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Foire aux questions de McGill : Payam Akhavan

Publié: 29 March 2007

Payam Akhavan, professeur de droit à McGill, ancien procureur général des Nations Unies pour les crimes de guerre et défenseur des droits de la personne, était de passage à Ottawa les 27 et 28 mars pour expliquer au Sous-comité des droits de la personne de la Chambre des communes la façon dont le Canada peut demander que justice soit faite dans l’affaire Zahra Kazemi, photographe d’origine iranienne torturée, puis assassinée. Payam Akhavan a également requis la mise en accusation de Saeed Mortazavi, procureur en chef de Téhéran impliqué dans cette affaire, lors de sa rencontre avec Stephen Harper, premier ministre du Canada.



Q : Le Sous-comité des droits de la personne a adopté une motion pour ouvrir une enquête criminelle sur la participation de Saeed Mortazavi, procureur général iranien, dans la torture et le meurtre de Zarah Kazemi. Que va-t-il se passer ensuite?

R : L’enquête se déroulera conformément à l’article 269.1 et à l’alinéa 7(3.7)d) du Code criminel, qui octroient aux tribunaux canadiens la compétence dans les affaires de torture extraterritoriale, lorsque la victime a la citoyenneté canadienne. Le Comité a adopté cette motion et la Chambre des communes en fera éventuellement autant.

Q : Pourquoi est-il si important pour vous, à titre de défenseur des droits de la personne et de Canadien d’origine iranienne, que le Canada prenne position dans cette affaire?

R : Une citoyenne canadienne a été violée, torturée puis assassinée sans pitié sous les ordres d’un haut fonctionnaire iranien, et ce, visiblement en toute impunité. Nous ne pouvons pas permettre cela. Les infractions aux droits de la personne ne sont pas commises par des entités abstraites que nous nommons gouvernements, mais par des personnes et le droit international ne peut être appliqué efficacement que si ces fonctionnaires sont tenus responsables. La mise en accusation de ce haut fonctionnaire très connu, responsable de l’arrestation, de la torture et du meurtre de centaines de dissidents en Iran signifiera également aux dirigeants iraniens que de telles atrocités ont un prix et que même s’ils sont au pouvoir aujourd’hui, ils devront un jour répondre de leurs actes devant la justice. En exposant Saeed Mortazavi à une telle punition potentielle, nous encouragerons également les forces démocratiques iraniennes qui se rendront ainsi compte que les hommes de main du régime, intouchables au premier regard, sont en fait plus vulnérables qu’ils n’en ont l’air. Il s’agit d’un élément vital de l’éventuelle transformation démocratique de l’Iran : passage d’un régime autoritaire qui menace ses citoyens et les pays voisins à un état pluraliste et progressif axé sur l’amélioration de la qualité de vie de son peuple et sur le respect de leurs droits fondamentaux. Dans une période où plane à l’horizon un risque de confrontation militaire autour de la question du nucléaire, une telle transformation ne représente pas seulement une noble aspiration, mais bien une nécessité vitale.

Q : Qu’en est-il de l’engagement du premier ministre dans cette affaire?

R : Je pense que le gouvernement nous offre son soutien pour amener les meurtriers de Kazemi devant la justice. Toutefois, compte tenu des circonstances inhabituelles des enquêtes menées sur des crimes commis hors des frontières canadiennes, certains font part de leurs hésitations, notamment les bureaucrates. Il est important que les Canadiens et les Canadiennes fassent savoir à leur gouvernement qu’ils souhaitent que justice soit faite dans cette affaire. Je continue tout de même de croire que Stephen Harper poursuivra son cheminement afin d’amener Mortazavi devant les tribunaux, étant donné qu’il a demandé son arrestation provisoire en juin 2006, alors que Mortazavi assistait à la réunion du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève.

Q : Quelles sont les réserves du Canada? Quelles sont les répercussions diplomatiques de la poursuite en justice d’un fonctionnaire d’un autre pays qui pourrait avoir participé à l’assassinat d’une citoyenne canadienne?

R : La principale préoccupation porte sur le fait que le Canada entamerait davantage ses relations déjà précaires avec l’Iran. Nous devons toutefois comprendre que l’Iran a deux visages : il y a l’Iran du président Ahmadinejad et des autres extrémistes partisans de l’oppression et de l’abus, et l’autre Iran, celui de la grande majorité qui souhaite mettre fin à une théocratie absolutiste incapable de sortir le peuple de sa misère sociale et économique. Soixante-dix pour cent des Iraniens ont moins de trente ans. Qu’on le veuille ou non, Britney Spears les passionne davantage que l’ayatollah Khomeini. En anglais, leur condition porte le nom de « lipstick jihad », dans la mesure où il s’agit de jeunes gens qui veulent faire partie du monde et jouir des mêmes libertés et perspectives que n’importe qui d’autre. Le Canada doit investir dans les futurs dirigeants de l’Iran plutôt que de se sentir redevable envers ceux qui s’accrochent au pouvoir, car ils ne sont plus là pour longtemps.

Q : Que se passera-t-il alors si une résolution est adoptée? Mortazavi sera-t-il extradé ou s’agit-il plutôt d’une mesure symbolique?

R : Il est peu probable que l’extradition de Mortazavi soit prononcée, mais il ne pourra plus quitter l’Iran et lorsque ses compagnons ne seront plus au pouvoir, il ne pourra pas simplement émigrer au Canada, ni nulle part ailleurs et il ne pourra non plus demeurer en Iran en clamant son innocence. La mise en accusation de Mortazavi signifiera aux autres hauts fonctionnaires iraniens que le monde a les yeux tournés vers eux et qu’ils devraient réfléchir avant de torturer et d’assassiner des innocents, car en fin de compte, le crime ne paie pas.

Q : Pourquoi cette affaire devrait-elle interpeller le Canadien moyen?

R : Selon la Charte canadienne des droits et libertés, le Canada est une société multiculturelle. Nous sommes une nation d’immigrants, qui tire profit des richesses, des aptitudes et de l’esprit d’entreprise de nombreuses cultures. Nous devons d’un autre côté accepter la responsabilité de la protection des citoyens, quelle que soit leur origine. Zarah Kazemi était une citoyenne canadienne qui a vécu de nombreuses années au Canada. Elle était chez elle dans ce pays et nous lui devons à elle, et à nous-mêmes, de faire savoir au monde entier que nous n’accepterons pas qu’une citoyenne canadienne soit assassinée et que ses meurtriers restent impunis.

Stephen Harper, premier ministre du Canada, a demandé à Payam Akhavan un avis juridique sur une éventuelle affaire Mortazavi. Vous trouverez cet avis ci-après. En octobre, Payam Akhavan présidera la Conférence Echenberg sur les droits de la personne à McGill.

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Le 29 mars 2007

Monsieur le Premier ministre,

Ce fut pour moi un honneur et un privilège de m’entretenir avec vous de l’affaire Zahra Kazemi, le 21 mars dernier à Ottawa.

Vous m’avez invité à me prononcer sur le fondement juridique d’une enquête criminelle et de la mise en accusation de Saeed Mortazavi, procureur général de Téhéran, impliqué dans la torture et l’assassinat de Zahra Kazemi. Je vous présente ici une brève explication que je me permets de soumettre à votre attention.

L’alinéa 7 (3.7)d) du Code criminel prévoit de façon précise les compétences des tribunaux dans les affaires de torture commises hors du Canada si « le plaignant à la citoyenneté canadienne ». L’alinéa 5(1)c) de la Convention contre la torture des Nations Unies prévoit également qu’un État partie « prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence » contre la torture « quand la victime est un ressortissant dudit État et que ce dernier le juge approprié ». L’exercice d’une compétence extraterritoriale pour protéger des citoyens canadiens contre des crimes internationaux est parfaitement conforme au droit canadien et international. Étant donné que madame Kazemi était une citoyenne canadienne aux yeux de la loi canadienne, selon le Code criminel, le fait qu’elle était également citoyenne de l’Iran est sans importance. De plus, étant donné qu’elle demeurait depuis de nombreuses années à Montréal, le droit international reconnaît également sa citoyenneté canadienne comme sa nationalité véritable et effective, celle qui concorde avec la situation de fait, qui repose sur un lien de fait supérieur entre l'intéressée et l'un des États dont la nationalité est en cause.

Une enquête contre Saeed Mortazavi s’avère difficile sans la possibilité de se rendre en Iran, mais pas impossible. De nombreuses preuves peuvent être recueillies hors de l’Iran, notamment des documents et des témoignages qui permettront d’établir son rôle dans la torture de Zahra Kazemi, compte tenu du poste de pouvoir qu’il occupe, du contexte général de criminalité systématique qui règne à la prison d’Evin et de son obstruction à la justice après le décès de madame Kazemi. Le Iran Human Rights Documentation Centre de New Haven (Connecticut) a publié un rapport détaillé intitulé Impunity in Iran: The Death of Photojournalist Zahra Kazemi qui constitue un solidement fondement pour une enquête. De plus, par principe, la protection des droits fondamentaux des citoyens canadiens ne devrait pas dépendre de la facilité d’accès aux éléments de preuve.

En poursuivant Saeed Mortazavi en justice, le gouvernement du Canada indiquera qu’il soutient le principe des droits fondamentaux de la personne et soulignera que des citoyens canadiens ne peuvent pas être torturés et assassinés en toute impunité. De plus, le Canada manifestera ainsi sa solidarité envers les mouvements qui défendent la démocratie et les droits humains en Iran, dont de nombreux membres ont également subi des atrocités de la part de Saeed Mortazavi.

Au nom des milliers de Canadiens et de Canadiennes qui demandent que justice soit faite dans l’affaire de Zahra Kazemi, je vous demande, Monsieur le Premier ministre, de donner suite à votre courageuse action de juin 2006, afin d’amener Saeed Mortazavi devant les tribunaux. Je reste persuadé que le gouvernement relèvera ce défi et fera ce qu’il se doit.

Payam Akhavan, J.S.D.
Professeur agrégé
Faculté de droit de l’Université McGill

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