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Valeurs autochtones, stabilité des forêts

Une étude dirigée par l’Université McGill révèle que les valeurs et pratiques des communautés autochtones du Panama jouent un rôle clé dans la stabilité exceptionnelle du couvert forestier sur leurs terres
Publié: 20 May 2025

Au cours des vingt dernières années, les forêts situées sur les terres autochtones du Panama sont demeurées remarquablement stables, davantage que dans les zones protégées, et c’est en grande partie grâce au respect de valeurs culturelles profondément enracinées, selon une étude menée par l’Université McGill.

L’équipe de recherche a constaté que le couvert forestier des terres autochtones est resté stable, à un taux presque deux fois supérieur à celui des aires protégées du Panama, y compris les parcs protégés par le gouvernement. Cela signifie que la déforestation y est nettement moins fréquente et que les perturbations qui surviennent sont généralement temporaires, laissant place à une régénération naturelle de la forêt. Les terres autochtones ont été définies à l’aide des frontières juridiques et coutumières existantes.

Ces résultats remettent en question une hypothèse de longue date en conservation, selon laquelle la protection de la biodiversité nécessite l’exclusion des populations.

Une science fondée sur l’histoire et le territoire

Afin de comprendre à la fois les modèles écologiques et les facteurs culturels, les chercheurs ont combiné une analyse descendante des données satellitaires de 2000 à 2020 à une approche ascendante, en organisant des séances de cartographie participative avec huit communautés Emberá de l’est du Panama. Les chercheurs ont pu travailler directement avec les membres des communautés autochtones grâce à un projet de compensation des émissions de carbone dans le Bayano et à un partenariat de recherche dans le bouchon du Darién.

« Nous avons imprimé des images satellites et demandé aux hommes et aux femmes d’indiquer les zones utilisées et jugées importantes », explique Camilo Alejo, auteur principal de l’étude ayant mené ces recherches dans le cadre de son doctorat au Département de biologie de l’Université McGill. « Ces zones englobaient les lieux où ils cultivent, chassent ou cueillent, mais aussi les endroits où ils organisent des cérémonies ou ceux qu’ils évitent pour des raisons spirituelles. »

Ces séances de cartographie participative ont révélé que les zones forestières revêtant une importance spirituelle et culturelle avaient tendance à rester intactes, tandis que l’activité agricole se développait surtout près des lisières de la forêt, où certaines perturbations étaient constatées.

« De nombreuses communautés autochtones intègrent l’agriculture, la spiritualité et la conservation dans leurs modes d’utilisation des terres, explique Camilo Alejo. Nos résultats montrent que cet ensemble diversifié de valeurs correspond aux zones où les forêts sont restées stables, ce qui semble indiquer un lien étroit entre les pratiques culturelles et la gestion à long terme des forêts. » Il convient également de noter que les sites sacrés, les zones de plantes médicinales et les terrains de chasse et de cueillette traditionnels sont répartis dans toute la forêt, renforçant ainsi l’utilisation durable.

« Selon nos cartes, les forêts demeurent intactes non seulement en raison de leur isolement, mais aussi grâce à la valeur que leur attribuent les populations, poursuit-il. Ces forêts intactes sont aussi activement entretenues. »

Systèmes de pensée autochtones : des enseignements à tirer

L’étude soulève également une question politique cruciale. Certaines communautés autochtones, en particulier dans des régions isolées comme le bouchon du Darién, ne disposent toujours pas de titres fonciers officiels, alors même que leur gestion a manifestement permis de préserver les forêts.

« Paradoxalement, dans de nombreux cadres juridiques, il faut exploiter la terre pour en revendiquer la propriété, dit Camilo Alejo. Une telle logique encourage la déforestation et va à l’encontre des pratiques qui permettent justement de préserver ces écosystèmes. »

Les auteurs appellent à une réforme des politiques d’attribution des titres fonciers en Amérique latine afin de reconnaître la gestion autochtone comme une forme légitime et éprouvée de l’utilisation des terres, y compris dans les zones protégées. Ils espèrent également que ces résultats inspireront de nouveaux cadres qui allient conservation, sécurité alimentaire et patrimoine culturel.

« Cette étude met en évidence la richesse des enseignements que l’on peut tirer des cosmovisions autochtones, ces visions holistiques du monde qui relient la nature, la culture et le bien-être, affirme Camilo Alejo. Nous avons là une réelle possibilité de repenser notre gestion des terres, non seulement au Panama, mais dans le monde entier. »

L’étude

L’article « Diverse values regarding nature are related to stable forests: the case of Indigenous lands in Panama », par Camilo Alejo, Catherine Potvin, Manuel Ortega, Brian Leung et Oliver T. Coomes, a été publié dans Ecology and Society.

L’étude a été financée par la bourse de mobilité pour les étudiants aux cycles supérieurs de l’Université McGill, une subvention à la découverte du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et une chaire de recherche du Canada (octroyée à la professeure Catherine Potvin).

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