Le cancer. S'il existe une maladie qui tourmenté la vie humaine, c'est bien celle-là. Apparemment aléatoire, souvent cachée, c'est une maladie bien trop souvent mortelle, presque aussi vieille que la vie elle-même. Il existe des preuves, datant de 70 à 80 millions d'années, selon lesquelles même les puissants dinosaures ont souffert de ce fléau.
Les premiers témoignages humains remontent à l'époque babylonienne (1750 av. J.-C.), avec diverses observations et méthodes de traitement expérimentées à travers l'histoire. Les progrès dans la recherche sur le cancer et les options de traitement ont évolué au fil des siècles : la première ablation chirurgicale a eu lieu en Italie en 50 après J.-C., la première chimiothérapie en 1775, jusqu'aux méthodes intensives et variées utilisées aujourd'hui, les options les plus courantes étant la chimiothérapie, la radiothérapie et la chirurgie.
Malgré cette lutte quasi éternelle entre l'humain et le cancer, il n'existe toujours pas de remède miracle. Ayant causé 10 millions de décès en 2020 et avec une prévision de 28,4 millions d’ici 2040, le cancer est la deuxième cause de mortalité dans le monde.
C’est un combat qui consomme d'énormes ressources : physiques, temporelles et financières. Les dépenses mondiales totales dans la recherche sur le cancer ont atteint 24,5 milliards de dollars entre 2016 et 2020. Et la réalité derrière ce chiffre ? La plupart de ces ressources sont perdues, pour des raisons telles que le manque de partage des données, la pression exercée pour publier des résultats préliminaires, de mauvais protocoles d’essais cliniques, des difficultés à reproduire les résultats, et enfin, des modèles prédictifs peu efficaces.
Plus précisément, le principal obstacle au développement de médicaments efficaces contre le cancer est le recours à des méthodes d'essais obsolètes, principalement l'expérimentation animale et les cultures cellulaires en 2D. Ces pratiques ne reproduisent tout simplement pas la complexité des tumeurs humaines et ne tiennent pas compte des innombrables facteurs influençant la croissance d'une tumeur et sa réaction aux traitements.
À cause de cela, le taux d'échec des médicaments anticancéreux est incroyablement élevé : plus de 90 % des traitements qui passent avec succès les tests précliniques sur les animaux échouent lors des essais cliniques humains. Le manque d'options thérapeutiques fondés sur l’humain conduit à des prévisions inexactes de l'efficacité d'un médicament sur des patients réels, engendrant ainsi des coûts importants en termes de vies humaines et de contraintes financières.
Pour remédier aux contraintes financières et pratiques causées par les modèles d'expérimentation non humains, la Food and Drug Administration des États-Unis a récemment annoncé le remplacement des tests sur animaux par des modèles plus efficaces et plus représentatifs de la biologie humaine - une approche conçue pour améliorer la sécurité des médicaments, réduire l'expérimentation animale, diminuer les coûts de R&D et, en fin de compte, accélérer le processus de développement des médicaments.
TissueTinker, récemment lauréat du prix Découverte du Fonds d’Innovation de McGill , est bien placé pour tirer parti de cette nouvelle tendance réglementaire, avec pour objectif de s'attaquer aux inefficacités des essais de médicaments contre le cancer en concevant des modèles tumoraux qui simulent avec précision la croissance du cancer chez l'humain.
Présentation de la bio-impression 3D
Le cancer est peut-être aussi vieux que les dinosaures, mais les outils développés aujourd'hui relèvent du futur. Les modèles TissueTinker sont un exemple de cette innovation et de cette ingéniosité.
En utilisant la bio-impression 3D (pensez à l'impression 3D, mais avec de l’encre biologique), TissueTinker crée des modèles complexes et miniaturisés qui reproduisent côte à côte des tissus sains et malades. L'équipe a maîtrisé le contrôle spatial de l'emplacement des cellules, créant des modèles qui imitent la façon dont les tumeurs se développent dans le corps.
Les modèles peuvent être aussi petits que 300 microns, ce qui permet aux chercheurs d'analyser des caractéristiques physiopathologiques spécifiques telles que les noyaux hypoxiques (zones à faible teneur en oxygène à l'intérieur des tumeurs). « C'est la taille idéale », explique le cofondateur Benjamin Ringler. "Elle est suffisamment grande pour être utile à des fins de test, mais suffisamment petite pour minimiser les ressources.” M. Ringler a récemment obtenu une maîtrise en génie biomédical translationnel à McGill.
TissueTinker a non seulement trouvé la taille optimale pour ses tumeurs afin d'équilibrer le coût et la précision, mais les tumeurs peuvent également être personnalisées en fonction de la question de recherche souhaitée. « La capacité de personnaliser la tumeur permet vraiment aux chercheurs d'acquérir des connaissances approfondies et ciblées sur le comportement du cancer à l’échelle microscopique », a expliqué M. Ringler. Cette propriété unique permet aux chercheurs d'obtenir des résultats spécialisés et sur mesure, ce qui joue un rôle important dans le succès et l'avancement de ces médicaments à l'étape suivante des tests.
“Parce que l’environnement de test simule mieux le corpshumain, les chercheurs peuvent mieux évaluer et comprendre si leur médicament fonctionne ou non avant d'atteindre le stade de l'essai clinique", a détaillé M. Ringler. “C'est essentiel pour la progression des médicaments et la réduction du gaspillage financier dans l'industrie.” Le développement clinique pouvant coûter jusqu’à 1 à 2 milliards de dollars par médicament, et que 67 % de ces coûts sont concentrés dans les phases d'essais cliniques, les outils qui améliorent la prédictibilité précoce ne sont pas seulement précieux scientifiquement, ils sont critiques financièrement. L'identification précoce des candidats inefficaces peut permettre d'économiser des centaines de millions de dollars en les empêchant d’atteindre les essais cliniques.
Croître en partenariat
Pour relever l'un des défis les plus complexes dans le domaine des soins de santé, il ne suffit pas d'innover, il faut aussi une orientation stratégique. Pour TissueTinker, le FIM a été un catalyseur essentiel du développement. « Le FIM a largement dépassé nos attentes », explique M. Ringer. “D'autres programmes sont souvent trop distants, mais le FIM a fourni un soutien sur mesure, en offrant des conseils spécifiques et en nous aidant à réfléchir de manière critique non seulement à notre prochaine étape, mais aussi aux nombreuses étapes à venir.”
Les conseils du FIM ont joué un rôle déterminant dans l'affinement de leur approche. “ Grâce au financement et au mentorat, le FIM nous a donné accès à des experts qui ont remis en question nos hypothèses et nous ont poussés à aller de l'avant dans notre mission de transformation des tests de médicaments anticancéreux “, a expliqué M. Ringler.
Rejointe par les cofondatrices Madison Santos et Isabelle Drummer, l'équipe a pour objectif de poursuivre le développement de sa technologie et d'étendre sa bibliothèque de tumeurs cette année, afin d'offrir une suite complète de modèles pouvant être adaptés aux besoins de différentes entreprises. L'expansion de la bibliothèque de tumeurs permettrait de caractériser et de formuler la conception et la production, l'objectif final étant d'obtenir une licence pour l'ensemble de la plateforme.
Santos prépare actuellement son doctorat, avec une expérience en thérapie cellulaire et en ingénierie biomédicale, tandis que Drummer a récemment obtenu un master en génie biomédical translationnel. Ensemble, les trois cofondateurs possèdent une vaste expérience en ingénierie biomédicale, en thérapie cellulaire et génique et en développement de technologies médicales, couvrant la recherche, la conception de produits et les systèmes de qualité.
« Nous ne nous contentons pas de résoudre un problème, nous repensons la façon dont nous abordons le développement des traitements contre le cancer », a déclaré M. Ringler. Après des siècles de lutte contre le cancer, le combat entre dans une nouvelle ère, repensée grâce à des modèles biologiques vivants et une conception stratégique de la recherche.