I. Généralités

L'arbitrage conventionnel au Québec
Par Frédéric Bachand

À propos de ce site

La mission de ce site est strictement éducative. Il a pour principaux objectifs de faciliter l'accès aux sources pertinentes du droit québécois de l'arbitrage conventionnel et de présenter certaines informations sur la pratique de l'arbitrage au Québec. Il s'adresse d'abord et avant tout à des juristes œuvrant ou non au Québec.

Comme tout site de ce genre, il n'a aucunement vocation à fournir à l'usager des avis d'ordre juridique. Si vous avez besoin d'un avis juridique, consultez un membre du Barreau du Québec.

Qu'est-ce que l'arbitrage conventionnel?

L'arbitrage conventionnel est un mode de résolution de litiges en vertu duquel les parties confèrent à un ou plusieurs tiers, le ou les arbitre(s), le pouvoir de trancher un litige en rendant une décision qui est -- en principe -- finale, obligatoire et exécutoire, comme l'est une décision judiciaire. Les arbitres sont en quelque sorte des juges privés.

L'arbitrage conventionnel doit être distingué de la médiation, un autre mode extrajudiciaire de résolution de litiges en vertu duquel les efforts des parties de régler à l'amiable un litige les opposant seront facilités par l'intervention d'un tiers indépendant, le médiateur. Sa tâche se limite à suggérer aux parties des moyens de régler le litige à l'amiable; contrairement à un juge ou à un arbitre, le tiers n'a pas le pouvoir de trancher le litige de manière finale et obligatoire.

Évolution de l'arbitrage

Autrefois, les États n'étaient pas très favorables à l'arbitrage. On considérait que l'arbitrage dérogeait de manière illégitime au droit fondamental dont dispose toute personne d'avoir recours aux tribunaux judiciaires. Conséquemment, il était sévèrement réglementé; les États étaient prêts à donner effet aux sentences arbitrales, mais seulement sous des conditions strictes qui, trop souvent, ne correspondaient pas aux besoins des usagers de la justice arbitrale. C'était notamment le cas au Canada.

Les choses ont beaucoup changé depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne l'arbitrage des litiges mettant en cause des intérêts du commerce international. La plupart des États impliqués dans le commerce international ont adopté des lois très favorables à l'arbitrage commercial international. On favorise aussi de plus en plus le recours à l'arbitrage en matière de litiges internes.

D'importantes réformes législatives sont survenues au cours des 15 dernières années à travers le Canada. Toutes les juridictions canadiennes ont adopté des lois s'inspirant fortement d'une Loi type sur l'arbitrage commercial international préparée par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI). Des lois favorisant le recours à l'arbitrage en matière de litiges internes ont également été adoptées par les législatures canadiennes.

Pourquoi a-t-on recours à l'arbitrage conventionnel?

Les parties à des litiges civils -- surtout commerciaux -- préfèrent de plus en plus recourir à l'arbitrage conventionnel plutôt qu'aux tribunaux judiciaires. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance.

Facteurs ayant trait aux litiges tant internes qu'internationaux

Le recours aux tribunaux judiciaires ne permet pas, la plupart du temps, de résoudre efficacement les litiges commerciaux : la voie judiciaire est jugée trop lente (les palais de justice sont congestionnés, il y a des possibilités d'appels, etc.); on la considère comme trop coûteuse; les opérateurs commerciaux (hommes et femmes d'affaires, compagnies) déplorent le peu de contrôle qu'ils ont sur la procédure applicable (comme par ex. les règles de procédure applicables, l'identité du juge qui tranchera le litige et les normes ou règles de droit applicables au fond du litige); recourir aux tribunaux judiciaires a inévitablement pour effet de rendre publics certains aspects du litige (son contexte, les arguments des parties, les éléments de preuve présentés, etc.); le résultat d'un procès judiciaire est souvent très difficile à anticiper; c'est particulièrement vrai lorsqu'il concerne un litige commercial complexe.

Facteurs propres aux litiges internationaux

Un problème additionnel -- très important en pratique -- survient lorsque le litige comporte une dimension internationale (par ex. lorsque les parties résident dans des pays différents ou lorsque le contrat doit être exécuté dans un autre pays) : dans quel pays une éventuelle poursuite judiciaire pourra-t-elle être engagée ? Dans la plupart des cas, un litige international aura suffisamment de contacts avec plusieurs pays pour permettre à la partie demanderesse de choisir de poursuivre dans plus d'un pays, lui permettant ainsi de se livrer -- selon l'expression anglaise aujourd'hui consacrée -- à un « forum shopping ». L'existence d'un tel choix entraîne d'importantes incertitudes, puisque la procédure applicable peut être très différente d'un pays à l'autre; ces incertitudes créent des risques additionnels faisant pression sur le coût des transactions commerciales internationales. Les parties à de telles transactions voudront donc tenter de réduire ces incertitudes en convenant d'entrée de jeu (c.-à-d. dans le contrat initial) d'une méthode de règlement des litiges :

"Agreeing in advance on a forum acceptable to both parties is an indispensable element in international trade, commerce and contracting" (Cour suprême des États-Unis, Mitsubishi Motors Corp. v. Soler Chrylser-Plymouth Inc., 473 U.S. 614 (1985) à la p. 630)

Convenir d'entrée de jeu d'éviter les tribunaux judiciaires en recourant à l'arbitrage constitue, à l'heure actuelle, le meilleur moyen de réduire ces incertitudes, puisqu'une convention internationale -- la Convention pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères (la « Convention de New York ») -- oblige les tribunaux de presque tous les pays impliqués dans le commerce international à i) donner effet aux clauses d'arbitrage insérées dans les contrats commerciaux internationaux et ii) à respecter les sentences (décisions) rendues par les arbitres; les autres méthodes de règlement de litiges ne sont pas traitées aussi favorablement par les États. Voilà pourquoi on insère aujourd'hui dans les contrats internationaux, de manière quasi systématique, une clause -- dite compromissoire -- par laquelle les parties cherchent à se soustraire à la compétence des tribunaux judiciaires tout en s'assujettissant à la compétence exclusive d'un tribunal arbitral.

Aperçu du processus arbitral

La convention d'arbitrage

Afin qu'un arbitrage puisse se dérouler en toute légalité et de manière efficace, les parties doivent avoir conclu une convention d'arbitrage valide (c.-à-d. une convention soumettant le litige à l'arbitrage); la convention doit être constatée par écrit. Elle peut être conclue une fois un litige né, mais la plupart du temps les parties à une transaction commerciale auront convenu de recourir à l'arbitrage d'entrée de jeu (c.-à-d. dans le contrat initial). Afin d'être efficace, la convention d'arbitrage doit être valide et applicable en vertu des règles applicables à tous les contrats; non seulement, les parties doivent-elles avoir validement consenti à recourir à l'arbitrage (existence d'une convention d'arbitrage), elles doivent également avoir eu l'intention de soumettre à l'arbitrage le litige les opposant (applicabilité de la convention d'arbitrage). Pour être efficace, la convention d'arbitrage doit par ailleurs viser un litige pouvant être soumis à l'arbitrage. On ne peut soumettre à l'arbitrage n'importe quel litige. Dans tous les pays, l'intérêt public nécessite que certains types de litiges soient exclusivement tranchés par les tribunaux judiciaires. Mais puisque les États perçoivent l'arbitrage avec de plus en plus de faveur, les limites à l'arbitrabilité des litiges fondées sur l'intérêt public diminuent.

Le tribunal arbitral

Les parties sont libres de convenir du nombre d'arbitres. En pratique, elles choisiront entre un tribunal composé d'un seul ou de trois arbitres. Un tribunal composé d'un seul arbitre diminue les coûts de l'arbitrage; la procédure s'avérera souvent plus rapide. Un tribunal composé de trois arbitres permet en revanche à chaque partie de nommer un arbitre; leur confiance dans le processus s'en trouvera potentiellement accrue. En principe, les parties sont libres de convenir de la procédure applicable à la nomination des arbitres. Il existe cependant certaines restrictions, justifiées par l'intérêt public, qui empêcheront que la convention d'arbitrage confère à une partie un avantage injuste (par ex . une disposition prévoyant que les trois arbitres seront nommés par une seule partie). Les parties peuvent convenir -- elles le font d'ailleurs souvent -- de déléguer à un tiers (le plus souvent un juge ou une institution spécialisée dans le règlement de litiges) le pouvoir de nommer des arbitres si elles n'arrivent pas à s'entendre. Parce qu'ils sont des juges, même s'ils ne sont que des juges privés, tous les arbitres doivent être et demeurer indépendants et impartiaux, y compris l'arbitre nommé par l'une des parties; dans l'ensemble, les exigences d'indépendance et d'impartialité applicables aux juges le sont aussi aux arbitres. Parce qu'ils sont des juges, les arbitres bénéficient par ailleurs d'une immunité similaire à celle que l'on reconnaît aux membres de la magistrature. Ils ne peuvent donc, en règle générale, être poursuivis pour leurs actes ou omissions. Cette immunité est essentielle à l'intégrité du processus, puisque les arbitres pourront décider sans craindre d'être poursuivis par la partie n'ayant pas eu gain de cause.

La procédure arbitrale

En principe, les parties sont libres de convenir des règles de procédure applicables. Lorsque les parties ne se sont pas entendues à cet égard, les règles supplétives du lieu où se déroule l'arbitrage seront applicables. Lorsqu'elles conviennent des règles de procédure applicables, les parties peuvent adopter des règles préexistantes préparées par une institution spécialisée dans le règlement extrajudiciaire de litiges. Plusieurs institutions offrent également divers services administratifs au soutien du processus arbitral (par ex. accès à des salles d'audience, assistance au niveau de la nomination des arbitres, assistance dans la gestion des honoraires versés aux arbitres). Il est souvent avantageux de recourir à l'arbitrage administré par de telles institutions afin d'assurer l'efficacité du processus, mais seulement si elles sont suffisamment compétentes et expérimentées. Les services qu'elles rendent ne sont pas gratuits; le recours à un arbitrage administré par de telles institutions augmente donc les coûts du processus. La liberté reconnue aux parties de convenir des règles de procédure applicables n'est pas absolue. La loi impose toujours certaines limites, justifiées par l'intérêt public; ces restrictions visent surtout à garantir le droit fondamental à un procès équitable dont dispose chaque partie.

Caractère privé et confidentiel

En règle générale, l'arbitrage est -- de manière inhérente -- privé (seules les parties à la convention d'arbitrage peuvent prendre part aux débats et assister aux audiences) et confidentiel (les parties et les arbitres ne peuvent divulguer à des tiers des informations ayant trait à l'arbitrage, comme les preuves présentées, les procédures écrites des parties et les décisions rendues par les arbitres). Cependant, la confidentialité ne peut jamais être pleinement garantie (par ex. une compagnie publique peut être obligée de révéler certaines informations ayant trait à l'arbitrage afin de rencontrer des exigences de divulgation contenues dans les lois régissant les valeurs mobilières) et la portée exacte des obligations de confidentialité est parfois difficile à déterminer.

Règles applicables

En principe, les parties sont libres de convenir des règles en vertu desquelles le litige sera tranché par les arbitres; dans un contexte international, elles choisiront souvent les règles d'un pays tiers, neutre. Elles peuvent même demander aux arbitres, au lieu d'appliquer des règles de droit, de trancher le litige en équité; on dira alors des arbitres qu'ils agissent à titre d'amiables compositeurs. Cela peut conduire à une décision plus juste et plus satisfaisante d'un point de vue strictement commercial. La liberté des parties en ce qui a trait aux règles en vertu desquelles le litige sera tranché n'est pas absolue. Les arbitres doivent toujours appliquer les règles d'ordre public (c.-à-d. les règles impératives, auxquelles les parties ne peuvent déroger, comme par ex. les lois sur la concurrence) puisque les États refuseront de donner effet à une sentence arbitrale qui ne respecte pas ses propres règles d'ordre public.

La sentence arbitrale

Les sentences doivent habituellement être rendues par écrit, mais les parties peuvent convenir qu'elles n'auront pas à être motivées comme doivent l'être les décisions judiciaires. La plupart des pays -- et c'est le cas au Québec -- respectent la finalité du processus arbitral en excluant toute forme d'appel des sentences arbitrales; en conséquence, le bien-fondé des décisions des arbitres ne peut être remis en cause par un tribunal judiciaire, ce qui permet d'assurer le respect du désir manifesté par les parties d'éviter les tribunaux judiciaires. Cela dit, le contrôle judiciaire n'est jamais totalement exclu. Ce contrôle, qui ne concerne pas le bien-fondé de la sentence (c.-à-d. la question de savoir si l'arbitre a eu raison de décider comme il ou elle l'a fait), est strictement limité à trois principales questions : i) la compétence du tribunal arbitral à l'égard du litige tranché, c.-à-d. l'existence et la validité de l'accord des parties de confier aux arbitres le pouvoir de trancher le litige; ii) la conformité de la procédure suivie à l'entente des parties et aux règles d'ordre public visant à garantir leur droit fondamental à un procès équitable; et iii) la conformité de la sentence aux règles d'ordre public, comme par ex. les lois sur la concurrence. Le contrôle judiciaire peut survenir soit parce que la partie qui a perdu attaque directement la légalité de la sentence, soit parce que cette même partie s'oppose à une procédure en vertu de laquelle la partie gagnante en recherche l'exécution forcée.

Avantages et limites à l'efficacité de l'arbitrage

Avantages

On aurait tort de croire que l'arbitrage est toujours rapide. Mais dans la plupart des cas, l'arbitrage est plus rapide que le recours à la voie judiciaire, car la phase préalable au procès (échange des plaidoiries écrites, interrogatoires préalables, etc.) est habituellement plus courte, l'audition au fond peut avoir lieu dès que les parties sont prêtes (elles doivent actuellement attendre plus d'un an avant d'obtenir une date de procès en Cour supérieure du Québec) et il n'y a souvent aucune possibilité d'appel des sentences arbitrales. La flexibilité qu'offre l'arbitrage est un avantage considérable; les parties contrôlent plusieurs aspects sur lesquels ils n'ont aucun contrôle lorsqu'ils ont recours à la voie judiciaire (par ex. la langue des procédures, les règles de procédure applicables, les règles applicables au fond, les règles de preuve, le lieu où se dérouleront les audiences). Les parties ont également le contrôle sur l'identité des personnes qui trancheront le litige; ils peuvent choisir des personnes -- juristes ou non -- expérimentées dans la résolution de litiges commerciaux, ou ayant une expertise dans un domaine donné, ce qui permet d'accroître la prévisibilité et l'efficacité du processus. Le caractère privé et confidentiel de l'arbitrage constitue un avantage très important. L'arbitrage est-il moins coûteux que le recours aux tribunaux judiciaires ? Pas toujours. Les parties sont presque toujours représentées par procureurs et de bons arbitres exigent des honoraires élevés (surtout en matière internationale). En règle générale, l'arbitrage est probablement moins coûteux que le recours aux tribunaux judiciaires; cependant, on a parfois tendance à exagérer cette caractéristique de l'arbitrage.

Limites à l'efficacité de l'arbitrage

Comme il fut souligné, certains types de litiges sont inarbitrables, c.-à-d. qu'ils ne peuvent être valablement soumis à l'arbitrage. Par exemple, avant que la Cour suprême ne clarifie la question en mars 2003, il n'était pas certain que les litiges touchant au droit d'auteur pouvaient être soumis à l'arbitrage au Canada. L'arbitrage s'avère parfois mal adapté à la résolution de litiges impliquant plus d'une partie. Cela est susceptible de survenir dès qu'une transaction commerciale implique, directement ou indirectement, plus d'une partie (par ex. coentreprises, projets de construction, ventes faisant l'objet d'un financement). Des problèmes surviennent souvent parce que seulement certaines des parties impliquées dans le litige ont convenu d'entrée de jeu de recourir à l'arbitrage. Puisque les arbitres ne peuvent avoir de pouvoirs qu'à l'égard des parties à la convention d'arbitrage, certains aspects d'un même litige peuvent devoir être tranchés par arbitrage, alors que d'autres ne peuvent l'être que par les tribunaux judiciaires; le litige ne peut alors être tranché de manière efficace et des décisions incompatibles sont susceptibles de survenir. Ces problèmes peuvent cependant être évités en rédigeant soigneusement la convention d'arbitrage. Enfin, les arbitres ne disposent pas de pouvoirs comparables à ceux des juges de contraindre les témoins à comparaître ou encore d'émettre des injonctions durant les procédures. Les parties doivent donc parfois avoir recours aux tribunaux judiciaires durant la procédure arbitrale, ce qui complique le processus et rend inévitablement publics certains aspects du litige.

© Frédéric Bachand

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