Aider les médecins de famille à soutenir les patients atteints du cancer

En jetant un coup d’œil au dossier de patient sous ses yeux, le médecin de famille Dr Roland Grad a réalisé qu’il n’avait pas tous les faits. Sa patiente, une survivante au cancer du sein récemment immigrée au Canada, s’était d’abord présentée plusieurs mois auparavant avec en mains un rapport pathologique de son pays d’origine. Dr Grad lui avait alors prescrit un traitement contre le cancer. Lorsque la patiente s’est présentée à nouveau à son bureau pour un autre problème, Il a réalisé qu’il n’avait toujours rien reçu. « Elle m’a dit qu’elle avait vu deux spécialistes de l’oncologie, mais je n’avais toujours rien vu. » Plusieurs mois plus tard, Dr Grad n’a toujours que le même rapport pathologique en main pour le guider dans le traitement de sa patiente survivante au cancer.

Résoudre ces problèmes de communications beaucoup trop communs entre les soins oncologiques et les soins primaires est un des objectifs du projet Trouver un terrain d’entente du RCR. Dr Grad est un des médecins de famille participants et aussi le promoteur du projet à l’HGJ.

« L’initiative germe du sondage de satisfaction des patients mené d’un bout à l’autre du réseau McGill, explique Dre Mitali Ruths, gestionnaire du projet.  Les réponses ont indiqué qu’un des principaux aspects à améliorer était la communication entre les spécialistes de soins du cancer et les médecins généralistes qui prennent la relève des soins aux survivants. »

Le projet du RCR vise trois volets principaux dans le but d’améliorer les soins à long terme offerts aux patients atteints de cancer et aux survivants : d’abord, des ateliers d’apprentissage à l’intention des généralistes portant sur les lignes directrices existantes; deuxièmement, un Plan de traitement standardisé qui fournira des mises à jour périodiques aux généralistes au cours du traitement anticancéreux des patients; et troisièmement, un Plan de soins de survie acheminé aux généralistes lorsque les patients font la transition du traitement aux soins de survie.

Servir de guide

Dre Ruths explique que les Dres Geneviève Chaput et Desanka Kovacina ont mené un sondage auprès des médecins de famille de divers secteurs de Montréal dans le but d’évaluer leurs besoins et les barrières qu’ils perçoivent en matière de soins aux survivants du cancer. Le sondage a révélé que 46 % des généralistes répondants n’étaient pas familiers avec les lignes directrices actuelles en matière de suivi des survivants du cancer. De plus, 48 % des médecins de famille ont exprimé des sentiments d’incertitude par rapport à leur rôle en ce qui a trait à prendre soin des survivants. Plus encore, 53 % d’entre eux ont indiqué que la plus grande barrière était le manque de communication avec les spécialistes.

« Puisqu’il s’agit d’un domaine émergent, un nombre significatif de médecins de famille ne savent tout simplement pas ce que sont les soins de survie, » ajoute Dre Geneviève Chaput, qui dirige le volet du projet du RCR visant à éduquer les généralistes, en compagnie de Dr Manny Borod, le promoteur du projet du RCR au CUSM. Dre Chaput est une médecin de famille dotée d’une expertise en soins de survie au cancer et dirige le programme de soins de survie au cancer du CUSM.

Au mois de janvier dernier, un atelier certifié MAINPRO conçu et présenté par Dre Chaput a été offert dans tous les sites du RCR dans le but de remédier à cette lacune. L’intérêt des médecins de famille est énorme. « Nous pensions accueillir environ 30 à 40 médecins de famille, dit Dre Ruths, mais 125 généralistes ont participé aux quatre ateliers à date et une autre séance est en cours de planification. »

Dre Chaput explique que de nombreux facteurs ont changé au cours des dernières années. « La détection plus précoce et de meilleurs traitements font que les survivants du cancer vivent plus longtemps; mais il reste un prix à payer : un plus grand fardeau de maladies. Les survivants du cancer développent plus de comorbidités comparativement à la population générale. »

Les médecins de famille, à leur tour, ont une liste spécifique de problèmes à évaluer chez les patients qui possèdent un historique de cancer : ils doivent détecter les effets tardifs comme les maladies cardiovasculaires et des problèmes psychosociaux.

Dre Chaput dit que les objectifs principaux des ateliers sont de conscientiser et éduquer les médecins de famille au sujet des problématiques spécifiques et les besoins de monitorage reliés à la survie au cancer.

Partager tôt, partager souvent

Les patients atteints de cancer doivent souvent consulter leur médecin de famille en cours de traitement pour diverses raisons médicales et chacune des interventions peut potentiellement avoir un impact les unes sur les autres. Voilà la raison d’être du deuxième volet du programme Trouver un terrain d’entente : le Plan de traitement standardisé.

« Il n’existe pas de façon standard d’aviser les médecins de famille des diagnostics et du plan de traitement de leurs patients, » explique Dre Joan Zidulka, l’oncologiste qui dirige ce volet et fait la promotion du projet au CHSM.

L’idée est d’élaborer un document qui servirait à compiler toutes les informations pertinentes reliées au patient, du diagnostic jusqu’à la fin du traitement. « Le document sera acheminé aux médecins avant que le traitement soit entamé, et actualisé pour refléter les changements apportés au traitement ou aux diagnostics, comme lorsque le patient est référé aux services psychosociaux pour cause d’anxiété, dépression, etc., » explique Gligorka Raskovic, gestionnaire du projet du RCR.

Les médecins de famille recevront des mises à jour si des changements sont apportés au traitement; le patient recevra également une copie à partager dans le cadre d’une visite dans une clinique sans rendez-vous ou à l’urgence. Le projet pilote, d’une durée d’un an, fait également appel au soutien de la généraliste Dre Susan Still du CHSM qui collabore à la conception du prototype, en compagnie de la coordonnatrice de site du RCR.

« Il s’agit d’ouvrir les voies de communication et forger une équipe, ajoute Dre Zidulka.  Nous voulons nous assurer que les problématiques non oncologiques, tels que la haute tension artérielle et un niveau élevé de cholestérol et de sucre, sont adéquatement suivies par les généralistes. Les patients tiennent pour acquis que ces choses-là sont prises en main, mais ce n’est pas vrai. »

Planifier la survie

Le troisième volet est l’élaboration d’un Plan de traitement de soins de survie (PTS), un document servant à résumer succinctement le traitement anticancéreux d’un patient et guider la gestion des effets tardifs et du monitorage.

En ce moment, le médecin de famille peut consulter le logiciel Dossier santé Québec (DSQ) qui lui permet d’avoir accès aux résultats d’examens effectués au sein du réseau public, mais les rapports n’ont pas été intégrés dans un plan et n’incluent pas de synopsis ou de recommandations de soins. « Nous avons besoin d’informations plus conséquentes; concises et pertinentes, sans être trop techniques, pour être en mesure de prendre une décision individuelle à chacun des patients, » explique Dr Grad.

Mike Shulha, le dirigeant de ce volet du projet, explique qu’une série de panels d’experts composés de survivants au cancer, de médecins de famille et d’oncologues de l’HGJ, du CHSM et du CUSM, ainsi que du CLSC Côte-des-Neiges, discuteront bientôt des éléments à inclure dans le PTS. Une analyse statistique s’ensuivra dans le but de sélectionner les éléments à inclure sur lesquels tout le monde s’entend et les groupes discuteront des résultats afin de finaliser le prototype du PTS.

Shulha remarque qu’il existe une grande variété d’options pour la dissémination du PTS, mais la plus commune est de le remettre au patient sous format papier. La prochaine phase logique sera alors de concevoir une stratégie durable pour la création et la distribution de PTS aussi en format électronique.

Ce qui est certain par contre, est que le PTS a le potentiel de répondre à d’importants besoins informationnels, comme l’atteste Vivianne Korah, une survivante du cancer du sein de la région de Montréal, dont la transition des soins anticancéreux aux soins de survie n’a pas été très fluide. « Pendant le traitement, c’est formidable », explique Korah, qui a reçu ses traitements au CUSM. « Il y avait une infirmière pivot qui vérifiait auprès de l’oncologue si quelque chose survenait. Ensuite, j’ai été suivie à la clinique du sein, donc il y avait encore quelqu’un qui pouvait répondre à mes questions. Mais, lorsque le traitement est fini, c’est très difficile de ne pas s’inquiéter. »

« Si j’avais un plan de soins, j’aurais l’esprit plus en paix. Je saurais à quel moment faire évaluer mes marqueurs biologiques ou passer un électrocardiogramme ou une échographie. Le plan de traitement viendrait réduire le stress d’avoir à surveiller les signes de mon corps et je n’aurais pas l’impression de me négliger. »

Et, comme l’indique Dre Ruths; « lorsque l’on améliore les voies de communication, on optimise les soins. »

 

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