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Glace de mer en mouvement : un risque de pollution pour les pays de l’Arctique

Le déplacement des glaces de mer entre les pays de l’Arctique devrait s’accentuer considérablement au cours du présent siècle
This image shows sediment-rich sea ice in the Transpolar Drift Stream. A crane lowers two researchers from the decks of the icebreaker RV Polarstern to the surface of the ice to collect samples. Photo Credit: R. Stein, Alfred Wegener Institute
Image par R. Stein, Alfred Wegener Institute.
Publié: 19 March 2020

Selon une nouvelle étude réalisée par l’Université McGill, en collaboration avec l’Université du Colorado à Boulder, l’Université Columbia et l’Université d’État de l’Arizona, le déplacement des glaces de mer entre les pays de l’Arctique devrait s’accentuer considérablement au cours du présent siècle, augmentant ainsi le risque que des polluants comme les microplastiques et le pétrole soient charriés sur une plus grande distance entre les États côtiers voisins.

L’étude, publiée dans la revue Earth’s Future de l’American Geophysical Union, prédit que d’ici le milieu du siècle, le temps de déplacement moyen de la glace de mer entre les régions aura diminué de plus de moitié et que la quantité de glace se déplaçant entre les pays de l’Arctique comme la Russie, la Norvège, le Canada et les États-Unis aura plus que triplé.

Un intérêt accru pour l’exploitation en mer dans l’Arctique et pour la navigation dans l’océan Arctique central pourrait faire augmenter la quantité de polluants dans les eaux arctiques. Qui plus est, les contaminants prisonniers de la glace se déplacent beaucoup plus rapidement que ceux qui sont transportés par les courants océaniques en eau libre.

« On risque donc de voir la glace de mer transporter rapidement toutes sortes de matières, qu’il s’agisse d’algues ou de pétrole, explique Patricia DeRepentigny de l’Université du Colorado à Boulder. C’est un point important à prendre en compte au moment de la rédaction de lois internationales visant à réglementer les activités dans l’Arctique. »

Auparavant, les masses de glace de mer flottant dans l’Arctique pouvaient survivre jusqu’à dix ans : de nouvelles couches se formaient, la glace résistait à la chaleur de l’été et fondait surtout localement, et seule une petite partie de la masse était transportée vers d’autres régions. Toutefois, à mesure que le climat se réchauffe, ce modèle change.

Alors que, dans l’ensemble, la couche de glace de mer s’amincit – et fond entièrement dans de vastes régions durant l’été – la zone où se forme de la nouvelle glace pendant l’hiver s’agrandit, particulièrement le long des côtes de la Russie. Ce sera aussi bientôt le cas dans l’océan Arctique central. Cette glace plus mince peut se déplacer plus rapidement dans les eaux de plus en plus libres de l’Arctique, apportant les particules et les polluants qu’elle contient dans les eaux des États voisins.

« Dans un climat plus chaud, la glace se déplace plus rapidement et peut parcourir de plus grandes distances pour ensuite fondre dans les mers entourant l’Arctique et appartenant à des États voisins. Elle peut même survivre jusqu’à l’été suivant et être transportée dans des régions au-delà de l’océan Arctique, où elle fondra », affirme Bruno Tremblay, professeur agrégé au Département des sciences atmosphériques et océaniques de l’Université McGill.

Différents scénarios d’émissions

Dans le cadre d’une précédente étude, les auteurs ont examiné le déplacement de la glace de mer de l’Arctique à partir des relevés instrumentaux de la température de la surface effectués depuis 1979, moment où les premières observations continues par satellite ont commencé. Cette étude a été la première à faire état d’une augmentation de la quantité de glace de mer transportée d’une région à l’autre au cours des quarante dernières années. Ces travaux ont été réalisés par Patricia DeRepentigny, ancienne étudiante aux cycles supérieurs de Bruno Tremblay et auteure principale de l’étude.

« Nous avons remarqué une tendance particulièrement claire en étudiant les observations enregistrées avant et après l’an 2000; il y avait une nette accélération de la diminution de la glace de mer, ajoute Bruno Tremblay. Comme les modèles climatiques reproduisent cette tendance, il est logique que nous nous penchions maintenant sur les échanges de glace entre États voisins en Arctique. » Par exemple, une quantité de plus en plus grande de glace de mer se formera le long de la côte russe et ira fondre dans les eaux côtières du Svalbard (archipel appartenant au Royaume de Norvège).

Les chercheurs ont utilisé un modèle climatique ainsi que l’outil Sea Ice Tracking Utility (SITU), créé par l’équipe, pour étudier le parcours de la glace de mer, de l’endroit où elle se forme jusqu’à l’endroit où elle fond, au cours du 21e siècle.

Les chercheurs ont considéré deux scénarios d’émissions différents : le plus extrême, qui suppose un maintien du statu quo, prédit un réchauffement de quatre à cinq degrés Celsius d’ici 2100. L’autre scénario, inspiré de l’Accord de Paris, prédit un réchauffement limité à deux degrés Celsius. Les chercheurs ont ensuite modélisé le comportement de la glace de mer au milieu et à la fin du siècle en fonction de ces deux scénarios.

Dans trois de ces quatre situations – dont les deux prédictions pour le milieu du siècle – le déplacement de la glace de mer entre les pays de l’Arctique augmente.

Mais dans le scénario d’émissions élevées, les chercheurs ont constaté qu’à la fin du siècle, les pays pourraient avoir à gérer davantage leur propre glace et ses contaminants que la glace de leurs voisins. En effet, si le réchauffement est de quatre degrés ou plus d’ici 2100, la majeure partie de la glace de mer qui gèle en hiver fondra chaque printemps dans la région où elle s’est formée.

La Russie et l’Arctique central

Les chercheurs s’attendent à ce que la formation de glace s’accélère dans la zone économique exclusive de la Russie et dans l’océan Arctique central, deux endroits qui deviendront d’importants « exportateurs » de glace vers les autres régions de l’Arctique.

Une zone économique exclusive est une aire qui s’étend jusqu’à 200 milles marins de la côte et sur laquelle un État a des droits spéciaux en ce qui a trait à la pêche, à l’expédition et aux activités industrielles comme le forage pétrolier en mer. Cinq pays possèdent des zones économiques exclusives dans l’océan Arctique : le Canada, les États-Unis, la Russie, la Norvège et le Danemark (Groenland).

Les chercheurs ont découvert que la quantité de glace qui se forme en Russie pour ensuite fondre dans une autre zone économique exclusive doublera d’ici le milieu du siècle.

Toutefois, aucun pays n’a de droits économiques exclusifs sur l’Arctique central situé au milieu de l’océan Arctique. Comme l’océan Arctique est de plus en plus libre de glace en été, cette région deviendra une voie de navigation attrayante, particulièrement parce que les navires n’ont pas besoin d’obtenir la permission d’un autre pays pour l’emprunter.

« Les conclusions de l’étude sont claires. La glace de mer qui se déplace plus rapidement rapproche les pays, et les polluants présents sur les côtes ou transportés par les rivières depuis l’intérieur des terres peuvent avoir une incidence sur les environnements côtiers de pays éloignés. Dans le Grand Nord, pour protéger son propre environnement, il faut aussi protéger l’environnement de tous les États de l’Arctique », conclut Bruno Tremblay.

L’étude

L’article « Increased Transnational Sea Ice Transport Between Neighboring Arctic States in the 21st Century » de Patricia DeRepentigny, Alexandra Jahn, L. Bruno Tremblay, Robert Newton et Stephanie Pfirman a été publié dans Earth’s Future. Cette étude a été réalisée grâce à l’aide financière du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG), du Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies, de la Société canadienne de météorologie et d’océanographie, du Programme de subventions à la découverte du CRSNG, du MEOPAR et de la National Science Foundation. Ces travaux de recherche sont une contribution au Canadian Sea Ice and Snow Evolution (CanSISE) Network financé par le programme de recherche sur les changements climatiques et l’atmosphère du CRSNG.

DOI : 10.1029/2019EF001284

L’Université McGill

Fondée en 1821, l’Université McGill accueille des étudiants, des professeurs et des employés d’exception de partout au Canada et du monde entier. Année après année, elle se classe parmi les meilleures universités du Canada et du monde. Établissement d’enseignement supérieur de renommée mondiale, l’Université McGill exerce ses activités de recherche dans deux campus, 11 facultés et 13 écoles professionnelles; elle compte 300 programmes d’études et au-delà de 40 000 étudiants, dont plus de 10 200 aux cycles supérieurs.

Son adhésion au développement durable ne date pas d’hier : il remonte à des dizaines d’années et se déploie à l’échelle tant locale que planétaire. Comme en témoignent les énoncés de durabilité qu’elle a signés, l’Université souhaite contribuer à façonner un avenir où l’être humain pourra s’épanouir dans le respect de la planète.

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