L’apprentissage par la poésie

Une forme d’expression qui permet de renouer avec la nature

Les espèces menacées, les changements climatiques et les répercussions de l’activité humaine sur l’environnement ne sont pas que des sujets pour les cours d’environnement ou de biologie. Au Département d’études anglaises de l’Université McGill, on encourage les étudiants et les étudiantes, par l’entremise de la poésie, à remettre en question, à découvrir et à comprendre des représentations de la nature et les enjeux politiques des changements climatiques.

Le poète romantique Percy Shelley a déjà écrit que les « poètes sont les législateurs non reconnus du monde ». Par leur imagination et leur raisonnement, ils reflètent le monde qui nous entoure.

La poésie, miroir de notre monde

De l’avis de Molly Pearce, étudiante de 3e année au baccalauréat spécialisé en études anglaises, ce rôle de miroir du monde que joue la poésie a été mis en évidence à la COP26, la conférence sur les changements climatiques qui a eu lieu en 2021 à Glasgow. Son mémoire de premier cycle sur la poésie des îles écossaises au 20e siècle et au début du 21e siècle, supervisé par la professeure Miranda Hickman, est inspiré des trois poètes qui se sont exprimés lors de la séance Weathering the Storm: Scottish Poets Discuss Climate Change Resilience and Adaptation de la COP26.

Dans son mémoire, Molly étudie l’un de ces poètes, Donald S. Murray, originaire de l’île de Lewis.

« La réaction de Donald Murray aux changements qui se produisent dans l’environnement des îles écossaises constitue la plus récente création écopoétique de la région, indique Molly. Je prévois étudier l’évolution de l’écopoésie des îles écossaises tout au long du 20e siècle en réponse aux changements environnementaux causés par les conflits mondiaux et le climat en transformation. »

Molly a commencé à s’intéresser à la poésie après avoir suivi un cours de création littéraire offert par le Centre de communication écrite de McGill. Dans le cours d’introduction à la création littéraire (WCM 203), donné par la poète et auteure Sarah Wolfson, Molly a pu réfléchir aux thèmes qu’elle souhaitait explorer dans l’écriture. « Je tente d’exprimer des paysages sonores, des images tactiles et des espaces côtiers par l’entremise de l’écriture », précise-t-elle.

Le travail réalisé par Molly a influencé son rapport à la nature et à l’environnement.

« La poésie écossaise que j’ai étudiée m’a rappelé l’importance de porter une attention accrue à l’environnement dans lequel je me trouve, confie-t-elle. Mon intérêt pour la lecture, l’étude et l’écriture de la poésie vient d’un désir d’être présente dans ma vie au quotidien. »

Un outil pour comprendre l’environnement

La compréhension de l’environnementalisme par l’entremise de la poésie est l’un des objectifs du cours ENGL 409: Studies in a Canadian Author, donné par le professeur Eli MacLaren. Le cours examine l’œuvre de Don McKay et de trois autres poètes contemporain(e)s d’importance, soit Di Brandt, George Elliott Clarke et Louise B. Halfe – Sky Dancer.

Prof Maclaren

« La poésie nous permet de réfléchir à qui nous sommes et à ce que nous faisons, fait remarquer le professeur MacLaren. Elle nous offre un moment et un espace où prendre conscience de notre être; on réfléchit à ce que l’on tient pour acquis, à ce qui est le plus important et à notre idéal. La poésie est un moyen d’appréhender le monde et d’en imaginer un meilleur. »

L’art d’apprendre par les émotions est un outil qui permet aux étudiantes et aux étudiants de mieux comprendre le monde qui les entoure.

« L’écopoésie permet aux lecteurs et aux lectrices de renouer avec la nature dans un monde urbanisé », explique Ella Rowland, étudiante de troisième année en biologie moléculaire et en études religieuses. « Beaucoup de gens n’ont jamais fait l’expérience de la nature sauvage dans leur vie, alors ils ne comprennent pas ce que les environnementalistes tentent de protéger. Quand on lit un bon poème sur un caribou, on peut presque voir l’animal. On songe à sa vie, aux difficultés auxquelles il fait face et à sa valeur intrinsèque dans notre monde. Les gens sont plus susceptibles de défendre ce avec quoi ils ont un lien émotionnel, et la poésie peut créer ce lien. »

À la mi-session, le professeur MacLaren a emmené ses étudiantes et ses étudiants en randonnée sur le mont Royal, où il les a notamment encouragés à réfléchir à la question « Comment les sciences humaines peuvent-elles nous amener à connaître un endroit? ».

« Nous sommes partis de la rue Peel et nous avons emprunté le chemin Olmsted à travers les bois pour nous rendre près d’une sculpture où était gravé un poème sur la nature, Un vertige d’éternité de Denise Desautels, raconte Eli MacLaren. Ce poème intégré à la terre nous invite à faire preuve d’humilité devant la nature, dont la forêt, l’eau et le ciel. »

« Je pense beaucoup plus à la nature maintenant, confie Ella. Lorsque je suis dans la nature, j’ai envie de savoir quelles espèces m’entourent et comment elles collaborent pour survivre. Ce qui est étonnant, c’est que j’ai beaucoup étudié les écosystèmes pendant mes études, mais c’est ce cours qui m’a amenée à me passionner pour les mécanismes subtils du monde naturel. »

Poésie et physique

Mackenzie Pereira, étudiante de troisième année à la majeure en physique et à la mineure en littérature anglaise, trouve pour sa part que le cours ENGL 409 a enrichi ses études de façon surprenante.

« Dans mes cours de majeure, on nous enseignait les phénomènes quantiques, des mouvements si petits que nous ne pouvons pas les observer entièrement. Nous analysions ces systèmes d’une façon mathématiquement rigoureuse, raconte Mackenzie. Dans le cours ENGL 409, on met l’accent sur la multitude d’interactions complexes qui constitue l’environnement et que nous ne parvenons pas toujours à saisir. C’est génial de voir que l’intuition des poètes est confirmée par les théories de la physique. »

Le cours a également permis à des étudiantes et à des étudiants d’ailleurs au Canada de redécouvrir des paysages qu’ils ou elles tenaient pour acquis.

« Je suis originaire d’Alberta et comme il y a les Rocheuses juste à l’ouest, je n’avais jamais fait grand cas du paysage des Prairies », raconte Miranda Pate, étudiante de troisième année en études culturelles anglaises et en psychologie. « C’était avant de lire Big Alberta Clouds, de Don McKay, un poème qui ne parle que des nuages des Prairies. En le lisant, j’ai réalisé que les paysages naturels de ma région natale étaient magnifiques, malgré mon refus d’y prêter attention. La beauté existe, même si je choisis de ne pas la voir. »

Dans son cours, Eli MacLaren propose un élément unique : des ateliers de poésie où l’un des travaux pratiques est la rédaction de poèmes.

« L’objectif de nos ateliers de poésie est de permettre de faire l’expérience du potentiel environnemental de la poésie de l’intérieur – à titre d’auteur plutôt que de lecteur », indique le professeur MacLaren.

L’exploration des crises écologique et environnementale à travers le prisme de la poésie permet également de réfléchir à notre rôle et à notre responsabilité dans la société.

« C’est parfois difficile de digérer toute l’information sur la crise environnementale présentée dans les nouvelles », fait remarquer Allison Oakes, étudiante de deuxième année à la majeure en études anglaises. « Les gens se sentent impuissants, mais, d’un autre côté, ils se sentent peu responsables de la situation, parce qu’ils ne pensent pas que leur empreinte puisse avoir un effet aussi néfaste. L’écopoésie, en revanche, place le lecteur au cœur de la crise. Elle ne critique pas, mais montre que les interactions humaines ont un véritable effet sur la nature, et vice-versa. »

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