Nous avons tous connu la frustration d'utiliser des gouttes pour les yeux : viser à côté, sentir le liquide se répandre sur nos joues, ou même goûter le médicament quelques instants après l'application. Et si ce désagrément n’était pas anodin, mais révélait une faille fondamentale dans le mode d’administration des médicaments?
65 millions de personnes utilisent des gouttes ophtalmiques, que ce soit pour soulager les yeux secs, traiter des allergies, des infections ou encore pour les soins post-opératoires. Malgré leur large utilisation, les gouttes pour les yeux sont exceptionnellement inefficaces par conception, ce qui entraîne un gaspillage important des traitements.
Chaque fois que vous clignez des yeux, le liquide lacrymal est étalé sur la surface de l'œil, nettoyant constamment les débris de l'environnement. Ce fluide en excès se retrouve dans le nez, ce qui explique que l'on puisse parfois “goûter” les gouttes après les avoir mises. Ce processus fait partie intégrante du système oculaire humain, qui comprend l'œil, ses structures internes, ses fluides de soutien, ses composants protecteurs et les muscles extraoculaires.
“C’est une question de biodisponibilité de l'œil”, explique Bishakh Rout, récent lauréat d'un prix Découvrir (25 000 dollars) du Fonds d'innovation de McGill (FIM). "L'œil ne peut absorber qu'une certaine quantité de médicament à la fois, avec un maximum de 10 % d'une goutte typique qui pénètre réellement dans l'œil. En d'autres termes, sur 100 microgrammes de fluide administrés, 90 microgrammes sont perdus par drainage.
Bien qu'il s'agisse d'une fonction biologique bien connue dans l'industrie, les gouttes ophtalmiques sont conçues pour administrer des volumes plus importants que ce que l'œil humain peut contenir, ce qui fait que le médicament est éliminé par le système oculaire, ou se répand sur le visage avant même d'être absorbé. Bien qu'utile à des fins de rinçage, cette caractéristique va à l'encontre de la fonction nécessaire à une administration efficace du médicament.
Ce gaspillage se fait au détriment des patients, qui se demandent comment il se fait que leur médicament soit épuisé si rapidement, alors qu'ils font déjà face à des goûts coûts élevés. Les patients âgés, en particulier, trouvent souvent difficile de manipuler les gouttes ophtalmiques, rendant le traitement inutilement compliqué. Il en résulte une administration inefficace du médicament pour les yeux et un gaspillage intentionnel, dont les conséquences retombent sur le consommateur.
S'attaquer à un problème en deux temps
Pour Rout, il s'agit d'améliorer l'administration du médicament et de réduire le gaspillage. Appelé OcuVista, le projet de Rout est une nouvelle conception visant à lutter contre les inefficacités de l'industrie des soins oculaires. Il s'agit de mettre au point des lentilles de contact capables d'administrer le médicament directement dans l'œil, permettant d'éliminer les déchets médicaux et d'améliorer l'utilisation.

Les lentilles de contact existent depuis longtemps, probablement plus longtemps que vous ne le pensez. En fait, Léonard de Vinci les a imaginées en 1508, mais la première lentille en verre (qui devait être placée sur l'ensemble de l'œil) n'a été fabriquée qu'en 1887, en s'inspirant des dessins de l'astronome britannique Sir John Herschel. Les lentilles souples en plastique ont été introduites à la fin du XXe siècle, évoluant au fil du temps pour devenir jetables et personnalisables. De façon remarquable, bien que l'industrie des lentilles de contact ait évolué, l'approche d'OcuVista représente un bond en avant dans notre façon de penser l'administration de médicaments et les soins oculaires, en repensant la façon dont le traitement est administré pour offrir une solution plus efficace.
Le fondateur, Bishakh Rout, est un expert en nanotechnologie avec une solide expérience dans le développement de solutions de pointe dans les domaines des produits pharmaceutiques, cosmétiques et des dispositifs médicaux. Avec une doctorat de McGill en génie chimique et fort d'une expérience en R&D et en commercialisation de technologies, Rout est passionné par la transformation des avancées scientifiques en solutions concrètent qui améliorent la vie des gens. Il est accompagné par la cofondatrice Agnieszka Skalecka, une stratège en innovation spécialisée dans le domaine des sciences de la vie, dans la gestion de projets et en développement d'entreprises. Rout assumera un rôle en développement commercial, tandis que Skalecka se concentrera sur l'aspect clinique et les opérations quotidiennes.
Présentation d'OcuVista
OcuVista est né d'une recherche approfondie, motivée par une demande pressante de l'industrie. “J'ai vu le besoin”, explique Rout. "Les patients ont du mal à mettre les gouttes et la plupart est gaspillée quoi qu’il arrive.” Vers la fin de son doctorat en novembre 2022, Rout était activement impliqué dans une variété de projets de recherches et défis industriels. “À un moment donné, toutes les données pointaient vers cette solution”, remarque Rout. Ainsi, OcuVista est né, avec pour objectif de répondre à la fois aux enjeux d'efficacité et d'application, en permettant une administration prolongée du médicament, améliorant le traitement et éliminant les inconvénients liés à l'application.
“J'ai vu de nombreux fabricants essayer des tas de solutions”, explique Rout. OcuVista est unique parce qu'il peut être intégré aux processus de fabrication existants, ce qui en fait une innovation pratique et évolutive dans l'administration de médicaments. Sa solution consiste à ajouter une étape dans la chaîne de production des lentilles de contact plutôt que de réorganiser l'ensemble du système, ce qui serait coûteux et exigerait un long processus d'approbation réglementaire.

L'enthousiasme est à son comble alors que l'équipe se dirige vers la commercialisation du produit. “Nous sommes très heureux de collaborer avec le FIM pour amener notre innovation sur le marché”, dit Rout. “Ils nous ont déjà mis en relation avec les bons conseillers, et nous avons hâte de commencer à travailler avec leurs conseils.”
En Amérique du Nord, l'objectif est de licensier leur technologie à de grands acteurs industriels, afin d'offrir un produit alternatif aux principales méthodes de traitement par gouttes. “Nous voyons l'influence la plus directe en nous associant à des entreprises existantes, où notre innovation peut passer par les méthodes existantes de la chaîne d'approvisionnement », explique Rout. Sur les marchés asiatiques, l'entreprise envisage la possibilité de vendre directement aux consommateurs, où la marque pourrait être plus facilement acceptée.
OcuVista n'en est encore qu'à ses débuts, mais leur passion est contagieuse. Avec le FIM, ils ont nommé leur stratégie cette année « De-Risking », où ils se concentreront sur la voie du développement, en sélectionnant des segments de clientèle spécifiques et en approchant des acteurs clés de l'industrie pour l'octroi des licences. Ils continueront également à développer leur prototype. L'année à venir s'annonce passionnante, et nous nous réjouissons du travail que nous pourrons accomplir avec l'aide du FIM”, a-t-il affirmé.