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L’ALMA réécrit l’histoire du baby-boom stellaire

Repérage de galaxies et détection d’eau à la plus grande distance connue à ce jour
Publié: 13 March 2013

Les plus intenses flambées d’étoiles seraient nées dans l’Univers primordial et auraient produit de massives et brillantes galaxies. Ces dernières ont transformé de vastes réservoirs de gaz et de poussière cosmiques en de nouvelles étoiles. Cette conversion s’est effectuée à une vitesse mille fois supérieure au rythme prévalant aujourd'hui au sein d’imposantes galaxies spirales, dont la nôtre, la Voie lactée. Grâce à l’observation de galaxies extrêmement éloignées – à une distance telle que la lumière qui s’en dégage ne nous est parvenue qu’après plusieurs milliards d’années –, les astronomes peuvent se pencher sur cette période fort active de l’Univers primordial.

« Plus la galaxie est éloignée, plus nous remontons dans le temps et, en mesurant les distances, nous pouvons reconstruire un tableau chronologique illustrant la vigueur avec laquelle l’Univers a créé de nouvelles étoiles, à divers stades de son histoire échelonnée sur 13,7 milliards d’années », a déclaré l’auteur principal de l’article paru dans Nature, Joaquin Vieira, de l’Institut de technologie de la Californie, aux États-Unis.

Sous la direction de M. Vieira, l’équipe internationale de chercheurs a d’abord découvert ces galaxies à flambées d’étoiles énigmatiques et éloignées en collaboration avec le Télescope du pôle Sud de dix mètres, de la Fondation nationale pour les sciences des États‑Unis, dont la construction est en partie attribuable à des astrophysiciens de McGill. Les chercheurs, dont le doctorant mcgillois Yashar Hezaveh, ont ensuite utilisé l’ALMA pour observer l'image des galaxies en haute résolution afin d’explorer le baby-boom stellaire dans l’Univers primordial. Ils ont été surpris de constater que la distance qui nous sépare d’un grand nombre de ces galaxies ayant formé des étoiles et de la poussière est encore plus importante que ce qu’on croyait. Par conséquent, on peut déterminer l’âge de ces flambées d’étoiles à 12 milliards d’années, lorsque l’Univers avait un peu moins de deux milliards d’années, soit un milliard d’années plus tôt que ce que l’on croyait jusqu’alors.

De ces galaxies, deux sont les plus éloignées de leur catégorie respective observées à ce jour. Leur distance est telle que la lumière qui s’en dégage a entrepris son trajet alors que l’Univers ne comptait qu’un milliard d’années. Qui plus est, dans l’une de ces galaxies, l’eau figure parmi les molécules détectées, ce qui en fait l’observation hydrique la plus éloignée dans le cosmos recensée jusqu’à présent.

L’équipe a bénéficié du niveau de sensibilité exceptionnel de l’ALMA – fruit d’une collaboration mondiale à laquelle le Canada a grandement contribué – pour capter la lumière provenant de 26 de ces galaxies à des longueurs d’onde d’environ trois millimètres. La lumière aux longueurs d’onde caractéristiques est produite par des molécules de gaz dans ces galaxies. L’étirement des longueurs d’onde est attribuable à l’expansion de l’Univers, qui se produit lors du long parcours que la lumière effectue jusqu’à nous. En mesurant les longueurs d’onde étirées, les astronomes peuvent calculer la durée du trajet et associer chaque galaxie à la place qui lui revient dans l’histoire cosmique.

« Grâce à la sensibilité de l’ALMA et à une vaste gamme de longueurs d’onde, la prise de mesures pour chaque galaxie ne dure pas plus que quelques minutes, soit environ cent fois plus vite qu’auparavant, a déclaré Axel Weiss. Rattaché à l’Institut de radioastronomie Max-Planck, situé à Bonn, en Allemagne, M. Weiss a dirigé les travaux de mesure des distances aux galaxies. Auparavant, cela aurait exigé un processus laborieux consistant à combiner des données provenant de la lumière visible et de radiotélescopes. »

Dans la majorité des cas, les observations de l’ALMA pourraient à elles seules donner les distances précises, mais, pour certaines galaxies, l’équipe a combiné les données de l’ALMA à celles d’autres télescopes, notamment l’Atacama Pathfinder Experiment, l’Australia Telescope Compact Array, le Very Large Telescope et le Submillimeter Array.

La construction de l’observatoire situé à une altitude de 5 000 mètres sur le plateau de Chajnantor des Andes chiliennes n’étant pas terminée, les astronomes n’ont utilisé qu’un ensemble partiel de 16 de ses 66 antennes géantes. Une fois terminé, l’observatoire présentera un niveau de sensibilité accru et pourra détecter des galaxies d’une plus faible luminosité. Pour l’heure, les astronomes ont ciblé les galaxies les plus brillantes et ont bénéficié d’un coup de main de la nature en mettant à profit l’effet de lentille gravitationnelle. Il s’agit d’un effet prédit par la théorie générale de la relativité d’Einstein, selon laquelle les rayons lumineux provenant d’une galaxie lointaine sont faussés par l’influence gravitationnelle d’une galaxie rapprochée, qui agit comme une lentille et amplifie l’intensité lumineuse de la source éloignée.

Pour comprendre exactement dans quelle mesure l’effet de lentille gravitationnelle amplifie l’intensité lumineuse produite par les galaxies, l’équipe en a pris des images plus nettes en procédant, à l’aide de l’ALMA, à des observations à des longueurs d’onde d’environ 0,9 millimètre.

« Ces magnifiques images produites par l’ALMA montrent les galaxies lointaines sous forme d’arcs multiples appelés anneaux d’Einstein, qui encerclent les galaxies rapprochées, a déclaré Yashar Hezaveh de McGill, directeur de l’étude de l’effet de lentille gravitationnelle. Pour agrandir et rehausser la luminosité des galaxies encore plus éloignées, nous utilisons les quantités immenses de matière noire qui entoure des galaxies à mi-chemin à travers l’Univers comme télescope cosmique. »

L’analyse de la distorsion révèle qu’une partie des galaxies en formation stellaire sont aussi brillantes que 40 trillions (40 millions de millions) de soleils, et que l’effet de lentille gravitationnelle a permis de les grossir jusqu’à 22 fois.

« Auparavant, seules quelques galaxies ayant subit un effet de lentille gravitationnelle avaient été détectées à ces longueurs d’onde submillimétriques. Depuis, des douzaines ont été repérées par le Télescope du pôle Sud et l’ALMA, a déclaré Carlos De Breuck de l’Observatoire européen austral, membre de l’équipe de recherche. Par le passé, ce type de recherche s’effectuait presque uniquement à des longueurs d’onde de la lumière visible à l’aide du télescope spatial Hubble, mais nos résultats montrent que l’ALMA est un nouveau joueur très puissant dans ce domaine. »

« Voici un excellent exemple de collaboration internationale d’astronomes qui ont fait une découverte étonnante à l’aide d’un télescope ultramoderne, a déclaré Daniel Marrone, un autre membre de l’équipe, rattaché à l’Université de l’Arizona, aux États‑Unis. Cela marque seulement le début des recherches effectuées à l’aide de l’ALMA et de l’étude de ces galaxies à flambées d’étoiles. La prochaine étape portera sur un suivi exhaustif de ces objets, dans le but de déterminer avec de plus amples détails comment et pourquoi ils produisent des étoiles à des cadences aussi prodigieuses. »

Outre M. Hezaveh, les auteurs de McGill de l’article de Nature sont les Prs Gil Holder et Matt Dobbs et l’étudiant de cycle supérieur Tijmen de Haan, tous membres du Groupe d’astrophysique et de cosmologie du Département de physique. MM. Holder et Dobbs sont aussi boursiers du programme de recherche Cosmologie et gravité de l’Institut canadien de recherches avancées.

Les travaux menés à McGill sont subventionnés par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le Programme des chaires de recherche du Canada, l’Institut canadien de recherches avancées et le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies.

Renseignements complémentaires

Les recherches sont décrites dans l’article « Dusty starburst galaxies in the early Universe as revealed by gravitational lensing » de J. Vieira et al., publié dans le journal Nature. Les travaux de mesure des distances aux galaxies sont décrits dans l’article « ALMA redshifts of millimeter-selected galaxies from the SPT survey: The redshift distribution of dusty star-forming galaxies » de A. Weiss et al., paru dans l’Astrophysical Journal. L’étude de l’effet de lentille gravitationnelle est décrite dans l’article « ALMA observations of strongly lensed dusty star-forming galaxies » de Y. Hezaveh et al., également paru dans l’Astrophysical Journal.

À propos de l’ALMA

L’Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (ALMA), un télescope d’astronomie international, est né d’un partenariat entre l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie de l’Est en collaboration avec la République du Chili. L’ALMA est financé en Europe par l’Observatoire européen austral, en Amérique du Nord par la Fondation nationale pour les sciences des États-Unis en collaboration avec le Conseil national de recherches du Canada et le Conseil national des sciences de Taïwan, et en Asie de l’Est par les Instituts nationaux de sciences naturelles du Japon, de concert avec l’Academia Sinica de Taïwan. La construction et l’exploitation de l’ALMA sont dirigées pour le compte de l’Europe par l’Observatoire européen austral, pour le compte de l’Amérique du Nord par l’Observatoire national de radioastronomie, qui est géré par Associated Universities, et pour le compte de l’Asie de l’Est par l’Observatoire national d’astronomie du Japon. L’Observatoire conjoint ALMA assure le leadership et la gestion unifiés de la construction, de la mise en service et de l’exploitation de l’ALMA.

À propos du Télescope du pôle Sud

Le Télescope du pôle Sud est un télescope de dix mètres installé dans la station Amundsen-Scott du pôle Sud de la Fondation nationale pour les sciences, à une distance d’un kilomètre du pôle Sud géographique. Le Télescope du pôle Sud est conçu pour la réalisation de sondages haute résolution du ciel et à faible bruit à des longueurs d’onde millimétriques (mm) et submillimétriques (submm) ainsi que pour la prise de mesures ultrasensibles du fond diffus cosmologique (FDC). Le premier sondage majeur effectué à l’aide du Télescope du pôle Sud s’est terminé en octobre 2011 et a couvert 2 500 degrés carrés du ciel méridional dans des bandes d’observation d’ondes de 3 mm. Il s’agit là de l’ensemble existant de grandes ondes millimétriques le plus vaste, qui a déjà ouvert la voie à de nombreux résultats scientifiques novateurs. Le Télescope du pôle Sud est principalement financé par la Division des programmes polaires rattachée au Département des géosciences de la Fondation nationale pour les sciences. Il l’est aussi partiellement par le Physics Frontier Center – lequel est subventionné par la Fondation nationale pour les sciences de l’Institut de physique cosmologique Kavli –, la Fondation Kavli et la Fondation Gordon et Betty Moore. La collaboration du Télescope du pôle Sud est pilotée par l’Université de Chicago et inclut des groupes de recherche du Laboratoire national Argonne, de l’Institut de technologie de la Californie, de l’Université Cardiff, de l’Université Case Western Reserve, de l’Université Harvard, de l’Université Ludwig-Maximilians, de l’Observatoire astrophysique Smithsonian, de l’Université McGill, de l’Université de l’Arizona, de l’Université de la Californie à Berkeley, de l’Université de la Californie à Davis, de l’Université du Colorado à Boulder, de l’Université du Michigan, ainsi que de scientifiques de plusieurs autres institutions, notamment de l’Observatoire européen austral et de l’Institut de radioastronomie Max‑Planck, situé à Bonn, en Allemagne.

IMAGE: Light rays from a distant galaxy are deflected due to the gravity of a massive, foreground galaxy, as predicted by Einstein's theory of general relativity. This makes the background galaxy appear as multiple magnified images surrounding the foreground galaxy.
Credit: ALMA (ESO/NRAO/NAOJ), L. Calçada (ESO), Y. Hezaveh et al.

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