Pour une culture marquée du sceau de l’EDI en génie

La Faculté de génie de l’Université McGill, pionnière de l’équité, de la diversité et de l’inclusion

« Je considère le génie comme une discipline au service des citoyens », lance Nia Fernandez, qui dirige le programme E-IDEA de la Faculté de génie de l’Université McGill. « L’aspect humain n’est pas toujours pris en considération dans notre travail. Quelles seront les répercussions de notre travail sur les gens et sur l’environnement? »

C’est pourquoi Nia Fernandez estime que l’on doit absolument intégrer les principes d’EDI (équité, diversité et inclusion) à la pratique du génie au quotidien, que ce soit en enseignement, en mentorat, en recherche, en communication ou lors de la rédaction de demandes de subvention.

Nia Fernandez a entrepris son parcours mcgillois en faisant un baccalauréat en biochimie (B. Sc.), puis un autre en génie chimique (B. Ing.). Pendant ses études aux cycles supérieurs en génie chimique, iel a fondé le Comité sur l’équité aux études de cycles supérieurs en génie, qui a plus tard été récompensé par le Prix Équité et diversité Preston-Phipps ainsi que le Prix Équité et esprit communautaire de l’Université McGill. En 2022, Nia Fernandez a obtenu un doctorat en génie chimique dans le domaine de la médecine régénérative.

À la tête d’E-IDEA (Engineering Inclusivity, Diversity and Equity Advancement [Promotion de l’inclusion, de la diversité et de l’équité à la Faculté de génie]) depuis près d’un an, iel supervise une série de programmes qui ont le vent dans les voiles.

Par l’entremise de son programme Travail d’équipe, par exemple, E-IDEA collabore avec des enseignant(e)s afin d’intégrer davantage l’EDI au cursus. Ainsi, l’EDI n’est plus un simple complément; « elle fait partie intégrante de la formation en génie », explique Nia Fernandez, ajoutant que le programme est fort bien accueilli par la population étudiante et le corps enseignant.

« Beaucoup de gens s’intéressent aux principes d’EDI, mais pour les mettre en pratique, ils ont besoin d’encadrement. » Outre une stratégie d’EDI et un comité d’équité facultaires, E-IDEA offre un programme de sensibilisation, un programme d’accompagnement des jeunes, des prix EDI récompensant des initiatives étudiantes et une exposition d’art autochtone tenue sous l’égide d’un groupe au premier cycle, le Comité d’inclusion autochtone.

Comme le fait observer Nia Fernandez, l’EDI se heurte parfois à l’inertie et à la passivité, particulièrement en milieu universitaire. « La population étudiante est toujours la première à exiger du changement; c’est de là que partent les mouvements qui font bouger les choses. »

Une pratique exemplaire incontournable en milieu universitaire

Dans une organisation, le changement de culture passe tant par les actions de la base que par l’appui de cadres institutionnels, affirme Angela Campbell, vice-principale exécutive adjointe (Équité et politiques académiques) à l’Université McGill.

Angela Campbell encadre les initiatives d’EDI à l’Université depuis 2015. « Les attitudes changent; aujourd’hui, on considère de plus en plus l’EDI comme une pratique exemplaire incontournable dans les universités. Et à cet égard, la Faculté de génie a vraiment fait figure de pionnière. »

Ainsi, c’est la Faculté de génie qui, la première, a rendu obligatoire la formation en équité pour tous les membres des comités de sélection du personnel enseignant. En 2015, sous la houlette de Fabrice Labeau (alors vice-doyen aux affaires professorales à la Faculté), on a mis en place un processus de sélection rigoureux : le ou la président(e) du comité devait dorénavant faire appel à 35 figures de proue de divers milieux pour encourager le dépôt de candidatures, et la liste restreinte devait renfermer un pourcentage donné de femmes et d’autres groupes sous-représentés.

Ces efforts n’ont pas été vains. En effet, le pourcentage de femmes occupant un poste de professeure menant à la permanence à la Faculté de génie a presque doublé en six ans, passant de 12 % en 2015 à 22,1 % en 2021. Pendant la même période, le pourcentage de personnes racialisées ayant décroché un poste menant à la permanence au sein du corps professoral a également progressé, passant de 18,5 % à 25,2 %. De même, la proportion d’étudiantes au premier cycle en génie est sur une pente ascendante depuis dix ans : de 23 % en 2011-2012, elle s’est accrue progressivement pour atteindre 33 % en 2021-2022.

Enfin, on apprenait récemment que des 11 professeur(e)s embauché(e)s depuis l’automne 2020, six étaient des femmes.

« La Faculté de génie a ouvert le bal et a fait en quelque sorte office de modèle dans ce domaine », rappelle Angela Campbell. Elle salue au passage les personnes qui, comme Fabrice Labeau, ont œuvré en faveur de l’EDI, et souligne l’apport important de « la base qui, la première, a porté le drapeau de l’EDI ».

« L’EDI, c’est aujourd’hui l’affaire de tous et toutes »

Jim Nicell n’hésite pas, lui non plus, à saluer l’apport des nombreux membres du corps professoral, du personnel et, surtout, de l’effectif étudiant, qui ont fait avancer la cause, dans la Faculté comme à l’échelle de l’Université. « Ces gens sont une source inépuisable d’énergie et de créativité qui nous pousse dans la bonne direction. »

Le doyen arrive au terme de son second mandat de cinq ans à la tête du décanat de la Faculté de génie. « Nous avons mis l’EDI à l’ordre du jour de l’ensemble de la communauté facultaire; c’est là notre plus grande réalisation. »

En effet, tous les vice-décanats – affaires étudiantes, affaires professorales, programmes d’études ainsi que recherche et innovation – prennent désormais en considération les questions d’EDI. Tout est repensé : recrutement étudiant, méthodes d’enseignement, structure de la recherche en laboratoire, formation sur les préjugés inconscients prodiguée aux membres du corps professoral et adoption d’un mode de travail d’équipe plus inclusif.

Jim Nicell fait observer qu’on ne change pas du jour au lendemain le portrait démographique d’une université. En effet, les membres du corps professoral peuvent enseigner plus de 30 ans dans un établissement. L’évolution démographique d’une telle population est très lente. Le fait que le nombre de femmes ait récemment doublé dans l’effectif professoral « témoigne d’une réforme en profondeur du processus de recrutement qui change complètement la donne à long terme. De plus, les femmes gravissent les échelons au sein du personnel professoral et sont de plus en plus nombreuses à occuper des fonctions de direction. Ce sont tous là des éléments qui contribuent à un changement de culture bien nécessaire. »

« Ce dont je suis le plus fier comme doyen, c’est d’avoir posé avec mon équipe des gestes qui auront des retombées à long terme. Et la création du programme E-IDEA figure en tête de liste. » Grâce à cette initiative, l’EDI fait son chemin partout au sein de la Faculté plutôt que d’être mise en valeur par une seule personne, affectée à cette tâche.

« Il s’agit de créer un terreau dans lequel le changement de culture pourra s’opérer et voler ensuite de ses propres ailes, résume Jim Nicell. Et selon moi, nous en sommes à ce stade-là. »

L’importance des modèles

Annmarie Adams a été la première femme embauchée dans un poste menant à la permanence au sein du corps professoral de l’École d’architecture (aujourd’hui l’École d’architecture Peter-Guo-hua-Fu). Cela se passait en 1990. Elle a ensuite été la première femme à obtenir la permanence, à accéder au titulariat, puis à diriger l’École.

« Les premières se sont enchaînées, tout simplement parce que pendant 22 ans, j’ai été la seule femme du corps professoral! », lance-t-elle. Les choses ont évolué, poursuit-elle, grâce à toutes ces femmes qui, pendant des dizaines d’années, ont réclamé du changement et ont brillé par leur érudition.

Comme le souligne la Pre Adams, les études montrent que les jeunes aspirent à marcher dans les traces de modèles. « Donc, les modèles sont très importants. » La regrettée Jeanne Wolfe, qui a dirigé l’École d’urbanisme de l’Université McGill de 1988 à 1999, était un modèle pour la Pre Adams.

À l’École d’architecture, les femmes sont bien représentées dans l’effectif étudiant depuis de nombreuses années. (Selon les statistiques les plus récentes, 78 % des personnes diplômées en architecture à l’Université McGill sont des femmes.) Cependant, cette progression ne s’est pas traduite par une ascension des femmes dans la profession, le corps professoral ou les fonctions de direction.

« L’une des choses dont je suis le plus fière comme directrice, c’est d’avoir embauché une autre femme. Et depuis lors, nous en avons accueilli deux autres », se réjouit la Pre Adams, récemment nommée fellow de la Society of Architectural Historians.

Par ailleurs, Annmarie Adams a coprésidé le Groupe de travail sur la lutte contre le racisme de l’École d’architecture, qui a déposé son rapport en février 2022. « J’ai appliqué à la lutte contre le racisme ce que j’ai appris en tant que féministe, c’est-à-dire comme personne qui a profondément à cœur de voir les femmes prendre leur place dans les universités, dit-elle. Deux causes, même combat, à n’en pas douter. »

Pour la pérennité de l’EDI et du programme E-IDEA

« Nous n’en sommes plus à l’étape de la simple sensibilisation, affirme Nia Fernandez. Nous avons entrepris ce travail-là il y a belle lurette. »

Comme gestionnaire, estime-t-iel, il lui incombe d’assurer la pérennité du programme E-IDEA, de « veiller à ce que l’EDI demeure au cœur des activités de la Faculté et ne soit pas perçue comme une mode ». Nia Fernandez travaille actuellement à une formation poussée sur l’intégration de l’EDI à tous les aspects de l’enseignement, qui sera lancée à l’été 2023.

Iel observe un intérêt marqué pour ces questions au sein de la population étudiante. « Lorsqu’on lui donne la possibilité d’œuvrer en faveur de l’EDI, l’effectif étudiant répond présent ». À preuve, lors d’un récent appel de candidatures pour des stages d’été, l’équipe d’E-IDEA a reçu très rapidement de nombreuses réponses d’étudiants et étudiantes intéressé(e)s. « C’est indéniable, l’EDI est le sujet de l’heure, et il faut en profiter. »

Nia Fernandez y va cependant d’une mise en garde : on doit cesser de s’en remettre à la population étudiante pour provoquer le changement. « L’effectif étudiant en fait déjà beaucoup. C’est à nous maintenant de prendre les choses en main. »

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