Selon une étude récente, la simple peur peut contribuer à l’extinction des populations animales. Ainsi, lorsque des scientifiques de l’Université McGill et de l’Université de Guelph ont exposé des drosophiles (communément appelées « mouches à fruits ») à l’odeur d’une mante religieuse, prédateur connu de cette espèce, le risque d’extinction a été multiplié par sept. Mais pourquoi donc? Parce que les mouches passaient plus de temps à surveiller leurs arrières et moins de temps à manger. Or, une petite population déjà en déclin n’arrive pas à reprendre rapidement du poil de la bête.
« Jusqu’à aujourd’hui, on se demandait pourquoi les prédateurs tenaient un rôle si important dans l’extinction des espèces », souligne Kyle Elliott, professeur adjoint au Département des sciences des ressources naturelles à l’Université McGill et auteur principal d’une récente étude sur le sujet publiée dans Proceedings of the Royal Society B. « Le déclin populationnel de sa proie devrait normalement inciter un prédateur à partir à la quête d’une autre proie, tout simplement. Mais si, comme nous l’avons montré, l’odeur suffit pour que la décroissance se poursuive, le passage de la Faucheuse aura fait son œuvre : même si le prédateur jette son dévolu sur une autre proie et que son odeur disparaît, la survie de la population vulnérable, décimée et moins apte à se reproduire, demeurera menacée. »
Ce constat offre un début de solution à une vieille énigme biologique appelée « effet d’Allee ». Walter Clyde Allee a décrit pour la première fois ce phénomène de dépendance entre la taille d’une population et son extinction.
La peur peut nuire à la survie si elle est trop intense… mais également si elle ne l’est pas assez. Pour en savoir davantage sur l’évolution de la peur, cliquer ici.
Une vieille énigme scientifique enfin résolue?
En règle générale, il existe au sein des populations animales une « dépendance en la densité » : plus l’effectif augmente, plus les individus se livrent une âpre concurrence pour se nourrir et s’accoupler, ce qui fait diminuer le taux de reproduction et de survie. L’inverse, pourrait-on croire, est aussi vrai : plus l’effectif est restreint, plus l’indice vital (ou le taux de croissance) est élevé et plus il est facile de compenser un déclin populationnel. Or, paradoxalement, c’est exactement le contraire qui se produit dans certains cas : les populations les moins nombreuses affichent l’indice vital le plus faible. Cet étrange phénomène constitue l’un des aspects de l’effet d’Allee.
Les chercheurs pensent qu’en étudiant des drosophiles plutôt que des animaux sociaux, ils ont pu mieux comprendre le rôle possible de la peur dans le déclin et l’extinction des espèces.
« Par le passé, les scientifiques qui étudiaient les causes de l’effet d’Allee avaient tendance à s’en tenir à des paramètres intrinsèques caractéristiques des petites populations, par exemple la difficulté de trouver un compagnon, la consanguinité (inbreeding) ou les problèmes sociaux », explique Kyle Elliott. « Nous n’avions observé l’effet des prédateurs que chez des animaux sociaux – tels que le suricate – qui, lorsqu’ils sont peu nombreux, passent plus de temps aux aguets et sont donc plus vulnérables à l’extinction. Pour notre part, nous avons montré que ces observations valaient également pour des espèces dont les individus ne sont pas tissés serré, comme la drosophile. Craintives, les mouches ont passé moins de temps à manger, plus de temps aux aguets, se sont accouplées moins souvent et ont eu moins de petits. Selon nous, l’effet de la peur s’accentue au fur et à mesure que la population se raréfie, sapant la résilience des petits effectifs et les exposant davantage à l’extinction. »
Méthode expérimentale
Les chercheurs ont exposé des populations de drosophiles plus ou moins nombreuses à l’odeur de la mante religieuse pendant la période de reproduction et en dehors de cette période. Ils ont ensuite mesuré l’effet de cette exposition olfactive sur le poids corporel et la fécondité de la génération suivante. Ils ont ainsi découvert qu’au sein d’une petite population, l’odeur du prédateur suffisait pour réduire de manière significative la fécondité et la croissance de la progéniture. Voilà qui donne à penser qu’au sein d’une population réduite, la peur peut, à elle seule, conduire à l’extinction d’une espèce.
L’article « Fear creates an Allee effect: experimental evidence from seasonal populations », par Kyle Elliott et coll., a été publié dans la revue Proceedings of the Royal Society B et est accessible à http://rspb.royalsocietypublishing.org/content/284/1857/20170878.
Cette étude a été financée par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada.
Personnes-ressources :
Kyle Elliott, Département des sciences des ressources naturelles, Université McGill
kyle.elliott [at] mcgill.ca
Katherine Gombay, Relations avec les médias, Université McGill
katherine.gombay [at] mcgill.ca
Ryan Norris, Département de biologie intégrée, Université de Guelph
rnorris [at] uoguelph.ca
Gustavo Betini, Département de biologie intégrée, Université de Guelph
betinig [at] uoguelph.ca
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