3. Recommandations

Les paramètres du mandat de cette enquête prévoyaient que je devrais faire « toutes les recommandations que je jugeais appropriées concernant les pratiques, les processus et les politiques relevant du contrôle et de la compétence de l’Université McGill ». L’objectif est de « permettre à McGill de tirer des leçons des événements survenus le 10 novembre 2011 et de prendre les mesures nécessaires pour éviter que cela ne se reproduise ». Comme je l’ai déjà dit, mon point de vue est résolument tourné vers l’avenir.

Conformément au mandat qui m’a été confié, j’ai tenté de fonder mes recommandations sur les événements survenus le 10 novembre et sur les mesures qui pourraient être prises pour éviter leur répétition. À la lumière des leçons qui ont été tirées, j’exposerai dans les paragraphes qui suivent des commentaires et des principes directeurs et, en deuxième lieu, je formulerai des recommandations précises concernant les domaines suivants : (i) la portée et la signification de la libre expression et des réunions pacifiques sur le campus; (ii) la nature et la portée des services de sécurité sur le campus; et (iii) les relations externes de l’Université, en portant une attention particulière à la présence des forces policières sur le campus. 

3.1 Commentaires et principes directeurs

Au cours du dernier mois, j’ai reçu des témoignages oraux et écrits exprimant des préoccupations, de la méfiance, un malaise, des craintes, de la peine et de l’indignation. Certains témoignages faisaient directement allusion aux événements du 10 novembre, alors que d’autres abordaient des questions contextuelles plus vastes, notamment celles que j’ai mentionnées dans la première partie du présent rapport. Maintenant que la chronologie des événements du 10 novembre a été éclaircie dans le présent rapport, les membres de la communauté de McGill peuvent procéder à leur propre évaluation des liens de causalité, le cas échéant, entre les questions contextuelles plus vastes et ce qui s’est produit ce jour-là. Faire des recommandations relatives à ces plus vastes questions contextuelles dépasse le cadre de mon mandat.

Cela dit, de toute évidence, les événements du 10 novembre, quelles qu’en soient les causes directes ou éloignées, ont laissé des blessures qu’il faut guérir. Les témoignages que j’ai reçus révèlent la nécessité d’une certaine catharsis au sein de l’Université, en réaction aux expériences et aux sentiments vécus par un grand nombre de personnes. Ce processus, entamé dans les jours qui ont suivi le 10 novembre, suscite l’engagement des étudiants, du personnel, du corps professoral et de la haute direction dans un dialogue public sur la nature, les conséquences et la signification de ces événements. De plus, dans le cas de certains interlocuteurs, la participation à cette enquête ou à l’enquête étudiante, et l’occasion de formuler et de fournir un compte rendu personnel des événements du 10 novembre pourraient faire partie du processus en cours. Par ailleurs, j’espère que la publication de ce rapport fournira d’autres occasions d’entamer des discussions ouvertes, franches et productives visant à rétablir la confiance mutuelle entre les différentes composantes de la communauté de McGill qui auraient pu subir les conséquences néfastes des événements du 10 novembre.

D’autres gestes importants et symboliques pourraient être envisagés pour rebâtir cette confiance mutuelle. Certains des témoignages que j’ai reçus mettent l’accent sur la construction sociale de l’espace sur le campus de l’Université. Ils attirent l’attention sur le fait que, depuis le déménagement du Point de service des étudiants du pavillon James à l’avenue McTavish, le pavillon James n’abrite plus beaucoup de services aux étudiants, et est devenu essentiellement, voire exclusivement, un immeuble administratif. Il faudrait songer à des façons positives et constructives dont la communauté pourrait se réapproprier l’espace physique du pavillon James, peut-être en rendant les installations rénovées du troisième étage accessibles à des organismes étudiants et communautaires à l’occasion d’événements qui s’y prêtent. D’autres ont suggéré que la zone faisant face au pavillon James soit rebaptisée d’un nom reconnaissant le lien entre l’administration et le reste de la communauté de McGill. Ces propositions méritent d’être prises au sérieux, dans le cadre de l’effort général visant à rebâtir la confiance et le respect mutuels qui doivent exister entre les différentes composantes de l’Université.

Les recommandations que je présente ci-dessous sont davantage ciblées. Les grands thèmes sous-jacents à mes propositions sont la clarté et la communauté. Les événements du 10 novembre révèlent qu’il existe beaucoup d’incertitude à l’intérieur de la communauté de l’Université et entre ses divers secteurs, quant aux questions liées aux modes, aux mécanismes et aux conséquences de manifestations civiles sur le campus. Bon nombre de ceux qui ont communiqué avec moi s’attendent à de la clarté de la part des autres. Plusieurs étudiants et membres du corps professoral demandent la reconnaissance non équivoque de la portée la plus vaste possible de la libre expression et de la capacité de se rassembler sur le campus. D’autres expriment l’espoir que les manifestations civiles prennent une forme conforme à l’esprit d’un débat raisonné et du respect mutuel qui est crucial dans la vie universitaire. Des membres de l’équipe de sécurité demandent une clarification de leur rôle et des attentes de la communauté advenant que des manifestations perturbent ou empêchent les activités de l’Université. Les hauts dirigeants recherchent le bon équilibre entre la volonté de privilégier la libre expression sur le campus et la nécessité d’assurer que les activités universitaires ne sont pas interrompues indûment. Les membres du personnel, notamment du personnel administratif, veulent se faire confirmer que leur sécurité est assurée sur le campus par une communication claire dans les situations d’urgence. Les services de police de Montréal cherchent à mieux comprendre les besoins et les valeurs de la communauté de cette université, et la signification rattachée à la présence de la police sur le campus. La plupart de mes recommandations invitent au dialogue et à une formulation claire des attentes de chacune des composantes pour le bien de la communauté de McGill dans son ensemble, et des personnes et des groupes qui la constituent. 

3.2   Recommandations

3.2.1  La signification et la portée de la libre expression et des réunions pacifiques sur le campus

Première recommandation : Les autorités de l’Université devraient organiser un forum ouvert à tous les membres de la communauté universitaire et y participer, afin de discuter de la signification et de la portée des droits à la libre expression et aux réunions pacifiques sur le campus.

Dans l’une des lettres ouvertes envoyées à la principale à la suite du 10 novembre, un groupe de professeurs a décrit l’Université comme un « lieu de développement d’une participation indépendante, éthique et engagée à la vie publique et aux idées ». Ce sentiment est largement partagé au sein de la communauté, et a été réaffirmé dans des déclarations publiques de l’Université. En fait, une partie de ce sentiment est, au moins en ce qui concerne les droits des étudiants, profondément enracinée dans l’article 25 de la Charte des droits de l’étudiant, qui prévoit que « chaque étudiant jouit, à l’Université, des libertés d’opinion, d’expression et de rassemblement pacifique ».

Ces droits étendus à la liberté d’expression et au rassemblement pacifique sont souvent réglementés par des procédures administratives raisonnables. De nombreuses universités canadiennes, dont l’Université McGill, ont établi des procédures selon lesquelles des événements et des manifestations peuvent être organisés à l’avance, de concert avec les services administratifs et de sécurité, de façon qu’ils aient lieu dans un contexte sûr, sans perturber indûment les activités universitaires. Même si elles sont efficaces et relevant de bonnes intentions, ces procédures de planification d’événements comportent des limites intrinsèques. Certaines manifestations et occupations sont spontanées. Certains événements, même s’ils ont été organisés à l’avance, reposent sur un élément de surprise ou de subversion et sont, par conséquent, délibérément planifiés à l’extérieur des circuits de notification officiels. De plus, certains membres de la communauté ne désirent pas soumettre leurs réunions et leurs manifestations civiles à quelque forme que ce soit de contrôle préalable par les autorités. Le défaut de participer à une préparation préalable, avec les autorités de l’Université, ne sape pas, en lui-même, la légitimité d’un événement ou d’une manifestation.

De plus, il se peut que les manifestations doivent se dérouler en tenant compte d’intérêts conflictuels. De nombreuses universités, dont l’Université McGill, ont établi des principes visant à protéger les activités de base sur le campus contre les perturbations excessives causées par des manifestations civiles. À McGill, l’article 5 du Code de conduite de l’étudiant stipule que : « L’étudiant ne peut, par des actes, des menaces ou autrement, faire sciemment obstruction aux activités universitaires. Par activités universitaires, on entend notamment l’enseignement, la recherche, l’étude, l’administration et les services au public. » Le même article ajoute que : « Le présent article et le code n’empêchent pas la tenue d’assemblées, de réunions et de manifestations paisibles ou le piquetage licite, ni n’interdisent la liberté de parole. » Il en résulte qu’à McGill, il est concevable qu’une assemblée ou une manifestation pacifique puisse entraver les activités à l’Université sans être considérée comme une infraction disciplinaire de la part des étudiants.

Même si la libre expression et la réunion pacifique sont définies, au sens large, à McGill, les limites de ces droits (ainsi que les justifications de ces limites) demeurent incertaines. L’étendue de ce qui constitue une réunion pacifique, reposant sur l’équilibre entre les droits et les responsabilités potentiellement conflictuels, n’est pas claire. Certains paramètres sont évidents et déjà formulés : par exemple, une conduite liée à des dommages à des biens ou à des menaces explicites ou à des préjudices à des personnes ne sera jamais compatible avec la notion de réunion pacifique (voir le Code de conduite de l’étudiant, articles 6, 7, 8 et 13). Au-delà de ces paramètres, les limites sont moins claires. Dans le feu de l’action, il n’est pas toujours facile de déterminer si un groupe est constitué de manifestants bruyants ou d’intrus menaçants. Des signaux clairs envoyés par les manifestants, en paroles et en actes, peuvent réduire le risque de confusion et les craintes subjectives. Les événements du 10 novembre et le contexte plus vaste de l’action directe et des pratiques contemporaines du militantisme social laissent entendre que la communauté universitaire pourrait tirer parti d’un dialogue franc et ouvert sur la signification de la libre expression et de la réunion pacifique, et sur la façon dont ils devraient être compris et protégés à McGill. À cet égard, un certain nombre de questions méritent d’être examinées :

  • Une réunion pacifique peut-elle se dérouler en tout lieu sur le campus? Y a-t-il des zones où des manifestations ou des occupations ne devraient pas être autorisées? Dans quelles circonstances, le cas échéant, le souci de la sécurité des manifestants et d’autres membres de la communauté serait-il un facteur pertinent (p. ex., le risque que présentent des matières dangereuses dans certains laboratoires)? Dans quelles circonstances, le cas échéant, les notions de vie privée, de confidentialité et de gouvernance constituent-elles des facteurs pertinents (p. ex., l’occupation du bureau personnel d’un haut dirigeant, l’interruption de séances du Sénat ou du Conseil des gouverneurs)? Quand, si jamais c’est le cas, la protection de biens de valeur devrait-elle constituer une préoccupation (p. ex., une manifestation dans une zone où est conservée une collection de livres rares, ou dans un laboratoire contenant des instruments et du matériel fragiles et coûteux)?
  • La dissimulation délibérée de sa propre identité (à l’aide de bandanas, de capuchons ou de masques) dans une manifestation est-elle compatible avec la notion de réunion pacifique? Étant donnée la culture contemporaine, selon laquelle on enregistre tout événement public, y aura-t-il inévitablement certains manifestants qui se couvriront le visage?
  • Y a-t-il des limites de temps aux réunions pacifiques? L’Université devrait-elle tolérer comme réunion pacifique une occupation qui entrave ses activités pendant une longue période?
  • Y a-t-il d’autres limites justifiables aux droits de libre expression et de réunion pacifique dans le contexte des manifestations et des occupations sur le campus?

Il serait naïf de présumer, de prévoir ou de recommander que ce genre de dialogue suscite un consensus sur la définition de « réunion pacifique » ou sur des déclarations normatives qui seraient considérées comme liant tous les membres de la communauté universitaire. Il serait également naïf de s’attendre à pouvoir couler dans le bronze à l’avance les limites d’une réunion pacifique, ce qui éviterait de devoir évaluer au cas par cas les circonstances de chaque manifestation. Néanmoins, un tel dialogue aiderait la communauté universitaire à clarifier ce qui est acceptable, ce qui est tolérable, et ce qui devrait être sanctionné ou interdit. Plus particulièrement, il serait utile, pour les autorités de l’Université, de formuler clairement la position de l’institution sur l’étendue de la libre expression et des réunions pacifiques, ainsi que sur les modalités de sa réaction à différentes formes de manifestations et d’occupations. J’aborderai cette dernière question, qui a gagné en importance à la suite des événements du 10 novembre, dans les sections qui suivent.

3.2.2   La nature et l’étendue de la sécurité sur le campus

Deuxième recommandation : Les autorités de l’Université devraient revoir les procédures normalisées d’exploitation du Service de sécurité de McGill, en vue de formuler des directives ou des cadres de travail clairs relativement aux manifestations et aux occupations sur le campus.

L’une des conséquences des événements du 10 novembre est que les membres du Service de sécurité de McGill ne sont pas certains de ce qui est attendu d’eux en cas de manifestations, d’occupations et d’autres formes d’action directe sur le campus. Les hauts dirigeants, le corps professoral, les membres du personnel et les étudiants envoient des messages contradictoires. Certains membres de l’équipe de sécurité sont dorénavant réticents à intervenir ou à appeler de l’aide extérieure en cas de situation explosive. Cet état de choses peut présenter un danger et doit être réglé sans délai.

L’actuel Plan de mesures d’urgence de l’Université « fournit les outils nécessaires pour faire face aux situations d’urgence susceptibles de se produire et de se transformer en crise ou en désastre ». Il renferme un exposé clair des responsabilités, de la filière hiérarchique pour la planification et la prise de décisions opérationnelles, des plans d’intervention et des procédures opérationnelles, et des mesures à prendre en vue du rétablissement, en fonction de chaque incident : d’une panne informatique généralisée à une inondation, et d’une panne d’électricité à la disparition de personnes, ou d’une tempête hivernale à l’irruption d’intrus hostiles. Il n’aborde pas les manifestations sur le campus autrement qu’en référence aux « événements liés aux droits des animaux ». Si l’on ne tient pas compte de cette étrange référence particulière, le silence du Plan de mesures d’urgence cadre avec l’idée qu’une manifestation ou une occupation n’est pas un « incident », une « crise » ou une « urgence » au sein d’une université engagée à l’égard de la libre expression et du droit à la réunion pacifique. Il pourrait donc être inapproprié d’incorporer au Plan de mesures d’urgence de l’Université les interventions attendues du Service de sécurité advenant de tels événements.

Le Service de sécurité de McGill a établi des procédures normalisées d’exploitation (PNE) distinctes en cas de grève et de désobéissance civile. Les PNE relatives à la désobéissance civile n’en sont qu’à l’état d’ébauche, et reproduisent en majeure partie le contenu des PNE relatives aux grèves. Les deux documents demeurent très généraux, et n’offrent pas de lignes directrices particulières sur la planification de la sécurité et des interventions en cas de manifestations ou d’occupations. Compte tenu des événements du 10 novembre, il semble qu’il serait utile de revoir et de mettre au point un protocole distinct concernant les manifestations, les occupations et les autres formes de protestation civile sur le campus.

L’élaboration et la mise en œuvre d’un protocole ou d’un cadre distinct pour faire face aux manifestations civiles sur le campus permettraient d’établir la différence qualitative entre ce type d’événement, d’une part, et les menaces à la sécurité des gens et des biens, d’autre part. D’autres universités ont établi de tels protocoles qui définissent les types de manifestations qui ne seront pas traités comme des réunions pacifiques. Inversement, ces protocoles facilitent, pour les services de sécurité, la détermination des circonstances dans lesquelles ils devraient éviter d’intervenir, et que les facultés, les étudiants et le reste de la communauté universitaire considèrent comme des réunions pacifiques. De plus, lorsque ce genre de protocole est en place, les organisateurs de manifestations et d’occupations, ainsi que les participants à ce genre d’événements, savent à quoi s’attendre, compte tenu des intentions et du déroulement prévu de leurs activités.

Le protocole ou le cadre devrait être élaboré par les experts en matière de mesures de sécurité, de concert avec les autres éléments constituants de la communauté universitaire. Il devrait être révisé par les Services juridiques de l’Université, et approuvé par la haute direction. Idéalement, ce protocole découlerait d’un énoncé de politique public et clair quant à la position de l’Université face aux manifestations et aux occupations sur le campus. Le protocole pourrait également être du domaine public, bien que certaines portions de celui-ci puissent demeurer confidentielles au besoin, afin de protéger les opérations du Service de sécurité de McGill. Il préciserait : les rôles respectifs du Service de sécurité et de la haute direction dans la prise de décisions relatives au fait de tolérer une manifestation ou d’y mettre fin; les personnes qui devraient discuter ou négocier avec les manifestants ou les occupants; l’utilisation ou non de caméras et, le cas échéant, dans quelles circonstances; la façon de traiter les situations qui se sont envenimées; le moment où il faut recourir à la force et les personnes qui doivent le faire; le type de force à utiliser; les éléments déclencheurs d’une intervention physique; les conditions dans lesquelles l’aide des autorités policières pourrait et devrait être demandée; les procédures et la répartition des ressources appropriées s’il existe plusieurs lieux de manifestation sur le campus; et le rôle que devrait assumer l’équipe de sécurité en cas d’intervention des policiers.

Ce protocole ne devrait pas être instauré dans un vide politique et devrait donc tenir compte des politiques générales de McGill sur les interventions d’urgence, les mesures d’évacuation, les premiers soins et autre assistance, ainsi que l’accès aux immeubles. Il devrait également fournir un cadre approprié pour la planification des interventions de l’Université en cas de manifestations et d’occupations prévues et prévisibles sur le campus ou dans son voisinage immédiat, y compris l’évaluation des risques, la contextualisation, la planification des opérations et l’évaluation a posteriori. Enfin, le protocole devrait être abordé dans le cadre de la formation de tout le personnel de sécurité, y compris les agents de sécurité contractuels qui travaillent à McGill.

Troisième recommandation : Le Service de sécurité devrait intensifier ses activités de partenariat communautaire et établir des canaux de communication fixes avec les différents éléments constituants sur le campus, particulièrement avec des groupes d’étudiants et des organisations communautaires de l’Université. Les autorités de l’Université devraient revoir la filière hiérarchique, la chaîne de commandement et les circuits de communication entre la haute direction et le Service de sécurité.

Le Service de sécurité de McGill est fier, à juste titre, des efforts qu’il a déployés en vue d’améliorer la prévention et la sensibilisation à la sécurité sur le campus, et de l’aide qu’il offre aux membres de la communauté dans la planification et la gestion d’un éventail d’événements spéciaux. Son engagement à veiller sur la santé, la sécurité et le bien-être de la communauté de McGill est indiscutable. Au cours de la dernière décennie, ses membres ont rencontré régulièrement des groupes et des personnes afin d’offrir de précieux conseils sur la planification d’événements, la sensibilisation à la sécurité, les interventions d’urgence, l’auto-défense, et une large gamme de questions liées à la sécurité.

Néanmoins, les événements des derniers mois ont terni l’image publique du Service de sécurité de McGill. Même si, il y a dix ans, plusieurs membres de la communauté de McGill se plaignaient du fait que la sécurité n’était pas assez visible sur le campus, le pendule semble être retourné à l’autre extrême. Un certain nombre de personnes m’ont écrit pour demander qu’on en finisse avec la « sécurisation du campus ». La présence d’un nombre inhabituel d’agents de sécurité pour surveiller les chantiers de construction sur le campus pourrait avoir contribué à cette perception. Il est clair que le contexte de la grève des membres de MUNACA a également joué un rôle important dans l’apparition de cette perception. Conformément aux directives des autorités de l’Université, les membres de l’équipe de sécurité étaient visibles partout sur le campus, surveillant les piquets de grève et, dans certains cas, filmant et recueillant des éléments probants relatifs à des manifestations et d’autres activités des membres de MUNACA en lien avec l’injonction obtenue par l’Université au cours de cette grève. Ce faisant, les membres de l’équipe de sécurité ont inévitablement filmé des étudiants ou des professeurs qui participaient à des manifestations pacifiques en soutien au syndicat, ce qui a contribué à l’apparition de la perception de la sécurisation du campus. Pour certaines personnes sur le campus, les agents de sécurité constituaient la manifestation extérieure de cette injonction. Dans ce rôle, l’équipe de sécurité peut avoir semblé détournée de sa mission première : veiller sur la santé et la sécurité de la communauté de McGill et de ses visiteurs, et sur les ressources physiques de l’Université, par des conseils, de la prévention et des interventions appropriés.

Le Service de sécurité et les différents éléments présents sur le campus devraient collaborer à rebâtir les relations réciproques de confiance qui existaient par le passé, et à mettre l’accent sur l’engagement à l’égard de la prévention et de la sensibilisation à la sécurité qui constitue le pivot du mandat et des activités du Service de sécurité. Les autorités de l’Université devraient continuer à offrir des ressources en vue de soutenir et d’améliorer ce mandat crucial du Service de sécurité. Par ailleurs, le Service de sécurité devrait continuer à travailler en étroite association avec les groupes d’étudiants et les organisations communautaires de l’Université à la préparation préalable de manifestations et de protestations civiles, afin que le campus reste un endroit sûr pour la libre expression.

En plus d’établir des canaux de communication fixes avec la communauté, particulièrement avec des groupes d’étudiants et des organisations communautaires de l’Université, le Service de sécurité devrait envisager la possibilité de recourir à des agents de sécurité contractuels dont l’uniforme montrerait plus clairement leur lien avec McGill, sous réserve des contraintes juridiques que peut leur imposer leur statut d’employés d’un entrepreneur indépendant. À l’heure actuelle, certains membres de la communauté considèrent ces agents comme du personnel temporaire envoyé sur le campus de McGill par une agence de sécurité privée. Le fait que ces agents portent l’uniforme d’une agence privée souligne leur statut de contractuels et peut nuire à leur intégration à la communauté de McGill.

Par ailleurs, les événements du 10 novembre laissent entendre qu’il faudrait porter une certaine attention à la participation des membres de la haute direction aux interventions d’urgence, et à l’interaction entre l’équipe de sécurité et les dirigeants de différents niveaux au sein de l’Université. Plus particulièrement, les autorités compétentes de l’Université devraient déterminer les membres de la direction investis de l’autorité de donner des consignes et des directives aux membres de l’équipe de sécurité, dans le contexte d’un incident particulier. Les autorités de l’Université devraient également revoir et clarifier le degré d’autonomie du Service de sécurité de McGill, l’importance à accorder aux opinions et à l’expertise de celui-ci en matière de sécurité, et le respect dont doivent faire l’objet les canaux hiérarchiques et la structure de commandement de l’équipe de sécurité.

Quatrième recommandation : Les autorités de l’Université devraient revoir leur réaction immédiate aux événements du 10 novembre du point de vue de la gestion des urgences, et aborder publiquement toute préoccupation que peut susciter cet examen.

Le 10 novembre, certains membres du personnel ont éprouvé des craintes ou de la confusion lorsque des manifestants ont encerclé leur immeuble et que le Service de sécurité de McGill a empêché toute entrée et toute sortie dans ces immeubles. De plus, quelles que soient les causes de l’irruption du Groupe d’intervention de la police de Montréal le 10 novembre, il est clair que sa présence constituait un risque pour la sécurité de ceux qui se trouvaient alors au square James et dans ses environs immédiats. À cet égard, les autorités compétentes de l’Université devraient évaluer leur réaction immédiate aux événements de ce jour-là, quant aux pratiques de gestion des urgences. La réaction des différentes unités d’urgence a-t-elle été optimale, compte tenu du désordre et du risque accru posé à la sécurité personnelle, à la suite de l’augmentation de l’intensité de la manifestation et de la confrontation subséquente entre la police et la foule au square James? Cette question doit être abordée à au moins trois niveaux.

Le premier niveau a trait à la communication. Les événements du 10 novembre laissent entendre qu’il pourrait y avoir des lacunes dans les protocoles de l’Université concernant la communication avec les membres de la communauté, lorsque l’accès à leur immeuble et la sortie de celui-ci sont restreints en raison d’une situation d’urgence. De nombreux membres du personnel dont le bureau est situé du côté sud du pavillon administratif James pouvaient voir et entendre qu’une manifestation était en train de prendre de l’ampleur. D’autres personnes, dans l’immeuble, ont déclaré qu’elles ignoraient ce qui se passait au cinquième étage ou au square James. Très peu de membres du personnel qui ont communiqué avec moi trouvent qu’ils ont reçu des directives claires sur le fait qu’ils devaient rester sur place ou quitter les lieux, et la façon de le faire. Il semble que plusieurs professeurs, étudiants et membres du personnel des immeubles avoisinants qui ont été verrouillés ou placés en mode d’accès par carte n’aient pas été avisés des motifs de cette mesure, ce qui a entraîné une confusion et de nombreux appels au Centre opérationnel de sécurité. Des cours, des conférences et des examens ont été interrompus, et il n’a pas été établi clairement si les autorités académiques ont été informées en temps opportun du verrouillage auquel on a procédé, de façon qu’elles puissent diffuser des consignes à cet égard. Même si l’Université dispose d’un service de notification automatique des urgences, elle ne semble pas avoir de façon efficace de communiquer avec les gens dans un immeuble en particulier, autre que par une liste de diffusion contrôlée par chaque directeur d’immeuble. Cette préoccupation devrait être abordée et réglée.

Quant au service de notification automatique des urgences, il n’a pas été activé le 10 novembre pour prévenir la communauté de McGill que la situation au square James avait dégénéré en une confrontation potentiellement violente. Les administrateurs de ce système ont accordé une grande importance au risque que de nombreux autres manifestants, dont certains de l’extérieur de la communauté de McGill qui auraient pu être enclins à user de violence, décident de venir à McGill si la présence de l’escouade antiémeute sur le campus était ébruitée. S’il s’agissait d’un risque véritable, et je n’ai aucune raison de penser le contraire, alors il faudrait explorer d’autres modes de communication avec la communauté dans ce genre de circonstances.

Le deuxième niveau de préoccupation a trait au contrôle de l’accès aux immeubles. D’après mon examen des communications entre les membres de l’équipe de sécurité le 10 novembre, ainsi que des enregistrements des appels faits au Centre opérationnel de sécurité (no 3000) à ce moment, il est nécessaire de revoir l’efficacité et la sûreté du fait de placer les immeubles en mode de verrouillage ou d’accès par carte. La décision de restreindre l’accès aux immeubles visait à empêcher l’occupation simultanée de plusieurs immeubles voisins du centre-ville. Qu’il y ait eu ou non un risque véritable, des gens entraient dans des immeubles censés être sécurisés et en sortaient, notamment le pavillon McConnell de génie et le pavillon administratif James. La différence entre un immeuble verrouillé et un immeuble à accès par carte ne semble pas avoir été bien comprise ou mise en application. Au contraire, le verrouillage a créé bien des problèmes aux gens qui se trouvaient dans des immeubles plus éloignés, dont le pavillon Leacock, et il a empêché des gens d’y entrer pour demander de l’aide après avoir été aspergés de gaz poivré. Il semble y avoir un manque de clarté quant à la signification des différentes catégories de restriction de l’accès et de ce que cela implique pour les directeurs d’immeuble, les portiers et les agents de sécurité postés à ces portes.

Le troisième niveau de préoccupation a trait au degré d’assistance qui devrait être offert aux membres de la communauté de McGill afin d’atténuer les conséquences immédiates d’une confrontation avec le Groupe d’intervention de la police de Montréal ou d’y remédier. Là encore, quelles qu’aient été les causes de la confrontation, plusieurs membres de la communauté ont involontairement traversé le square James ou emprunté le portail Milton à un moment dangereux. On ignore si le Service de sécurité aurait pu les protéger contre les risques de blessure en sécurisant le périmètre. En fait, il se peut qu’il n’y ait pas eu suffisamment d’agents en service pour couvrir une zone aussi vaste. De même, on ignore si le Service de sécurité aurait pu offrir les premiers soins et de l’aide aux gens qui avaient été aspergés de gaz poivré ou victimes de la force, ou encore si cette offre d’aide aurait été acceptée dans les circonstances. D’une manière plus générale, l’Université devrait évaluer sa propre réaction aux événements du 10 novembre, en ce qui concerne la prestation de services de counseling et de soins aux professeurs, au personnel et aux étudiants dans les jours qui ont suivi.

3.2.3   Les relations extérieures de l’Université et la présence de forces policières sur le campus

Cinquième recommandation : Les autorités de l’Université devraient établir des lignes directrices claires accordant le pouvoir de faire appel aux forces policières dans le contexte particulier de manifestations, d’occupations et d’autres formes de protestation civile.

La présence de policiers sur le campus est inévitable (et souhaitable), dans le contexte de crimes en cours, de la poursuite continue de criminels ou d’interventions et d’enquêtes à la suite d’allégations de comportements criminels sur le campus. Il est irréaliste, voire dangereux, d’imaginer que le campus se trouve hors limites de toute forme d’intervention policière. Il est également irréaliste et dangereux de suggérer que la police de Montréal ne soit autorisée à pénétrer sur le campus qu’à la suite d’un appel précis d’un haut dirigeant de l’Université afin de demander de l’aide. Il existe d’innombrables occasions au cours desquelles la décision d’appeler la police pour demander de l’aide doit être prise rapidement, sans longues délibérations. En fait, le Plan de mesures d’urgence et les Procédures normalisées d’exploitation de McGill confèrent à l’équipe de sécurité le pouvoir de demander l’aide de la police ou d’autres services d’urgence externes, advenant un vaste éventail de types de crise. De plus, toute personne sur le campus peut composer le 911, ce qui peut entraîner la présence souhaitable de la police sur le campus, en réponse à une situation d’urgence.

Néanmoins, le contexte des manifestations, des occupations et d’autres formes de protestation civile est différent. Une demande d’aide de la police faite par l’Université dans ce contexte devrait être abordée différemment, particulièrement lorsque la manifestation rassemble des étudiants, des professeurs ou d’autres membres de la communauté universitaire. Dans d’autres universités, des protocoles spéciaux sont en place pour que, toutes les fois où c’est possible, la décision de demander l’aide de la police dans le contexte d’une manifestation soit prise par les hauts dirigeants de l’université, ou de concert avec eux. Cet octroi de pouvoir devrait être abordé spécifiquement dans une Procédure normalisée d’exploitation distincte, relative à la désobéissance civile et aux manifestations, ainsi qu’il est proposé dans la Deuxième recommandation. La Procédure d’exploitation devrait tenir compte de la nécessité d’une réaction immédiate ou rapide en situation d’urgence, et assurer au personnel de la sécurité une souplesse suffisante pour qu’il puisse prendre des décisions en fonction du contexte. Le protocole devrait être communiqué clairement à tous les membres de l’équipe de sécurité.

Sixième recommandation : Les hauts dirigeants et le Service de sécurité de McGill devraient continuer à tisser des liens avec les autorités des postes de police avoisinants (postes de quartier) et les autorités de la SPVM, en vue d’en arriver à une compréhension commune du rôle joué par la police, et particulièrement son Groupe d’intervention, dans le contexte de manifestations, d’occupations et d’autres formes de protestation civile sur le campus.

Le campus du centre-ville de l’Université McGill est une surface encloisonnée, et l’espace ouvert qui s’y trouve appartient à l’Université. Plusieurs des immeubles périphériques sur le campus ne s’élèvent pas sur une voie publique. La présence du Groupe d’intervention de la police dans ce périmètre acquiert une signification symbolique que l’on ne retrouve peut-être pas dans d’autres milieux au centre-ville. Dans ce contexte, McGill a l’intérêt exclusif et moral de s’assurer que les escouades du Groupe d’intervention de la police ne sont présentes sur le campus que dans certaines conditions conformes à ses valeurs et à ses préoccupations. De plus, étant donné son emplacement géographique, au cœur du centre-ville de Montréal, près des centres d’affaires, culturels et sociaux de la ville, le campus du centre-ville est une zone qui peut facilement devenir le lieu d’une manifestation civile. Étant donné ces facteurs, il est nécessaire d’établir une étroite coordination et une collaboration avec les autorités policières.

D’après mon enquête sur les événements du 10 novembre, il semble que ce niveau de coordination et de collaboration ne puisse être atteint que par des contacts soutenus et réguliers avec les autorités policières. Les autorités de McGill devraient chercher à se renseigner auprès des autorités policières sur les conditions qui, d’après celles-ci, ont mené à la présence du Groupe d’intervention sur le campus, le 10 novembre. Les autorités de McGill devraient également communiquer avec les autorités policières afin de leur exposer clairement les valeurs de McGill relativement aux manifestations et aux protestations civiles. Le Service de sécurité devrait continuer à resserrer ses liens avec les chefs des postes de quartier et du Groupe d’intervention, de façon à pouvoir interagir avec eux dans le contexte d’une manifestation qui a cessé d’être pacifique. Les hauts dirigeants de McGill et les chefs de son Service de sécurité devraient continuer à privilégier cette relation et à chercher des occasions d’établir les modalités de cette collaboration, en gardant présent à l’esprit qu’ultimement, les autorités de la police de Montréal établissent leurs propres politiques et pratiques. 

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