1. Information de base et contexte

1.1 Contexte

Il importe de situer les événements du 10 novembre dans un contexte plus vaste. Je ne veux pas laisser entendre qu’il existe un lien de causalité entre ce contexte plus vaste et les événements particuliers qui se sont produits sur le campus ce jour-là. Je manquerais de rigueur si je tirais ce genre de conclusion en me fondant sur les éléments probants que j’ai recueillis dans le cadre de mon enquête. Toutefois, les événements qui se sont déroulés le 10 novembre sur le campus ne se sont pas produits isolément. J’aimerais mettre en lumière trois éléments du contexte dans lequel ces événements se sont déroulés.

Premièrement, les événements du 10 novembre s’inscrivaient dans le contexte plus vaste de revendications et d’occupation de lieux publics dans toutes les grandes villes de l’Amérique du Nord et d’ailleurs. Pendant plusieurs semaines, avant le 10 novembre, les médias ont présenté en rafale des images de militants sociaux, jeunes et vieux, qui remettaient en question les structures politiques établies par l’occupation physique de lieux hautement symboliques, depuis Wall Street, à New York, jusqu’au square Victoria, devant la Bourse de Montréal. Ce mouvement d’occupation, dans la mesure où on peut dire qu’il projette une seule voix, exprime une profonde méfiance à l’égard de l’élite politique et financière. Il met en lumière d’importantes inégalités dans la répartition de la richesse, et propose des modèles de rechange en matière de gouvernance démocratique. À la mi-novembre, après plusieurs semaines d’occupation pacifique, plusieurs de ces mouvements ont dû faire face à la pression croissante des autorités politiques et des services de police. À la fin de novembre, la plupart des occupations avaient pris fin, dans certains cas, après de violentes confrontations avec les forces policières, un peu partout en Amérique du Nord. Bien que les occupants du cinquième étage du pavillon administratif James de McGill n’aient revendiqué aucun lien intellectuel ou politique avec le mouvement international d’occupation, il faut noter que le texte de leur bannière était « 10 nov. Occupons McGill », qu’ils ont refusé d’exprimer des griefs ou d’imposer des exigences au personnel ou à l’administration de McGill pendant leur occupation, et qu’ils se sont limités à l’occupation hautement symbolique d’un lieu principal de gouvernance à l’Université, pour manifester leur remise en question des structures du pouvoir existant au sein de l’Université.

Deuxièmement, les événements du 10 novembre ont eu lieu le jour d’une vaste manifestation contre l’augmentation des droits de scolarité annoncée par le gouvernement du Québec. En vue de cette manifestation, des étudiants d’institutions postsecondaires d’un peu partout dans la province se sont rassemblés, et de 20 000 à 30 000 d’entre eux ont défilé dans les rues de Montréal. Ils se sont finalement rendus à l’angle de l’avenue McGill College et de la rue Sherbrooke, face au portail Roddick de McGill, pour manifester devant le bureau de Montréal du premier ministre Jean Charest. La manifestation est demeurée pacifique jusqu’à la fin de l’après-midi. Après le départ de la plus grande partie des manifestants, certains de ceux qui restaient ont affronté les policiers; la manifestation s’est intensifiée, et quelques projectiles, dont un extincteur, ont été lancés contre le cordon de policiers qui protégeaient l’entrée du bureau du premier ministre Charest. Le contexte particulier de cette vaste manifestation n’est pas étranger à ce qui s’est produit sur le campus le 10 novembre. Outre la mobilisation politique d’une foule de protestataires et l’énergie collective émanant d’une longue journée de manifestations, les événements ont suscité la présence des forces policières, notamment du Groupe d’intervention de la police de Montréal, aux alentours de l’Université McGill. Néanmoins, comme nous le verrons dans la deuxième partie, il est évident que les occupants du cinquième étage n’avaient pas simplement quitté la manifestation pour organiser spontanément l’occupation du bureau de la principale.

Troisièmement, les événements du 10 novembre se sont déroulés alors que la communauté de McGill en était au troisième mois d’une grève des membres de l'Association accréditée du personnel non enseignant de l'Université McGill (MUNACA). Ce conflit de travail sans précédent a affecté le moral de la communauté de McGill, et a donné lieu à certaines dissensions au sein des différents groupes de l’Université. Tous ont souffert de l’absence de quelque 1 700 employés, et en raison de la charge de travail ainsi accrue, de retards et de perturbations. Des étudiants et professeurs ont exprimé leur opposition et leur méfiance à l’égard de la haute direction de l’Université, et certains n’ont pas mâché leurs mots. Des gens se sont farouchement opposés à une injonction obtenue par l’Université dans ce contexte, qui restreignait l’étendue du piquetage et des manifestations des membres de la MUNACA. Des membres du corps professoral et des étudiants ont considéré la position de la direction pendant la grève comme une preuve de la diminution de la liberté de parole et de réunion pacifique sur le campus, ou comme une démonstration de problèmes plus profonds au sein de la gouvernance de McGill. Cette dissension avait été exprimée lors de réunions houleuses qui ont eu lieu au cours de l’automne 2011 au Sénat de l’Université, et par des déclarations publiques faites dans divers médias et forums électroniques sur le campus et à l’extérieur. Cette tension entre différentes composantes de la communauté de McGill, ainsi que le changement de ton dans le débat et le discours accompagnant le conflit de travail, à l’automne 2011, constituaient également des éléments du contexte dans lequel les événements du 10 novembre ont eu lieu.

Compte tenu de ce contexte, et en vue d’établir un point de départ commun pour la lecture du présent rapport, je vais maintenant fournir une brève description des lieux physiques les plus pertinents pour ce rapport.

1.2 Lieux physiques

Les événements du 10 novembre se sont déroulés essentiellement à l’intérieur et aux alentours du pavillon James. À l’extérieur, le lieu principal est une place officieusement appelée « square James ». Le pavillon James est situé du côté nord du square. À l’est, on trouve le pavillon Wilson et le portail Milton. Ce portail donne sur l’intersection des rues Milton et University. À l’ouest, sur une petite colline, on trouve les pavillons Ferrier et Dawson. Le pavillon McConnell de génie se situe au sud du square.

Il existe trois portes principales pour entrer dans le pavillon James. La « porte avant » donne sur le square James et mène au rez-de-chaussée de l’immeuble. La « porte arrière » est située sur le côté opposé de l’immeuble, face au nord. Elle mène à l’arrière du deuxième étage de l’immeuble. La « porte sud-ouest » s’ouvre sur un petit espace entre les pavillons Ferrier et James, et elle donnait accès au point de service des étudiants, avant que celui-ci ne déménage sur la rue McTavish. La porte sud-ouest donne sur l’avant du deuxième étage de l’immeuble. Il existe d’autres points d’entrée au pavillon James, reliés à « l’Annexe », ainsi qu’un quai de chargement situé du côté ouest de l’immeuble, à environ dix mètres au nord de la porte sud-ouest.

À l’intérieur du pavillon James, on trouve deux escaliers, l’un du côté nord, auquel on accède depuis le vestibule de la porte arrière (« l’escalier nord »), et l’autre, du côté sud (« l’escalier sud »). L’immeuble comporte également deux ascenseurs, tous deux situés au centre du pavillon. Les bureaux de la principale et du vice-principal exécutif sont situés au cinquième étage du pavillon James, et leurs fenêtres donnent au sud, sur le square James. On peut y accéder par trois points d’entrée :

(i) Depuis le palier du cinquième étage de l’escalier sud, on accède directement à l’aire de réception des bureaux de la principale et du vice-principal exécutif (« l’aire de réception ») par des doubles portes (« les portes de l’escalier »). Dans l’aire de réception, on trouve un bureau et trois portes avec accès par carte, menant toutes à des zones différentes. L’une des portes mène aux bureaux de différents membres du personnel de la principale. Une autre donne sur le vestibule du bureau de la principale. Et la dernière (comportant un panneau de verre) mène aux bureaux du vice-principal exécutif (la « porte du vice-principal exécutif »). Cette dernière, la porte du vice-principal exécutif, est la plus pertinente, dans le cadre du présent rapport. Les locaux situés derrière ces portes verrouillées constituent « la zone d’accès réservé ». Les bureaux de la zone d’accès réservé sont reliés par des portes communicantes, de sorte qu’il est possible de circuler librement entre les bureaux du vice-principal exécutif, de la principale et les bureaux administratifs.

(ii) On peut également emprunter l’escalier nord jusqu’au cinquième étage, traverser l’immeuble en direction du côté sud, passer devant les ascenseurs et entrer dans l’aire de réception par les doubles portes de verre (les « portes du corridor »).

(iii) Enfin, la zone d’accès réservé dispose d’une sortie de secours située derrière le pavillon James. L’accès s’y fait également par carte.

Comme dernière information de base, avant de passer à la chronologie des événements, je crois qu’il serait utile de décrire la structure du Service de sécurité de McGill. Voici cette description. 

1.3 Organisation de la sécurité à McGill

Dans sa page Web, le Service de sécurité de McGill définit sa mission en ces termes : 

Le Service de sécurité de l’Université McGill a pour mandat d’assurer la protection et la sécurité des personnes et des biens de la collectivité universitaire.

À ces fins, le service fait de la prévention, distribue de l’information et conseille les membres et services de la collectivité tout en assurant une présence efficace.

L’autorité opérationnelle et de gestion des interventions en matière de sécurité à McGill repose entre les mains d’une petite équipe d’employés de McGill (« l’équipe de gestion des opérations »). Ces employés sont chargés des questions de prévention et de sécurité à l’échelle du campus et supervisent le travail des agents de sécurité contractuels de l’agence privée Securitas. L’équipe de gestion des opérations est composée de cinq personnes, relevant toutes directement de M. Pierre Barbarie, directeur adjoint, Sûreté universitaire (Service de sécurité). Les membres de cette équipe ne sont pas en uniforme. Ils sont notamment chargés de planifier la sécurité des activités spéciales de l’université, sur le campus et à l’extérieur. Dans des situations d’urgence, ils gèrent également les activités du personnel de sécurité et ils interviennent directement sur les lieux de l’urgence. Outre cette équipe de gestion des opérations, deux employés du Service de sécurité de McGill se chargent des relations communautaires (« équipe des relations communautaires »). Cette équipe offre des services axés sur la prévention et la sensibilisation à la sécurité (comme des cours d’autodéfense, l’intervention non violente en situation d'urgence et la fourniture de conseils de sécurité à divers groupes et personnes). La création de l’équipe des relations communautaires, il y a un peu plus de dix ans, visait à mettre l’accent sur les dimensions de la prévention et des relations communautaires du mandat du Service de sécurité, plutôt que sur les pratiques de gestion des situations d’urgence utilisées dans le passé. Même si elle se concentre surtout sur la prévention, la sensibilisation à la sécurité et le partenariat avec la communauté universitaire, l’équipe des relations communautaires peut aussi être appelée, en cas d’urgence, à participer à des interventions directes sur le terrain. Le 10 novembre, ces sept personnes (les cinq membres de l’équipe de gestion des opérations et les deux membres de l’équipe des relations communautaires) ont participé activement à l’intervention qui a eu lieu. Dans le présent rapport, ces sept personnes seront appelées collectivement les « membres du groupe de gestion des opérations ».

En plus d’être assurés par le groupe de gestion des opérations, les services de sécurité sont fournis par des agents de sécurité employés par Securitas, agence privée dont les services ont été retenus par McGill. Ces agents demeurent des employés de Securitas, et portent l’uniforme de Securitas, à l’exception d’une casquette de baseball arborant l’écusson de l’Université McGill. Tous les agents de Securitas relèvent ultimement d’un capitaine de Securitas, qui est sous l’autorité directe de M. Chris Carson, membre principal du groupe de gestion des opérations, qui relève lui-même directement de M. Pierre Barbarie. Il ne s’agit pas d’une structure inhabituelle; d’autres universités gèrent leurs services de sécurité de cette manière, alliant ainsi une équipe de gestion de l’université et des agents de sécurité d’une agence privée. À McGill, on compte une équipe de base d’environ soixante-cinq agents qui font des quarts de travail au campus du centre-ville. En tout temps, on trouve jusqu’à une douzaine d’agents de Securitas sur le campus du centre-ville de McGill. De ces douze agents, deux travaillent au Centre opérationnel de sécurité (COS) du pavillon Ferrier, dont le contrôleur, posté au pupitre de commande principal. Les autres sont affectés à la patrouille à pied ou en voiture, ou à des endroits fixes sur le campus. En plus du groupe principal régulier d’agents de sécurité de Securitas, McGill fait parfois appel à d’autres agents pour répondre à des besoins précis. Par exemple, à certains moments, de quinze à vingt autres agents sont en service de façon temporaire afin d’assurer la sécurité sur les divers chantiers de construction du campus du centre-ville, afin de protéger les piétons contre les risques de blessures. De même, pendant la grève de MUNACA, le nombre d’agents de Securitas travaillant pour McGill a été porté à vingt. Le 10 novembre, il n’y avait que six agents affectés à des tâches liées à la grève.

Dans le présent rapport, tous les agents de sécurité contractuels seront collectivement appelés « les agents de Securitas ». De plus, dans ce rapport, les membres du groupe de gestion des opérations et les agents de Securitas seront appelés collectivement « l’équipe de sécurité ».

L’équipe de sécurité suit des procédures normalisées d’exploitation (PNE) écrites, notamment en ce qui concerne les conflits de travail et la désobéissance civile. Les PNE du Service de sécurité de McGill font partie de la formation du groupe de gestion des opérations et des agents de Securitas. Tous les agents de Securitas qui effectuent des quarts de travail réguliers à McGill reçoivent une formation sur place relativement aux procédures d’exploitation particulières à la sécurité à McGill; la durée de cette formation peut être de soixante-quatre à cent quarante-quatre heures, selon le poste qu’ils occupent. De plus, tous les membres du groupe de gestion des opérations ont reçu une formation en interventions non violentes en situation d’urgence, et deux d’entre eux offrent cette formation à d’autres personnes sur le campus. Au cours des six derniers mois, une formation particulière sur la diversité sociale et les questions d’équité a été offerte aux membres du groupe de gestion des opérations.

Tous les appels au numéro du Service de sécurité de McGill (no 3000) sont acheminés au Centre opérationnel de sécurité (COS) et sont traités selon ce que les circonstances exigent, notamment en dépêchant des membres de l’équipe de sécurité sur les lieux concernés. Les appels faits au 911 depuis un téléphone conventionnel sur le campus sont acheminés directement au répartiteur du 911 à Montréal, et surveillés par le COS de McGill aux fins de coordination des interventions du Service de sécurité de McGill avec les organismes de secours externes.

En plus d’assurer la supervision ultime de l’équipe de sécurité, M. Barbarie a pour mandat, en tant que directeur adjoint, Sûreté universitaire (Service de sécurité), de superviser les systèmes et la technologie de l’Université en matière de sécurité. Cette technologie permet de verrouiller et de déverrouiller sur le campus les locaux dont l’accès fait l’objet d’un contrôle central, particulièrement ceux qui comportent un accès par carte. Dans les immeubles où cette technologie est installée, il est possible d’offrir un accès par carte uniquement, ce qui permet aux gens d’entrer et de sortir à l’aide de leur carte, ou de procéder à un « verrouillage central », ce qui empêche habituellement les gens d’entrer ou de sortir.

Dans l’organigramme de l’Université, l’équipe de sécurité de M. Barbarie relève de Mme Louise Savard, directrice, Sûreté universitaire, et fait partie des services universitaires dirigés par Jim Nicell, vice-principal adjoint, et ultimement, par le vice-principal (administration et finances), Michael Di Grappa. 

Back to top