Un compte rendu du livre de Pierre Popovic "Imaginaire social et folie littéraire, Le second Empire de Paulin Gagne"

Par Nicolina Katinakis

 

McGill Sociological Review, Volume 1, January 2010, pp. 69-70

 

Dans Imaginaire social et folie littéraire, Le second Empire de Paulin Gagne, Pierre Popovic exhume du passé Paulin Gagne, dont l’œuvre prolifique fut refoulée dans les marges de la scène culturelle. Dès les premières lignes, l’auteur précise qu’il ne souhaite pas «réhabiliter» le poète oublié, mais plutôt, par la lecture de son œuvre, offrir un nouveau point de vue sur l’histoire sociale et littéraire du second Empire.

Son étude s’inscrit dans la foulée des recherches en histoire littéraire menées depuis une vingtaine d’années et consacrées à des écrivains mineurs ayant pourtant joué un rôle sur la scène littéraire. Plus précisément, Pierre Popovic se donne comme objectif d’étudier l’interaction des textes de Paulin Gagne avec l’imaginaire social des années 1841 à 1876.

D’entrée de jeu, l’auteur s’éloigne de la catégorie du «fou littéraire» longtemps accolée à Paulin Gagne pour le considérer comme un «littérateur» actif sur la scène artistique de la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Puis, il procède à l’examen critique des relations entretenues par Gagne avec divers auteurs et avec la critique littéraire. Il montre alors comment s’est élaborée la représentation du poète déclassé à travers les commentaires sur ses œuvres et sur sa personne. Il révèle également que le poète tirera partie, d’une certaine manière, de son échec littéraire et des moqueries répétées de la critique à son endroit en les transformant en un succès médiatique.

Mais c’est surtout à travers la description et l’analyse de trois œuvres de Gagne – Le suicide, L’Unitéide et La constitution philanthropophagique, ainsi qu’Omégar, ou le dernier homme signé de la plume d’Élise Gagne, mais inspiré du style de son époux – qu’il prouve que cette œuvre intègre, souvent sur le mode pathétique, des faits divers de l’actualité. Le projet littéraire de Paulin Gagne serait, en effet, traversé par le thème du suicide dans les années 1830-1840 ou encore par la fable de la «Réparation et du Salut universel». La présence de cette fable illustre, selon Popovic, le fait que l’œuvre de Gagne, loin d’être excentrique comme on l’a trop souvent dit, interagit de manière dynamique avec l’imaginaire social du second Empire. Par exemple, dans Le suicide, un jeune homme, sous l’effet d’une vision, abandonne le projet de se donner la mort et opte pour l’optimisme. Gagne présente ce choix comme un acte héroïque et son récit se veut une leçon contre le suicide. En d’autres termes, l’œuvre de Gagne, en faisant du sauvé un sauveur, fait figure de «bonne nouvelle», mais elle révèle aussi le paradoxe qui la fonde : le plus marginalisé des poètes serait habité par le désir de se faire le sauveur de l’humanité.

Si Pierre Popovic se défend bien de «célébrer» Paulin Gagne dans ce livre, sa passionnante analyse illustre pourtant parfaitement le fait que le projet littéraire d’un auteur déclassé dit autant de la société qui le voit naître que le texte d’un écrivain consacré.

Nicolina Katinakis est titulaire d’un baccalauréat spécialisé en études françaises et d’une majeure en études cinématographiques de l’Université de Montréal ainsi que d’une maîtrise en littérature française de l’Université McGill. Ses publications recoupent d’ailleurs ses deux domaines de spécialisation, la littérature et le cinéma.

Références

Popovic, Pierre. 2008. Imaginaire social et folie littéraire, Le second Empire de Paulin Gagne. Montréal, Québec : Les Presses de l’Université de Montréal.



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