La simulation au service de la justice sociale en santé

Que peuvent faire les professionnels de la santé pour aider à détecter, soigner et défendre les victimes de la traite de personnes et d’exploitation sexuelle?

Cette question a été abordée lors du Sommet de simulation du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, un congrès annuel où des professionnels de la santé de partout au pays se rassemblent pour échanger des idées, explorer les plus récentes recherches et accélérer l’adoption de pratiques exemplaires en formation par simulation.

Le panel en plénière sur la traite de personnes, une première pour l’événement, a réuni une équipe interprofessionnelle des secteurs de la santé, de l’éducation et des services de police. Les échanges ont porté sur le rôle des professionnels de la santé dans la lutte à la traite de personnes et les possibilités qu’offre la simulation pour aborder ce problème de justice sociale.

La traite de personnes à des fins d’exploitation sexuelle… ce qu’il faut savoir

Gauche à droite : Diane Veillette, Josée Mensales, Françoise Filion, Niki Soilis Photo : Laina Brown Photography

On décrit souvent la traite de personnes comme une forme moderne d’esclavage. C’est le crime qui connaît la croissance la plus rapide dans le monde. Il consiste à utiliser la violence ou la manipulation pour contrôler une autre personne, habituellement à des fins d’exploitation sexuelle ou de travail forcé. Les victimes de la traite souffrent souvent de traumatismes émotionnels en plus de subir des abus économiques, physiques et sexuels.

On pense souvent à tort que la plupart des victimes de la traite de personnes à des fins d’exploitation sexuelle sont étrangères. Les statistiques, accablantes, révèlent plutôt l’inverse : plus de 90 % des victimes au Canada sont des citoyennes canadiennes, et plus de 50 % sont Autochtones[i]; en outre, près de 40 % d’entre elles sont mineures[ii]. Les proxénètes et les trafiquants ont adapté leurs méthodes à l’ère technologique et recrutent souvent leurs victimes par l’entremise des réseaux sociaux. Ils ciblent des jeunes vulnérables en tissant des liens avec elles pour les mettre en confiance, puis en leur lançant des invitations qui évoquent le luxe, l’aventure et l’évasion.

Les policières Josée Mensales et Diane Veillette ont cofondé le programme Les Survivantes de la Section exploitation sexuelle – module de lutte au proxénétisme du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) il y a plus de dix ans. Leur objectif : créer une approche qui aiderait les victimes et leur donnerait la parole tout en nouant des partenariats et en sensibilisant la population à l’exploitation sexuelle.

En 2015, Françoise Filion, professeure adjointe à l’École des sciences infirmières Ingram de l’Université McGill, les a invitées à intervenir dans son cours de soins infirmiers communautaires pour conscientiser les étudiantes et étudiants et leur expliquer comment aider à détecter les victimes de la traite et à défendre leurs droits.

L’importance de former les professionnels de la santé

Plus de 80 % des victimes de la traite de personnes entrent en contact avec les services de santé au cours de leur captivité[iii], mais la majorité des professionnels de la santé ne savent pas les reconnaître en raison d’un manque de formation à ce sujet.

« Les victimes d’exploitation sexuelle peuvent être amenées à l’urgence ou à la clinique, il faut donc que les professionnels de première ligne soient bien formés à détecter les signaux d’alarme », explique la Pre Filion. « Par exemple, les victimes peuvent avoir des marques tatouées derrière l’oreille, entre les doigts ou près des organes génitaux, elles peuvent ne pas avoir de pièces d’identité, ou être accompagnées d’une personne qui répond à leur place ou qui refuse de les laisser seules. »

Mobiliser au moyen de la simulation

Consciente de l’importance de former les intervenants, la Pre Filion s’est adressée au Centre de simulation et d’apprentissage interactif Steinberg (CSAIS) de l’Université McGill pour créer des scénarios de simulation fondés sur des consultations réelles, pour favoriser l’apprentissage sur le plan émotif et cognitif. En interagissant avec des patients-acteurs standardisés, dans un environnement simulé, les apprenants peuvent s’exercer à communiquer pour être ensuite mieux outillés à détecter et à aider les victimes en milieu clinique.

Niki Soilis, chef de l’éducation au CSAIS, a œuvré à ce projet et a aidé à le diffuser dans le cadre d’un webinaire public tenu en janvier 2019. L’équipe collabore également avec la Canadian Alliance of Medical Students Against Human Trafficking (CAMSAHT) pour amplifier le message.

« Une bonne formation change notre façon d’agir, une très bonne formation change notre façon de penser, et une excellente formation change notre façon d’être », explique le Dr Farhan Bhanji, directeur de l’éducation au CSAIS. « Je crois que la formation par simulation peut changer notre façon d’être. »

La parole des patientes et survivantes est au cœur de cette initiative de formation. Des participantes courageuses du programme Les Survivantes du SPVM ont été invitées à partager leur histoire et à témoigner de leurs contacts avec le réseau de santé pour guider les professionnels de la santé. Leur témoignage vidéo a été diffusé lors du panel au Sommet de simulation du Collège royal.

« C’était un privilège de travailler avec ces survivantes. De les voir relever des défis immenses et s’épanouir… on en ressort transformé », exprime l’agente Josée Mensales. « Nous espérons que ça vous motivera à devenir des leaders au sein de votre communauté dans ce dossier. »

 

[i] Grant, Tavia, « Missing and Murdered: The Trafficked », The Globe and Mail, 10 février 2016, https://www.theglobeandmail.com/news/national/the-trafficked-sexual-expl...

[ii] Gamache, Valérie « Commission sur l’exploitation sexuelle : entre répression et sensibilisation », La Presse, 4 novembre 2019. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1372886/exploitation-sexuelle-mineu...

[iii] Leslie, J. (2018). Human Trafficking: Clinical assessment guidelines. Journal of Trauma Nursing, 25(5), 282-289.
Stoklosa H, Grace A, Littenberg N. Medical education on human trafficking. AMA J Ethics. 2015;17(10):914-921

 

Couverture sur le sujet

Le réseau de la santé doit mieux identifier les victimes d’exploitation sexuelle
La Presse, Ariane Lacoursière
Le 7 novembre 2019
Entrevue avec Josée Mensales et Françoise Filion

How can doctors spot the signs of a sex trafficking victim?
CBC Radio – Let’s Go with Sabrina Marandola
November 5, 2019
Interview with Niki Soilis

What can doctors do to stop human trafficking
CBC Radio – Let’s Go with Sabrina Marandola
November 7, 2019
Interview with Guido Guberman

Santé : identification des victimes de violences sexuelles
Martine Bordeleau, L’actuel, Radio-Canada
Entrevue avec Françoise Filion
Le 11 novembre 2019 à 17:39

La simulation au service de la justice sociale en santé
Profession Santé
Le 14 novembre 2019

Billet de retour avec Jean Ernest Pierre
CPAM 1410 AM Montréal et CJMS 1040 AM Montréal
12 novembre, à 17 heures 05
Entrevue avec Françoise Filion
No link available

CTV News
November 14, 2019
Interview with Guido Guberman at time stamp 30:20

Back to top