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Nanotechnologie et physique quantique à une dimension

Une nouvelle expérience appuie le modèle du « liquide de Luttinger » énoncé il y a longtemps
Publié: 23 January 2014
La question intrigue les scientifiques depuis plus d’un demi-siècle. En 1950, le prix Nobel de physique japonais Sin-Itiro Tomonaga, suivi en 1963 par le physicien américain Joaquin Mazdak Luttinger, a présenté un modèle mathématique montrant que les effets d’une particule sur toutes les autres dans une ligne à une dimension seraient plus importants que dans des espaces à deux ou trois dimensions. Les physiciens quantiques ont surnommé ce modèle l’état du « liquide de Luttinger ».

Toutefois, jusqu’à très récemment, peu de tentatives de mise à l’épreuve du modèle sur des dispositifs semblables à ceux employés dans les ordinateurs ont été fructueuses, en raison de la complexité technique sous-jacente. Aujourd’hui, des scientifiques de l’université McGill et des Sandia National Laboratories ont mené à bien une nouvelle expérience qui corrobore finalement l’existence de l’état du liquide de Luttinger. Publiés dans l’édition de Science Express du 23 janvier, leurs résultats viennent appuyer la théorie du liquide de Luttinger.

L’expérience a été dirigée par le doctorant Dominique Laroche de McGill sous la supervision du professeur Guillaume Gervais du Département de physique de l’université McGill,  et du chercheur Michael Lilly des Sandia National Laboratories à Albuquerque, N.M. La nouvelle étude fait suite à la découverte par l’équipe en 2011 d’une méthode pour concevoir l’un des plus petits circuits électroniques au monde, constitué de deux fils séparés seulement de 15 nanomètres, ou 150 atomes.

Qu’implique la physique quantique à une dimension? Le professeur Gervais l’explique de la façon suivante : « Imaginez que vous conduisez sur une autoroute et que la circulation n’est pas trop dense. Si une voiture s’arrête devant vous, vous pouvez la contourner en la doublant à gauche ou à droite. Ça, c’est la physique à deux dimensions. Mais si vous entrez dans un tunnel à une seule voie et qu’une voiture s’arrête, toutes les autres voitures derrière vont devoir freiner brutalement. C’est là l’essentiel de l’effet du liquide de Luttinger. La façon dont se comportent les électrons dans l’état de Luttinger est complètement différente, car ils deviennent tout simplement entièrement couplés.

Pour les scientifiques, le professeur Gervais ajoute : « Ce qui est si élégant et fascinant dans la physique quantique à une dimension, c’est que les solutions sont mathématiquement exactes. Dans la plupart des autres cas, les solutions ne sont qu’approximatives. »

Fabriquer un dispositif comportant les bons paramètres pour procéder à l’expérience n’était cependant pas un travail facile, et cela malgré la découverte de l’équipe en 2011 d’une méthode pour le fabriquer. Il a fallu des années d’essais, et plus de 250 dispositifs défectueux – chacun d’entre eux ayant exigé 29 étapes de fabrication – avant que les efforts assidus de Laroche n’aboutissent à la production de dispositifs fonctionnels produisant des données fiables. « Tant de choses étaient susceptibles de mal tourner pendant le processus de fabrication que de comprendre pourquoi les dispositifs étaient défaillants  était comme chercher une aiguille dans une botte de foin, explique Laroche. De plus, l’addition du taux inhérent de défaillance  à chacune des étapes a rendu la fabrication  de ces dispositifs extrêmement ardue. »

Plus précisément, l’expérience a mesuré l’effet qu’un courant électrique très faible dans l’un des fils exerce sur un fil voisin. Cela peut être considéré comme la « friction » entre les deux circuits, et l’expérience révèle que cette friction augmente lorsque les circuits sont refroidis à des températures extrêmement basses. Cet effet est une prédiction forte de la théorie des liquides de Luttinger.

Les expériences ont été effectuées tant à l’université McGill qu’au Center for Integrated Nanotechnologies, un laboratoire d’accueil  géré par Sandia National Laboratories qui est mis  à la disposition des usagers par  l’Office of Basic Energy Sciences du Département de l’énergie des États-Unis.

« La fabrication de ces dispositifs nous a pris beaucoup de temps » souligne Lilly. « Il n'est pas impossible pour d’autres laboratoires d’en fabriquer aussi, mais les laboratoires de Sandia possèdent des infrastructures de recherche pour la croissance de matériaux et pour la microfabrication, ainsi que le soutien financier de l’Office of Basic Energy Sciences du Département de l'énergie pour faire de la recherche fondamentale. Nous sommes d'autant plus très interessés à comprendre les idées fondamentales derrière le fonctionnement de très petits systèmes. »

Les résultats pourraient se traduire en applications concrètes dans les domaines électronique ou autres. Bien qu’il soit difficile au stade actuel de prévoir ce que pourraient être ces applications, Gervais ajoute : « C’était la même chose lorsqu’on a inventé le laser. Mais les nanotechnologies nous aident déjà dans les domaines de la médecine, de l’électronique et de l’ingénierie – et nos travaux nous montrent qu’elles peuvent également nous aider à élucider de vieux mystères de la physique quantique. »

La recherche a été financée par le Département de l’énergie des États-Unis, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), l’Institut canadien de recherches avancées (ICRA), et le Fonds québécois de la recherche sur la nature et les technologies (FQRNT).

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Pour consulter l’article “1D-1D Coulomb Drag Signature of a Luttinger Liquid”, D. Laroche, G. Gervais, M. P. Lilly, J. L. Reno. Science Express, 23 janvier 2014: http://www.sciencemag.org/content/early/2014/01/22/science.1244152.abstract

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IMAGE: En se servant de deux fils séparés seulement de 15 nanomètres, ou 150 atomes, les chercheurs ont mesuré l’effet qu’un courant électrique très faible dans l’un des fils exerce sur un fil voisin. Cela peut être considéré comme la « friction » entre les deux circuits, et l’expérience révèle que cet effet augmente lorsque les circuits sont refroidis à des températures extrêmement basses – un résultat qui vient appuyer la théorie des liquides de Luttinger. CRÉDIT : James Hedberg

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