À cœur ouvert avec le docteur Vinay Nadkarni, un géant de la réanimation

La RCR, la simulation et les leçons acquises : une discussion avec notre 14e professeur invité de la famille Flanders en simulation médicale

Le docteur Nadkarni est un chercheur remarquable et prolifique, qui a plus de 400 manuscrits révisés par des pairs et 35 chapitres de livres à son actif, a affirmé le docteur Farhan Bhanji, intensiviste pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants et directeur de l’enseignement au CSAIS, lorsqu’il a présenté le docteur Nadkarni à l’auditoire de la séance scientifique en pédiatrie. « Mais à mon avis, il tire sa véritable force de ses qualités de leader, de novateur, de réalisateur et de pédagogue. C’est le seul pédiatre à la direction de l’International Liaison Committee on Resuscitation (ILCOR), dont il est le coprésident. Il a présidé le comité des soins cardiovasculaires d’urgence de l’American Heart Association et créé des réseaux nationaux grâce au registre national de RCR de l’American Heart Association (Get with the Guidelines-Resuscitation), qui fournit des données à plus de 300 hôpitaux des États-Unis. Il n’est pas étonnant qu’il possède une foule de prix nationaux et internationaux, y compris le prix du géant de la réanimation de l’ILCOR en 2015, décerné à seulement cinq personnes dans le monde tous les cinq ans. Il a également été le mentor de plus de 100 fellows. Pour une personne aux réalisations si extraordinaires, le docteur Nadkarni demeure très humble et généreux de son temps… nous sommes chanceux de le compter parmi nous afin qu’il nous transmette son savoir. »

Nous avons tenu une discussion à cœur ouvert avec ce « géant de la réanimation » pour découvrir ce qui nourrit sa passion.

Docteurs Bhanji, Deutsch, Nadkarni

Q – Lorsque vous avez fini vos études à la faculté de médecine en 1984, vous avez indiqué que les professeurs vous exposaient de grandes théories et des démonstrations, mais que l’enseignement n’était pas très interactif et que les étudiants n’avaient pas nécessairement la possibilité de s’exercer. Quand avez-vous compris le grand besoin d’améliorer la formation en RCR et l’intérêt d’utiliser la simulation pour optimiser l’autoefficacité et le rendement opérationnel des équipes afin d’améliorer les processus de soins?

Je pense que j’ai eu plusieurs prises de conscience. Je vais vous parler de deux d’entre elles. La première a eu lieu le tout premier soir de mon internat, une période où nous sommes très impressionnables. J’étais de garde et je m’occupais d’un groupe de patients du Children’s National Medical Center de Washington, DC. L’un des patients avait une grosse tumeur du médiastin, qui risquait de s’affaisser sur la veine cave et d’obstruer la circulation du sang vers le cœur. C’est arrivé cette nuit-là, et le patient a fait un arrêt cardiaque à l’unité de soins intermédiaires. C’est moi qui ai grimpé sur la civière pour effectuer la RCR pendant que nous nous rendions au bloc opératoire. Nous avons ouvert le thorax et soulevé la tumeur, et le sang s’est mis immédiatement à traverser la veine cave et à réalimenter le cœur. Le chirurgien a comprimé le cœur avec la main pour le faire repartir et tout à coup, il s’est remis à battre. C’était miraculeux. Dans ma carrière, je n’ai plus jamais été témoin de quelque chose d’aussi dramatique ni d’une démonstration aussi évidente de l’équilibre fragile entre la vie et la mort.

Quand j’y repense, cet événement m’a passionné; ce potentiel de prendre un cœur flasque et mort et de le ramener soudainement à la vie. Et ce patient, cet enfant, a eu un bon pronostic. Ça a fonctionné. Nos efforts ont porté leurs fruits. Mais notre manque de préparation m’a frappé. J’ai compris que pendant notre formation de base, on voit les choses courantes. On peut être formé pour quelques problèmes inhabituels, mais le concept de la formation en vue d’une entité particulière, juste avant qu’elle se produise, aurait été inestimable: comment grimper sur la civière, comme donner la RCR en toute sécurité, comme ouvrir le thorax. Tous ces éléments étaient très circonscrits à la réanimation et exigeaient une formation contextualisée.

Ma deuxième expérience a eu lieu pendant ma recherche postdoctorale en soins intensifs. J’ai rencontré le docteur Arno L. Zaritsky, auteur du premier manuel sur les soins avancés en réanimation pédiatrique (SARP) et était en voie de le réviser pour le rendre pratique à enseigner. Par son entremise, je me suis investi dans le groupe de SARP de l’American Heart Association. À l’époque, j’ai eu la chance de me rendre aux Philippines avec Operation Smile, un groupe volontaire qui se consacre à réparer des fentes labiopalatines chez les enfants. Nous nous sommes rendus à un hôpital de brousse pour former le personnel en SARP, mais on n’y trouvait ni le matériel ni l’infrastructure nécessaires pour donner le cours. J’ai été frappé par le fait que nous avons besoin d’outils très simples et que la formation doit être adaptée au milieu et au niveau technique des stagiaires.

Les thèmes de ces quelques prises de conscience vécues en début de carrière sont revenus constamment. Oui, nous avons besoin d’excellence dans nos cours et nos formations, mais nous avons besoin aussi de milieux personnalisés, contextualisés, juste-à-temps. Et c’est là que ma carrière m’a mené.

Q – Vous avez parlé de l’importance d’accepter les contretemps, mais pas les revers pour réaliser vos objectifs en médecine. Pouvez-vous nous préciser votre pensée?

Je vais mettre en relief la différence entre le concept de « contretemp s» et celui de « revers ».

Quand on gravit une montagne, comme le mont Everest, disons, on trace un itinéraire et de nombreux trajets auxiliaires. En fait, aucune équipe n’emprunte le parcours prévu à l’origine, parce que les facteurs fluctuent: la température, les gens, le moment, les lieux, etc. La vie est imprévisible. Pour les alpinistes, une partie de la stratégie consiste à se rendre à une certaine altitude, à y rester une journée, puis à redescendre pour se réacclimater… lorsqu’ils affrontent des dangers inattendus sur les sentiers ou du mauvais temps, ils composent avec ce «contretemps», qu’ils ne considèrent pas comme un «revers» (puisqu’ils avaient anticipé des dangers imprévus).

En médecine, nous considérons souvent un obstacle imprévu qui nous oblige à changer nos plans comme un «revers». Lorsque nous traitons un patient, nous suivons parfois un cheminement clinique rigide. Quand il se passe quelque chose et que ce n’est pas possible, que nous ne pouvons pas nous en tenir au plan, nous percevons la situation comme un revers et en tirons de la frustration. Dans les faits, nous savons qu’en cours de route, nous allons vouloir poser un geste, mais que nous en serons empêchés. Nous devons arrêter, nous ressaisir, nous réorganiser, replanifier, contourner l’obstacle – faire ce qu’il faut – et nous fixer un nouvel objectif pour parvenir au résultat escompté. C’est un simple contretemps, pas un revers.

Nous devons arrêter de considérer les choses comme des revers en médecine, et commencer à anticiper les contretemps.

Q – Avez-vous déjà gravi une montagne?

Tous les jours… pas physiquement, mais notre équipe a gravi de nombreuses montagnes virtuelles! Il faut un bon travail d’équipe pour gravir une montagne, de la résilience et un bon guide. Vous voyez, ça ressemble beaucoup à la médecine. Il faut un chef d’équipe expérimenté, mais il ne peut pas réussir seul. Chacun a un rôle à jouer.

Q – Vous dites que nous avançons ensemble dans la bonne direction, mais que nous devons simplifier nos outils. Pourquoi?

Ce que je trouve très intéressant, c’est que même dans les pays en développement, quand on donne une conférence, il faut presque toujours un gadget ou une nouvelle technologie pour susciter l’intérêt et l’enthousiasme de l’auditoire. Les gens vont venir à une conférence sur la RCR en cas d’oxygénation extracorporelle, mais souvent, ils auraient besoin de RCR de base. Je peux les attirer en parlant d’un nouvel appareil complexe, mais en réalité, ils ont besoin de savoir comment surveiller la saturométrie de diverses façons… Ils peuvent y parvenir à l’aide d’un appareil complexe, mais ils peuvent aussi observer la couleur des lèvres. Dans la plupart des cas, la science de la réanimation nous ramène à l’essentiel.

Q – Selon vous, y a-t-il des technologies novatrices qui ont un fort potentiel dans ce domaine?

Il y en a beaucoup. Ce qui cartonne en ce moment en réanimation touche surtout la détection: comment déceler un battement cardiaque, un pouls, etc. Il y a des bracelets approuvés par la FDA dotés de capteurs qui permettent de déceler un pouls lorsqu’ils sont bien ajustés sur la peau. Un peu comme les «Fitbits» et les électrocardiogrammes, ils savent quand vous bougez et peuvent surveiller votre rythme cardiaque. Les données peuvent être transmises sans fil pour vous surveiller et vous géolocaliser. Ce type de dépistage précoce, en milieu hospitalier ou ambulatoire, est une technologie qui n’est pas encore maîtrisée, mais presque.

Je pense que ça va être un point tournant. Si on peut déceler et connaître le problème en situation d’urgence, on pourra y répondre convenablement. Par exemple, un arrêt soudain des mouvements, un arrêt cardiaque, est probablement causé par une fibrillation ventriculaire. Il faut donc un défibrillateur. Si le rythme cardiaque est plutôt ralenti, que la tension artérielle chute, que la saturation en oxygène diminue dans le temps, il s’agit d’asphyxie, qui peut être causée par une surdose de narcotiques. Que nous faut-il? Du Narcan, une oxygénothérapie d’entretien, des compressions thoraciques; c’est ce dont ce patient a besoin. Cette technologie nous permettrait de déterminer la cause probable, le moment et le siège du problème. En combinant cette technologie à des applications comme PulsePoint [qui localisent des défibrillateurs externes automatisés et des citoyens ou des professionnels en congé, formés en RCR en cas d’urgence cardiaque], on peut mobiliser la communauté et jumeler immédiatement les besoins du patient avec les compétences du répondant. L’ambulance aura alors le temps d’arriver. Une petite intervention rapide peut avoir d’énormes conséquences sur le pronostic du patient. C’est vers ça que nous nous dirigeons, et c’est dans ce secteur que s’effectueront les percées d’ici quelques années.

Q – Pendant votre séjour ici, la docteure Deutsch et vous avez donné des conseils professionnels aux résidents et aux fellows et avez parlé de l’importance d’établir de bonnes relations pendant votre carrière. Y a-t-il quelqu’un avec qui vous avez travaillé qui vous a motivé ou inspiré?

Il y en a pas mal. Je pense que j’ai eu de nombreux mentors. Le docteur Arno L. Zaritsky a eu beaucoup d’influence au début de ma formation parce que c’était un très bon chercheur, une personne très attentionnée. Il m’a appris à toujours asseoir mes actions sur des données probantes. À cause de son intérêt pour la réanimation, il m’a présenté plusieurs futurs mentors. L’un d’eux, le docteur William H. Montgomery, est l’un des initiateurs des cours de soins avancés en réanimation cardiovasculaire (SARC), de soins immédiats en réanimation (SIR) et de SARP. Il m’a beaucoup soutenu et inspiré, et il m’a encouragé à accepter de gros défis. Le docteur Leon Chameides, un cardiologue pédiatre très doux, a également été un mentor important. Il m’a vraiment aidé à créer ces premiers cours de SARP. Il avait l’art de formuler les choses pour que tout le monde comprenne de quoi il était question. Il m’a appris l’importance de contextualiser, de m’exprimer pour que les autres entendent et que quelqu’un agisse.

Ces mentors m’ont beaucoup soutenu et influencé au début de ma carrière, et ils m’ont encouragé à sortir des sentiers battus. Mon patron actuel, le docteur Robert Berg, est l’un des principaux mentors de ma vie depuis. Ce chercheur en réanimation et médecin en soins intensifs pédiatriques est une source d’inspiration. C’est un idéaliste qui a été mon mentor et m’a aidé tout au long de ma carrière à vraiment réfléchir pour étudier des sujets qui auront des effets tangibles, à me concentrer sur ce qui nous fera progresser et à penser au résultat final avant de commencer.

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