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"La Relève" : Deux futures médecins de famille de McGill interviewées par le journal l'Actualité Médicale

Publié: 20 February 2015

 

La relève
Par Michel Dongois le 28 novembre 2014 pour L'actualité médicale


«Quand je dis à des amis que je vais être médecin de famille, tous se voient sur ma liste d’attente. C’est gratifiant ! » Nadine Chata enchaîne aussitôt sur la crainte qu’elle dit partager avec bien des futurs médecins, celle d’être submergée par les attentes de sa future clientèle.
Pascale Fugère, sa consoeur, renchérit : « Face au manque de services, j’aurai du mal à dire non. Je veux pratiquer là où est le besoin, mais à l’idée qu’un patient doive attendre des mois pour une consultation, ça me brise le coeur ! »
Pascale Fugère, 23 ans, et Nadine Chata, 31 ans, nutritionniste, étudient en quatrième année de médecine, à l’Université McGill. L’actualité médicale les a rencontrées peu après la tenue du 6e Symposium étudiant sur la médecine familiale1, qu’elles coprésidaient. Les facultés de médecine se relaient depuis 2009 pour animer cette rencontre annuelle organisée par et pour les étudiants.
Que faire pour éviter que les attentes, anticipées ou réelles, ne deviennent paralysantes ? Pour Pascale Fugère, il s’agit de se poser d’emblée en alliée du patient. « Si je lui démontre que je fais mon possible pour l’aider, je crois qu’il le sentira. »
Toutes deux savent aussi que leur profession a une côte à remonter sur le plan social. « Là encore, on fera de notre mieux. Si nous sommes vraiment en première ligne, ça devrait nous aider à regagner la confiance du public. » Nadine Chata espère ne pas avoir à pratiquer une médecine « fast-­food ». « Je veux voir des patients vraiment malades, varier les clientèles. Je vise une relation patient/médecin de longue durée. »


Système durable

Toutes deux saluent l’arrivée des GMF et de l’interdisciplinarité. Elles apprécient aussi les quelques cours en interprofessionnel dispensés à l’université. Une initiative encore timide mais, au moins, une volonté affirmée de dépasser le stade où chacun est enfermé dans son exclusivité.
Elles admettent à cet égard que le médecin a du chemin à faire pour ouvrir ses horizons. « Avec les infirmières, pharmaciens et autres, nous voulons l’entraide, pas la compétition. Nous, médecins, aurons les cas cliniques les plus sérieux, et leur rôle va compléter le nôtre », poursuit Nadine Chata.
Elles s’interrogent cependant sur la juste place du médecin de famille. Que peut-­il apporter d’unique ? « Je nous vois comme des Sherlock Holmes, des détectives à la recherche du bon diagnostic », dit Nadine Chata. Mais entre le diagnostic désormais accessible par Internet et les diagnostics socialisés (tous les enfants turbulents placés sous Ritalin), y a-­t-­il encore une place pour du soin individualisé ?
Les protocoles, lignes directrices et guides de pratique ayant « borné » la connaissance, devenir un bon médecin, selon elles, consiste donc aussi à être en quête d’autre chose encore. Pas juste se conformer à ce qu’on a appris, mais cultiver le réflexe de regarder plus loin pour inclure… les besoins globaux du patient. Cela exige du médecin qu’il se sente vraiment partie prenante d’une équipe mise au service du malade. On n’en sort pas. Élaborer en commun une compréhension approfondie des besoins réels du patient requiert une pensée mobile, fluide, trop souvent freinée par une formation académique cloisonnée. Dépasser le chauvinisme de chaque profession, voilà en somme l’exigence du temps.


Physicianship

McGill, qui a flairé le piège de l’enfermement intellectuel, a institué des cours de physicianship, ou art d’être un bon médecin, c’est la science, jumelée au savoir-­être du soignant compétent. Et le savoir-­être suppose une sensibilité aux autres. Les étudiants de McGill, par exemple, ne sont pas tenus à l’écart de la vie réelle, ils ont l’occasion de s’exercer très tôt à l’anamnèse et à l’examen physique en milieu clinique. Chaque étudiant inscrit au cours MDCM3 est en effet jumelé à un précepteur de médecine familiale. Dès la première année, il rencontre de vrais patients deux fois par mois. McGill offre par ailleurs une option de recherche en médecine familiale aux études supérieures.


Chemin à rebours

C’est un double chemin à rebours que doivent désormais emprunter les futurs médecins. D’abord, redonner sa compétence à un patient jusqu’ici jugé passif, qu’il s’agissait de « prendre en charge ». Ensuite et surtout, ne pas se limiter à l’horizon bloqué par les frontières arbitraires des professions, la souffrance du patient se moquant bien des barrières interprofessionnelles. Des frontières qui, de toute façon, craquent de partout. « Faisons confiance aux autres, affirme Nadine Chata. L’interdisciplinarité, c’est la clé pour un meilleur système de santé. »
Elle sait cependant que « le médecin généraliste ne l’aura pas facile ». Pascale Fugère entrevoit, elle, « tout ce qu’on attend de nous, et comme femmes et comme médecins ». Elle qualifie ces attentes de « grand fardeau », que viendront cependant alléger, dit-­elle, les promesses d’une carrière diversifiée, d’une pratique hétérogène. « Et puis, savoir que je peux faire une différence, rajouter un sourire, réconforter, ça me rassure. Je fais aussi médecine pour ça. »
La médecine de famille, c’est l’exercice de la compassion et de la patience, conclut Nadine Chata. « La relation au patient, voilà toute sa beauté ! »


1. Université McGill, 20 septembre 2014. Le thème : Je choisis la médecine familiale.
2. Directeur de la médecine familiale à McGill.
3. MDCM, Medicinae Doctor, Chirurgiae Magister.

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