Entretien avec Thara Charland, nouvelle membre du CRIEM
Bienvenue à Thara Charland, nouvelle membre du CRIEM!
Thara est chercheuse postdoctorale au Département d'études littéraires à l'Université du Québec à Montréal. Elle a récemment décroché une prestigieuse bourse postdoctorale Banting, qui lui permettra de travailler sur l’émergence du bédéreportage au Québec depuis 2000. Pour souligner son arrivée au CRIEM, nous lui avons posé quelques questions.
Parmi vos intérêts de recherche, notons la bande dessinée québécoise en relation avec Montréal. Quelles sont les grandes tendances des représentations de Montréal dans la bande dessinée québécoise?
Il est difficile de souligner de grandes tendances dans les représentations de Montréal dans la bande dessinée québécoise (BDQ) contemporaine puisque le corpus est très diversifié, tant sur le plan des thèmes exploités que des périodes historiques représentées. Parmi les œuvres qui ont été publiées depuis 2000, on en retrouve qui puisent dans le passé historique et architectural de la métropole (La femme aux cartes postales de Claude Paiement et Jean-Paul Eid) tandis que d’autres projettent la ville dans un futur dystopique inquiétant (la série Ab Irato de Thierry Labrosse). Pour mes recherches, je me suis davantage intéressée à certaines bandes dessinées qui se concentrent sur un quartier précis afin d’en offrir un portrait, d’en cerner l’«âme». Dans ce type d’œuvres (Mile End de Michel Hellman, Chroniques du Centre-Sud de Richard Suicide, Lachine Beach de Skip Jensen, etc.), le rapport à la métropole est subjectif, sensible, mémoriel.
La ville de Montréal est-elle représentée différemment dans la bande dessinée par rapport à d'autres villes? Dit autrement, qu'est-ce qui distingue les représentations de Montréal dans la bande dessinée?
Lors de mes recherches, je me suis penchée sur des œuvres qui mettent en scène d’autres lieux que Montréal afin d’offrir un contrepoint à mon analyse principale et de permettre de voir en quoi les représentations de la ville montréalaise diffèrent ou recoupent celles d’autres endroits. Au fil des lectures, il est cependant apparu que Montréal agit comme un pôle d’attraction et qu’une grande partie des bandes dessinées québécoises parues depuis 2000 mettent en scène la ville. Parmi les œuvres qui proposent des visions à l’extérieur du centre, on constate que certains lieux communs associés à la région sont récupérés : vastitude du territoire québécois, bien-être lié au retour à la terre, pouvoir de guérison de la nature, etc. De plus, une traversée des œuvres qui se déroulent en banlieue et en campagne, mais qui tiennent presque invariablement un discours sur la métropole, permet de voir émerger une image de Montréal en négatif: étouffement en milieu citadin, manque d’espaces verts, problème de santé, etc.
Comme chercheure en littérature, qu'est-ce qui vous fascine dans les représentations de la ville, tout particulièrement?
J’ai grandi en banlieue, tout près de Montréal. Et pourtant, toute ma jeunesse, la métropole semblait inaccessible, trop vaste, un peu menaçante. Cela fait maintenant 15 ans que j’y habite et la métropole opère encore et toujours sur moi la plus grande fascination. J’ai l’impression de ne jamais en faire le tour, de ne pas parvenir à l’épuiser. La littérature et la bande dessinée me donnent l’occasion de poursuivre mon exploration de la ville. Chaque œuvre de mon corpus m’offre une facette de Montréal supplémentaire, en dévoile une parcelle que je n’avais pas encore explorée. J’ai déambulé dans le centre-ville du début du 20e siècle grâce à Arthur Leclair: projectionniste ambulant, j’ai revécu la grève étudiante de 2012 dans La guerre des rues et des maisons de Sophie Yanow et Michel Rabagliati m’a permis de promener dans Expo 67 avec Paul.
Votre projet postdoctoral porte sur le bédéreportage au Québec depuis 2000. Pourquoi le bédéreportage? Et comment l'analyse des représentations de la ville peut-elle contribuer à l'analyse du bédéreportage?
Mon travail en tant que chercheuse qui s’intéresse à la BDQ contemporaine est d’être attentive aux grandes tendances qui animent le champ bédéistique. Parmi ces mouvements, on remarque un essor sans précédent de la non-fiction. La bande dessinée investit depuis en plus le territoire du réel et, par conséquent, le recours aux pratiques documentaires s’est intensifié. Dans certaines œuvres du corpus, l’analyse des représentations de la ville permettra de voir de quelle manière les documents sur lesquels la recherche repose (photos, archives, articles de journaux, etc.) sont utilisés, mais surtout recyclés et réinterprétés.
Vous êtes aussi autrice. Comment vos recherches sur la bande dessinée québécoise et Montréal influence-t-elle votre travail créatif?
Je conçois mon approche de la création littéraire et mes recherches comme un seul et même mouvement. Pour moi, c’est la question des lieux et du rapport que nous entretenons toutes et tous avec eux qui m’intéressent. De quelle manière le lieu où l’on habite se dépose en nous? Dans mon roman, j’ai décidé de parler d’un quartier que je ne connais que par les récits qui m’ont été racontés: Cartierville. C’est le quartier où la maison familiale des Charland était située et elle était également à deux pas du Parc Belmont. La question qui a alors guidé mon écriture était la suivante: quelle est l’expérience d’habiter tout près d’une fête foraine quand notre vie de famille est particulièrement tragique?
Une journée parfaite à Montréal?
Une petite promenade dans le bois Summit en matinée pour prendre l’air. Ensuite, aller me promener en vélo sur la piste cyclable qui longe le fleuve, m’arrêter pour observer les surfeur·euses à la Vague à Guy, puis aboutir au Parc du Canal Lachine. Lire un peu sur le bord de l’eau en après-midi. Aller rejoindre des amis pour l’apéro au Verdun Beach.
3 symboles incontournables?
La Croix du Mont-Royal
Le Orange Julep
Les escaliers extérieurs en fer forgé
Quartier préféré?
Côte-des-Neiges (mon quartier depuis 15 ans)
Ouvrages de référence sur la bande dessinée québécoises et les représentations de la ville:
- Anna Giaufret (2021), Montréal dans les bulles : représentations de l’espace urbain et du français parlé montréalais dans la bande dessinée, Presses de l'Université Laval, 288 p.
- Michel Viau (2021), BDQ. Tome 1: Les origines à 1968, Station T, 400 p.
- Michel Viau (2022), BDQ. Tome 2: Le printemps de la bande dessinée québécoise : de 1968 à 1976, Station T, 464 p.
- Philippe Rioux (2022), Alter Ego: Le genre superhéroïque dans la BD au Québec (1968-1995), Presses de l'Université de Montréal, 368 p.
- Carmélie Jacob et Catherine Saouter (dir.) (2018), «La bande dessinée québécoise», dossier de la revue Voix et Images, vol. 43, no 2.