Détoxification chez les poissons: le mercure est tenace
Il faut sixmois de pratique pour arriver à évaluer avec précision l’âge d’un sébaste aux yeux jaunes. Comme cette espèce peut vivre jusqu’à 120ans, elle est particulièrement intéressante pour BenjaminBarst et les scientifiques qui, comme lui, étudient les effets des substances chimiques toxiques sur les organismes vivants. Tout au long de sa vie, un poisson peut emmagasiner beaucoup de mercure et d’autres éléments traces dans ses tissus. Toutefois, on ignorait la quantité de ces éléments qui se retrouvent dans les parties sensibles des cellules du sébaste aux yeux jaunes. BenjaminBarst, boursier postdoctoral au Département des sciences des ressources naturelles de l’Université McGill, a donc mis le cap sur le Passage de l’Intérieur, en Alaska, en quête de réponses. Le résultat de ses recherches est présenté dans un article publié dans le dernier numéro d’Environmental Pollution.
À bord d’un bateau de pêche sportive, le Pheasant Plucker, l’équipe de recherche a capturé huitsébastes aux yeux jaunes, pesant jusqu’à 8,8kg chacun, dans les eaux du Passage de l’Intérieur de l’Alaska. Elle a prélevé le foie des poissons et congelé immédiatement des échantillons de tissus aux fins d’analyse ultérieure, dans des laboratoires de Québec et de Montréal.
Benjamin Barst tenant un sébaste aux yeux jaunes pêché dans les eaux du Passage de l’Intérieur, en Alaska. SOURCE: Melton Griggers, du Tree Tops Lodge
Isoler les éléments toxiques pour mieux contrer leurs effets
En examinant les tissus à l’échelle subcellulaire, les chercheurs ont découvert que le sébaste aux yeux jaunes pouvait stocker plusieurs éléments potentiellement toxiques dans ses tissus hépatiques (cadmium, plomb et arsenic), ce qui les empêchait de toucher les parties sensibles des cellules. Des concentrations toxiques de mercure ont toutefois été découvertes dans les cellules du foie, principalement dans les parties sensibles comme les mitochondries et les enzymes.
«On pourrait croire que l’Alaska est un endroit à l’abri des contaminants, affirme BenjaminBarst, mais le mercure produit par les activités industrielles peut voyager sur de longues distances et se loger dans les parties sensibles du foie des poissons. Et les conséquences peuvent être graves. Nos travaux précédents avaient révélé des atteintes hépatiques évidentes chez les sébastes présentant les niveaux de mercure les plus élevés, mais nous ne savions pas si les dommages étaient causés par le mercure ou par d’autres éléments traces. Nous savons maintenant que ce poisson ne détoxifie pas efficacement son organisme du mercure, ce qui renforce l’hypothèse voulant que le mercure soit la cause du problème.»
Les résultats mettent en lumière le risque que les contaminants pourraient poser pour le sébaste aux yeux jaunes, l’une des plus importantes espèces de sébastes des eaux côtières de l’ouest de l’Amérique du Nord. Ce sébaste est considéré comme une espèce menacée dans le bassin atmosphérique de Puget Sound-Georgia Basin aux États-Unis, et comme une «espèce préoccupante» au Canada, où on a établi des zones protégées pour mettre l’habitat du sébaste à l’abri des activités de pêche commerciale et récréative.
L’article «Subcellular distributions of trace elements (Cd, Pb, Hg, Se) in the livers of Alaskan yelloweye rockfish (Sebastes ruberrimus)», par Benjamin Barst et coll., a été publié dans Environmental Pollution: https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0269749118302045?via%3Dihub.