Université McGill et auteur principal de la nouvelle étude publiée dans la revue Royal Society Open Science. « L’élaboration d’arbres de langues plus détaillés joue un rôle semblable dans la préservation des langues, et ceux-ci se révèlent extrêmement utiles pour les linguistes, les anthropologues et les historiens. »

« La vitesse de disparition des langues et les ressources limitées dont nous disposons pour les préserver nous obligent à cibler soigneusement nos efforts », ajoute Max Farrell, doctorant au laboratoire du PDavies et coauteur de l’article. « Plus une langue est isolée sur l’arbre de la famille de langues à laquelle elle appartient, plus l’information la concernant est unique et contribue ultimement à la diversité linguistique. »

Langues en péril

Dans le cadre d’une étude de cas, Max Farrell et Nicolas Perrault, coauteur de l’étude maintenant étudiant aux cycles supérieurs à l’Université d’Oxford, ont eu recours à une approche empruntée à la biologie de la conservation pour établir le classement de 350 langues austronésiennes parlées dans des îles dispersées en Asie du Sud-Est et dans l’océan Pacifique. Les données provenaient d’un arbre de plusieurs centaines de langues austronésiennes publié par des chercheurs de l’Université d’Auckland en 2009, et d’Ethnologue, une base de données en ligne recensant plus de 7 000 langues vivantes. (On compte aujourd’hui plus 1 200 langues austronésiennes, ce qui en fait l’une des plus grandes familles de langues dans le monde.)

Pour chacune des 350 langues de la nouvelle étude, les chercheurs ont combiné des paramètres de son caractère distinctif sur le plan de l’évolution (ED pour evolutionary distinctiveness) et de la menace qui pèse sur cette langue à l’échelle mondiale (GE pour global endangerment) afin d’obtenir un score « EDGE » (pour evolutionary distinct and globally endangered ou espèces « distinctes sur le plan de l’évolution et en danger à l’échelle mondiale ») semblable à un paramètre utilisé en biologie de la conservation.

La langue ayant obtenu le plus haut score est le kavalan, une langue autochtone exceptionnellement distincte et presque disparue de Taïwan, où l’on croit que les langues austronésiennes sont apparues il y a quelque 4 000 à 6 000 ans. Après le kavalan, les autres langues ayant obtenu les plus hauts scores étaient le tanibili, une langue en voie de disparition parlée dans les Îles Salomon, ainsi que le waropen et le sengseng, des langues de la Nouvelle-Guinée.

Un outil de préservation de la diversité

En élaborant des arbres pour d’autres familles de langues et en ayant recours à des paramètres semblables, les experts en langues pourraient cibler les efforts de préservation et contribuer à réduire au minimum la perte de diversité linguistique au cours des années à venir, affirment les chercheurs.

Ainsi, au Canada seulement, on compte plus de 70 langues autochtones dont la plupart sont menacées de disparition.

« Les langues sont l’étincelle d’un peuple, le tenant de leur culture. Lorsqu’elles disparaissent, nous perdons des perspectives uniques sur l’histoire de l’humanité et sur l’évolution de la langue en soi », affirme Nicolas Perrault. « Leur disparition est une perte pour l’humanité, pour le savoir et pour la science. »


Cette étude a été financée par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada.

L’article « Tongues on the EDGE: language preservation priorities based on threat and lexical distinctiveness », par Nicolas Perrault, Maxwell J. Farrell et T. Jonathan Davies a été publié en ligne le 13 décembre 2017 dans la revue Royal Society Open Science.
http://dx.doi.org/10.1098/rsos.171218

Personnes-ressources :

Jonathan Davies
Département de biologie, Université McGill
j.davies [at] mcgill.ca

Chris Chipello
Relations avec les médias, Université McGill
Tél. : 514 398-4201
christopher.chipello [at] mcgill.ca

https://www.mcgill.ca/newsroom/fr
http://twitter.com/McGillU

 TABLE: Austronesian languages with the highest EDGE scores, based on linguistic distinctiveness and degree of global endangerment.  

 

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