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Mémoire isotopique de l'atmosphère terrestre précoce

L’analyse chimique de certaines des plus vieilles roches au monde permet de recueillir les données les plus précoces dont nous disposons sur l’atmosphère terrestre
Rocks of the Ujaraaluk unit of the Nuvvuagittuq Greenstone Belt
Publié: 14 January 2015

Les résultats de cette étude, publiés la semaine dernière dans la revue spécialisée Proceedings of the National Academy of Sciences, pourraient aider les scientifiques à mieux comprendre les origines et l’évolution de la vie sur la planète. Jusqu’à tout récemment, les chercheurs devaient se fier à des modèles informatiques très diversifiés des premières caractéristiques de l’atmosphère.

Cette nouvelle étude s’appuie sur les travaux antérieurs de l’ancien doctorant mcgillois Jonathan O’Neil (maintenant professeur adjoint à l'Université d’Ottawa) et de Don Francis, professeur émérite à McGill, qui avaient démontré en 2008 que des roches le long de la côte de la baie d’Hudson dans le nord du Québec, dans une région appelée ceinture de roches vertes du Nuvvuagittuq, avaient été déposées sous forme de sédiments il y a environ 4,3 milliards d’années ‒ soit quelques centaines de millions d’années seulement après la formation de la Terre.

Dans le cadre de cette nouvelle étude, une équipe dirigée par des chercheurs du Département des sciences de la Terre et des planètes de l’Université McGill a eu recours à la spectrométrie de masse afin de mesurer la quantité de différents isotopes du soufre dans des roches de la ceinture du Nuvvuagittuq. Les résultats ont permis aux scientifiques de déterminer que le soufre contenu dans ces roches, âgées d’au moins 3,8 milliards d’années et, plus vraisemblablement de 4,3 milliards d’années, provient  de l’atmosphère terrestre primitive riche en gaz volcanique soufré. Les compositions particulières du soufre révélées par cette étude démontrent  qu’à l’époque, l’air était extrêmement pauvre en oxygène comparativement à aujourd’hui et aurait pu contenir davantage de méthane et de dioxyde de carbone.

« Nous avons découvert que la mémoire  isotopique des cycles atmosphériques il y a plus de 3,8 milliards d'années ressemble à celle déjà mis en évidence dans  des roches plus jeunes d’un à deux milliards d’années », affirme Émilie Thomassot, ancienne chercheuse postdoctorale à McGill et auteure principale de l’article, qui est  aujourd'hui professeur associée a l'université de Lorraine et mène sa recherche au Centre de recherches pétrographiques et géochimiques (CRPG-CNRS) à Nancy, en France.

« Ces roches plus jeunes renferment des signes évidents de vie microbienne, et Il existe diverses façons d’interpréter la similitude de composition entre les roches plus jeunes d'Afrique du sud et d'Australie et nos propres analyses dans la ceinture canadienne du Nuvvuagittuq », explique Boswell Wing, professeur agrégé à McGill et coauteur de l’étude. « Selon l’une de ces interprétations, la biologie a contrôlé la composition de l’atmosphère au début de l’existence de la Terre, par le développement rapide de biosphères microbiennes semblables produisant les mêmes gaz atmosphériques au cours des périodes considérées respectivement comme l’enfance et l’adolescence de la Terre. Toutefois, nous on ne peut écarter la possibilité que la géologie ait joué le principal rôle dans la détermination de la composition de l’air primitif du fait des gigantesques éruptions volcaniques capables de produire de façon répétée des gaz en quantité beaucoup plus importante que la faible production biologique de gaz. »

L’équipe de recherche poursuit maintenant ses travaux afin de tenter de déterminer si les données probantes dont elle dispose permettent d’étayer l’hypothèse « biologique » ou « géologique » ‒ ou une combinaison des deux. Dans un cas comme dans l’autre, l’étude actuelle « montre que les sédiments du Nuvvuagittuq portent la mémoire de l’environnement de la surface terrestre au tout début de l’existence de notre planète. Fait surprenant, cette mémoire semble compatible avec une surface terrestre apte à accueillir la vie », affirme Émilie Thomassot. L’équipe étudie également les sédiments de l’Archéen précoce dans d’autres localités au Canada, comme la côte du Labrador (www.saglek-expedition.org).

Cette étude a été financée par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, l’Agence spatiale canadienne, la région de la Lorraine, en France, et le Centre national de la recherche scientifique (programme EPOV).

 

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L’article « Atmospheric record in the Hadean Eon from multiple sulfur isotope measurements in Nuvvuagittuq Greenstone Belt (Nunavik, Quebec) », par E. Thomassot, J. O’Neil, D. Francis, P. Cartigny et B. A. Wing, a été publié le 5 janvier dans Proceedings of the National Academy of Sciences.

www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1419681112

 

 

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