Propositions de communication

Par ordre alphabétique :

La promotion des langues au Nigéria : un exemple de plurilinguisme officiel problématique en Afrique
       Michael Akinpelu, Université McGill, Canada

Gérer une langue n’est pas chose simple. La tâche est plus complexe et exigeante dans un paysage linguistique bigarré. C’est notamment le cas des pays africains qui possèdent des dizaines, voire des centaines de langues au sein de leurs territoires, sans tenir compte des langues exogènes (français, anglais et portugais), héritées de la colonisation. Cet univers linguistique diversifié crée un rapport de force entre les langues en présence, puisque chaque langue lutte pour sa survie. Il ne simplifie pas non plus la tâche des décideurs politiques qui sont souvent appelés à faire des choix de langues à la fois aptes à assurer l’unité nationale et à prendre en charge tous les aspects de la vie politique et administrative. Face à cette réalité, certains États semblent avoir tout simplement choisi le statu quo, alors que d’autres ont tenté de se lancer dans le projet, mais ont connu de piètres résultats.

Notre intervention consiste donc à rendre compte des activités de gestion du plurilinguisme en Afrique subsaharienne en général, en retenant comme cas de figure le Nigéria, pays le plus multilingue d’Afrique. Le Nigéria connaît deux projets d’aménagement linguistique majeurs, notamment la promotion du français et des langues majoritaires au rang de langues officielles. Malheureusement, aucun des projets n’a connu les succès espérés, pour plusieurs raisons. Aujourd’hui, aucune langue locale n’a encore le statut officiel et le projet semble progressivement sombrer dans l’oubli. D’autre part, l’accession du français au rang de langue officielle depuis 1996 n’a encore aucun effet sur le rôle de la langue pour l’administration publique, l’anglais détenant toujours l’hégémonie totale.

Cette communication s’emploiera à analyser la gestion du plurilinguisme au Nigéria, afin de déterminer les obstacles qui mettent en péril le succès des projets d’interventions linguistiques. Dans une tentative pour trouver des solutions propres à la situation, elle s’inspirera des exemples de modèles qui ont réussi ailleurs.

Langue et discours politique : les programmes d’immersion en Catalogne
       Nune Ayvazyan (Universitat. Rovira i Virgili, Espagne (communication présentée en anglais)

Le catalan et l’espagnol sont les langues officielles de la Catalogne. Le Statut d’autonomie (Statute of Autonomy) donne cependant priorité au catalan sur le territoire, même si une note du même document explique qu’il s’agit d’une loi anticonstitutionnelle (Parlement de Catalogne, p. 23). Les statistiques officielles dressent un portrait fidèle de l’état du catalan en Catalogne. Selon une étude menée en 2013 par IdesCat (Institut de statistiques de la Catalogne), le catalan est la langue maternelle de seulement 31,02 % des répondants alors que 55,14 % ont l’espagnol comme langue maternelle. De la même façon, seulement 36,38 % s’identifient au catalan contre 47,55 % à l’espagnol. Les statistiques sont similaires en ce qui concerne la langue parlée au quotidien : 36,29 % utilisent le catalan et 50,73 % utilisent l’espagnol. Ces statistiques sont stables depuis 2008.

En 1978, suite à la dictature de Franco, le catalan a été introduit dans le système d’éducation de la Catalogne. Or, ce n’est qu’en 1983-84 que le processus de catalinisation a officiellement pris son envol grâce à des programmes d’immersion dans les régions ayant un taux élevé de locuteurs espagnols. Encore en place aujourd’hui, ces programmes d’immersion étaient largement redevables au modèle canadien. Leur approche était toutefois différente, surtout aux niveaux scolaires inférieurs (éducation primaire et secondaire) : l’enseignement était (et est encore) entièrement dispensé en catalan. Le catalan est donc devenu la lingua franca, à un tel point que certaines familles ont réclamé l’enseignement en espagnol, prétextant que leurs enfants n’avaient pas un niveau d’espagnol suffisant. En 2012, le Ministère de l’éducation a tenté de mettre fin au statut de lingua franca du catalan dans l’éducation. Le projet a entraîné des manifestations massives en Catalogne, si bien que la situation demeure plus ou moins inchangée.

Au regard de cette controverse, la question suivante se pose : si le catalan est la lingua franca aux niveaux scolaires inférieurs, l’espagnol est-il négligé dans des moments décisifs de l’éducation des jeunes? L’objectif de notre communication est d’illustrer l’évolution des programmes d’immersion catalans et leur façon de promouvoir le nationalisme.

L’avenir du multilinguisme en Asie Centrale post-soviétique : Le Kazakhstan
       Brian James Baer, Kent State University, États-Unis (communication présentée en anglais)

Le Kazakhstan se distingue des autres nations d’Asie centrale. Il est non seulement le plus grand pays de la région, mais également le plus prospère selon les indicateurs tels la stabilité politique, le PIB et le niveau de vie. Il se démarque aussi grâce à sa politique linguistique, que l’on nomme la « Politique des trois langues ». Adoptée en 2007, celle-ci vise à promouvoir l’apprentissage du kazakh, la langue maternelle de la population Kazakh; le russe, la langue officielle du gouvernement et de l’éducation aux dix-neuvième et vingtième siècles alors que le Kazakhstan faisait partie de l’empire russe et qui est encore, pour diverses raisons politiques, économiques et historiques, une langue régionale importante; et l’anglais, en tant que langue internationale de l’économie globale. Il s’agira d’abord de comparer la politique linguistique du Kazakhstan avec celles d’autres républiques post-soviétiques. Cette politique sera ensuite étudiée comme une tentative sophistiquée de naviguer les eaux troubles de l’identité nationale du Kazakhstan pendant la période post-soviétique grâce, plus spécifiquement, à l’arrimage de la remontée du nationalisme ethnique à une meilleure compréhension de la dépendance du Kazakhstan à d’autres nations dans un contexte de mondialisation accélérée.

         Les notes prises sur le terrain durant un séjour de trois semaines au printemps 2014 dans le nord du Kazakhstan, à l’occasion d’un séminaire intitulé « Le plurilinguisme et l’identité » que j’ai donné aux cycles supérieurs de l’Université de Kokshetau, ainsi que les autobiographies linguistiques des étudiants rédigées dans le cadre du cours, permettront de dresser un portrait des conflits, des défis et des perspectives d’avenir soulevés par cette politique. Ceux-ci se répercutent dans le quotidien des citoyens du Kazakhstan tout en orientant l’avenir du plurilinguisme au Kazakhstan et, peut-être, dans toute l’Asie centrale.

Le Liban d’aujourd’hui : Les sexes et le code-switching par message texte
       Lubna Bassam, Universitat Rovira i Virgili, Espagne  (communication présentée en anglais)

Les politiques linguistiques officielles présupposent l’existence de différentes communautés ayant chacune sa langue propre. Cette catégorisation écarte cependant les diverses manières qu’ont les individus de résoudre les problèmes langagiers, souvent en combinant plusieurs langues dans le même énoncé. Le code-switching (alternance codique) met ainsi à l’épreuve les limites de nombreux modèles de politique linguistique.

Le Liban a toujours été reconnu pour son plurilinguisme et le bilinguisme y est courant: on le voit, on l’entend, on le ressent, on le parle et on le « touche » où qu’on aille. Lorsqu’ils se rencontrent, les Libanais utilisent couramment l’expression « hi, kifak, cava? » dans laquelle ils combinent l’anglais, l’arabe et le français. Un tel mélange des langues, le code-switching, se produit tant en langue orale que dans les medias sociaux électroniques.

Le service de messagerie (Short Message Service, SMS) a transformé la communication entre communautés linguistiques jusqu’à créer un nouveau genre dans l’univers des télécommunications où la majorité de ces messages sont rédigés par des adolescents. Des recherches ont démontré que le code-switching chez les individus bilingues ne se limite pas à l’oral. Il se répand aussi désormais dans la langue écrite. Ce phénomène a été transposé dans différents modes de communication virtuelle (Computer-mediated Communication, CMC), notamment dans les messages textes.

Cette communication propose d’examiner comment les étudiants et les étudiantes libanais du premier cycle universitaire utilisent le code-switching dans leurs SMS. Un corpus de 606 messages textes a été analysé selon des méthodes qualitatives et quantitatives. Un questionnaire et une interview ont été menés en fonction du corpus constitué préalablement. La comparaison de ces messages révèle que le sexe des individus est en corrélation avec diverses fonctions : les femmes alternent plus entre les langues que les hommes et elles le font encore davantage lorsqu’elles communiquent entre elles.

La gestion officielle du plurilinguisme en Algérie : un modèle à imiter ou à éviter ?
       Bachir Bessai, Université de Béjaia, Algérie

Quelque temps après son indépendance, l’Algérie a prôné et mis en œuvre une politique linguistique et culturelle dite « d’arabisation ». Cette politique qui se réclame officiellement du monolinguisme était en contradiction avec les fonctions des langues dans les pratiques réelles. Elle traduit une volonté d’anéantir le plurilinguisme en place : le berbère est perçu comme un symbole de division et d’atteinte à l’unité nationale, le français est assimilé au colonialisme et à l’acculturation, et l’arabe dialectal est relégué au rang de variante orale et de sous-langue (Chelli, 2011). Ce mouvement d’arabisation a suscité une résistance à la fois des milieux francophones mais aussi du côté des milieux berbérophones, notamment kabyles qui ne cessent d’afficher leur opposition catégorique devant la seule officialisation de l’arabe.

Dans le cadre de cette communication, nous nous proposerons de parcourir un certain nombre de textes politiques officiels (les textes fondateurs, ceux qui définissent les principes et valeurs qui président à la naissance et au fonctionnement de l’État algérien) pour dévoiler dans un premier temps, les divers statuts accordés à chacune des langues en présence. Cela pourrait permettre dans un second temps de faire une analyse minutieuse des différentes politiques linguistiques menées en Algérie depuis son indépendance en 1962 en mettant l’accent sur la contradiction existant entre les textes officiels et les pratiques langagières réelles des locuteurs algériens. Nous tenterons à cet effet, d’examiner à quel niveau faut-il imiter l’expérience algérienne en matière de gestion du plurilinguisme en place et à quel autre niveau faut-il l’éviter.

Idéologie et pragmatisme dans la production plurilingue de textes dans les partis politiques suisses
       Véronique Bohn, Université de Genève, Suisse

Si l’on admet, à l’instar de la linguistique (Breton 2000, Girnth 2002, Schröter & Carius 2009, Klein 2010) ou des sciences de la communication (Gerstlé 2004, Riutort 2007, Pfetsch & Esser 2012), que la vie politique s’appuie en grande partie sur la langue, on peut se demander comment un système plurilingue peut fonctionner en tant que système politique, puisqu’on y voit l’émergence de discours plus ou moins parallèles dans les différentes langues et qu’on y court le risque d’une fragmentation de l’espace public et donc de la vie politique (Kriesi et al. 1996, Tresch 2008). Cet état de fait implique que les acteurs politiques au niveau national mettent en place certains mécanismes pour coordonner leur message entre les langues. Or ce travail de coordination, c’est-à-dire au bout du compte la manière de gérer les relations entre les différentes communautés linguistiques, est concrétisé par la production et la transformation interlinguistique de textes. Des considérations strictement idéologiques ou symboliques (telles que les représentations du plurilinguisme ou des techniques de transformation de texte, en particulier de la traduction) jouent ici un certain rôle, mais il ne faut pas oublier qu’elles se trouvent canalisées par un contexte tangible, par des éléments plus pragmatiques (ressources humaines ou financières par exemple), comme c’est le cas pour toute pratique.

C’est dans cette perspective que nous avons mené des entretiens semi-directifs avec des personnes impliquées dans la production de périodiques publiés par les partis politiques suisses. Le processus de production, les liens entre les différentes versions et l’utilisation de la traduction ont été au centre des entretiens. Les discours ainsi produits permettent de mettre en lumière la tension entre les différents facteurs telle qu’elle est vécue dans la pratique par les différentes équipes de rédaction et de mieux cerner la manière dont celles-ci parviennent à faire sens de la situation.

Mobilisation générale : Les fondements du succès de la politique linguistique québécoise
       Chantal Bouchard, Université McGill, Canada

Le Québec est un véritable laboratoire en matière de politique linguistique. Depuis un demi-siècle, l’État québécois a adopté de nombreuses mesures visant à infléchir l’équilibre entre les langues présentes sur son territoire, ainsi qu’à orienter l’évolution du français, dans un contexte sociopolitique très complexe.

Avant les années 1960, il n’y avait aucune politique linguistique, ni au Québec ni au Canada. Au Québec, les Canadiens français constituaient plus de 80% de la population, mais cette forte majorité ne leur assurait même pas de pouvoir vivre et travailler en français tant la position de l’anglais était dominante.

Dans la région de Montréal, où se concentrait la minorité de langue anglaise, tout portait à croire qu’à brève échéance, la majorité des francophones était menacée et qu’à plus ou moins long terme, le français ne vivrait plus que dans les zones rurales isolées.

Pourtant, ce n’est pas cette situation potentiellement catastrophique qui poussa le gouvernement du Québec à intervenir pour la première fois en matière de langue, mais bien le sentiment collectif que le français se dégradait sans cesse depuis des décennies et que si rien n’était fait pour redresser la barre, on ne pourrait bientôt plus qualifier la langue parlée au Québec de français.

C’est sous la pression constante de la population québécoise sur le gouvernement que s’est élaborée la législation linguistique. Tous les spécialistes des sciences sociales contribuèrent à la réflexion collective, de même que les enseignants, les écrivains, les artistes, les philosophes.

Cette communication montrera que les réels succès de la politique linguistique du Québec reposent sur la mobilisation générale des intellectuels québécois à l’époque de son élaboration et sur la volonté collective des Québécois qui ont exigé de leur gouvernement une intervention décisive en faveur du français.

Langues nationales et fédéralisme : défis et perspectives pour l’italien en Suisse
       Till Burckhardt, Université de Genève, Suisse

La communication proposée vise à évaluer la cohérence, l’efficacité et l’équité des politiques publiques adoptées par les autorités fédérales suisses visant à promouvoir l’italien en tant que langue officielle. En raison des équilibres démographiques et des politiques linguistiques cantonales, il existe une asymétrie entre les trois langues officielles en Suisse. Les pratiques communicationnelles dans la vie politique au niveau fédéral se fondent sur une convention tacite établissant un système de bilinguisme réceptif où l’allemand et le français font office de langues véhiculaires et procédurales.

La pérennisation de ce dispositif face aux défis en lien avec les dynamiques linguistiques mondiales est un enjeu très présent dans le débat public en Suisse. Il s’est traduit, depuis 1996, par un encadrement formel du régime linguistique des institutions et de l’administration fédérales. Dans ce processus, l’asymétrie entre un régime trilingue de jure et bilingue de facto devient de plus en plus explicite. La symétrie linguistique des publications officielles et une représentation équitable des communautés linguistiques dans la fonction publique font désormais l’objet d’un cadre réglementaire contraignant, qui peut être mesuré en termes quantitatifs. En ce qui concerne la traduction des textes, la communauté italophone est celle qui a le plus bénéficié de cette dynamique. En revanche, aucune étude empirique ne permet de conclure que ces dispositifs aient contribué à dégager une dynamique favorable à une progression du statut de l’italien dans la sphère publique suisse. En effet, on constate un décalage entre les objectifs, très ambitieux, concernant le trilinguisme au sein de l’administration fédérale et la difficile pérennisation du bilinguisme pragmatique par les cantons et par les organisations de la société civile.

Éducation et constitutionnalisme : l’incidence du régime linguistique canadien dans le domaine de l’éducation en français en situation minoritaire au Canada
       Linda Cardinal et Pierre Foucher, Université d’Ottawa, Canada

La communication proposée servira à étudier les rapports complexes entre le fédéralisme et les droits des minorités de langue officielle dans le domaine de l’éducation en français en situation minoritaire au Canada. Il portera sur l’incidence du régime linguistique canadien dans le domaine de l’éducation en français en situation minoritaire au Canada depuis les débuts de la Confédération, soit en 1867. Le texte soutiendra que pendant plus de 100 ans, le fédéralisme et la notion de compromis politique, deux caractéristiques fondamentales du régime linguistique canadien (Cardinal, 2015), ont joué un rôle structurant (incluant dans le domaine de la jurisprudence) sur le développement de l’éducation en français en situation minoritaire au Canada. En 1982, l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés a constitué une conjoncture favorable en vue de relancer le débat sur les droits des minorités francophones dans le domaine de l’éducation au Canada et pour y apporter des changements majeurs.

Le texte proposera de dresser un état des lieux de la situation en mettant l’accent sur le rôle clé des tribunaux dans le domaine de l’éducation en situation minoritaire et son incidence sur le régime linguistique canadien, en particulier sur le fédéralisme. Au plan méthodologique, le texte prendra appui sur une recherche documentaire permettant de revoir l’histoire du développement de l’éducation en français en situation minoritaire. Au plan analytique, le texte combinera l’approche des régimes linguistiques, l’analyse institutionnelle et l’étude de la jurisprudence afin de montrer comment le domaine de l’éducation s’est développé et transformé depuis 1867. La variable institutionnelle sera particulièrement importante afin de montrer le rôle clé du fédéralisme et des tribunaux dans l’énonciation des droits des minorités francophones dans le domaine de l’éducation en français au Canada..

Les politiques de traduction et les langues minoritaires dans des sociétés plurilingues officielles ou non-officielles : un aperçu de la situation au Canada et aux États-Unis
       María Sierra Córdoba Serrano, Middlebury Institute of International Studies at Monterey, États-Unis  (communication présentée en anglais)

Les politiques de traduction sont essentielles dans la compréhension de la gestion du plurilinguisme. Pourtant, jusqu’à tout récemment, elles ont été écartées non seulement du domaine des politiques publiques, de l’éducation et de la planification linguistique, mais également de la traductologie. (Diaz Fouces, 2004, Meylaerts, 2011, González Núñez, 2014). J’avancerai, d’une part, que les politiques de traduction relèvent directement du concept de l’aménagement linguistique et de ses trois catégories (corpus, statut et acquisition) et, d’autre part, que la (non) existence de telles politiques permet d’évaluer l’exhaustivité de l’aménagement linguistique dans un contexte démo-linguistique déterminé. Ceci peut contribuer, par la suite, à mesurer le succès de modèles de plurilinguisme officiel (et non-officiel).

Pour cette étude de cas, je débuterai par un survol des politiques de traduction fédérales canadiennes relatives au français. J’aborderai ensuite les politiques de traduction fédérales et provinciales relatives aux langues « communautaires » ou non-officielles les plus parlées au Canada, comme le pendjabi et le cantonais en Colombie-Britannique et l’italien en Ontario (Statistiques Canada, 2011). À titre de comparaison, je m’intéresserai dans un troisième temps au modèle de plurilinguisme non-officiel en vigueur aux États-Unis, afin d’étudier les politiques de traduction fédérales et californiennes à l’égard de l’espagnol. Adoptant une approche déductive, je me référerai à des documents qui portent spécifiquement sur la traduction dans trois domaines particuliers (juridique, santé et éducation). À défaut de politiques de traduction explicites, je tiendrai compte de pratiques de traduction en vigueur dans quelques institutions clés de chaque domaine.

Sous l’angle des politiques de traduction, cette étude de cas permettra de tirer des conclusions sur le taux de succès de modèles de plurilinguisme officiel et non-officiel dans la gestion de groupes sociolinguistiques minoritaires.

Guinée Équatoriale : quel statut pour les langues autochtones ?
       Adeline Darrigol, Université du Maine, France

La République de Guinée Équatoriale est un État situé en Afrique centrale. Elle compte trois langues bantoues (le bubi, le fang et le ndowe) et deux créoles (le fá d’ambô et le krio). Ces idiomes résultent respectivement des migrations des peuples bantouphones au XIIe siècle, de la colonisation portugaise de l’île d’Annobon au XVIe siècle et de la colonisation britannique de l’île de Bioko au XIXe siècle. De 1858 à 1968, la Guinée Équatoriale était une colonie espagnole. Aujourd’hui, la langue espagnole assume toutes les fonctions officielles au sein des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Cet idiome joue également un rôle dominant dans l’enseignement, la presse écrite, les médias audio-visuels et la religion. Toutefois, le français est devenu l’une des langues officielles du pays en 1998 et le portugais a bénéficié du même statut en 2011. Par contre, les langues autochtones sont considérées comme « parties intégrantes de la culture nationale ».

Quelle politique serait adaptée à la configuration linguistique du pays ? Nous examinons la place que les langues coloniales et autochtones occupent véritablement dans la communication courante, les institutions et les services officiels. Puis, nous analysons la politique de marginalisation des langues autochtones : le discours officiel, l’inégalité linguistique et ses incidences dans des secteurs comme l’enseignement, l’administration, la justice, les services sociaux, la presse écrite et le cinéma. Enfin, nous suggérons des pistes de réflexion en vue d’un aménagement équilibré susceptible de définir le statut juridique des langues autochtones. Pour ce faire, nous nous appuyons sur la grille d’analyse des situations linguistiques de Robert Chaudenson, les lois linguistiques équato-guinéennes, l’observation directe, l’expérience vécue, les archives coloniales espagnoles, celles de l’Unesco, des entretiens ciblés avec les acteurs et les témoins des politiques linguistiques menées dans le pays.

La protection des langues minoritaires en Italie et les initiatives locales dans la région des Pouilles pour protéger le franco-provençal
       Adriana Di Biase, Kent State University, États-Unis (communication présentée en anglais)

L’Italie fait partie des pays les plus linguistiquement hétérogènes d’Europe puisque des dizaines de langues minoritaires cohabitent avec l’italien sur son territoire. Certaines de ces langues minoritaires ont connu un intérêt croissant dans les dernières décennies et bénéficient désormais du statut officiel de langues dignes d’être protégées et promues. Le franco-provençal, une variété parlée par 187 000 locuteurs dans le nord-ouest de l’Italie et dans deux petits villages de la province de Foggia (dans les Pouilles, au sud de l’Italie), a connu un tel engouement.

Le franco-provençal occupe un statut officiel tant à l’échelle nationale (Loi 482, 1999) que régionale (Loi régionale 5, 2012). Si son statut national n’a pas résorbé ses rapports de force avec l’italien, au niveau local les organisations et les municipalités tentent de les équilibrer en parrainant divers types d’initiatives.

Cette communication propose un survol de la manière dont les lois italiennes gèrent l’italien, les langues minoritaires et les dialectes du pays (Dal Negro, 2005). Le cadre théorique repose sur la définition de Sandra Lee McKay (1993) qui conçoit l’aménagement linguistique comme une façon « d’équilibrer la diversité linguistique à l’intérieur des frontières d’un pays ». Notre méthodologie, fondée sur les concepts de corpus, de statut et d’acquisition, permettra d’illustrer quelques-unes des initiatives prises par l’administration locale liées à des événements culturels, à l’éducation, à l’édition, à la recherche scientifique et à la traduction, pour garantir la survie du franco-provençal (Nahir, 2003).

Des frontières contestées : les droits et les politiques linguistiques du romani
       Debbie Folaron, Université Concordia, Canada et Hedina Sijerčić, KU Leuven, Belgique (communication présentée en anglais)

De leurs premières migrations à partir du nord-ouest de l’Inde (il y a environ 1 000 ans) et de l’Empire byzantin d’Asie mineure (14e-17e siècles) jusqu’à leur arrivée en Europe, les Roms ont été en contact avec diverses langues. Avec le temps, la cohabitation du romani et des langues officielles parlées dans les régions peuplées par les Roms a donné naissance à plusieurs dialectes. En Europe, la population rom est actuellement la minorité ethnique principale, mais des groupes importants se sont aussi établis ailleurs, notamment sur le continent américain. Par exemple, le recensement national au Brésil en 2010 a relevé la présence d’environ 800 000 Roms sur son territoire. 

Le romani (« Romani chib ») a été reconnu comme langue minoritaire dans plusieurs pays, entre autres en Europe et en Scandinavie, et un projet de standardisation a été entrepris dans certaines régions, dont les Balkans. Dans la municipalité de Šuto Orizari (Šutka (Шутка)), dans la ville de Skopje, on a accordé le statut de langue officielle à la fois au romani et au macédonien, puisque la majorité de la population est rom. 

Cette communication présentera les résultats d’une étude en cours sur le statut du romani, et ce, du point de vue de politiques linguistiques à travers le monde. En Europe par exemple, la Charte européenne des langues minoritaires ou régionales, de même que d’autres initiatives, ont identifié le romani comme une langue non-territoriale ayant besoin de soutien particulier en éducation, dans les médias, en traduction, etc. puisqu’elle n’a pas d’infrastructure nationale « propre » pour la protéger. Son statut officiel est tributaire de politiques linguistiques officielles, de chartes et d’initiatives des pays et des régions où vivent les Roms. En plus de cet aperçu général, nous relèverons quelques exemples concrets afin de démontrer à quel point ces politiques, chartes et initiatives sont efficaces (ou non) pour des langues minoritaires non-territoriales comme le romani. Finalement, nous démontrerons aussi le lien unique qui unit le romani à la traduction et aux politiques de traduction associées aux politiques linguistiques officielles.

Le rapport à l’autre anglo-saxon à la Chambre des communes du Canada
       Chantal Gagnon et Marc Pomerleau, Université de Montréal, Canada

Au XXe siècle, au Canada, la volonté institutionnelle de protéger les minorités de langue officielle a incité les dirigeants à adopter une politique linguistique au gouvernement fédéral. Cette politique repose sur la possibilité, pour un citoyen ou un fonctionnaire, de communiquer avec le gouvernement fédéral dans l’une des deux langues officielles. Au quotidien, cette politique linguistique a pour effet de tracer une frontière entre les langues, entre les communautés. Il s’agit cependant d’une frontière poreuse puisqu’au gouvernement fédéral, la proximité des locuteurs des deux langues officielles crée notamment des situations d’interférence linguistique.

Notre travail de recherche a pour but d’explorer les contours de cette frontière, d’un point de vue traductologique, linguistique et politique. Nous ancrerons nos recherches et nos réflexions dans un contexte bien précis : les interférences linguistiques présentes dans la version française du compte rendu des débats à la Chambre des communes, entre 2010 et 2012. Plus précisément, nous observerons les débats entourant le discours du trône à la Chambre des communes. Il s’agit d’un rare moment, dans la vie parlementaire, où les députés abordent le sujet de leur choix. L’analyse de ces interférences donnera l’occasion d’explorer, chez les francophones du Canada, le rapport à l’autre anglo-saxon. Nous établirons que les interférences linguistiques les plus apparentes du corpus à l’oral sont corrigées lors du transfert à l’écrit. Ces manipulations textuelles ont pour effet d’entretenir, dans le corpus rédigé, l’illusion que la frontière entre les langues est respectée à la Chambre des communes. Or, la situation réelle est toute autre : qu’il s’agisse d’un premier ministre qui s’exprime mal en français, d’un député nationaliste québécois qui utilise l’anglais à titre de provocation ou d’un député bilingue qui alterne d’une langue à l’autre dans une même phrase, l’anglais et la menace qu’il représente sont au cœur du débat.

Quel avenir pour le modèle du plurilinguisme luxembourgeois ?  Tentatives et limites d’adaptation d’un modèle historique à un contexte sociétal changé
       Nuria Garcia, Sciences Po, France

Le cas du Luxembourg présente une constellation plurilingue originale se caractérisant par l’absence de groupes linguistiques délimités et territorialisés. La constellation linguistique luxembourgeoise se distingue ainsi de situations où plusieurs communautés linguistiques territorialisées cohabitent historiquement à l’intérieur d’un même État, comme c’est le cas en Belgique, en Suisse et au Canada.

Qualifier le Luxembourg d’État plurilingue fait d’abord référence à l’existence d’un plurilinguisme officiel, avec le français et l’allemand comme langues de l’administration, et le luxembourgeois comme langue nationale. Ce plurilinguisme officiel se double ensuite d’un très fort taux de multilinguisme de la population : 92% de la population maîtrisent au moins deux langues en plus de leur langue maternelle et 69% indiquent parler au moins trois langues en plus de leur langue maternelle (Eurobaromètre 243, 2006). Cette maîtrise généralisée de plusieurs langues – généralement les trois langues usuelles du pays, ainsi que l’anglais – au niveau individuel est un autre facteur distinctif du Luxembourg par rapport à la plupart des sociétés plurilingues.

Si le modèle historique du plurilinguisme luxembourgeois fait l’objet d’un fort consensus et d’un attachement très fort parmi les citoyens luxembourgeois, le pourcentage croissant d’immigrés allochtones arrivés depuis les années 1960 amène à interroger la capacité d’adaptation de ce modèle au contexte contemporain. Notre communication propose d’analyser la propension du modèle plurilingue luxembourgeois à faire face à la diversité linguistique croissante engendrée par l’immigration dans un pays où les résidents étrangers représentent plus de 40 % de la population. Il s’agira dans un premier temps d’étudier les limites de la capacité du système éducatif à transmettre les trois langues du pays à des locuteurs dont la langue maternelle n’est pas le luxembourgeois. Dans un second temps, notre communication analysera les obstacles posés par le plurilinguisme à la participation politique des résidents non-luxembourgophones.

Modèles de multiculturalisme : conditions de viabilité
       François Grin, Université de Genève, Suisse

On observe actuellement dans divers pays des échanges très vifs autour des modalités de gestion de la diversité linguistique et culturelle. Le discours de certains partis rejette cette diversité; dans d'autres discours, on la célèbre, mais pour des raisons qui ne sont pas forcément convergentes, puisqu'elles invoquent généralement soit les droits de l'homme, soit les avantages du commerce international. Le débat public débouche alors souvent sur une impasse. Or celle-ci n'est pas due qu'à l'antagonisme entre visions différentes de la place qu'il convient de reconnaître à la diversité; elle tient aussi à certaines insuffisances de l'outillage conceptuel avec lequel les enjeux de la diversité sont abordés.

Dans cette intervention, je propose de décomposer les enjeux du "vivre-ensemble" en référence d'une part à un modèle théorique et d'autre part à son test empirique sur une population de plus de 40 000 personnes. Je chercherai à montrer pourquoi cette approche aide à mieux calibrer les politiques de gestion de la diversité linguistique et culturelle et permet de prendre en compte la différence entre les sphères privée, publique et étatique.

Le déni de la pluralité linguistique et culturelle. Un modèle officiel de gestion de la diversité
       Wajih Guehria, Université Souk-Ahras, Algérie

Cette communication se propose de démontrer les indices du plurilinguisme et du pluriculturalisme en Algérie. Dans le discours politique, cette pluralité linguistique, culturelle et historique est cependant réduite à des débats sur l’arabité-islamité. Nous sommes justement interpellés par cette situation de déni qui conduit inéluctablement à des ambiguïtés identitaires. Au nom de l’unité nationale « perdue » durant la colonisation, l’Autre – le francophone et/ou l’amazighophone – est traité sur le mode de l’exclusion. Les propos de 50 interviewés recueillis par entretiens semi-directifs entre 2009 et 2014 et analysés à l’aide de la praxématique, méthode d’inspiration linguistique et psychanalytique, témoignent de cette ambiguïté : le rejet de leurs propres langues/cultures tout en culpabilisant de nourrir ce sentiment. Le français, langue de « l’ennemi » et également celle de la « séduction », produit un sentiment d’adoption/rejet, notamment lorsqu’il s’oppose dans le discours à l’arabe scolaire étroitement lié à l’Islam. L’anglais est valorisé par certains arabophones dans le but de contrecarrer l’ascension du français tantôt interdit dans l’espace public (loi de 1990), tantôt valorisé dans les discours du Président de la République (2002). Les textes relatifs aux langues montrent des postures ambiguës notamment vis-à-vis du français, dit langue étrangère, considéré exclusivement d’un point de vue fonctionnel. C’est donc aux manifestations de la pluralité linguistique et culturelle et aux significations de son déni que sera consacrée cette communication. Nous pouvons d’ores et déjà postuler qu’une des explications du rejet des constituants identitaires de l’Algérien prend racine dans le discours politique incitant à une nouvelle « résistance » contre l’impérialisme représenté dans le discours de nos informateurs par la « langue française », et les « francisants »  « partisans de la France » (« Hizb fronsa »).

Politique linguistique chinoise : entre unité et diversité. Le débat autour du cantonais au début du 21ème siècle
       Yufei Guo, Institut national des langues et civilisations orientales, France

La Chine est-elle un pays ayant opté pour le modèle monolingue ou plurilingue dans sa politique linguistique ? Cette question, déjà ambigüe dans la Constitution, devient plus complexe dans la réalité. Cette communication porte sur la politique linguistique chinoise envers les variétés linguistiques non-officielles du groupe ethnique majoritaire, en prenant appui sur le cas du débat autour du cantonais depuis 2010. Nous commençons par une courte introduction sur l’évolution de l’aménagement linguistique chinois depuis les années 1950, et présentons la particularité du cantonais au niveau sociolinguistique. Nous nous concentrons ensuite sur l’analyse de notre enquête de terrain effectué en 2013 et 2014, en vue de répondre à la question centrale : dans quelle mesure le modèle de plurilinguisme est-il intégré dans la société chinoise au 21ème siècle ?

Traduire (dans) les Caraïbes : négocier le plurilinguisme via la traduction et les pratiques éditoriales
       María Constanza Guzmán, York University, Canada (communication présentée en anglais)

L’hétérogénéité et la fluidité linguistiques sont souvent surdéterminées par des cartographies nationales et régionales fixes. Dans les Amériques, les lieux d’hétérogénéité linguistique sont parfois voilés par des discours nationaux axés sur les frontières géopolitiques, lesquelles déterminent les langues nationales et définissent tant les nations que les communautés. Les marqueurs territoriaux influent sur les discours identitaires qui privilégient souvent l’homogénéité. La perception nationale qui en résulte dévie alors des possibilités identitaires qui émergent d’expériences linguistiques et culturelles concrètes.

Cette communication s’intéresse aux projets culturels et éditoriaux des Caraïbes en tant qu’espaces d’échanges et de négociations plurilingues. Les revues sont des espaces de traduction éditoriale où se jouent des politiques linguistiques explicites et implicites. De tels espaces tantôt perpétuent l’histoire officielle et les héritages coloniaux, tantôt y sèment la confusion à travers la négociation de l’hétérogénéité linguistique.

À partir de l’étude de projets éditoriaux précis issus des Caraïbes anglophones, francophones et hispanophones, dont les revues Bim, Tropiques et  Casa de las Américas, et de la comparaison de leurs visions et approches éditoriales, il s’agira d’examiner les répercussions de différentes stratégies de négociation du plurilinguisme. Envisager ces stratégies dans l’optique de politiques linguistiques à plus grande échelle permet de mettre au jour les tensions, les liens et les écarts qui existent entre, d’une part, les discours officiels, nationaux et régionaux sur la langue et, d’autre part, des pratiques narratives plus organiques.

Le statut du français au milieu du XIXe siècle dans le Bas-Canada
       Alexandra Hillinger, Université Concordia, Canada

Dans cette communication, nous nous proposons de dresser un portrait de la situation de la population francophone dans la province du Bas-Canada avant la Confédération de 1867. 

Il est vrai que les Canadiens-français n’ont pas perdu la totalité de leurs droits linguistiques à la suite de la Conquête de la Nouvelle-France par les forces britanniques en 1763. Bien que les anciens colons français auront droit à certains aménagements de nature linguistique, dans la fonction publique et dans le droit criminel, l’anglais est seule langue acceptée. Rappelons d’ailleurs que l’une des revendications du mouvement Patriote est la sauvegarde de la langue française et des institutions francophones (Dumont, 1993, p. 188-189).

Après l’échec des Rébellions des Patriotes de 1837, l’Assemblée législative est suspendue du Bas-Canada et le territoire est gouverné par décrets écrits par le gouverneur. Cette situation politique entraînera l’union des deux Canadas et le dépôt du tristement célèbre rapport Durham. Pour la première fois, l’usage du français est banni dans un texte constitutionnel. Ainsi, l’anglais devient la seule langue officielle du Canada et les traductions perdent toute valeur légale (The Union Act, 1840, section XLI).

Dans notre communication, nous nous proposons d’examiner en détail les politiques de la Couronne anglaise en matière d’utilisation du français. Ainsi, nous regarderons le statut du français en tant que langue non-officielle du Canada-Uni. Nous cherchons également à examiner le recours (ou le non-recours) à la traduction et à l’interprétation. À quelle situation linguistique est confrontée une personne unilingue francophone qui, par exemple, fait face à des accusations criminelles au milieu du XIXe siècle? Ainsi, un des aspects importants de notre recherche sera de mettre en lumière les aménagements linguistiques auxquels les Canadiens-français ont droit (ou non) lorsqu’ils doivent interagir avec les institutions gouvernementales anglophones. Sur le plan méthodologique, il s’agit donc d’une étude de cas, dans laquelle nous contextualiserons la situation du français et la valeur (sociale et légale) des traductions.

Le bilinguisme dans le système judiciaire de l’Ontario
       Jelena Holland, Université d’Ottawa, Canada (communication présentée en anglais)

Les politiques linguistiques des provinces et des territoires canadiens varient énormément et elles ont su s’adapter aux changements démographiques et législatifs. Actuellement, six gouvernements provinciaux offrent aux communautés minoritaires une éducation dans leur langue, afin de répondre aux exigences de la Section 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Au Manitoba, au Nouveau-Brunswick et au Québec, d’autres droits constitutionnels sont respectés, en plus de la Section 23, tandis que l’Ontario a mis en place une politique de droits statutaires au lieu de constitutionnels.

À l’inverse du Nouveau-Brunswick et des trois territoires ayant plus d’une langue officielle, l’Ontario a une politique linguistique régionale unique qui stipule que certaines régions de la province sont unilingues anglophones et que d’autres sont bilingues francophones et anglophones. Bien que certains services soient offerts dans les deux langues dans toute la province, la Loi sur les services en français (1986) donne le droit aux locuteurs d’être servis en français dans seulement 25 régions.

Cette communication portera sur le cadre légal du bilinguisme dans le système judiciaire ontarien et sur la mise en pratique de la Loi sur les langues officielles et de la Loi sur les services en français lors des procès. Plus précisément, il s’agira d’étudier les services de traduction et d’interprétation en français offerts conformément à ces lois, ainsi que les services linguistiques requis selon le Code criminel. Il s’agira également de comparer ces services avec les services d’interprétation proposés pour les langues non-officielles et de faire un survol du mode d’agrément des interprètes judiciaires.

Concevoir l’État, les langues officielles et le multilinguisme public
       Peter Ives, University of Winnipeg, Canada (communication présentée en anglais)

Bien que la corrélation historique entre la normalisation d’une langue et le concept d’État-nation européen soit claire (Anderson 1991, Hobsbawm 1990), le statut de « langue officielle » est nébuleux et n’est pas synonyme de langue nationale. Par ailleurs, la croissance actuelle de l’anglais et son rôle crucial dans les programmes scolaires nationaux requièrent une théorisation plus nuancée du sens du terme « officiel » tel qu’il est utilisé dans les politiques linguistiques. Alors que les États-Unis n’ont pas de « langue officielle », la suprématie de l’anglais en fait une langue ayant la fonction de « langue officielle ». Autre exemple : en Colombie, la politique nationale d’éducation (Programa Nacional de Bilingüismo, Colombia 2004-2019) vise à donner à ses citoyens une connaissance bilingue de l’espagnol et de l’anglais, même si l’espagnol est la seule « langue officielle » du pays.

Inspirée de ma récente critique de Will Kymlicka qui combine les concepts de vernaculaire, de langue nationale, de langue commune et de langue maternelle en un seul (Ives 2015: 59-61), cette communication explore les assises théoriques de la « langue officielle » en lien avec la théorie de l’étatisme et l’édification d’une nation. En me référant aux recommandations de Stephen May, qui estime que le « multilinguisme public » est préférable au « monolinguisme public » (May 2015), je proposerai des critères pour assurer que le « multilinguisme officiel », censé combattre les inégalités et l’oppression associées au « monolinguisme public » et à la langue conçus comme des foyers de rapports de force systémiques et asymétriques, produise les effets escomptés.

Vers une politique de traduction nationale en Inde
       Shashi Kumar, Indira Gandhi National Open University, Inde (communication présentée en anglais)

En juin 2005, Dr. Manmohan Singh, le Premier Ministre indien de l’époque, a créé le National Knowledge Commission (NKC) sous la présidence du Dr. Sam Pitroda. Son objectif était de préparer une feuille de route pour la réforme des institutions  et des infrastructures du savoir, afin que l’Inde puisse relever les défis de l’avenir.

Parmi ses recommandations, la NKC a reconnu que la traduction avait le potentiel d’assurer l’accès au savoir : « dans un pays plurilingue, la traduction devrait jouer un rôle crucial dans l’accès au savoir de divers groupes linguistiques » [traduction]. Afin d’encourager la traduction au pays, elle a recommandé la création de la National Translation Mission (NTM), avec un énorme budget de 2,5 milliards de roupies, du jamais vu dans le domaine de la traduction dans toute l’histoire de l’Inde indépendante.

La NTM est née en 2008. Son objectif principal est de faciliter la traduction des textes anglais fondateurs vers les 22 langues énumérées dans la constitution de l’Inde pour promouvoir la diffusion paritaire du savoir. Mis à part la création littéraire, toutes les disciplines importantes enseignées dans les collèges et les universités, aux premier, deuxième et troisième cycles, sont concernées : lettres, sciences humaines, sciences naturelles, droit et génie. Le principe sous-jacent est de faire tomber les barrières linguistiques pour que tous les étudiants qui ne connaissent pas l’anglais aient accès aux connaissances.

Cela étant, la NKC a-t-elle tenu compte des politiques scolaires et linguistiques en vigueur en Inde au moment de recommander la création de la NTM? Les politiques de traduction et d’édition étaient-elles en place au moment d’entreprendre un projet d’une telle envergure? En 2015, sept ans après sa création, quels sont les obstacles qui empêchent la NTM de se démarquer à l’échelle nationale et internationale? Dans l’optique de la NTM, cette communication étudie les politiques éducatives et linguistiques de l’Inde afin de contribuer à l’élaboration d’une politique de traduction nationale.

Remises en question de la politique et de la législation linguistiques canadiennes au 21e siècle
       Patricia Lamarre, Université de Montréal, Canada (communication présentée en anglais)

L’aménagement linguistique se construit sur deux postulats de base : 1) les langues et les contextes linguistiques peuvent être gérés et 2) les langues et les communautés linguistiques sont clairement délimitées. Malheureusement, il ne tient pas compte du caractère flou des frontières qui séparent les langues et les communautés linguistiques en contact.

Le Canada et le Québec ont traversé près de cinq décennies de politiques et de lois linguistiques visant à gérer les langues et à modifier le contexte linguistique. L’objectif était de combattre les inégalités entre les deux langues principales du Canada relevées dans des études importantes menées pendant les années 60 et 70 (Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Rapport Gendron). Bien que ces politiques aient reflété notre compréhension théorique de la langue à l’époque, de même que nos préoccupations politiques, elles sont mises à l’épreuve tant par les changements démographiques que par notre façon d’utiliser le langage et de concevoir la communauté et l’identité au 21e siècle. De plus, des théories du langage et de la communauté proposées dans le cadre de la sociolinguistique critique remettent en cause les postulats de base sur lesquels se fonde l’aménagement linguistique.

Qu’adviendra-t-il des politiques linguistiques canadiennes et québécoises face aux bouleversements qui étaient déjà amorcés dans les années 60 et 70 mais dont on ne ressent les effets qu’aujourd’hui? J’examinerai comment le bilinguisme et le plurilinguisme grandissant des jeunes Canadiens (au Québec et dans les autres provinces), leur utilisation des langues et leur vision de l’identité nous forcent à revoir les solutions linguistiques trouvées au Canada et au Québec dans les années 70.

Analyse discursive des politiques de traduction littéraire au Canada depuis 1972 : continuités, discontinuités et réorientations idéologiques
       Gillian Lane-Mercier, Université McGill, Canada

Cette communication porte, d’une part, sur le discours que tiennent sur la culture canadienne en général et la traduction littéraire en particulier les institutions culturelles fédérales ayant pour mandat de perpétuer le principe fédéral de parité des langues officielles du Canada, dont surtout le Conseil des arts. D’autre part, elle porte sur les politiques de traduction littéraire officielles sur lesquelles ce discours se fonde. L’hypothèse de départ se formule comme suit : censé refléter l’idéal d’échanges interculturels accrus et de reconnaissance mutuelle aux fondements de la politique linguistique officielle du Canada, ce discours est toutefois loin d’être homogène en raison de facteurs politiques, économiques et socioculturels qui y introduisent des discontinuités entre les valeurs incarnées par les politiques de traduction et l’incidence tant empirique qu’idéologique de ces dernières. À force de vouloir entretenir la vision officielle du gouvernement fédéral, ces politiques et le discours qu’elles génèrent se trouvent de plus en plus en porte à faux par rapport à la réalité culturelle canadienne. D’où une réorientation récente non pas tant des politiques elles-mêmes que des valeurs qui les sous-tendent. A partir d’une analyse de documents publiés depuis une quarantaine d’années par le Conseil des arts du Canada, il s’agit de mettre au jour les tensions idéologiques qui sous-tendent ses politiques de traduction littéraire et, par extension, le modèle canadien de bilinguisme et de multiculturalisme officiels.

Dyw un iaith byth yn ddigon : une seule langue n’est jamais suffisante. Les politiques linguistiques et la traduction au Pays de Galles moderne
       Anastasia Llewellyn, Université Concordia, Canada (communication présentée en anglais)

Les étrangers connaissent généralement peu le Pays de Galles, au-delà du fait qu’il est membre de la Grande-Bretagne. En effet, il a été annexé par les Anglais il y a plus de 700 ans et les invasions, les conquêtes et les assimilations jalonnent son passé. De nos jours, les universitaires commencent à voir le cas gallois d’un point de vue postcolonial et à reconnaître l’importance de ce tournant culturel. En tant que langue « minoritaire » de la majorité dominée, et à la lumière de siècles d’hégémonie anglaise, le gallois n’a jamais été sur un pied d’égalité avec l’anglais dans la vie publique avant 1994 et n’est devenu une langue officielle du Pays de Galles qu’en 2011. Malgré tout, la langue et la culture galloises ont connu un regain de vivacité notable au 20e et au 21e siècle, consolidé par la création de l’Assemblée nationale bilingue du Pays de Galles en 1999. Les organismes publics se démènent pour répondre à la demande de traducteurs qualifiés et il est impossible de traduire tous les documents produits par le gouvernement. À l’ère de la mondialisation, le Pays de Galles peut s’inspirer de modèles de réussite, comme ceux du Canada et de l’Irlande. Bien que la traduction soit une profession relativement récente au Pays de Galles, l’aménagement linguistique et les politiques officielles nécessitent de plus en plus les services de traducteurs et d’interprètes, qui doivent être familiers avec les cultures de départ et d’arrivée. À partir des travaux de Reine Meylaerts sur les politiques de langues minoritaires, de ceux de Michael Cronin sur l’Irlande et de ceux de Judith Kaufmann à propos de l’aménagement linguistique au Pays de Galles, nous étudierons les difficultés soulevées par la demande croissante de traductions officielles au Pays de Galles, ainsi que les réussites.

Un développement solide et la mise en place de langues autochtones peuvent-ils améliorer le taux de succès de l’enseignement supérieur en Afrique du Sud?
       Buyi Makhanya, Mangosuthu University of Technology, Afrique du Sud (communication présentée en anglais)

Le débat linguistique en Afrique du Sud est controversé et partisan depuis 1976. Suite aux émeutes de Soweto la même année, le gouvernement a annoncé que l’afrikaans deviendrait la langue d’instruction nationale. Actuellement, la constitution de l’Afrique du Sud nomme onze langues officielles ayant toutes un statut égal. Hormis l’afrikaans et l’anglais, la survie, la promotion et l’évolution des neuf autres langues autochtones officielles vers des langues d’enseignement universitaire, d’affaires et de recherche dépendent uniquement du gouvernement, des universitaires, des spécialistes du langage et des décideurs politiques.

Cette communication porte sur le besoin pressant de réformes linguistiques dans le système d’éducation supérieure en Afrique du Sud, en prêtant une attention particulière à la question du plurilinguisme. Elle soutient que la langue ne devrait pas être une barrière limitant l’égalité d’accès et la réussite aux études supérieures. Certaines conclusions reposent sur les résultats d’une étude menée sur quatre groupes très divers d’étudiants [N=20 (travailleur de la construction 1); N=9 (marketing 2); N=31(tuteurs ICT: NSF 3/4); N=31(publicité, finance et comptabilité 1)] de trois facultés de l’Université de technologie de Mangosuthu. Les résultats démontrent que le taux de réussite pourrait être amélioré en utilisant les langues africaines. Les participants issus d’écoles rurales disaient préférer leur langue maternelle pour l’apprentissage interactif et croient pouvoir bonifier leurs résultats scolaires grâce à elle. La plupart des participants avaient étudié l’anglais la dernière année avant leur entrée à l’université (Matric); 80 % des tuteurs étaient satisfaits de l’usage de l’anglais en classe et acceptaient de consulter un dictionnaire lorsqu’ils se heurtaient à un mot ou un concept problématique. Nous avançons que les universités doivent répondre à l’évolution des exigences et des attentes de leurs étudiants actuels et futurs, afin que ceux-ci puissent bénéficier d’un enseignement et d’un apprentissage dans leur langue préférée. Ceci leur permettrait aussi d’améliorer leur compréhension de la langue et de rehausser leurs aptitudes académiques. Enfin, nous recommandons que la recherche sur le plurilinguisme se poursuive, mais que l’accent soit mis sur l’amélioration du taux de réussite aux études universitaires.

Défendre le bilinguisme ? Les attitudes face aux politiques linguistiques au Canada et en Finlande
       Mike Medeiros, Université McGill, Canada et Hanna Wass, University of Helsinki, Finlande (communication présentée en anglais)

Le bilinguisme a été au coeur de débats sociopolitiques cruciaux au Canada et en Finlande. Les Francophones et les Suédophones jouent encore un rôle important sur la scène sociopolitique de leurs pays respectifs, surtout en ce qui a trait aux politiques linguistiques.

Au Canada, les combats linguistiques des dernières décennies visant à promouvoir le français dans la société et dans les contacts gouvernementaux sont pour la plupart disparus. Il ne reste que quelques campagnes de petite envergure qui tantôt encouragent et protègent le bilinguisme tantôt cherchent à l’affaiblir. En Finlande, la situation est très différente. Les dernières années ont été témoin de démarches sérieuses visant à ébranler la place du suédois dans la société finlandaise.

Qu’est-ce qui peut expliquer des réactions sociales diamétralement opposées face aux politiques linguistiques des deux pays? Nous croyons que l’explication tient peut-être dans le niveau de satisfaction face aux politiques bilingues de chaque pays. Nous formulons l’hypothèse suivante : les Francophones et les non Francophones du Canada sont relativement satisfaits de l’état actuel des politiques de bilinguisme, si bien que les Francophones se battent moins pour renforcer leurs droits linguistiques et les non Francophones cherchent moins à limiter ces droits. Au contraire, les non Suédophones en Finlande sont insatisfaits des politiques de bilinguisme de leur pays, ce qui se traduit par des efforts visant à obtenir des modifications importantes.

Notre communication propose de vérifier cette hypothèse à l’aide de données d’enquête de l’Étude électorale canadienne et de l’Étude électorale finlandaise. Ce faisant, elle propose  d’identifier les facteurs sociodémographiques et politiques qui influencent les attitudes des citoyens face aux politiques bilingues de leur pays.

Notre étude cherche à découvrir le rôle joué par l’appui populaire dans l’acceptation des politiques linguistiques et les facteurs qui influencent de telles attitudes.

La politique traductionnelle au gouvernement fédéral du Canada : enquête préliminaire
       Denise Merkle, Université de Moncton, Canada

Selon R. Meylaerts, il y a pénurie de recherches sur les politiques de traduction dans des contextes de plurilinguisme officiel. Or, les politiques de traduction peuvent étayer le droit démocratique des citoyens de communiquer avec les autorités, et, de surcroît, ces politiques encadrent l’emploi des langues officielles dans le domaine public. Cette communication se donne la tâche d’étudier l’évolution des politiques de traduction dans le contexte canadien de bilinguisme officiel. Cette enquête préliminaire vise à répondre aux questions suivantes : La traduction donne-t-elle accès à la vie et aux services publics? Quels règlements juridiques régissent la traduction dans la fonction publique? Étant donné l’absence d’études systématiques de justice traductionnelle dans le contexte canadien, cette étude vise à contribuer, quoique fort modestement, à combler la lacune.

Un plurilinguisme suisse parfois linguicide? Le paradoxe franco-provençal
       Manuel Meune, Université de Montréal, Canada

Le plurilinguisme suisse, fondé sur la territorialité (une langue officielle par territoire) et quelques concessions au principe de liberté (zones bilingues), apparaît souvent comme un modèle de gestion de la diversité et de protection des « petites langues » – comme le romanche. Or, le franco-provençal, langue autochtone parlée sous diverses variantes dans trois pays, a décliné aussi vite en Suisse qu’en France, pays connu pour son assimilationnisme linguicide, mais moins vite qu’en Italie, dont le mode d’aménagement linguistique est moins valorisé que le « modèle suisse ». Nous expliquerons ce paradoxe en analysant les représentations et politiques linguistiques (passées et présentes) en Suisse et dans les pays voisins, s’agissant des parlers franco-provençaux (souvent appelés « patois ») – et sans oublier qu’en Suisse, autre paradoxe, les dialectes germaniques, eux aussi sans statut officiel, sont plus vivants qu’en Allemagne ou en France.

Pour ou contre le plurilinguisme en Belgique : le débat des politiques de traduction dans la presse francophone et néerlandaise (1850-1900)
       Reine Meylaerts, KU Leuven, Belgique (communication présentée en anglais)

À la fondation de la Belgique en 1830, la langue officielle était le français même si la majorité des nouveaux Belges parlaient néerlandais (ou plutôt divers dialectes flamands). Comment les autorités belges ont-elles cherché à amorcer le dialogue interlinguistique avec leurs citoyens flamands? Sans surprise, les enjeux soulevés par les politiques de traduction ont été fréquemment débattus, de concert avec la nécessité, l’importance, les désavantages et les avantages d’assurer la communication entre les autorités légales et judiciaires et les citoyens.

Dans cette communication, j’aborderai deux facettes précises des enjeux de ces politiques de traduction :

Les croyances sur la traduction qui sous-tendent les discussions au sujet des politiques linguistiques et de traduction dans les débats parlementaires entre 1850 et 1900.
La publication et la traduction de ces débats dans les journaux flamands et francophones (1850-1900).

La (dé)/(re)-construction du modèle de plurilinguisme en contexte de surdité : entre succès législatifs et freins représentationnels
       Saskia Mugnier et Agnès Millet, Université Grenoble Alpes, France

La surdité, en France comme ailleurs, intéresse de nombreuses sphères sociales – spécialement médicales, éducatives, et plus généralement sociétales. Nous avions, en 2006, pu mettre au jour les interactions entre les principaux facteurs en jeu dans la mise en place d’un modèle éducatif plurilingue auprès des jeunes sourds (Mugnier, 2006). Nous avions conclu alors que les freins et les moteurs pointés ne se situaient pas au même niveau. Les moteurs reposaient sur des démarches locales – volonté d’une équipe pédagogique, d’un établissement, implication d’une association, etc. – tandis que les freins découlaient principalement d’institutions – cadre légal, École, etc. Un des leviers essentiels à la mise en place d’une éducation plurilingue dans la sphère éducative nous semblait alors reposer tout spécialement sur le cadre législatif, puisqu’il permet, d’une manière générale, d’asseoir les dispositifs pédagogiques et de légitimer les pratiques des acteurs de terrains. Or, c’est précisément ce cadre législatif qui a connu, au cours de ces dernières années, un nombre conséquent de changements.

Dans cette présentation, nous nous proposons d’analyser ces phénomènes de construction/ déconstruction/reconstruction des modèles officiels de plurilinguisme dans le champ de la surdité et de mesurer les intrications entre sphère institutionnelle et terrain. Nous donnerons, en premier lieu, un aperçu de la construction historique des représentations sociales de la surdité en France en glosant brièvement les époques phare de cette construction. Nous nous centrerons ensuite sur les politiques linguistiques et les politiques du handicap ainsi que leurs évolutions les plus récentes et sur leurs liens avec les représentations majoritaires. Dans un dernier point, nous envisagerons les perspectives de changements possibles à travers l’analyse des moteurs et des freins qui, au sein de l’espace social, constituent des éléments de blocage au plurilinguisme sourd ou le favorisent – que ces « freins et moteurs » émanent d’institutions, d’usagers de ces institutions ou d’acteurs de terrain.

La Constitution du Kenya (2010) : répercussions sur l’aménagement, les politiques et la gestion linguistiques au Kenya
       Munene Mwaniki, University of the Free State, Afrique du Sud (communication présentée en anglais)

La structure de la Constitution du Kenya de 2010, fondée sur la Déclaration des droits et sur un gouvernement décentralisé, a bouleversé à grande échelle le cadre général des politiques linguistiques, de l’aménagement linguistique et des pratiques linguistiques connexes. Contrairement à la Constitution précédente, la nouvelle Constitution fait du kiswahili la langue nationale et de l’anglais la langue officielle. Elle recommande à l’État la protection de la diversité linguistique de la population et la promotion de l’utilisation des langues autochtones, de la langue des signes kényane, du braille et des autres méthodes et technologies requises pour les personnes ayant un handicap. Ces améliorations ont une incidence potentielle sur les politiques linguistiques, l’aménagement linguistique et les pratiques linguistiques au Kenya. Or, les recherches sur les répercussions de ces changements sont rares, peut-être parce que ces derniers sont encore récents. Notre communication se propose de combler cette lacune.

Nous aimerions proposer des éléments de réponse aux questions suivantes : quel est l’éventuel impact du cadre plurilingue de la Constitution du Kenya (2010) sur les politiques, l’aménagement et les pratiques linguistiques au Kenya ? Quelles incidences peuvent avoir les nouvelles politiques et pratiques linguistiques susceptibles d’en émaner sur les fondements et l’identité de la deuxième République du Kenya ? À partir d’une étude descriptive approfondie de la littérature existante, nous aborderons ces questions dans une perspective sociologique et politico-linguistique. Plus précisément, nous nous référerons aux théories de la politique et de l’aménagement linguistiques, ainsi qu’à la théorie de la gestion linguistique. Selon nos résultats préliminaires, les politiques, l’aménagement et les pratiques linguistiques sont indispensables à la (re)définition des fondements et de l’identité de la deuxième République du Kenya; de plus, la langue occupe une place centrale dans le fonctionnement d’un gouvernement décentralisé.

Pour et contre le bilinguisme canadien au théâtre. Canada 300 : Une nouvelle conversation nationale
       Nicole Nolette, Harvard University, États-Unis

Dans le cadre de ce colloque, je propose une communication qui amorce mon projet de recherche sur le bilinguisme officiel au Canada et les manifestations théâtrales qui l’abordent directement. Je parlerai plus spécifiquement de Canada 300 : A New National Conversation – Une nouvelle conversation nationale, du Watermark Theatre de l’Île-du-Prince-Édouard, un spectacle avec un volet rétrospectif des 150 ans depuis la Conférence de Charlottetown qui a mené à la création du Canada et un volet prospectif délimitant « une nouvelle conversation au sujet des espoirs, des craintes et des rêves des Canadiens pour les sept prochaines générations » (« Introduction », en ligne), ou les 150 prochaines années. Le spectacle comprend 9 vignettes écrites par des auteurs d’un peu partout au Canada en français ou en anglais, et traduites dans l’autre langue officielle. Il a été présenté entre janvier et avril 2015 en tournée un peu partout au Canada, dans des communautés où les spectateurs choisissaient la proportion des deux langues jouées sur scène chaque soir : un peu de français, beaucoup d’anglais; un peu d’anglais, beaucoup de français; moitié-moitié. Le spectacle au complet est surtitré dans la langue qui n’est pas parlée sur scène. M’appuyant sur un travail ethnographique et littéraire, je me concentrerai sur trois aspects du spectacle : la représentation théâtrale qu’il fait du bilinguisme historique au Canada, le choix laissé aux spectateurs de confirmer ou de transformer l’asymétrie linguistique dans le présent dramatique, et la discussion civique sur l’avenir du bilinguisme officiel. Je souhaite ainsi explorer la tension qui habite ce théâtre qui se réclame explicitement du modèle officiel du bilinguisme au Canada et qui fournit donc un contre-exemple important aux conceptions littéraires du plurilinguisme comme l’« hétérolinguisme » (Grutman), dont l’appellation a justement pour but d’éviter un rapprochement trop rapide aux politiques de bilinguisme officiel.

Les enjeux et les défis majeurs de l’enseignement des langues officielles : Une analyse comparative entre le Burundi et le Canada
       Léonidas Nsabimana, Université du Québec en Outaouais, Canada et Juvénal Barankenguje, Algonquin College, Canada

Le Canada et le Burundi ont une politique linguistique différente en matière d’enseignement des langues officielles. Or, on sait que la politique linguistique s’avère l’une des voies à privilégier pour créer des espaces communs au sein desquels participent tous les groupes culturels d’une société donnée. Tandis que le gouvernement canadien prône le bilinguisme officiel, le gouvernement du Burundi met de l’avant une éducation plurilingue comprenant quatre langues à l’école primaire. Dans le contexte des dernières réformes des programmes d’enseignement au Burundi, nous nous questionnons sur la nature et la place de l’éducation de type multiculturel et plurilingue du Canada et du Burundi, relativement à la diversité culturelle des populations desservies d’un côté (Canada) et face à l’unique langue maternelle d’un autre côté (Burundi). Comment le bilinguisme officiel prôné par le Canada se reflète-il dans le système d’enseignement ? Comment la visée plurilingue prônée par la récente réforme linguistique se reflète-t-elle dans le système d’enseignement au Burundi? Quelles langues faudrait-il privilégier dans l’enseignement vu le contexte plurilingue burundais ? Quels aspects différencient le Burundi du Canada en ce qui a trait au statut des langues enseignées et des langues d’enseignement? Notre étude propose une analyse descriptive et comparative de l’enseignement  des langues officielles au Canada et au Burundi à ces deux niveaux d’enseignement : le primaire et le secondaire. L’analyse effectuée, qui s’inscrit dans la perspective de l’éducation plurilingue, s’est appuyée sur la typologie des approches multiculturelles de Banks (1989). La présente proposition tente de répondre aux questions susmentionnées en vue d’enrichir la réflexion sur la problématique de l’enseignement des langues officielles dans deux contextes culturels tout à fait différents : le Canada et le Burundi.

Indigéniser la politique linguistique canadienne : corriger les inégalités raciales dans la langue et l’éducation
       Donna Patrick, Carleton University, Canada (communication présentée en anglais)

Cette communication s’intéresse aux politiques linguistiques autochtones du Canada en étudiant les initiatives contemporaines dans une perspective historique. Grâce à Appels à l’action, le rapport publié en 2015 par la Commission de vérité et réconciliation du Canada, ainsi qu’aux revendications toujours plus nombreuses pour la hausse du taux de succès des Autochtones aux études secondaires et postsecondaires, l’attention accordée aux langues autochtones sur la scène publique n’a jamais été aussi soutenue. Il n’en demeure pas moins que la compréhension des enjeux linguistiques actuels requiert une analyse historique des politiques linguistiques du Canada sous l’angle des rapports de force et des systèmes de hiérarchisation raciale. Les politiques linguistiques autochtones, qu’elles émanent d’activités locales à petite échelle ou de contextes institutionnaux plus larges, doivent être définies comme des étapes dans un processus de décolonisation et comme autant d’avancées vers l’autodétermination autochtone, lesquelles prennent de plus en plus d’ampleur.

Notre objectif est de situer les politiques linguistiques et éducatives autochtones dans une perspective temporelle. Il s’agit 1) de relever les legs transmis par les politiques fédérales colonisatrices et racistes, qui ont forgé des liens de dépendance en regard, notamment, de la citoyenneté, de l’éducation et des langues et 2) de souligner le rapport entre la sphère politique contemporaine et les transformations politiques, économiques et géographiques en cours. À ce sujet, les politiques et les procédures qu’il faudrait développer, tant au niveau local qu’à plus grande échelle, doivent répondre directement aux besoins autochtones et aux réalités linguistiques et culturelles des communautés autochtones. Autrement dit, l’élaboration de politiques doit être intégrée au discours plus large sur la « réconciliation » et la décolonisation. Des exemples des histoires coloniales de l’Arctique canadien, dont certaines sont mentionnées dans la Commission de vérité Qikiqtani (2007-2010), et du milieu autochtone au Canada en général serviront à illustrer les deux points ci-dessus. Bien que les politiques linguistiques et scolaires depuis le début des années 60 aient été novatrices dans l’Arctique canadien, le défi le plus important consiste à continuer d’aller de l’avant dans le contexte actuel de bouleversements politiques, économiques et environnementaux.

Les Québécois et les anglicismes : ou quand la politique avive le dédoublement linguistique
       Cécile Planchon, Université d’Ottawa, Canada

Depuis que l’Office québécois de la langue française a été doté de la responsabilité de gestion de la politique linguistique dans la province, cette institution, chargée de « surveille[r] l'évolution de la situation linguistique au Québec […] a pour mission de définir et de conduire la politique québécoise en matière d'officialisation linguistique, de terminologie ainsi que de francisation de l'Administration et des entreprises [et] est également chargé d'assurer le respect de la Charte de la langue française ». À la manière de l’Académie française, il établit la norme et décide de l’acceptabilité de tel ou tel terme, bannissant tout « emplois fautif », catégorie qui regroupe entre autre les fameux anglicismes.

Quel rapport entretiennent donc les Québécois avec cette politique qui régissent leur communication au quotidien ? Et avec ces anglicismes ? Officiellement honnis mais couramment utilisés, quelles sont les raisons qui les poussent à y avoir recours ? Connaissent-ils même leurs équivalents français et les utilisent-ils de la même façon ? J’ai tenté de répondre à ces questions en relevant les 10 anglicismes les plus courants dans un corpus formé de tous les articles publiés par le journal québécois La Presse au cours de l’année 2014 puis en interrogeant des étudiants québécois à l’aide d’un sondage à questions fermées. Mes résultats préliminaires montrent que dans les cas où l’équivalent est connu (environ 50%), une différence de nuance sémantique est observée et le comportement linguistique change selon que l’utilisation est orale ou écrite, soutenue ou non. Il semblerait donc que les politiques obligent les Québécois à écrire en « bon français », tout en attisant l’essence purement québécoise de leur oral qui, bien loin de se conformer à ces normes officielles de bon usage, s’enrichit et se nourrit continuellement de ce multiculturalisme linguistique.

L’aménagement culturel et linguistique dans la francophonie au Québec et au Canada
       Anne Robineau, Institut canadien de recherche sur les minorités, Canada

Cette présentation traitera de l’action culturelle et des politiques d’aménagement culturel et linguistique dans la francophonie canadienne dans une perspective comparative entre le Québec et les communautés francophones des autres provinces canadiennes. La culture déborde souvent le cadre des politiques strictement linguistiques et culturelles en faisant l’objet de stratégies sectorielles dans le domaine de l’art, de l’éducation et, de plus en plus, dans le domaine de l’immigration. La culture est donc au cœur de plusieurs champs de compétences qui relèvent tantôt de politiques fédérales, tantôt de politiques provinciales, territoriales, voire municipales. Au sein des communautés francophones du Québec et hors Québec, ces politiques publiques renvoient aussi à des conceptions différentes du rôle de la culture dans le maintien du fait français (levier économique, affirmation identitaire, éveil artistique, multiculturalisme, interculturalisme, diplomatie culturelle, etc.). Il y a donc des rapports complexes qui en découlent entre le gouvernement fédéral, les gouvernements des provinces et la société civile.

Nous présenterons quelques stratégies (du Nouveau-Brunswick et du Québec) afin de montrer comment certaines politiques publiques s’inscrivent à la fois dans la définition d’une spécificité culturelle et dans la préservation de la diversité des identités linguistiques. Cette communication traitera des questions de bilinguisme officiel du Canada et du rapport entre des groupes linguistiques majoritaires et minoritaires. Nous présenterons plus spécifiquement comment certaines politiques publiques en matière de langue et de culture structurent les rapports de gouvernance de groupes francophones. Nous ferons entre autres état de quelques cas où des initiatives communautaires, qui visaient à compenser le manque d’égalité réelle chez les minorités francophones, ont permis une plus grande reconnaissance du rôle du secteur culturel dans le maintien du fait français au Canada.

Le plurilinguisme non-officiel dans une province interculturelle : étude de cas concrets de politiques linguistiques
       Mela Sarkar et le groupe de recherche BILD : Mehdi Babaei, Casey Burkholder, Alison Crump, Lauren Godfrey-Smith, Sumanthra Govender, Kathleen Green, Patricia Houde, Heather Phipps, Michaela Salmon, Université McGill (communication présentée en anglais)

Les membres du groupe de recherche Belonging, Identity, Language, and Diversity (BILD) se sont réunis au Department of Integrated Studies in Education (DISE) à l’Université McGill en 2013. À l’aide de plusieurs méthodologies originales et innovantes applicables à un large éventail de disciplines, le groupe de recherche BILD s’intéresse aux effets des politiques linguistiques sur les individus et les communautés au Canada, surtout à Montréal, d’un point de vue sociolinguistique critique (Heller, 2007).

Dans cette communication, l’étude de plusieurs cas (Merriam, 2008) permettra de juxtaposer les expériences de locuteurs issus de communautés minoritaires du milieu interculturel et plurilingue québécois. À partir de recherches menées récemment par les membres du groupe, les cas étudiés portent sur le point de vue des communautés autochtones; sur ceux qui apprennent et enseignent les langues officielles canadiennes; sur les immigrants ayant reçu une éducation supérieure; sur les locuteurs d’une langue d’héritage; sur les jeunes enfants victimes de racisme. Nous remettrons en question le modèle « pour ou contre » binaire et la non spécificité de la politique interculturelle québécoise actuelle, en vue de soutenir qu’un ensemble plus complexe de points de vue locaux est nécessaire pour bien comprendre les réalités pluriculturelles et plurilingues québécoises. Notre recherche est directement liée à et informée par des expériences plurilingues/pluriculturelles que nous avons vécues dans le contexte de la politique interculturelle du Québec. Sans prétendre généraliser, nous souhaitons contribuer au dialogue actuel sur le prescriptivisme et les normes d’utilisation des langues dans l’espace public de communautés variées. Nous utilisons des méthodes diversifiées incluant des approches non-statiques, communautaires ou menées sur internet, des entrevues plus traditionnelles et des méthodes mixtes. Dans le cadre plus large des sciences l’éducation, notre présentation de plusieurs études de cas proposera une vision sociolinguistique critique du thème du colloque. Cette communication contribuera aux débats sur les politiques linguistiques et l’aménagement linguistique au Québec dans le contexte d’un Canada multilingue uni.

Façonner les destins : les langues et l’éducation contestées dans la lutte pour l’égalité sociale
       Deborah Shadd, Nida Institute, États-Unis (communication présentée en anglais)

« Le destin d’un peuple est étroitement lié au niveau d’éducation de ses enfants » [traduction] (RCAP 1996, vol.3 : 404). En tenant cette affirmation pour acquise, notre objectif est d’examiner le point de rencontre des politiques linguistiques et éducatives au Canada. Il s’agit de voir la façon dont ces deux domaines ont influencé la construction de l’identité canadienne ainsi que les luttes des groupes linguistiques qui tentent de trouver leur place dans la sphère sociale à l’échelle nationale. La Commission Laurendeau-Dunton a fait remarquer que « d’autres institutions, dont il ne faut pas sous-estimer l’importance, imposent des contraintes sur notre vie économique et sociale ». « Cependant, les changements en matière d’éducation sont préalables à d’autres réformes et modifications essentielles » (1968, vol.2 : 3).

 Dans un contexte aussi multiculturel que celui du Canada, il y a sans aucun doute des raisons pragmatiques au traitement variable des langues dans le système d’éducation. Toutefois, une étude attentive de documents législatifs historiques clés révèle des incohérences dans l’argumentation comme dans les réflexions qui y sont mises de l’avant; ce faisant, elle met en lumière des attitudes hostiles tacites qui encouragent un traitement différentiel. Cette communication propose une comparaison de deux documents de ce type : le rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (1967-70) et l’Étude sur les Indiens contemporains du Canada (1966-67). Ces deux rapports d’enquête, commandés à quelques mois d’intervalle, ont proposé des raisonnements identiques portant sur l’importance centrale de la langue et de l’éducation dans l’élaboration de l’identité des communautés linguistiques. Or, malgré leur discours et leurs recommandations similaires, des stratégies argumentatives et de mise en application gouvernementale différentielles ont fait naître une hiérarchie linguistique entre les langues officielles, les langues autres et les langues autochtones. Adoptée dans les milieux d’enseignement et présente dans d’autres institutions publiques, cette hiérarchisation a produit des effets durables sur la structure de la société canadienne.

Bilinguisme institutionnel et pluriculturalisme au Cameroun : Entre osmose et rejet de la différence culturelle
       Alphonse Zozime Tamekamta, Université de Yaoundé I, Cameroun

Le Cameroun offre un cas particulier de bilinguisme institutionnel (français et anglais) officialisé depuis l’avènement de la Réunification consacrée le 1er octobre 1961. Ainsi, depuis cette date, l’anglais et le français ont cohabité plus ou moins harmonieusement. Bien que la constitution en vigueur au Cameroun (celle du 18 janvier 1996) ait admis le bilinguisme, on note une altération continue de l’une ou l’autre langue officielle selon qu’on soit en zone francophone (huit régions administratives) ou anglophone (deux régions administratives). Il s’agit, selon les cas, de l’expression d’une dynamique interne hypothéquée par le jeu concurrentiel des citoyens et des acteurs politiques. La règle tacite de partage du pouvoir central entre Camerounais d’expression anglaise et française, l’équilibre ethno-régional, les difficultés d’harmonisation des sous-systèmes éducatifs anglais et français etc. déteignent sur le discours officiel approbateur du bilinguisme au Cameroun.

Aussi, trois grands groupes humains, répartis en 250 ethnies, peuplent-ils le pays : les Soudanais (paléo et néo-Soudanais) au Nord, les Pygmées (habitant la forêt), les Bantous (Bulu-Béti-Fang, Duala, Bakoko, Bakossi, Bakweri etc.) et les semi-Bantous (Bamiléké, Bamoun etc) au Sud. Avec plus de 270 unités linguistiques, le Cameroun n’est pas moins épargné des problèmes de tribalisme, exacerbé en période de crises sociale et politique majeures (années de braises en 1990-1992, émeutes de la faim en février 2008, etc.).

Cette réflexion se propose de questionner l’impact du bilinguisme et du pluriculturalisme dans la réalisation de l’intégration/unité nationale au Cameroun depuis 1961. Comment le bilinguisme et le pluriculturalisme se déploient-ils au Cameroun, au regard des spécificités historiques ? Sont-ils concurrents et porteurs de tensions/crises sociales ou sont-ils analogues et marqueurs de solidarité linguistique et culturelle ?

Des modèles de plurilinguisme (non-)officiels : la traduction et l’éducation bilingue interculturelle au Mexique contemporain
       Aimée Valckx Gutierrez, Université d’Ottawa, Canada (communication présentée en anglais)

Dans les premières années du 21e siècle, la reconnaissance officielle du pluriculturalisme au Mexique a évolué. La Constitution mexicaine a été modifiée et des lois ont été adoptées pour reconnaitre les droits linguistiques des populations autochtones et leur donner accès à une éducation dans leurs langues. De plus, les langues espagnoles et autochtones ont été mises sur un pied d’égalité dans les commerces publics, les services publics, l’accès à l’information et dans l’éducation selon le modèle de l’éducation bilingue interculturelle.

Une des manifestations concrètes de ces améliorations consiste dans la création de documents monolingues et plurilingues, en langues autochtones et non-autochtones, par des institutions gouvernementales et non-gouvernementales. Tout porte à croire que la traduction joue un rôle crucial dans leur production, bien que ce rôle ne soit pas explicitement reconnu. À la lumière des rapports de force qui existent entre les langues et les cultures concernées, on peut avancer que la traduction est le lieu de manifestation des motifs, des buts et des croyances conflictuels qui sous-tendent la production et la diffusion de ce genre de documents.

Cette communication présentera quelques résultats préliminaires de mes recherches doctorales qui portent sur l’utilisation de la traduction dans le contexte de l’éducation bilingue interculturelle au Mexique. L’objectif est d’établir jusqu’à quel point l’éducation est interculturelle et bilingue, compte tenu du discours politique du gouvernement mexicain sur son engagement à protéger les droits linguistiques des peuples autochtones, une part, et, de l’autre, de la prise de position critique des institutions non-gouvernementales sur le sujet. Il s’agit de faire la lumière sur les modèles (non-)officiels de plurilinguisme et de pluriculturalisme d’un pays qui, bien qu’il possède 69 « langues nationales », mais aucune langue officielle, doit relever à sa manière les mêmes défis que les pays officiellement plurilingues.

Re-penser la traduction dans le cadre de l’éducation plurilingue en Inde
       Vanamala Viswanatha, Azim Premji University, Inde (communication présentée en anglais)

Des universitaires éminents ont retracé l’histoire et délimité le territoire du plurilinguisme en Inde ; de plus ils ont revendiqué un modèle plurilingue spécifique au système scolaire du pays susceptible de favoriser l’inclusion. Or, bien que ces travaux importants aient fourni un cadre au plurilinguisme en Inde, il est nécessaire d’élaborer des principes socioculturels et psycholinguistiques cohérents, ainsi que des méthodes pédagogiques qui tiennent compte du terrain. Mes travaux à la Faculté d’éducation de l’Université Azim Premji, laquelle tend vers une « société honnête, équitable, durable et charitable » [traduction], portent sur le développement d’un paradigme plurilingue. En prenant appui sur ces recherches, je présenterai trois projets qui visent l’accès à une éducation de qualité : des cours de 2e et 3e cycles en sciences de l’éducation qui permettent d’acquérir une perspective et une pédagogie plurilingues ; des cours permettant de perfectionner les techniques d’apprentissage aux cycles supérieurs ; la traduction des textes fondateurs anglais vers les langues indiennes.

Les dédales de l’intégration. Les programmes d’intégration civique et les (nouvelles) exigences pour connaître la langue du pays d’accueil : lecas belge
       Catherine Xhardez, Université Saint-Louis, Belgique & Sciences Po, France (communication présentée en anglais)

Plusieurs pays européens ont récemment instauré des programmes d’intégration civique pour s’assurer que les nouveaux arrivants répondent aux exigences du pays d’accueil avant d’y entrer, d’y résider, de profiter des avantages sociaux ou d’être naturalisés. Les immigrants doivent suivre des cours de langue et de citoyenneté et/ou passer des examens suite à leur arrivée au pays. Dans cette communication, je recourrai à la théorie politique en vue d’étudier les exigences linguistiques et les enjeux principaux que celles-ci soulèvent. Je m’intéresserai d’abord aux attentes légitimes que l’on peut avoir relatives à l’apprentissage de la langue par les nouveaux arrivants. Dans un deuxième temps, j’adopterai le point de vue opposé afin d’examiner les mesures prises par l’État et les citoyens pour favoriser leur intégration. Dans un troisième temps, j’avancerai que les exigences linguistiques obligatoires sont particulièrement significatives de par leur nature et leur envergure. Une telle situation soulève de nouveaux défis pour les états libéraux qui doivent trouver un équilibre entre les politiques visant la cohésion sociale et le respect de « l’autonomie morale » des immigrants.

Afin d’étudier in concreto ces enjeux, j’examinerai les politiques d’intégration belges actuelles, en prêtant attention aux discours des intervenants. Le cas belge est particulièrement pertinent parce que les diverses politiques d’intégration (des Flandres, de Wallonie et de Bruxelles) subissent des bouleversements considérables qui les font converger vers un nouveau type d’assimilationisme (plus interventionniste). Depuis 2004, un programme (inburgering) a été mis en place dans les Flandres afin de faciliter l’intégration civique des ressortissants des pays non-membres de l’Union européenne par le biais d’un cours d’intégration obligatoire. Des politiques similaires sont actuellement en train d’être mises en place en Wallonie et à Bruxelles, ce qui a déclenché un débat public important sur la l’apprentissage linguistique et ses exigences. Cette communication se situe à l’intersection de l’analyse des politiques publiques et de la théorie politique.

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