Retour sur le symposium à McGill
Langues et intelligence artificielle : un dialogue essentiel pour l’éducation de demain
Le 15 mai 2025, plus de soixante enseignant·e·s, chercheur·e·s, professionnel·le·s de l’éducation et étudiant·e·s se sont réuni·e·s à l’Université McGill pour participer au tout premier symposium Langues et IA : enjeux et perspectives pédagogiques. L’événement, issu d’une initiative du Comité sur l’IA et l’intégrité académique dans l’enseignement-apprentissage des langues, mis en place par le Centre d’enseignement du français (CEF), a été organisé en collaboration avec le groupe Renforcement de l’intégrité académique et prévention du plagiat en apprentissage des langues (RIAPPAL) de l’UQAM. Il a pu se tenir grâce au soutien financier de SALTISE et du Dean of Arts Development Fund (DADF). Ce symposium s’est imposé comme un moment fort de réflexion collective sur les transformations profondes que l’intelligence artificielle générative induit dans les pratiques d’enseignement-apprentissage des langues.
Une journée d’échanges, d’alerte et d’inspiration
Dès l’ouverture, la professeure Lisa Shapiro, doyenne de la Faculté des arts, a placé les discussions sous le signe de la responsabilité partagée : intégrer les technologies émergentes, oui, mais sans jamais perdre de vue les principes d’équité, d’esprit critique, d’inclusion et d’éthique qui fondent toute pratique éducative.
C’est sur ce socle que s’est construite une programmation dense et éclairante, portée par une diversité d’approches et une volonté commune de penser l’IA avec et pour les étudiant·e·s.
L’IA entre promesse et prudence
La conférence d’ouverture de Simon Collin (UQAM), titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’équité numérique en éducation, a donné le ton. En exposant les biais systémiques présents dans les outils d’IA, il a mis en lumière les risques de marginalisation linguistique et culturelle, posant une question centrale : peut-on encore parler d’équité numérique quand certaines langues, cultures ou variantes sont effacées ou mal représentées par les algorithmes ?
Cette invitation à la vigilance n’a pas été sans écho tout au long de la journée. Loin d’un discours techno-enthousiaste, les interventions ont plutôt cherché à concilier esprit critique et exploration pédagogique.
Des projets concrets, des usages variés
Trois communications scientifiques ont illustré la richesse des expérimentations en cours. Pascal Brissette, professeur agrégé au Département des littératures de langue française, de traduction et de création (DLTC) a présenté une série d’agents conversationnels conçus pour accompagner les étudiant·e·s dans leurs travaux littéraires, mettant l’IA au service de la créativité et de l’autonomie. Marie-Philip Mathieu, chargée de cours au CEF a partagé une initiative originale : un jeu d’évasion pédagogique basé sur l’IA, destiné à l’apprentissage du français en contexte professionnel. Enfin, Haluk Tuncay, Consultant en technologie éducative au Laboratoire de langues multimédia de la Faculté des arts a présenté Socrates, une plateforme conçue pour exploiter les potentialités de l’IA générative dans la conception de parcours pédagogiques personnalisés et interactifs.
“Ces expériences ont montré que l’IA, bien pensée et bien encadrée, peut devenir un levier pour diversifier les approches, stimuler la motivation et soutenir les profils variés des apprenant·e·s.” confirme Dolly Abi Mansour, présidente du Comité sur l’IA et l’intégrité académique dans l’enseignement-apprentissage des langues.
Entre théorie et pratique : des ponts essentiels
“Les ateliers de partage de pratiques ont permis d’ancrer les réflexions dans la réalité du terrain.” affirme Julie Sénat, chargée d’enseignement au CEF. En effet, de la création d’activités collaboratives à la littératie critique, en passant par l’évaluation formative et la conscience métacognitive, les enseignant·e·s ont démontré que l’IA peut être intégrée de manière réfléchie, augmentant les possibilités pédagogiques tout en valorisant le jugement humain.
Un point de convergence a émergé : pour que l’IA joue un rôle positif en classe de langue, elle doit être abordée non comme une solution miracle, mais comme un outil au service d’une pédagogie centrée sur l’agentivité et les besoins des apprenant·e·s.
Un panel bilingue pour faire dialoguer les voix
Le panel « Possibilités et enjeux à l’ère de l’IA » a rassemblé des enseignant·e·s, chercheur·e·s et étudiant·e·s de McGill et de l’UQAM. Ensemble, ils et elles ont soulevé des questions majeures : intégrité académique, équité dans l’évaluation, place de l’humain face à la machine. Mais aussi, des pistes d’avenir : IA comme soutien à la différenciation pédagogique, au développement de la plurilittératie et à la motivation des étudiant·e·s.
Ce dialogue croisé a ouvert la voie à une réflexion collective sur la co-construction de modèles pédagogiques hybrides, ancrés dans les réalités institutionnelles et disciplinaires, mais portés par une vision partagée d’une éducation plus inclusive.
Doctorant en études de l’éducation à McGill, Miguel Sanchez a souligné le potentiel transformateur de ces nouvelles approches :
“When AI-supported pedagogies are grounded in local cultural and institutional contexts, they can truly revitalize students’ engagement with language learning by making learning paths more relevant, personalized, and motivating.”
De son côté, Sophie Wu, étudiante à la maîtrise en humanités numériques, a partagé les résultats de projets étudiants sur l’usage de l’IA générative dans l’apprentissage linguistique et culturel, notamment auprès d’élèves du secondaire et de participant·e·s du Mandarin Conversation Club de Montréal.
"Students are already using AI. Some will use it more while others may avoid it, just like how some will use it in ways that enhance their educational experiences, while others may use it in ways that are disingenuous to their learning. Left alone, this can exacerbate pre-existing educational inequities. Instructors, in creating the shared space and practices where all students come together to learn, hold a key role in addressing this gap."
L’IA, une nouvelle langue à apprendre ?
La conférence de clôture de Kate Arthur, autrice de Am I litterate? a proposé un renversement salutaire : enseigner les langues à l’ère de l’IA, ce n’est pas seulement apprendre à utiliser ces outils, mais aussi apprendre à les questionner.
L’IA devient ainsi une nouvelle langue à décoder, à apprivoiser, à détourner parfois, un nouvel espace de littératie, et peut-être même de résistance.
Une clôture qui trace la suite
Dans son mot de fin, Marion Vergues, directrice du CEF a livré une synthèse forte, posant les tensions qui ont traversé la journée : entre potentiel et prudence, entre innovation et éthique, entre accessibilité et complexité. Elle a rappelé que l’IA, si elle bouleverse nos repères, peut aussi devenir une opportunité de réinventer nos pratiques éducatives à condition de rester collectivement lucides, critiques et inclusif·ves.
Pour Laura Brassington, directrice du Bureau de l'éducation des arts (Office of Arts Education), si l’essor de l’IA peut sembler menaçant hors contexte, l'histoire montre que l'humanité a trouvé des moyens d'intégrer les changements technologiques et de s'y adapter :
“People of the past have responded to the technological changes they experienced with a similar mix of delight, wonder, and concern. From the printing press to the personal computer, the technologies we have invented have served as agents of surveillance, domination, and oppression. The role of Arts and Humanities scholars is to call attention to these power structures, and to meet the challenges they bring with creativity and historical understanding.”
Un élan collectif à faire durer
Un constat s’impose : ce premier symposium a créé un espace de réflexion stimulant, humain et fertile. Pour beaucoup, il marque le début d’un mouvement. Une suite est non seulement attendue : elle est en marche.