Chaires de recherche

Chaire de recherche du Canada

Prof. Isabelle Daunais — l'esthétique et l'art du roman

La chaire de recherche sur l'esthétique et l'art du roman a pour objectif d'étudier la façon dont le roman comme mode de pensée et de connaissance s'est défini et articulé depuis le 19e siècle, c'est-à-dire depuis son instauration non seulement en «grand» genre de la littérature, mais aussi en l'une des formes majeures de représentation, d'exploration et d'expérimentation du monde. Plus spécifiquement, à partir d'un corpus principalement mais non exclusivement français, l'objectif de la chaire est de comprendre comment l'entrée du roman dans la modernité littéraire à partir de la seconde moitié du 19e siècle puis au tournant du 20e siècle, a mené (1) à ce qu'on peut appeler la «conscience» du roman, c'est-à-dire la conscience par les romanciers de pratiquer un art distinct des autres arts, au développement et aux enjeux spécifiques, telle que cette conscience s'exprime de façon explicite dans les réflexions qu'ils ont produites à cet égard, et (2) à un changement de situation pour le roman, désormais en concurrence avec d'autres arts pouvant se revendiquer d'une même modernité et amené dès lors à saisir ce qui le distingue en propre.

Ce programme de recherche s'inscrit dans le domaine large des études qui, depuis quelques années, s'intéressent au roman non pas en tant qu'il constitue un genre narratif parmi d'autres, dont la définition serait d'ordre structurel et l'histoire faite de l'enchaînement de ses variations formelles, mais en tant qu'il peut être défini comme un moyen spécifique, distinct de tout autre mode de connaissance, de décrire le monde et l'existence. La recherche vise à élargir ce point de vue, en tenant compte de ce qu'on pourrait appeler le «vieillissement» du roman, c'est-à-dire du fait qu'il est devenu au fil du temps une forme de pensée chargée de mémoire, non plus seulement mue par la force et la nouveauté de son origine, mais aussi par la somme de ses découvertes et de ses réflexions. Le roman n'est plus pour nous aujourd'hui une forme neuve, mais une forme héritée et à bien des égards une «vieille» forme. C'est la conscience de cette «position» nouvelle du roman – position qui apparaît à partir de la seconde moitié du 19e siècle et se renforce au tournant du 20e siècle – que ce programme de recherche se propose d'étudier et, avec elle, la conscience plus large de ce qui constitue le domaine du roman (les deux consciences se mettant en place en même temps). Une telle étude n'a jamais été réalisée et promet de renouveler de façon significative notre compréhension du rôle et de la place du roman dans la modernité.

Ce projet s'inscrit dans le prolongement direct de mes travaux sur la façon dont le roman se développe à partir de l'usure des mondes qu'il explore (Frontière du roman et Les grandes disparitions) et par quoi il mesure le monde à l'aune de ce qui y disparaît, et sur le moment critique qu'a constitué à cet égard la fin du réalisme au 19e siècle, alors que c'est le roman lui-même, dont on a à cette époque le sentiment qu'il a épuisé toutes les enquêtes et tout son potentiel de description du monde, qui semble vouloir entrer dans l'espace de ce qui pourrait disparaître. La chaire sur l'esthétique et l'art du roman contribuera à l'avancement du savoir à la fois sur le plan de l'histoire littéraire et sur le plan de la théorie en repensant le développement du roman moderne en dehors des considérations formelles et institutionnelles à travers lesquelles l'histoire littéraire des cinquante dernières années, largement alignée sur la logique des discours d'avant-garde, l'a jusqu'ici essentiellement abordé. En s'intéressant plutôt à la façon dont le roman s'est défini et développé comme un moyen spécifique de formuler des hypothèses sur le monde et l'existence, le programme permettra d'aborder le roman en fonction de ce qu'il transmet et relaie plutôt qu'en fonction de ses ruptures. Il permettra aussi, à travers l'étude des commentaires des romanciers sur leur art, de comprendre la façon dont s'est élaborée l'une des entreprises critiques les plus importantes (par sa durée, sa récurrence et la permanence de ses questions) du 20e siècle.

 

Chaires de recherche James McGill

Prof. Diane Desrosiers — recherche en études de la Renaissance

Objectifs

Le programme de recherche que je me propose de réaliser de 2015 à 2022 dans le cadre de la chaire de recherche James McGill en études de la Renaissance comporte deux volets : a) Rabelais et la tradition rhétorique des progymnasmata et b) le questionnement relatif à la notion d’écriture féminine sous l’Ancien Régime.

a) Rabelais

Pour le premier volet relatif aux écrits de François Rabelais et à leur rayonnement, je compte poursuivre ma recherche sur les quatorze formes littéraires identifiées par le rhéteur d’Antioche Aphthonios (progymnasmata) qui connaissent une fortune encore insoupçonnée à la Renaissance et leur mise en œuvre en moyen français dans les écrits de François Rabelais. De façon plus spécifique, je mettrai l’accent sur les trois derniers genres de praeexercimenta : la description ((έκφρασις, descriptio), la thèse (θέσις, consultatio) et la proposition de loi (νόμου είσφορά, legislatio). J’analyserai les diverses modalités de la description de lieu en lien avec la description de l’Abbaye de Thélème et la description de l’action militaire avec le déroulement des actions guerrières dans les récits rabelaisiens. Puis, j’aborderai la thèse relative à la pertinence d’élever des remparts que je mettrai en rapport avec la question de la construction des murailles dans le Gargantua. Enfin, le dernier type d’exercices préparatoires, la critique des lois appelle une relecture des chapitres 6 et 7 du Tiers livre qui ont pour objet la discussion de la loi exemptant les nouveaux mariés du service militaire et le chapitre 48 du Tiers Livre comportant la critique de la loi permettant aux enfants de se marier sans le consentement de leurs parents. Cette étude jettera un éclairage inédit sur le fonctionnement rhétorique de l’œuvre de Rabelais.

b) L’écriture féminine en question sous l’Ancien Régime (XVe-XVIIIe siècles)

Le deuxième axe de recherche que je développerai s’inscrit dans le prolongement et l’approfondissement des travaux que j’ai menés jusqu’à maintenant sur la rhétorique et les femmes sous l’Ancien Régime. Ce programme de recherche a pour objectif l’étude des phénomènes textuels de ventriloquie dans les imprimés de la Première Modernité.

À partir du XVe siècle (notamment avec la contribution de Christine de Pizan), les femmes interviennent de plus en plus fréquemment dans les vifs débats politiques, religieux et littéraires qui marquent le début de l’époque moderne. Par ailleurs, même si, depuis la plus haute Antiquité grecque et latine, des représentations théâtrales, des textes dramaturgiques ou hagiographiques, des poèmes lyriques, prêtent voix à des personae féminines présentant souvent un ethos d’amante éplorée ou de femme cruelle, au cours de la Première Modernité, surtout au XVIe siècle et dans la première moitié du XVIIe siècle, en période de longues régences politiques, des scripteurs masculins, féminins ou anonymes, donnent la parole à des entités féminines (personnifications ou personnages) qu’ils font parler en discours direct au « je », en dépit des interdictions bibliques et des prescriptions rhétoriques qui proscrivent que des femmes plaident des causes en public ou prennent part à des polémiques publiques. Les « voix » féminines  (la « voix » étant entendue ici comme une métaphore), que ces ventriloques élaborent, qu’il s’agisse de rédacteurs féminins, masculins ou anonymes, reproduisent les stéréotypes associés à la « nature » féminine que véhiculent les divers registres du discours social : philosophique, théologique, juridique, médical, ce qui relativise d’une certaine façon la valeur émancipatrice, libératrice accordée par le monde contemporain, notre Modernité,  à la prise de parole féminine. En effet, l’utilisation de voix de femmes par des scripteurs masculins, féminins ou anonymes ainsi que la mise en texte des stratégies rhétoriques qui leur sont traditionnellement associées soulèvent plusieurs interrogations et remises en question relatives à l’auctorialité féminine. Ces travestissements textuels brouillent les repères identitaires, mettant radicalement en question l’essentialisation des notions d’« écriture féminine » et de « parler femme ».

Je compte également poursuivre l’édition critique des œuvres de Suzanne de Nervèze, l’une des plus importantes libellistes pensionnées par le cardinal Mazarin. À l’exception de l’« Apologie en faveur des femmes » qui a été reproduite dans l’anthologie de textes édités par Colette H. Winn sous le titre Protestations et revendications féminines (2002), les autres écrits de Suzanne de Nervèze, soit une trentaine de textes ressortissant à des genres diversifiés : discours encomiastiques, épîtres exhortatoires, lettres de consolation, récits de fiction, etc., sont demeurés inédits depuis le XVIIe siècle. Dans les éditions de l’époque, cette imposante production scripturaire compte plus de 750 pages imprimées entre 1642 et 1662, soit pendant plus de vingt ans, de l’arrivée d’Anne d’Autriche à la régence jusqu’à l’accession au pouvoir de Louis XIV. Dans ses écrits, Suzanne de Nervèze met en scène divers personnages fictifs, féminins et masculins (religieuse, bourgeoise, rieur de la cour, etc.), afin d’assurer une légitimité à sa prise de parole publique. Je compte donc analyser les ethe auctoriaux que la scriptrice élabore – les images de la féminité qu’elle construit – et les truchements auxquels elle recourt pour faire entendre sa voix, dans ses textes politiques ou polémiques.

 

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