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La maltraitance infantile affecte les circuits cérébraux

Les séquelles profondes et persistantes des traumatismes subis durant l’enfance pourraient être attribuables à des connexions neuronales défaillantes
Publié: 25 September 2017

Par Katherine Gombay

Pour la première fois, des chercheurs ont pu observer des modifications des structures neuronales dans certaines régions du cerveau chez des personnes ayant été victimes de maltraitance grave durant l’enfance. Les chercheurs croient que ces modifications pourraient contribuer à l’émergence de troubles dépressifs et de comportements suicidaires.

Au nombre des difficultés associées à la maltraitance infantile grave, notons le risque accru de trouble psychiatrique, tel que la dépression, un degré élevé d’impulsivité, d’agressivité et d’anxiété de même qu’une toxicomanie plus fréquente et le suicide.

Dans les pays occidentaux, de 5 à 15 % des enfants âgés de moins de 15 ans sont victimes de maltraitance physique ou sexuelle grave et non aléatoire.

Des chercheurs du Groupe McGill d’études sur le suicide, qui relève de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas et du Département de psychiatrie de l’Université McGill, ont tout récemment publié une étude dans l’American Journal of Psychiatry selon laquelle les séquelles à long terme des traumatismes, tels que la maltraitance grave, subis durant l’enfance pourraient être attribuables à une défaillance structurelle et fonctionnelle touchant des cellules du cortex cingulaire antérieur. Cette région du cerveau participe grandement à la régulation des émotions et de l’humeur.

Les chercheurs croient que ces modifications pourraient contribuer à l’émergence de troubles dépressifs et de comportements suicidaires.

Une gaine produite au cours des vingt premières années de vie

Pour communiquer avec les cellules d’autres régions cérébrales et assurer ainsi une organisation et un fonctionnement optimaux dans le cerveau, les signaux électriques utilisés par les neurones doivent parfois franchir de longues distances. C’est pourquoi les longs axones sont généralement recouverts d’une gaine de myéline, une enveloppe de tissus adipeux servant à protéger l’axone et à favoriser la conduction efficace de l’influx nerveux. La formation de la gaine de myéline (myélinisation) est progressive, l’accumulation se produisant surtout durant l’enfance, et la gaine arrive à maturité au début de l’âge adulte.

Des études antérieures ont révélé des anomalies marquées de la matière blanche dans le cerveau de personnes victimes de maltraitance infantile. (La matière blanche est en grande partie constituée d’un amas de milliards de fibres nerveuses myélinisées.) Cela dit, étant donné que ces observations provenaient d’examens d’IRM cérébrale réalisés chez des personnes vivantes, il était impossible de dégager une image nette des cellules et des molécules de matière blanche touchées.

Pour obtenir un portrait plus clair des modifications microscopiques survenues dans le cerveau de personnes adultes qui ont été victimes de maltraitance durant l’enfance, et grâce aux échantillons de tissu cérébral fournis par la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada (qui contient, en outre, de nombreux renseignements sur la vie des donneurs), les chercheurs ont été en mesure de comparer les échantillons de tissu cérébral prélevés dans trois groupes de personnes adultes décédées : personnes dépressives s’étant suicidées et qui présentaient des antécédents de maltraitance infantile grave (27 personnes); personnes dépressives s’étant suicidées, mais qui ne présentaient pas d’antécédents de maltraitance infantile (25 personnes); et personnes décédées qui ne présentaient pas d’antécédents de troubles psychiatriques ni de maltraitance infantile (26 personnes).

Une défaillance de la connectivité neuronale peut affecter la régulation des émotions

Les chercheurs ont découvert que SEULS les tissus cérébraux des personnes qui avaient été victimes de maltraitance durant l’enfance présentaient un amincissement de la gaine de myéline touchant une proportion significative de fibres nerveuses. Ils ont également observé des altérations moléculaires sous-jacentes affectant de manière sélective des cellules qui participent à la production et à l’entretien de la myéline. Enfin, les scientifiques ont constaté une augmentation du diamètre de certains des plus longs axones uniquement dans ce même groupe de personnes, ce qui les a amenés à émettre l’hypothèse selon laquelle, conjointement, ces modifications pourraient entraver le couplage fonctionnel entre le cortex cingulaire et les structures sous-corticales, telles que l’amygdale et le noyau accumbens (des régions du cerveau respectivement liées à la régulation des émotions et au sentiment de récompense et de satisfaction), et altérer le traitement affectif de l’information chez des personnes qui ont été maltraitées durant l’enfance.  

Les chercheurs concluent que l’adversité en début de vie peut entraîner la détérioration persistante de plusieurs fonctions neuronales dans le cortex cingulaire antérieur. Or, bien qu’ils n’aient pas encore établi dans quelle région du cerveau, à quelle phase du développement ni comment, au niveau moléculaire, ces effets parviennent à affecter la régulation des émotions et l’attachement, les scientifiques prévoient mener d’autres études pour approfondir la question.

Cette étude a été financée par la Fondation Fyssen, la Fondation Bettencourt-Schueller, les Instituts de recherche en santé du Canada, la Fondation américaine de prévention du suicide, la Fondation pour la recherche médicale ainsi que la Fondation Deniker, le Fonds de recherche du Québec – Santé, le Programme des chaires de recherche du Canada, le Prix de chercheur émérite NARSAD, les Instituts nationaux de la santé des États-Unis et Pfizer.

L’article « Association of a History of Child Abuse with Impaired Myelination in the Anterior Cingulate Cortex: Convergent Epigenetic, Transcriptional, and Morphological Evidence », par Pierre-Eric Lutz, Arnaud Tanti et coll., a été publié dans l’American Journal of Psychiatry. DOI : http://ajp.psychiatryonline.org/doi/full/10.1176/appi.ajp.2017.16111286

Personnes-ressources :

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gustavo.turecki [at] mcgill.ca (Gustavo Turecki), M.D., Ph. D., Groupe McGill d’études sur le suicide, Institut universitaire en santé mentale Douglas, Université McGill, Montréal (entrevues en français et en anglais), coauteur en chef

gustavo.turecki [at] mcgill.ca (Naguib Mechawar), Ph. D., Groupe McGill d’études sur le suicide, Institut universitaire en santé mentale Douglas, Université McGill, Montréal (entrevues en français et en anglais), coauteur en chef

Pierre-Eric Lutz, M.D., Ph. D., Groupe McGill d’études sur le suicide, Institut universitaire en santé mentale Douglas, Université McGill, Montréal (entrevues en français et en anglais); adresse actuelle : Institut des neurosciences cellulaires et intégratives, Strasbourg, France, coauteur principal

Arnaud Tanti, Ph. D., Groupe McGill d’études sur le suicide, Institut universitaire en santé mentale Douglas, Université McGill, Montréal (entrevues en français), coauteur principal

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