Quels types de décisions et de politiques favorisent le plus la transition vers les énergies propres? Cette question était au cœur d’une conférence récente de Ryan Kellogg, professeur titulaire de la chaire Ralph et Mary Otis Isham à l’École de politiques publiques Harris de l’Université de Chicago. L’événement intitulé Clean energy subsidies, clean technology policies, and the green transition était organisé par l’Initiative de croissance durable de l’Université McGill en partenariat avec le Centre interuniversitaire de recherche en économie quantitative (CIREQ). Il se déroulait le 18 septembre au somptueux Cercle universitaire de l’Université McGill, qui est muni de plafonds hauts, de tapis et de fenêtres en vitrail. Le rassemblement a attiré un auditoire diversifié d’étudiants et étudiantes, de leaders du secteur, de membres du corps professoral ainsi que de professionnels et professionnelles. Il s’inscrivait dans une série de conférences sur l’économie de l’environnement.
Comprendre le dilemme climatique
Pendant des décennies, les politiques énergétiques des pays à revenu élevé mettaient l’accent sur l’abordabilité et la fiabilité : les gens voulaient une électricité ininterrompue et bon marché. M. Kellogg a rappelé à l’auditoire que le bien-être matériel est indissociable de la consommation d’énergie. En Amérique du Nord, nous tenons pour acquis le chauffage, la climatisation et l’accès à une électricité fiable. Dans des pays comme l’Inde, la consommation d’énergie ne représente qu’une fraction de celle des États-Unis. À mesure que les revenus augmenteront en Inde et en Afrique subsaharienne, des milliards de personnes souhaiteront accroître leur consommation au même niveau que les pays les plus riches, ce qui entraînera une hausse marquée de la demande.
Les enjeux sont les plus évidents dans les régions chaudes qui se développent rapidement. En Inde, par exemple, la demande en climatisation augmente à un rythme effréné. Selon M. Kellogg, la climatisation n’est pas un luxe, mais un moteur de productivité et une question de survie. La mortalité liée à la chaleur extrême est déjà beaucoup plus élevée dans cette région du monde qu’aux États-Unis, et les changements climatiques ne feront que creuser l’écart. Si nous n’enrayons pas le réchauffement, M. Kellogg soutient que les effets seront dévastateurs pour les pays à faible revenu qui sont moins en mesure d’y faire face.
La production d’une énergie à la fois abordable, fiable et propre pose un dilemme complexe. Les combustibles fossiles demeurent la source d’énergie la moins coûteuse et la plus fiable. Ils sont denses, faciles à transporter et abondants. Toutefois, leur utilisation alimente la crise climatique.
Un changement de mentalité
Plus tôt dans sa carrière, M. Kellogg défendait une solution économique simple : imposer un prix au carbone en réduisant les émissions jusqu’à ce que le coût de cette réduction soit équivalent aux dommages causés par les émissions. Depuis, il a changé d’avis.
Il soutient maintenant que les changements climatiques auront de graves répercussions sur la santé et la mortalité dans les pays à faible revenu, ce qui vient appuyer ses arguments en faveur d’une décarbonation complète. La réduction des émissions dans les pays émergents est primordiale, mais pour une question de justice, on ne peut forcer ces pays à subir une décroissance ou à renoncer à leur développement.
Selon lui, le défi consiste à rendre les technologies vertes suffisamment attirantes pour que les économies émergentes les adoptent. Les pays riches doivent prendre les devants en créant, en subventionnant et en déployant des systèmes qui pourront être exportés à grande échelle. Les économistes s’opposent souvent aux politiques touchant la demande comme les subventions et les normes technologiques, mais M. Kellogg affirme que ces outils sont essentiels pour atteindre la carboneutralité
Analyse du « paradoxe vert »
Dans son article intitulé The End of Oil, M. Kellogg examine comment les producteurs réagissent à une baisse anticipée de la demande. L’idée du « paradoxe vert » a été soulevée par deux économistes, M. Sinclair et M. Ulph. Selon eux, les firmes accéléreront l’extraction avant l’effondrement de la demande. Les modèles de M. Kellogg démontrent l’inverse. Le forage exige d’importants investissements initiaux, c’est pourquoi les entreprises confrontées à une diminution de la demande réduiront leurs investissements. Le désinvestissement surpassera donc l’investissement, surtout dans le cas de ressources coûteuses comme le schiste. Ses constatations démontrent que si la demande diminue constamment pendant 75 ans, l’extraction totale chutera aussi. Une grande quantité de pétrole demeurera dans le sol et la rente de rareté tombera à zéro.
Les conséquences pour les gouvernements sont claires : ils doivent transmettre des signaux cohérents à long terme qui annoncent une diminution de la demande. En effet, une baisse anticipée suffit à provoquer un désinvestissement, ce qui vient contrecarrer le paradoxe vert et accélérer la transition.
Élaboration d’une politique d’énergie propre
Le deuxième axe de recherche de M. Kellogg est exposé dans son article Carbon Pricing, Clean Electricity Standards, and Clean Electricity Subsidies on the Path to Zero Emissions. Il y compare trois outils stratégiques : les taxes sur le carbone, les normes d’électricité propre et les subventions visant la carboneutralité. Les taxes sur le carbone imposent un coût direct aux émissions. Les normes d’électricité propre obligent les producteurs d’énergies polluantes à acheter des crédits auprès des producteurs d’énergies propres. Enfin, les subventions récompensent la production d’énergie propre. Auparavant, les économistes considéraient les taxes sur le carbone comme l’outil le plus efficace, mais M. Kellogg soutient que lorsque l’énergie devient propre à 100 %, les différences entre les outils disparaissent largement.
Lorsqu’il repense à sa carrière, M. Kellogg admet qu’il a déjà été sceptique quant à l’efficacité des subventions. À présent, il les juge indispensables à la fois pour accélérer le développement des technologies et pour rendre les solutions écologiques viables dans les pays du Sud. Il termine en soulignant qu’aucune politique ne peut à elle seule résoudre la crise. L’atteinte de la carboneutralité exigera une combinaison d’outils – principalement les taxes sur le carbone, les subventions aux énergies propres et le développement des technologies – afin de rendre l’énergie propre attirante et viable dans les pays en développement.
Questions de l’auditoire
Durant la période de questions, la discussion s’est poursuivie bien au-delà de l’heure de fin prévue.
Une personne a demandé si l’Inde, comme la Chine, avait le droit de poursuivre un développement fondé sur le charbon, tout en soulignant que les politiques qui touchent la demande n’ont pas force exécutoire à l’échelle internationale. M. Kellogg a reconnu que le charbon est un grand problème, particulièrement parce que l’Inde possède des réserves nationales abondantes. Comme le pays peut s’approvisionner en charbon localement, la hausse des prix n’est ni réalisable politiquement ni simple sur le plan éthique. Il a affirmé que la solution résidait dans la technologie. Il faut financer la recherche pour rendre les énergies renouvelables fiables et abordables, et concevoir des réseaux fondés sur le solaire et l’éolien qui couvrent toutes les régions.
Une autre question portait sur l’élaboration des politiques. Quel instrument les gouvernements devraient-ils utiliser si aucun d’entre eux n’est parfait? M. Kellogg a souligné l’importance de la flexibilité : les taxes sur le carbone, les normes et les subventions présentent toutes des inconvénients, mais devraient être perçues comme une trousse d’outils à déployer selon les circonstances. Les autres questions portaient sur le charbon, le paradoxe vert, les investissements dans l’énergie et les changements connexes, ce qui démontre un profond intérêt pour les aspects économiques et politiques de la transition.
L’événement a illustré combien il est complexe de trouver un équilibre entre la croissance économique, l’équité et les objectifs climatiques. Écoutez l’entrevue menée par la suite sur le sujet dans un balado de Delve, la plateforme de leadership éclairé de l’Université McGill.
Ryan Kellogg est aussi doyen adjoint des programmes, directeur de la maîtrise ès sciences sur les politiques climatiques et énergétiques et associé de recherche au National Bureau of Economic Research. Auparavant, il travaillait chez BP. Il est une sommité des marchés du pétrole et de l’énergie. Ses recherches traitent des politiques énergétiques et économiques, des répercussions climatiques de l’énergie, de la théorie de l’industrialisation et de la conception de solutions axées sur les marchés.
Initiative de croissance durable (ICD)
L’ICD vise à trouver des solutions pratiques, constructives et concrètes aux principaux problèmes qui font obstacle à une croissance durable. Lancée en 2022, l’ICD est actuellement le fruit d’un partenariat avec la Faculté de droit, le Département de science économique, l’École de politiques publiques Max Bell, le Département de génie mécanique et le Département de géographie.