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Les adieux de la Faculté au professeur H. Patrick Glenn (1940-2014)

Publié: 3 October 2014

Je me souviens d'abord et avant tout de son rire et de son regard espiègle. Il pouvait lancer une observation très profonde qu’il faisait suivre d’un petit rire. On ne se rendait compte que plus tard de la profondeur de sa réflexion, alors que la conversation de couloir impromptue s’avérait beaucoup plus riche que ce qu’on avait d’abord imaginé.

H. Patrick Glenn (biographie; livre souvenirs), professeur de droit et titulaire de la chaire de Peter M. Laing, est décédé le 1er octobre 2014. Il avait 74 ans. 

ADDENDUM: Une réception commémorative à la mémoire du professeur Glenn aura lieu le 21 novembre 2014 au Club facultaire. Le drapeau de l'Université sera en berne ce jour-là en son honneur.

Le professeur Glenn et son épouse, Jane Matthews Glenn, sont arrivés à l'Université McGill en 1971, avec un groupe de jeunes chercheurs recrutés par la Faculté de droit pour donner vie au nouveau programme national créé trois ans plus tôt. Originaire de Toronto et membre du Barreau de la Colombie-Britannique, H. Patrick Glenn incarnait déjà à l'époque l'esprit cosmopolite qui caractérise toujours l'Université McGill. Après avoir étudié le droit à l'Université Queen's et à Harvard, il obtient un diplôme de doctorat en droit à Strasbourg. Parlant un français impeccable, le professeur Glenn s’engage alors à fond dans la communauté universitaire et juridique du Québec, où il forme des amitiés durables. Il apprend l'espagnol, l'italien et l'allemand sur cassette en se rendant à pied au travail, et prononce des discours liminaires dans de nombreuses conférences scientifiques partout dans le monde, toujours à titre de digne ambassadeur de l'Université.  Grand voyageur, il ne manque jamais de revenir dans sa maison de campagne bien-aimée à Sutton, où lui et Jane jettent des racines et accueillent collègues, étudiants et chercheurs venant de tous les coins du globe.

Dès le début de sa carrière, le professeur Glenn avait pour mission professorale de repousser les limites et de réexaminer les fondements du droit comparé. Il est rapidement devenu l'une des sommités mondiales les plus respectées en matière de droit international privé et de procédure civile comparée. Ses contributions les plus notables à la théorie du droit comparé arrivent plus tard. Tout commence par un article phare à la fin des années 1980, dans lequel le professeur Glenn pose les assises d'une compréhension profonde des traditions juridiques, en partant d'une riche perspective historique et comparative.  Contrairement aux chercheurs qui soulignent les différences et les écarts incommensurables entre les traditions juridiques nationales, Glenn soutenait que le droit est historiquement le produit d'un dialogue fertile entre différentes structures juridiques locales.  À son avis, tous les systèmes juridiques sont dialogiques, dynamiques et interactifs. Il voyait la conciliation des lois comme un moyen vers la conciliation des peuples.

Au milieu des années 2000, Patrick Glenn compte déjà plusieurs monographies sur le droit comparé à son actif.  Chacune est généralement considérée comme ayant redéfini le domaine. Son ouvrage Legal Traditions of the World: Sustainable Diversity in Law est un succès international.  L'ouvrage a reçu le Prix du Canada, décerné par l'Académie internationale de droit comparé en 1998 et en est aujourd'hui à sa cinquième édition. De l’avis de tous, ce livre constitue la référence en ce qui a trait au sens et à la portée, passés et futurs, des traditions juridiques. Personne d'autre que lui n’aurait pu l’écrire. La contribution de H. Patrick Glenn était unique, soutenue par la culture et l'originalité d'un esprit universel hors du commun. 

Glenn était un lecteur curieux et vorace, capable d’absorber des connaissances et des idées provenant d'une multitude de sources.  Son bureau était un labyrinthe formé de livres – disposés sur des étagères, des chaises et en piles instables sur le plancher et sur sa table de travail.  En puisant des images dans les domaines du droit, de l'art, de la science, de l'histoire, de la littérature, de l'anthropologie, de la psychologie comportementale et des mathématiques, il a tissé un tableau kaléidoscopique des cultures juridiques contemporaines. Le nombre d'ouvrages qu'il a produit est simplement prodigieux : une douzaine de livres et plus de 200 articles érudits, rédigés dans diverses langues, qui lui ont mérité le respect et la reconnaissance de la communauté mondiale de chercheurs et d'étudiants en droit comparé.

Au moment de son décès, plus de quatre décennies après ses débuts prometteurs à McGill, H. Patrick Glenn n'avait pas encore pris sa retraite. Il venait tout juste de terminer une monographie fascinante et iconoclaste, La conciliation des lois, tirée d'une célèbre série de conférences données dans le cadre d'un « cours général » à l'Académie de droit international de La Haye. Il prévoyait continuer à enseigner et à écrire pendant encore quelques années.  Il avait exactement la même silhouette distinctive qu'au début des années 1970, cheveux blancs, épaisse barbe blanche et sourire enjoué.

H. Patrick Glenn n'inspirait pas la vénération, car il était trop humble comme personne et trop modeste comme chercheur.  Il n'inspirait que de l’affection et de l’admiration. Néanmoins, sa carrière est jalonnée d'une série de prix et de distinctions. Le professeur Glenn était chercheur boursier du All Souls College, à Oxford, et a tenu la bourse de recherche Henry G. Schermers à l'Institut de La Haye pour l'internationalisation du droit et à l'Institut des études avancées des Pays-Bas (NIAS). Il était professeur invité à l'institut Max Planck de Hambourg, ainsi que membre élu de l'Académie internationale de droit comparé. En 2002, il a reçu un doctorat honorifique de l'Université de Fribourg en Suisse. Au Canada, le professeur Glenn a été Boursier Bora Laskin pour la recherche en droits de la personne, ainsi que Boursier de la Fondation Killam. En 2006, dans le cadre des Prix du Québec, la plus haute distinction décernée par le gouvernement du Québec, il reçoit le Prix Léon-Gérin, en reconnaissance d'une carrière remarquable dans le domaine de la recherche en sciences sociales. Membre de la Société royale du Canada, le professeur Glenn était, au moment de son décès, président de la Société américaine de droit comparé, l'unique chercheur de l'extérieur des États-Unis à avoir occupé ce prestigieux poste. 

Bien peu de chercheurs dans les domaines du droit et des sciences sociales ont eu une influence aussi déterminante sur l'évolution de leur discipline que le professeur Glenn a eue au chapitre du droit comparé et de la théorie juridique. Et bien peu ont eu une influence aussi durable sur leurs étudiants, leurs collègues et leur institution. Pourtant, aujourd'hui, c'est l'amitié, la grâce et l'humour de cet homme extraordinaire qui nous manquent le plus.  Aujourd'hui, à la Faculté de droit de McGill, c'est comme si un autre des plus grands arbres de la forêt venait d’être abattu – sans le moindre avertissement.  Nos pensées sont avec notre chère collègue Jane Matthews Glenn, et avec ses enfants Shannon et Jeremy.

Daniel Jutras
Doyen et titulaire de la chaire Wainwright en droit civil
Le 3 octobre 2014

 

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