Chaire de recherche James McGill en études de la Renaissance

 

Professeure titulaire : Diane Desrosiers

Objectifs

Le programme de recherche que je me propose de réaliser de 2015 à 2022 dans le cadre de la chaire de recherche James McGill en études de la Renaissance comporte deux volets : a) Rabelais et la tradition rhétorique des progymnasmata et b) le questionnement relatif à la notion d’écriture féminine sous l’Ancien Régime.

a) Rabelais

Pour le premier volet relatif aux écrits de François Rabelais et à leur rayonnement, je compte poursuivre ma recherche sur les quatorze formes littéraires identifiées par le rhéteur d’Antioche Aphthonios (progymnasmata) qui connaissent une fortune encore insoupçonnée à la Renaissance et leur mise en œuvre en moyen français dans les écrits de François Rabelais. De façon plus spécifique, je mettrai l’accent sur les trois derniers genres de praeexercimenta : la description ((έκφρασις, descriptio), la thèse (θέσις, consultatio) et la proposition de loi (νόμου είσφορά, legislatio). J’analyserai les diverses modalités de la description de lieu en lien avec la description de l’Abbaye de Thélème et la description de l’action militaire avec le déroulement des actions guerrières dans les récits rabelaisiens. Puis, j’aborderai la thèse relative à la pertinence d’élever des remparts que je mettrai en rapport avec la question de la construction des murailles dans le Gargantua. Enfin, le dernier type d’exercices préparatoires, la critique des lois appelle une relecture des chapitres 6 et 7 du Tiers livre qui ont pour objet la discussion de la loi exemptant les nouveaux mariés du service militaire et le chapitre 48 du Tiers Livre comportant la critique de la loi permettant aux enfants de se marier sans le consentement de leurs parents. Cette étude jettera un éclairage inédit sur le fonctionnement rhétorique de l’œuvre de Rabelais.

b) L’écriture féminine en question sous l’Ancien Régime (XVe-XVIIIe siècles)

Le deuxième axe de recherche que je développerai s’inscrit dans le prolongement et l’approfondissement des travaux que j’ai menés jusqu’à maintenant sur la rhétorique et les femmes sous l’Ancien Régime. Ce programme de recherche a pour objectif l’étude des phénomènes textuels de ventriloquie dans les imprimés de la Première Modernité.

À partir du XVe siècle (notamment avec la contribution de Christine de Pizan), les femmes interviennent de plus en plus fréquemment dans les vifs débats politiques, religieux et littéraires qui marquent le début de l’époque moderne. Par ailleurs, même si, depuis la plus haute Antiquité grecque et latine, des représentations théâtrales, des textes dramaturgiques ou hagiographiques, des poèmes lyriques, prêtent voix à des personae féminines présentant souvent un ethos d’amante éplorée ou de femme cruelle, au cours de la Première Modernité, surtout au XVIe siècle et dans la première moitié du XVIIe siècle, en période de longues régences politiques, des scripteurs masculins, féminins ou anonymes, donnent la parole à des entités féminines (personnifications ou personnages) qu’ils font parler en discours direct au « je », en dépit des interdictions bibliques et des prescriptions rhétoriques qui proscrivent que des femmes plaident des causes en public ou prennent part à des polémiques publiques. Les « voix » féminines  (la « voix » étant entendue ici comme une métaphore), que ces ventriloques élaborent, qu’il s’agisse de rédacteurs féminins, masculins ou anonymes, reproduisent les stéréotypes associés à la « nature » féminine que véhiculent les divers registres du discours social : philosophique, théologique, juridique, médical, ce qui relativise d’une certaine façon la valeur émancipatrice, libératrice accordée par le monde contemporain, notre Modernité,  à la prise de parole féminine. En effet, l’utilisation de voix de femmes par des scripteurs masculins, féminins ou anonymes ainsi que la mise en texte des stratégies rhétoriques qui leur sont traditionnellement associées soulèvent plusieurs interrogations et remises en question relatives à l’auctorialité féminine. Ces travestissements textuels brouillent les repères identitaires, mettant radicalement en question l’essentialisation des notions d’« écriture féminine » et de « parler femme ».

Je compte également poursuivre l’édition critique des œuvres de Suzanne de Nervèze, l’une des plus importantes libellistes pensionnées par le cardinal Mazarin. À l’exception de l’« Apologie en faveur des femmes » qui a été reproduite dans l’anthologie de textes édités par Colette H. Winn sous le titre Protestations et revendications féminines (2002), les autres écrits de Suzanne de Nervèze, soit une trentaine de textes ressortissant à des genres diversifiés : discours encomiastiques, épîtres exhortatoires, lettres de consolation, récits de fiction, etc., sont demeurés inédits depuis le XVIIe siècle. Dans les éditions de l’époque, cette imposante production scripturaire compte plus de 750 pages imprimées entre 1642 et 1662, soit pendant plus de vingt ans, de l’arrivée d’Anne d’Autriche à la régence jusqu’à l’accession au pouvoir de Louis XIV. Dans ses écrits, Suzanne de Nervèze met en scène divers personnages fictifs, féminins et masculins (religieuse, bourgeoise, rieur de la cour, etc.), afin d’assurer une légitimité à sa prise de parole publique. Je compte donc analyser les ethe auctoriaux que la scriptrice élabore – les images de la féminité qu’elle construit – et les truchements auxquels elle recourt pour faire entendre sa voix, dans ses textes politiques ou polémiques.

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